Golden girl

Jean est la miss Parfaite du devant de la classe qui a grandi. On dirait qu’elle prend de la felix felicis pour le petit déjeuner. Jeune femme avec un poste à responsabilité et déjà des faits d’arme à son actif, sorcière talentueuse dans de nombreux domaines et pleine de potentialités, un tempérament serviable, heureux.
Passionnée, Jean c’est le genre à vous tenir une classe en haleine et les faire rire par la même occasion. Elle n’aime rien de mieux que d’apprendre et de rendre, voir ses élèves évoluer la rend fière. Les potions, la divination, la défense, la cuisine, tout est bon pour qui s’y penche et s’entraîne. Ses multiples passions font qu’elle n’a plus une minute à elle dans la journée, entre les coups de main, le travail et les révisions.
Brillante, elle a des facilités pour apprendre et a pu emmagasiner un sacré savoir sur tout un tas de choses. Elle adore apprendre et surtout la magie sous toutes ses formes, c’est ce qui la maintient en vie. Son intelligence ne se borne pas à sa culture car elle fait preuve de logique et de lucidité en toute situation pour la retourner à son avantage. Au vu de ses différentes compétences, elle sait être indispensable.
Adroite, Jean est une aussi bonne danseuse qu’une cuisinière accomplie. Tout a l’air tellement facile pour elle que ça en devient agaçant. Ce qui ne se voit pas c’est que c’est sa détermination et sa curiosité qui viennent à bout de tous les obstacles qu’elle rencontre.
Un coup de mou ? Un petit cookie maison vous fera du bien. Son grand sourire facilite la vie, son humour vous désarçonne, son exigence vous pousse à vous dépasser, et si vous avez besoin de quelque chose elle sera toujours là pour vous tendre la main sans hésitation. Elle est très sociable, parfois bavarde, souvent franche, elle vous posera des questions, s’intéressera à vous. Et surtout, elle tournera tout en dérision, un peu de légèreté même dans les moments les plus graves. Elle n'hésite pas à donner de sa personne pour faire rire quelqu'un, de la mimique à l'imitation.
Courageuse, puissante, elle n’hésite pas à se lancer dans des aventures parfois dangereuses sans se prendre au sérieux et en entraînant les autres à sa suite. On a envie d’y croire avec Jean. Ce qu’elle entreprend, elle semble toujours le réussir.

Dark thoughts

Le problème c’est que ça fait parfois creux de courir d’un objectif à un autre. Le problème c’est que la fille parfaite est superficielle, qu’elle parle sans se dévoiler, ça en devient suspicieux. Le problème c’est que Miss Parfaite est sans doute Miss Déni.
Pour certains elle se déshumanise et en devient antipathique à force de n’être qu’une heureuse façade. Jean peut parfois se sentir très seule, ne réussissant pas vraiment à maintenir une relation ou une amitié.
Elle ne fait jamais face aux réalités qui la dérangent. On sent parfois un relief surprenant quand elle use de sarcasme mais pour le reste, elle est secrète, refusant de s’avouer à elle-même qu’elle aimerait parfois faire une pause sociale et d’activité. Refusant de s’avouer qu’elle est en colère, contre sa mère, sa sœur, son grand-père, qu’elle est restée traumatisée de certaines expériences. Il faut dire qu’elle est encore physiquement marquée de ces expériences si belles sur son CV, une nuque brûlée au feudeymon, elle porte des lunettes pour lire après être devenue aveugle, des cicatrices parcourent son corps, elle a perdu un doigt de sa main gauche. Ses rancœurs, ses peurs, ses chagrins, à force de les avoir enfouis, une part d’elle est terrifiée de l’ampleur que cette boule de négativité pourrait avoir prise. C’est pour ça qu’elle évite même d’y penser. Les conflits l’effraient à un point tel qu’elle a tendance à les esquiver de manière maladive. Ce qui peut la rendre hypocrite à certains égards. La petite Jean a bien appris, quand elle est fâchée ou triste ça n’intéresse plus maman. Ça n’intéresse plus personne.
Pour elle, elle n’est jamais assez. Sa confiance en elle a été brisée dans son enfance, ce qui la rend dépendante de marques d’affection. Facilement manipulable à qui lui accordera un peu d’importance, elle ne se voit pas comme elle est réellement. Cela lui fait ressembler à sa mère qui cherchait sa valeur dans les bras d’autres hommes et qui refusait de voir la réalité en face. D’ailleurs, Jean peut vite perdre ses moyens quand un homme lui témoigne de l’intérêt.
Parfois elle a l’impression de ne pas exister réellement, heureusement que son agenda est chargé du réveil au coucher et qu’elle n’hésite pas à boire une petite bièraubeurre  ou prendre n’importe quoi qui la fera dormir sans rêve. Elle se réveille souvent en sueur. Son référentiel de morale est cassé, à force de ne mettre de la valeur qu’en ses compétences, elle a oublié de développer de véritables qualités humaines et elle peut se révéler cruelle sans même s’en rendre compte. L’utilisation de sortilèges impardonnables ne la gênent pas tant que quelqu’un lui dit qu’elle a bien fait.

