De sombre nuages déversent une pluie torrentielle, complétant la panoplie de cette nuit noire sans lune ni étoile. Leur mission puisqu’elles l’ont accepté, est d’infiltrer une soirée mondaine sorcière, organisée par un certain Rodrigue Manto, un riche héritier de sombre réputation. Sur le dossier qu’on leur a remis, le visage poupin de Manto les observe avec dédain, son crâne recouvert de rare cheveux blonds. On dirait la réplique moderne d’un Dionysos maléfique qui aurait mal tourné.
La première étape de leur mission est de réussir une entrée discrète sous l’apparence de deux mangemorts capturés par l’Ordre du Phénix il y seulement deux jours, pour n’éveiller aucuns soupçons. Deux personnes, deux métiers, deux amis de longues dates, tatoués de la marque des ténèbres et dont on ne sait pas grand-chose des agissements, d’où le double intérêt de leur capture, même s’il est peu probable qu’ils parlent. Apparemment, ces deux-là sont de véritables tombes. Et pour cause, ce sont des trafiquants de champignons aux propriétés addictives, et pas seulement…
Pour commencer, les deux épouses ont décidé de se donner rendez-vous dans un corps de ferme en ruine, refusant catégoriquement de se transformer en un inconnu peu recommandable en plein cœur de leur salon. La campagne londonienne est vaste, et elles n’eurent pas de mal à trouver un bâtiment désaffecté sans trop de courant d’air. Après avoir transplané, elles renforcent leur abri de fortune d’un sortilège de protection, puis déballe leur tenue de soirée pour les enfiler avant d’ingurgiter le polynectare, histoire de gagner du temps.
Il est 19h50. Elles ont dix minutes pour boire le polynectare et se présenter devant la porte du manoir Manto. Les deux mangemorts qu’elles incarnent sont réputés pour leur ponctualité. Ce qui est étrange, c’est qu’elles disposent d’exactement les mêmes vêtements, l’un de petite taille, l’autre beaucoup, beaucoup plus grand. Deux longues robes de sorciers violacées et deux captes à capuche. Epinglé sur la poitrine, deux gants croisés semblant mimer le vol d’un oiseau. Il y a aussi une paire de lunette et un foulard en soie, mais impossible de savoir pour lequel des deux. Car dans le dossier, les portraits n’apparaissent pas et franchement, ce n’est pas sympas.
Durant cette mission sous une autre apparence, elles ne peuvent ni porter leurs boucles d’oreilles, ni leur bracelet.
« Je crois qu’on devrait se donner un code pour s’alerter du danger. Une fois prononcer, l’autre saura qu’il faut sortir tout de suite. Une phrase qui pourrait passer inaperçu dans n’importe quelle conversation ».
Elles avaient convenu que, quoiqu’il arrive, elles doivent rester ensemble. Ce qui reste crédible, car apparemment, leurs deux personnages sont comme les doigts de la main. La pluie n’a de cesse et le ciel gronde, transpercé d’éclairs. L’heure tourne. Après s’être enlacée et souhaité bonne chance, les deux épouses s’interrogent sur les rôles à endosser.
« On fait shifumi, déclare Harper pour sélectionner un personnage ».
Cachant sa main derrière la tête, elles entonnent :
« Papier, caillou, ciseau ».
Et baisse sa main.

Shifumi:

Je me retenais de maugréer à cause de la mission que nous venions de recevoir. C’était toujours pour moi les missions à la con. D’abord me perdre dans un labyrinthe illogique en ayant perdu mes pouvoirs et maintenant me transformer en un Mangemort pour infiltrer une soirée mondaine. Moi, dans une soirée mondaine. Moi, en Mangemort.
Heureusement, cette fois nous serions ensemble, Harper et moi, et d’après le dossier, les sorciers dont nous allions usurper l’identité étaient comme les doigts de la main. Étrange comme leurs curriculums me rappelaient deux femmes dont je tairais les noms.
Une fois la dernière protection magique posée dans notre abri de fortune, je retirais les vêtements du sac que nous avions reçu avec l’ordre de mission et le polynectar. Je fronçais les sourcils en voyant les différences de taille entre les deux costumes.

— Je veux le grand ! Laurelus ? Par curiosité je regardais l’autre prénom. Hardyrus.

C’était un sport olympique d’avoir des prénoms de merde chez les Mangemorts. Être grand, même dans la peau de quelqu’un, juste une fois, ce serait super cool pour moi ! Voir enfin le monde de haut et non plus d’en bas. C’était vrai quoi, la magie était aussi faite d’opportunité et là, j’en avais une pour enfin être grande. Malheureusement, les flacons de polynectar n’étaient pas étiquetés, il allait donc falloir le jouer à la chance. C’est-à-dire à la malchance pour moi.
La suggestion de mon épouse fut tout à fait censée, je hochais donc la tête.