Pourtant peut-être que ce qui se cache en elle n’est pas si terrible, peut-être a-t-elle même un bon fond ? Comment savoir alors qu’elle a toujours fait ce que les autres lui ont proposé ? Qu’elle n’a jamais sincèrement lutté pour obtenir quelque chose ? Qu’elle n’a jamais cédé à un véritable sentiment amoureux ?

 

Nothing burns like the cold


Août 2018 – 1h du matin – alpes autrichiennes

Mis à part les bruits de la forêt, le silence régnait. Le ciel était trop nuageux pour y voir de quelconques étoiles. En expirant Jean fit une volute de fumée, il faisait frais la nuit. Devant elle, dans le feu le visage de son père disparaissait sous les braises. Il venait de lui donner ses dernières instructions. Elle devait absolument fuir le campement avant l’attaque. Dans le QG des contrebandiers mais aussi sur les différents campements de l'organisation, une attaque coordonnée des différents ministères magiques allait être menée. Une rafle menée par des équipes d'élite. Tout le réseau tomberait cette nuit.
Jean sentit un frisson partir de ses jambes pour arriver jusque derrière ses oreilles. Elle se sentit paralysée. C’était enfin le moment. Trois ans qu’elle avait infiltré ce groupe de trafiquant de créatures magiques, trois ans qu’elle avait plongé entièrement dans un monde de magie obscure, brutale, trois ans qu’elle était sur les chemins partout dans le monde à la recherche des bêtes les plus rares, dans des souks magiques, des marécages, à dormir en tente ou à la belle étoile, à assister à des duels clandestins souvent mortels. Trois ans d’inconfort, loin de tout. Trois ans d’apprentissage aussi, de rencontres, de paysages merveilleux.
Elle avait attendu ce moment de délivrance, parfois impatiemment parfois moins et elle l’appréhendait. Tout se jouerait cette nuit. Et seuls les quelques sombrals encore réveillés qui renâclaient à côté d'elle étaient témoins de sa trahison. La dragonne Vert Galloise était endormie, elle était rebelle et dès lors, elle était souvent maltraitée. Jean laissa son regard passer sur les blessures de la créature pour se rappeler les raisons de sa future trahison. De sa trahison passée, il était déjà trop tard.
Une main calleuse écarta ses cheveux derrière son oreille tandis que des lèvres familières se posèrent sur son cou. Son cœur battit la chamade. Plus par peur qu’il ne l’ait surprise à chuchoter au feu que par amour, néanmoins le contact de ses lèvres ne la laissait pas indifférente. Lui, il serait bien une des rares choses qui lui manquerait. Pourtant, s’il avait découvert son secret maintenant il l’aurait tuée sans hésitation et sans grande résistance. Elle n’avait que 24 ans, pas encore assez d’expérience pour se mesurer à lui. Elle le sentit glisser dans son esprit et le laissa faire comme à son habitude, après avoir effacé ses derniers souvenirs discrètement. C’était inconfortable, désagréable de se sentir dépossédée mais c’était la condition de sa mission. Lui, il aimait fouiller dans son cerveau comme si elle lui appartenait. Elle était devenue experte à se protéger de ses incursions. Nikolaï était un légilimens très doué, un sorcier intelligent et un braconnier performant ce qui l’avait fait monter numéro 2 dans la hiérarchie. C’était la raison pour laquelle on avait demandé à Jean de l’approcher et le séduire. Depuis qu’elle l’avait laissé rentrer dans son esprit, elle était acceptée sans réserve dans les réunions de préparation et gagnait une meilleure part du butin.
Il n’était pas non plus un mauvais amant, plus vieux mais elle ne s’en plaignait pas. Et il y avait quelque chose de rassurant d’être en sa présence.

-Tu devrais aller te coucher, un Grapcorne ça ne se capture pas si facilement. D’autant que la femelle qu’on a repérée aura son petit avec elle.
- Pire qu’un dragon ?
-Oui… enfin ça dépend. Regarde celle-là et rappelle toi le fil à retordre qu'elle nous a donné. Et encore, tu n'as pas vu les pires. Je t'y emmenerai
-C’est trop généreux ça mon cher Niko. Un cadeau ?
-Pour tes beaux yeux… je ne peux rien te refuser.

Ils aimaient jouer aux amoureux étourdis alors qu’ils vivaient dans un monde égoïste, brutal, cruel. Niko ne faisait pas exception. Jean quant à elle… y glissait petit à petit, sans s’en rendre compte, appréciant presque cette vie loin de son passé.
De toute façon… c’en était bientôt fini de ce petit jeu. Dans quelques heures, peut-être moins, Jean quitterait cette vie. Elle quitterait ce qu’elle avait bâti depuis 3 ans, ces gens auxquels elle s’était presque habituée, sa nouvelle identité, Niko. Elle lui trouvait des excuses car elle y était attachée. Son cœur se serra. Peut-être mourrait-il ce soir ? Elle misait plutôt sur sa capture. Son sourire ne se démonta pas, elle fit des ronds du doigt sur le dos de la main de Niko. Rester concentrée, ne penser à rien sauf à la mission.
Ils parlèrent quelques minutes de la façon de capturer un grapcorne et des risques qu’ils prendraient. Nikolaï faisait des ronds sur le sol avec sa baguette, il semblait presque enfantin comme ça.

Un coup de tonnerre résonna. Le signal. L’opération internationale conjointe, des sorciers devaient se tenir tout à côté, trompant les défenses des braconniers grâce à Jean. Les criminels dormaient dans leurs tentes, paisiblement, sûrs de leurs barrières magiques.

-Allez viens dormir Beth, il va pleuvoir, rejoins moi.
-J’arrive, laisse moi quelques instants.

Des goutte se mirent à tomber. Étonnamment, Jean ne pensa pas à son père mais à Harper, un souvenir d’enfance dans les rues de Londres, des jeux sous la pluie. Où était sa soeur ? Lui avait-elle envoyé des courriers ? S’était-elle inquiétée ? Sa mère… c’était sûr que non. Pops et Grandma Elaine avaient eu quelques nouvelles erratiques dans lesquelles Jean avait dissimulé la vérité, mais Harper rien.
L'orage d'août en montagne s’annonçait violent. Elle ne vit que des ombres dans des longs manteaux de différents ministères s’approcher des différentes tentes. Un des fléreurs en cage feula.
En un claquement de doigt, ce fut le chaos. Elle serrait sa baguette. Les sorts fusèrent entre les gouttes, impossible de savoir d’où ils provenaient. Ce qui l’étonna le plus c’était le silence, seuls les bruits des pas, des sorts et des râles interrompaient le silence. Puis un premier cri, la voix rauque de Nikolaï qui appelait au rassemblement.
Un des hommes du MAF Français attrapa brutalement le bras de Jean qui sortit de sa torpeur. Elle vit un courant de sang inonder ses pieds.

« La fille du cocatrix ? »

Jean leva un sourcil. La fille du quoi ? Qu’est-ce qu’il racontait … Puis elle comprit que c’était sans doute le nom de code de son père. Elle hocha la tête. Il la protégea d’un sort. Puis un contrebandier sembla venir à sa rescousse. S’il savait... Elle n’eut que le temps de le voir s’effondrer, victime d'un autre sort. Elle n’osait penser à ce qu’il en adviendrait. Jean avait l’habitude des duels ou des combats contre des créatures mais cette fois-ci… elle se serait crue sur un champ de bataille. Il fallait rester attentif et user de sa baguette pour éviter de mourir dans ce chaos ambiant.
Elle dut revenir un instant à son point de départ, ayant oublié son carnet, si important pour elle. C'est là qu'elle entendit des agents anglais. L'accent ne trompait pas. Malgré la pluie et le tumulte ambiant, elle eut le temps de croiser le regard d'un fantôme de son passé. Il ressurgit et elle se figea. Malgré elle, Jean lui fit un signe de la main. Après tout, ça ne pouvait être qu'un fantôme, et il faut être poli avec les fantômes. Sinon qu'aurait fait Abigail McFusty dans cette foule ?
Elle entendit Nikolaï hurler de rage, il n'était pas loin. Elle devait fuir.
Alors qu’ils étaient parvenus difficilement à la lisière du campement elle trébucha sur une racine. En baissant la tête elle se rendit compte que la racine en question avait la forme d’une jambe, et qu’elle n’était reliée à rien… plus loin la manticore qu’ils avaient capturés quelques semaines auparavant s’engouffrait dans la forêt avec le reste d’un corps dans la gueule.
Elle jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule avant de s’enfuir définitivement. Le campement lui paraissait si éloigné désormais, au milieu de la tempête, un feu commençait à prendre entre les tentes. Les sorts illuminaient le ciel. L'odeur de sang et de brûlé prenait à la gorge. Certaines cages étaient ouvertes. Les braconniers ne se laisseraient pas prendre si facilement. Elle voyait des agents transplaner avec leurs prisonniers. Il fallait évacuer les cibles principales quitte à revenir ensuite.
Jean, son sac sur le dos avec toute sa vie dedans se faisait tirer vers la forêt. L’agent du MAF surexcité se mit à la féliciter chaudement dès qu’ils furent hors de vue.
Pour la première fois, sourire lui sembla hors de ses forces.  Un vide s’était emparé d’elle. Tout était fini. Tout ce pour quoi elle s'était entraînée depuis ses 20 ans. Et elle s'enfuyait comme une voleuse, après avoir tout pris, tout appris des contrebandiers. Elle inspira en fermant les yeux, des larmes y perlaient presque. Et la voix de sa mère résonna dans son cœur. « Elle fait que pleurer c’est pas possible tu veux pas la garder ? ». Ce souvenir venu de ses entrailles coupa immédiatement son envie de pleurer, elle sourit à l’agent quand ils touchèrent le portoloin. Sous le tapis, les idées noires.