— Euh… Je vais aux toilettes ?

Sans gêne, comme deux Mangemorts taciturnes, et efficace, comme deux Mangemorts trafiquant de substances illicites. Un éclair déchira le ciel dehors, nous rappelant que nous devions nous hâter. J’étreignais la Belle avant de passer une main dans mes cheveux tout en reniflant à sa suggestion.

— Ça marche. Papier, caillou, ciseau.

Harper présente la pierre, moi le ciseau. J’avais le flacon de droite.

— Bon, quand faut y aller hein…

Avais-je déjà signalé que je n’aimais pas boire du polynectar ? On dirait de la pisse de gobelin. Je grimaçais en sentant le goût du mélange se déverser dans ma bouche, puis j’attendis de subir la transformation pour… rester petite. En revanche, je vis Harper prendre quelques centimètres. Qu’est-ce que je disais ?

— Ah ! Mais fais chier ! m’exclamais-je d’une voix qui avait baissé au moins de quinze octaves (au moins). Wow ! C’est… C’est ma voix ? Je toussais. Wow. J’accentuais sa gravité pour la plaisanterie et fixa Harper en haussant les sourcils, aguicheuse. Yeaaaaah baby...

Cela dit, après avoir regardé ma femme je réalisais que je la voyais trouble. Super, les lunettes c’était pour le petit en plus. Le bouquet. J’attrapais la paire et me la mettais sur mon nez, l’air bougon en croisant les bras. Cette fois, je maugréais.

— Ça va j’ai l’air assez renfermée comme ça ?

Monde cruel, c’est de l’acharnement de petites personnes !
Une fois enfin prêtes, je saisissais la main d’Harperlus et transplanais à la soirée.

Shifumi:

Un éclair zébra le ciel, comme s’il s’évertuait à définitivement le déchirer. Harper hérita de l’apparence d’Hardyrus. Elle se retrouva face à un dilemme : revêtir la tenue du sorcier maintenant et sentir les vêtements d’un inconnu mal famé sur sa propre peau, ou se déshabiller après au risque de découvrir le corps nu du mangemort. Elle frissonna. Elle choisit donc le moindre mal, en optant pour la seconde solution. Lorsque le polynectar coula dans son œsophage, tout son être trembla. Elle réprima un haut le corps qui manque de la faire vomir. Harper prit quelques centimètres et perdit bien des cheveux. Il lui sembla même que son bassin s’était rétrécit. Après avoir découvert Abigail d’un air rieur puis enfilé sa tenue, les deux femmes (hommes) se prirent la main pour transplaner. Des trombes d’eau martelaient une avenue londonienne vide de badauds. Un sortilège pour repousser la pluie comme protection au-dessus de la tête, Laurelus et Hardyrus se faufilèrent dans la file des invités qui patientaient pour entrer chez Manto. Détail plus que plaisant : tous portaient un masque, et les deux épouses recouvrirent le leur. C’est ainsi qu’au milieu de la file, elles ne croisaient pas les regards patibulaires, ni les soupçons. La bâtisse ressemblait à un château lugubre taillé sur mesure pour s’introduire dans le décor urbain. Aussi haut que les immeubles qu’il jouxtait, des gargouilles s’alignaient à tous les étages, et Hardyrus aurait pu se tenir dans l’encadrement des fenêtres, tant elles étaient grandes. La porte, de métal, donnait l’impression qu’y entrer c’était ne plus jamais en ressortir. Un sorcier baraqué se tenait devant. Il vérifiait l’identité des invités avant de leur indiquer de passer à travers la porte. Le gorille devait être protégé d’une bulle insonorisée, car personne d’autre que l’invité qui se présentait ne pouvait entendre ce qu’il disait. Derrière son masque, Harper fronça les sourcils, serrant un peu plus la main d'Abigail dans la sienne, avant de s'apercevoir qu'Hardyrus et Laurelus ne se tiennent certainement pas par la main. Elle relâcha discrètement son étreinte.
« Bonsoir Stan, bonsoir Oliver, salua le gorille lorsqu’elles s’approchèrent à leur tour ".
Au cas où vous l’auriez loupé, ce sont leur nom de famille. La voix du gorille était rauque, monotone. Cependant, il avait l’air aussi ennuyé que menaçant, comme le mal qui dort.
" Bonsoir, répondit Harper, en découvrant sa nouvelle voix ".
Et quelle surprise ! Elles ne s’étaient pas adressé un mot avant leur départ, comme si elles partaient à l’abattoir. Harper s’était attendu à tout sauf à une petite voix fluette, montant étrangement dans les aigus, plus féminine qu’une voix féminine.
" Le mot de passe ? Demanda le gorille ».
Quoi ? Sérieusement ? Il y a un mot de passe ? Bien sûre qu’il y en a un, et l’évidence frappa la cervelle d’Harper. S’en souvenait-elle seulement ? Pour gagner du temps, elle se mis à tousser, comme éprise d’une quinte de toux, de sa voix fluette toute gorge déployée, à vous en crever les tympans.
" C’est… ».

Rappelle ou rappelle pas ?:

En plus d’avoir éventuellement grandi un peu, à moins que je ne me fasse des idées, j’avais aussi gagné en bedaine. Par Merlin il ne mangeait pas que de la salade ce type ! J’avais la sensation d’être deux fois moi dans ce corps… Et je sentais la salsepareille au poisson. Une horreur.
Ainsi, une fois arrivée sur place non loin de la réception de Manto, je ne pouvais même pas inspirer pour me détendre : l’odeur qui me venait n’était pas la mienne et me dérangeait vraiment beaucoup. Cela dit, pour le bien de la mission, et pour la sécurité d’Harper, je ne faisais rien paraître. Fort heureusement, le port du masque ici semblait obligatoire, et pour le coup, je le mis de bon cœur.

Une fois arrivée devant le gorille de l’entrée, je le fixais de toute ma petite hauteur en découvrant la nouvelle voix de Harper. Putain, heureusement que j’ai le masque, car il me fallut me mordre violemment les lèvres pour ne pas éclater de rire. Ah ! Donc il y avait quand même une justice, être grand ne donnait pas forcément les cordes vocales les plus attrayantes.
Bien entendu, le mot de passe, qui avait été consigné dans le dossier, nous fut demandé. En entendant la soudaine quinte de toux de HardyrusHarperus, je compris qu’elle ne s’en souvenait pas, évidemment.

— Rire noir.

Intervenais-je le aussi patibulaire que possible. L’exercice était vraiment difficile, mais je devais reconnaitre qu’au moins, je m’amusais. Gorille avait entendu ma réponse et nous laissa passer, mais il ne lâchait pas HardyrusHarperus du regard. Voilà pourquoi je la poussais un peu brusquement pour l’entraîner avec moi à l’intérieur.
Ici, c’était aussi austère que dehors, et je regrettais déjà nos doux foyers en compagnie de nos animaux. Je poussais un soupir discret derrière mon masque.

— Je propose qu’on cherche d’abord auprès des invités. On découvrira peut-être le bureau sans devoir fouiller tout le château.

Autant essayer de faire les choses le plus naturellement possible… Quoiqu’avec Harper s’était souvent difficile. Cela dit, je la savais assez bonne oratrice pour glaner des informations auprès de n’importe quel taciturne. Moi, en revanche, j’étais davantage du genre à laisser trainer mon oreille (au sens propre, mais le figuré était aussi possible), et à me faufiler là où on m’y attendait le moins. Enfin, avec mes 20 kilos en plus j’allais peut-être devoir la jouer autrement. Je contemplais la foule avec appréhension. Qui ici était-on censé connaître ? Qui étaient nos clients ? Qui nous détestait ?
J’allais suggérer d’aller aborder n’importe qui lorsqu’une forte odeur de chou vint envahir mon masque. Ils ne savent pas se laver chez les Mangemorts ? Je alors apparaître devant nous une vieille femme au dos courbé. Elle nous toisait d’un regard intense derrière son masque.

— Mes p’tis Lau’ et Hard’ ! Alors, comment vont les affaires ?

Bordel, mais c’est qui cette vieille ?

Dédé:

« D’accord, approuve Harper. Primo, on glane des infos, deuzio, on fouille l’endroit. On se croirait dans un jeu vidéo ».
Sauf que dans un jeu vidéo, elles disposeraient de plusieurs vies, ce qui, dans la réalité, n’est pas le cas. La marge d’erreur se réduit donc à : zéro. L’heure tourne, et autant dire qu’elles ont du pain sur la planche. Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? Au jeu des cinq sens, Harper n’est pas douée. Elle ne parvient pas à l'identifier. Une vieille femme au regard intense sous son masque les aborde en faisant grincer sa voix nasillarde.
« Couci-couça, répond spontanément Harper, de sa voix étonnement aigu ».
L’exercice est délicat : ne connaissant pas la réponse exacte et, la vieille cruche connaissant probablement la réponse, son but étant de les sonder ou les railler, Harper opte pour rester dans le vague.
« Ah ! Hardyrus, toujours aussi mystérieux. Une vraie pierre tombale.
- Tu sais ce que c’est d’être un chasseur-cueilleur, réplique Harper en faisant référence à la spécialité d’Hardyrus Oliver : la chasse aux champignons (les plus rares, les plus spécifiques, les plus mortels…). Un cueilleur ne révèle jamais ses secrets ».
La vieille cruche part dans un éclat de rire, et Harper doute de la sincérité de son amusement. Aussi, décide-t-elle de réorienter la discussion sur le-champs :
« Manto à mis les petits plats dans les grands, commente-t-elle en attirant son épouse-Laurelus et la vieille femme vers le buffet ».
Elle mettrait sa main à couper que la vieille cruche aime les potins.
« C’est pour mieux rattraper la bévue de la soirée précédente, mon enfant. Vous auriez dû venir ! La vieille Manto a mis tout le manoir sens dessus dessous. On dit que depuis il la drogue avec des potions, pour qu’elle reste tranquille ».
L’œil brillant sous son masque, elle observe les deux commerçants d’un œil avisé, comme si elle attendait qu’ils lui livrent une quelconque information. Insinue-t-elle que Manto a eut recours aux deux hommes d’affaires pour droguer sa mère à coup de champignons douteux ?
« Qu’est-ce que tu entends par-là ? Demande Harper, absolument agacée par l'air énigmatique de leur interlocutrice.
- Ne te fâche pas, Hardyrus. Il n’y a pas de mal à filer un petit coup de pouce ».
Elle lui assène un coup de coude complice, et Harper trouve que ce simple contacte furtif est franchement dégoutant.
« Je me demande bien ce qu’il en a fait, interroge Harper en se servant une flûte de champagne et refusant de donner une réponse à la vieille.
- On dit qu’elle vadrouille de sa chambre jusqu’au bureau de Manto, au troisième étage, celui où les fenêtres sont trop petite pour qu’un adulte puisse s’y glisser ».
La vieille prend un air bizarre.
« J’étais persuadée que tu ne buvais pas d’alcool, Hardyrus ».
Mais qui lui a flanqué un déguisement pareil ? Une voix aigrelette parfaitement non assortie à son corps, et une consommation nulle en alcool.

Suspens:

Hé bah, on n’était pas sorties du sable avec cette mission et cette vieille croûte qui nous collait aux chaussures. Cela dit, elle allait sûrement nous lâcher quelques informations malgré elle, les vieux c’est souvent sénile et un peu idiot non ? Restant aux côtés de mon épouse sous couvert d’Hardyrus et de la vieille bique, je les suis jusqu’au buffet, notant bien les accusations cachées. Oh, nous aurions fait ça ? Une chance que nous ayons pris l’apparence de deux dealers de champignons, entre autres, car je m’y connaissais en botanique. Alors, certes, je n’avais pas un niveau de mycologie extrême, mais je me débrouillais quand même. Impassible derrière mon masque, je ne pus cependant pas m’empêcher que nous touchions déjà au but. Ça y est, maintenant nous savions où se trouvait le bureau de notre hôte. Il ne restait plus qu’à nous y rendre… déjà, il fallait trouver comment atteindre le troisième étage, puis vérifier s’il n’y avait pas des gardes ou des elfes de maison trop obéissants car trop torturés. Enfin, il fallait éviter la seconde vieille folle au troisième étage qui rodait comme un fantôme entre sa chambre et le bureau.
Misère… mon pronostic quant à la réussite de cette mission restait très pessimiste.  
Surtout si on commençait à éveiller les soupçons par des agissements anodins, mais qui ne l’étaient finalement pas.

— Il s’y essaie de temps en temps, j’essaie de le convertir, mais il continue de me tenir tête.

J’essayais de sauver les meubles, mais la vieille semblait tenace. Maudits Mangemorts.


— Allons donc, j’aurais tout entendu de mon grand âge. Comment va ta famille Laurelus ?

Je fronçais le nez derrière mon masque. Merde. Est-ce que Laurelus avait des enfants ? Avait-il seulement une épouse ? Est-ce que c’était une question piège pour nous démasquer ? Je décidais d’opter pour la méthode Harper, c’est-à-dire, nier et ne pas trop en dire.
Je haussais négligemment les épaules.

— Pas de question privée, tu le sais bien. Qu’est-ce qu’on a raté d’autre lors de la soirée précédente ?

— Ah… vous le saurez bien assez tôt, mais entre autres l’entrée du jeune Mandogor au sein du cercle. Il est la fierté de son père. Ils ne sont pas encore arrivés.

— Nous irons le féliciter plus tard dans ce cas. Nous avons besoin de toutes les baguettes nécessaires pour écraser la vermine ennemie. Disais-je en accentuant un ton de dégoût parfaitement mené.

— Certes, mais nous ne devons pas recruter n’importe qui à la hâte. Heureusement pour nous, l’Ordre est assez bête pour le faire. Oh ! Je ris encore de la manière dont Trinkson les a retournés. Ils sont idiots !

L’évocation de ce souvenir et cette moquerie ouverte me figea. Je fusillais la vieille du regard, les épaules tendues, les poings fermés autour de ma flûte de champagne.

— Hé bien Laurelus, as-tu perdu ton sens de l’humour ? Qu’est-ce que vous me cachez tous les deux ?

Dédé:

De mal en pis. Les yeux de la vieille bique transperçaient Laurelus-Abi, comme si elle tentait de voir derrière le masque. C’était sans compter sur Harper Auburn-Macfusty, spécialiste du mensonge.
- On a loupé l’une de nos expériences ! Lança Hardyrus-Harper d’un ton franchement agacé. Nous avons tenté d’élever une culture de champignons moldus afin de déclencher une contagion puis une contamination, mais l’expérience a échoué. Depuis, j’ai la courante. Ça te va comme réponse ?
Derechef, elle envoya sa main dans un plat de crevette et la vieille fut prise d’un haut-le-corps.
- On se revoit avant la fin de la soirée, déclara-t-elle entre ses dents, comme si elle craignait de vomir en ouvrant la bouche en grand.
- Ouf ! Murmura Harper à l’adresse de son épouse une fois la vieille bique d’éloignée. Ah ! Le voilà.
- Mes amis, bonsoir.
- Bonsoir Manto, salua Harper.
Leur hôte portait un masque trop petit pour cacher son gros visage poupin. Ses cheveux blonds désordonnées trahissaient-ils les déboires qu’il rencontrait avec sa mère ? Manto se servait un verre de wisky pur feu tendu par un serveur, et Harper enclencha :
- Ses serveurs sont charmants mais des elfes de maisons seraient plus appropriés, si tu veux mon avis, sans vouloir te vexer, mon cher Manto.
Avant de répondre, Manto soupira :
- Je savais qu’ils seraient à ton goût, Hardyrus, ricana Manto.
Voilà autre chose. Tous les serveurs sont de jeunes gens dont Hardyrus devait avoir le double de l’âge. C’est répugnant.
- Je n’apprécie pas la proximité de ses bestioles, repris Manto en dévorant les crevettes dans les plats qu’Harper avait désordonnée.
Au loin la vieille bique les regardait d’un air dégouté.
- Qu’est-ce qu’elle a, la vieille bique ? Demanda sèchement Harper.
Etrangement, Manto su de qui Hardyrus voulait parler.
- Comme d’habitude, répondit-il d’un air absent, concentré sur la mayonnaise. Vos affaires empiètent sur les siennes.
Hardyrus haussa des épaules.
- A partir d’un certain âge, faudrait toutes les enfermer.
- J’ai une colocataire de choix, si besoin s’en fait, se moqua Manto.
- Pardon ? Demanda incrédulement Hardyrus.
Cette fois, Hardyrus-Harper saisissait un verre de jus de fruit sur le plateau d’un jeune serveur.
- Je ne comprends pas comment tu fais pour boire ça ! S’exaspéra Manto à la vue de la boisson soft. Je parlais de ma mère, voyons !
Hardyrus-Harper se souvint que les deux associés lui avait probablement fournis une potion douteuse.
- Nous n’étions pas là, la dernière fois, rappela Hardyrus en espérant que la vieille est dit la vérité.
- Je sais, les affaires. D’ailleurs, elle résiste de plus en plus à vos bons soins.
- Il en existe d’autre, assura Hardyrus du tact au tact.
- Je suis désespéré, confia Manto. Elle me rend chèvre !
- Avec un prélèvement, on pourrait obtenir une décoction plus aboutit…
L’espoir faisait battre le cœur d’Harper. Sa main se crispa sur son verre. Manto soupira à nouveau.

Réponse de Manto:

L’avantage dans notre couple, c’était que nous étions complémentaires. Si je savais quand il fallait être sage, posé et être la voix de la raison, Harper savait quand il fallait sortir du cadre, retourner sa veste et mentir avec brio. Le retournement de situation ne manqua pas de me faire sourire, et je n’oubliais pas le petit coup d’œil mesquin en direction de la petite vieille. Je ne ressentais aucune once de culpabilité de me comporter ainsi avec elle, non pas que je devenais une mauvaise personne, mais j’avais mes principes. Elle les avait bafoués, à son insu bien sûr, mais quand même, alors ma vengeance silencieuse était parfaite. Merci mon amour. Malgré tout, nous étions peut-être passées à côté d’une occasion en or de glaner quelques renseignements. Je me devais de me contrôler pour la suite.

- Rappelle-moi de ne pas toucher à ses crevettes

Disais-je à l’attention de mon épouse lorsque Manto nous rejoignit alors. Je saluais ce dernier en levant simplement mon verre dans sa direction, laissant Harper discuter avec lui. D’une oreille attentive, je les écoutais, non sans laisser trainer mes yeux curieux et aiguisés. J’observais la foule, les lieux et évidemment les étages qui étaient visibles, ainsi que la manière d’y accéder. Je devais avouer avoir hâte de récupérer nos documents et nous enfuir, plus ça allait, moins j’étais à l’aise. Je n’étais jamais à l’aise dans la foule, alors une foule de Mangemorts… Je tiquais à peine en entendant que Manto essayait de se débarrasser de sa génitrice. C’était un comportement qui hélas devait être monnaie courante dans ce genre de milieu.
Je me raclais la gorge pour reprendre la parole à mon tour.

- On n’a eu que vos prélèvements, mais tu sais à quel point les potions sont une science exacte. Sans douter de tes capacités, tu sais aussi comme nous sommes pointilleux lorsque nous travaillons. Emmène-nous en haut et nous nous chargerons d’améliorer son traitement.

Grand Merlin, mais qu’étais-je en train de dire ? Manto semblait hésiter, alors j’en rajoutais.

- Après nous irons parler affaires dans ton bureau, nous avons une offre à te faire.
- Vraiment ?
- On ne te dira rien ici.

Le tout était maintenant de faire en sorte d’entrer dans le bureau et pouvoir le fouiller sans la présence de Manto… où qu’il l’ignore d’une manière ou d’une autre.

- En étant l’hôte de la soirée, je ne peux pas m’éloigner aussi longtemps de mes invités. Vous savez comment ils sont.
- Aucun problème, nous irons seuls.

Je jetais un coup d’œil à Harper tout en haussant les épaules avec désinvolture. Où était donc le problème ? Si nous pouvions subtiliser des documents, mais en plus améliorer le traitement de la génitrice, à défaut de l’aggraver, nous aurions doublement accompli notre devoir. Mais il fallait encore convaincre Manto. Je revenais sur lui.

- C’est une offre à prendre ou à laisser, on est pressé à la fin de la soirée.

Je n’avais pas envie de retrouver mon apparence sous ses yeux.

Dédé:

Les affaires sont les affaires, avait-il dit.
Nouvel échec pour le couple Macfusty. Cette douche froide, plutôt que d’annihiler l’espoir qui restait, intensifia le courage d’Harper. Elles avaient joué la carte de la sureté, le temps passait, vint le moment de prendre des risques. Avant que Manto change d’invité, Hardyrus-Harper balaya la pièce du regard (bien que son champ de vision soit réduit par le masque), puis demanda à Manto d’un air parfaitement dégagé :
- Dans ce cas, lequel tu me suggères ?
Manto avala une dernière bouchée de crevettes avant de lui répondre :
- Je te reconnais bien là, Hardyrus !
Répugnant, songea Harper. Manto s’esclaffa, ses yeux au-dessus de ses joues grassouillettes se plissèrent pour le rendre encore plus laid.
- Le p’tit qui sert les verrines de wakamé.
Manto agita ses mains grasses de crevettes pour les saluer et s’avança pour saluer de nouveaux convives.
- On a plus le choix, murmura Harper à l’adresse de son épouse. On ne va pas attendre la fin de la soirée pour risquer de reprendre notre forme originelle. J’aurais dû emporter une potion anti vomitive, se lamenta-t-elle tandis qu’elles (ils) s’approchaient du serveur en question.
La prochaine étape est de cuisiner le serveur. Les serveurs ne portaient pas de masque. Leur cible avoisinait les vingt-ans et Harper le reconnaît tout de suite comme un ancien élève. Incapable de se rappeler son prénom, ce visage familier ne la rassura pas dans sa marche.
- Bonsoir… Arcadius ! Lut-elle sur le bagde épinglé sur la poitrine du garçon.
- Bonsoir monsieur, répondit-il promptement, son plateau rond porté à bout de bras. La soirée est agréable ?
- Moui, répondit mollement Hardyrus-Harper, faisant la moue.
- Qu’est-ce qui vous ferez plaisir ?
Harper songea que soit il savait y faire, soit il était totalement incrédule. Elle espéra de tout son cœur qu’il s’agissait de la première option.
- Tous ces visages austères, déclara-t-elle en exagérant des yeux haussés au plafond. Tant de sérénade et de pourparlers d’affaire. C’est d’un ennui mortel.  
Le garçon arbora un sourire charmant avant de répliquer :
- Les joies des mondanités.
- On vous traite bien, au moins ?
- On m’ignore surtout, admit le garçon.
- Un si joli minois ? Ignoré ?
Le garçon sourit, gêné :
- Je ne suis là que pour vous servir.
Une chose était bien certaine : il savait s’exprimer avec tact.
- Vraiment ? Enchaîna Harper. Faite attention mon brave, je pourrais vous prendre au mot.
Quelle horreur de draguer un si jeune homme et qui plus est, sous l’apparence d’Hardyrus. Le garçon vint parler à l’oreille d’Harper.
- Mais pas ici.
Ca n’arrange pas leurs affaires.
- C’est que, il n’y en aura pas pour longtemps, s’enquit Harper, et sa voix mielleuse la répugna au plus haut point.
Le garçon éclata de rire.
- Par « pas ici », je voulais dire, pas dans la salle.
Mais qu’il est con !
- On t’écoute.

Proposition du serveur:

Heureusement pour moi que j’avais mon masque sinon mes rictus de dégoûts et de jalousies ce seraient vus sans le moindre mal. J’avais tous envie de les passer à la tronçonneuse ! On ne touche pas à ma femme. Ces Mangemorts étaient véritablement dégueulasses et une fois rentrée à la maison, je prendrais une douche si longue pour me purifier que tout l’océan serait asséché. Erk ! Toutefois, Harper semblait bien plus courageuse que nous. C’était étrange comme elle semblait être dans son élément et j’eus une vision de ce qu’elle aurait pu être si elle avait réussi à devenir Auror. Sans nul doute aurait-elle été douée, à sa manière.
En restant impuissante, je la regardais donc tenter sa chance auprès du jeune serveur, et ce fut après une salutation vers Manto que je la suivais avec une curiosité morbide, prête toutefois à bondir si d’aventure la chose irait trop loin. J’étais gentille, mais il ne fallait pas réveiller lors qui dort.
Restant à l’écart mais suffisamment proche pour capter leur conversation, je dû me vomir dans la bouche une ou deux fois. Grand Merlin heureusement que Harper m’avait épargné ce genre de plan drague, cela dit, je devais admettre qu’il y avait un je ne sais quoi d’amusant là-dedans.
J’eus tout juste le temps de voir un bout de parchemin échangé qu’une jeune femme aux airs furieux se planta devant moi.

— Laurelus !

Je m’efforçais de garder un calme olympien tout en plongeant mon regard brun dans le sien. Elle avait les yeux injectés de sang, lui donnant un air particulièrement fou.

— C’est comme ça qu’on m’appelle

Elle dégaina sa baguette et me la colla presque sous le nez

— Tes champignons ne me font plus effet !

Ah, ça expliquait les yeux et les quelques tremblements que je commençais à capter de ses épaules camouflées sous sa chevelure noire de jais.

— Tu n’as pas respecté la dose prescrite
— Si ! mais j’en veux encore ! Donne m’en !
— Tu sais qu’il te faudra payer
— Tout ce que tu veux !

J’y voyais là une opportunité dans laquelle je m’engouffrais.

— Nous n’avons pas été présents lors de la précédente réunion Hardyrus et moi. Nous voulons tous les détails des plans à venir contre ces imbéciles de l’Ordre.

Les yeux surpris de la sorcière m’incitèrent à continuer, il fallait être dur en affaire apparemment.

— Sans oublier les gallions évidemment… Et pas de faux coups, tu sais que les informations doivent être importantes.

La sorcière fit trembler sa baguette et je me retins pour ne pas faire de geste défensif, mais elle grogna avant de me demander de la suivre. En passant devant elle, je jetais un coup d’œil à ma femme.

— Non pas ici, là-bas plutôt.

Ordonnais-je à la droguée en la menant vers l’un des passages, décorés de Potimarron, menant aux étages, gardés par les gorilles de Manto.

Dédé:

Eurêka. Alléluia. Bingo. La toxicomane intente des négociations avec brio, les deux épouses parviennent à passer la barrière de gorille. Que les gens sont faibles dans toute leur puissance. – Tu viens avec nous, insiste Harper auprès de la sorcière, persuadée qu’elle pourrait leur être encore utile.
Comme par exemple lui faire porter le chapeau, si elles se font prendre…
Les couloirs du manoir sont déserts, plongés dans la pénombre, éclairés faiblement par les rayons de lune. Le passage est étroit, jonchés d’armures, d’objets juchés sur des piédestaux, et d’autres reliques plus inintéressantes les unes que les autres. Harper croit apercevoir un tableau représentant le déluge avec les sorciers sur l’arche de Noé et les moldus se noyant dans la tempête. Elle cligne des yeux pour se concentrer sur la situation.
- C’est ici, dit la toxicomane en désignant le bureau de Manto.
D’un geste de la main, Hardyrus-Harper l’invite à passer en première. A contre-cœur, la femme s’exécute. Le bureau de Manto à la forme d’une demi-sphère. Le pan de mur incurvé est entièrement recouvert d’étagères ployant sous le poids de nombreux livres. Pas le temps d’être impressionnée.
- Tu n’as plus qu’à nous dégoter tous les éléments, annonce Harper.
La jeune femme crache par terre puis s’exécute. Quand un deuxième bruit de cracha les faits sursauter. Harper dégaine sa baguette en la pointant sur l’origine du bruit. Une vieille femme à la peau ridée, aux yeux tombants et chevelures grises décoiffées, les observe, le visage sans expression.
La daronne de Manto ! La vieille folle. Il ne manquait plus que ça !
- Continue de fouiller, chuchote Harper à l’adresse de la sorcière. On s’occupe de Madame Manto.
Après tout, la vieille bique les avait prévenus tout à l’heure : la mère rode dans le manoir au troisième étage. Avec tous ces évènements, Harper avait omis ce détail. Mais faut-il vraiment s’inquiéter de la présence d’une sénior ayant perdu la raison ?
- Bonsoir, dit la voix tranquille d’Hardyrus. Vous semblez avoir bonne mine, Madame Manto.
- VEUX PAS ! Crie la vieille.
- Nous ne sommes pas venus vous donner quelque chose, Madame Manto. Nous sommes simplement de passage.
Le regard sans expression, la vieille commence à parler toute seule, proférant des onomatopées incompréhensibles. Harper s’approche de son épouse pour lui chuchoter :
- Regarde si on peut s’enfuir par une fenêtre…
Le bureau dispose de deux fenêtres disposées de façon symétriques par rapport aux étagères. L’une à l’est et l’autre à l’ouest. La sorcière remet des documents dans les mains d’Abigail.
- Le rapport de la dernière assemblée. Je peux avoir mes champignons maintenant ?
- Stupéfix ! S’écrie Harper.

Pitié faites que ça réussisse:

À côté d’une fenêtre à scruter les toits afin de trouver un moyen de fuite, je fus subjuguée par la rapidité d’action de mon épouse. Le sortilège avait fusé avec une précision redoutable. Je reconnaissais là l’auror qu’elle aurait pu devenir si elle n’avait pas croisé le chemin de quelques sorciers un peu mal intentionnés. Quelque chose qui était tapi au fond d’elle et qui, par Merlin, la rendait irrésistible. Le cœur aux lèvres, je soufflais.

- Wah, je t’aime. Rappelle-moi de te déshabiller quand on sera rentré et qu’on aura retrouvé nos apparences.
- C’EST MOCHE

La vieille me fit à nouveau sursauter. Elle se tenait là devant nous comme une statue qui se permettait de commenter de temps à autre. J’en venais à oublier un peu sa présence jusqu’à ce qu’elle hurle à nouveau. Elle venait de briser tout l’effet que j’avais cherché à donner à Harper. Sale vieille. Quand bien même elle était victime de quelques manigances des Mangemorts pour qui nous avions volé l’apparence, je ne ressentais que peu de peine pour elle. Elle était aussi une Mangemort, elle avait engendré un Mangemort qui avait une place de choix dans leur caste. Enfant qui cherchait à lui nuire… Peut-être… que nous pouvions tout de même encore lui mettre des bâtons dans les roues à ce Manto. Avec une idée précise en tête, je me penchais sur le corps de la toxicomane et lui pris sa baguette. Par acquit de conscience, je fouillais aussi ses vêtements afin d’être certaine qu’elle ne détenait pas elle non plus quelques informations. Enfin, je me permis une dernière fouille dans le bureau afin de dégoter quelques plans et autres documents pouvant servir à l’Ordre.

- La fenêtre de gauche.

Indiquais-je à mon épouse tandis que je me rapprochais de la vieille qui maugréait des mots incompréhensibles.

- Tenez madame. Pour vous remercier, voici une offrande. La baguette de cette sorcière.

La vieille me sauta dessus et essaya d’attraper l’objet comme une enragée. Heureusement, je m’étais attendue à une telle réaction.

- Mais ! Avant tout, promettez-nous de nous laisser nous en aller sans encombre. Allez plutôt vous amuser à la fête, ce sera mieux pour votre santé, je pense.
- VEUX !
- La promesse
- PROMESSE

Bon, admettons. En jetant un coup d’œil à Harper pour m’assurer qu’elle avait déjà commencé à franchir la fenêtre, je donnais la baguette avec prudence à la vieille folle.

Dédé: