Haaaa ce couvre-feu… Forcément qu’il m’affectait, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’il me pourrissait totalement la vie. Et ouais, toujours le moyen de voir le verre à moitié plein moi ! Premièrement, je faisais des économies, genre vraiment! A ne plus faire les fermetures de bar déjà. Quoi c’est pourri comme argument ? Ok ok, bon alors les soirées pyjamas, ouep ! Qui aurait cru qu’à trente piges j’aurais organisé plus de soirées pyjamas qu’à quinze ? Et ça je peux vous dire que c’était grave cool ! Les soirées jeux de société, les répétitions théâtres, les potes… tout le monde squattait mon canapé et ma chambre d’amis depuis que passées vingt-trois heures, mettre un pied sur le trottoir était égal à gros ennuis. Non franchement c’était pas si horrible que ça… Quoi ? Non je ne me mentais pas à moi-même… Bon ok, j’avais peut-être un peu ronchonné en voyant que j’avais gagné à un concours… Pourquoi ? Quel rapport ? Mais parce que l’organisateur avait un humour douteux, si si si… J’avais gagné une tenue de soirée ! Ha bah oui, oui, évidemment que j’étais ravie à l’idée de me faire un défilé solo dans ma chambre et de ne pas aller en boîte danser jusqu’au bout de la nuit…

Bref, j’avais l’immense chance - là comme ça, on ne perçoit peut-être pas toute l’ironie - de pouvoir échapper au couvre-feu ce soir pour un petit travail pour le Blood Circle. Cette soirée s’annonçait des plus… charmantes ? Mon compagnon de ces prochaines heures ? Dexter. Ouais comme dans la série. Je ne sais pas si lui c’était un psychopathe qui avait choisi de canaliser ses pulsions sur les sorciers, mais en tout cas il n’avait franchement pas l’air du gars le plus jovial de la terre. Ha clairement, je sentais que ça allait être the night… Betty me revaudrait ça… Bon ok, il était fort probable que ce soit moi qui lui ait refilé le rhume qui la clouait au lit depuis trois jours. Du coup, j’avais accepté de prendre sa place pour une petite ronde pour une inspection de balises. Vérifier leur bon état, voir si elles étaient toujours en place, rien de foufou quoi. Dexter m’accompagnait pour vérifier la bonne application du couvre-feu et puis surtout réagir en cas de présence magique. Est-ce que mes concitoyens étaient dociles ? Aucune idée ! Baaaah y’avait sûrement quelques contrevenants qui occupaient les soirées des forces de l’ordre. Quant aux sorciers si on en croisait, ça ne serait pas bon signe. Ha bah vu le super message reçu, s’ils se baladaient à cette heure c’était pour un attentat ou un truc du genre.

Bref, n’allez pas croire que sortir pendant le couvre-feu me réjouissait. Les rues à cette heure seraient terriblement tristes et sans vie… Pas un seul bar où je pourrais m’échouer après avoir supporté la face maussade de Dex, personne avec qui taper la discut’… Rien de tout ce qui rendait la ville fun le soir. Une paire de baskets, des vêtements confortables, ma vieille casquette des Lakers offerte par mon papa adoré, j’étais parée. Je descendis dans la rue déserte et rejoignis mon comparse deux blocs plus loin.

- Saluuuut, en forme ?
- Bonsoir Rosebury, soupira le gars l’air encore plus sinistre que d’habitude
- Ça va bien ?
- Non, ma femme m’a quitté ce matin…
- Ha euuuuh, désolée pour toi hein, bon euh on y va ?

Je l’avais dit. La soirée de ma vie ! Sauvez-moi ! Pitié ! Je me dirigeai vers notre premier point de chute. Effectivement, y’avait rien de plus idéal que de faire ces vérifications quand il n’y avait personne pour vous observer, mais avec Dex la déprime, ça allait franchement être affreux. Je montai un escalier de service tandis qu’il surveillait la rue. La scène se répéta plusieurs fois à divers endroits. A chaque fois, je notai sur une tablette mes observations et l’état de la balise. Un peu plus tard, je me pris une décharge d’une balise de toute évidence défectueuse et je retins un juron. Pas la peine que le Ronchon débarque en courant, pensant que je me faisais torturer par un fou de la baguette. Bah non, y’avait pas besoin, moi je me faisais martyriser par nos propres technologies… Je notai le numéro de la balise pour qu’une équipe vienne la réparer ou la remplacer… Ça faisait un bon grille pigeon, mais bon vu ce que faisaient les premières balises américaines, j’avais pas non plus envie qu’un truc défectueux décime une partie du quartier…

- Encore deux et ce sera bon, dis-je en rejoignant le brave Dexter.

Il hocha la tête profondément blasé, jusqu’à ce qu’il relève les yeux avec un intérêt soudain. Intriguée par ce qui pouvait sortir mon binôme de sa morosité, je suivis son regard et aperçus un type au loin qui marchait d’un bon pas tirant une valise. Je vis Dexter soudain s’activer, vérifier son arme, chercher une seringue dans sa sacoche.

- Euh doucement, hein, c’est juste un gars avec une valise…
- Ouais et tu sais le nombre de trucs dangereux que les sorciers mettent dans une valise ?
- Genre un dragon ? Répliquai-je moqueuse, Han ça va ok, mais lui saute pas dessus, laisse-le quand même s’expliquer…

Je ne sais pas trop s’il m’avait écouté vu qu’il fonçait sur le contrevenant du couvre-feu comme un malade. Il était vraiment en manque d’action Dexou ou alors il voulait passer ses nerfs… Bon au moins si c’était vraiment un sorcier, il n’allait pas faire long-feu. En revanche si c’était un type normal, aaah ça allait lui passer l’envie de mettre un pied dehors la nuit…

- Hep toi, on ne bouge plus ! Beugla mon binôme.

Purée, cette interpellation était vraiment naze. Je rattrapai Dexter, vérifiant quand même mon équipement. J’aurais l’air con si je ne réagissais pas à une attaque parce que j’avais eu trop la confiance...

C’était quand même bien parti pour une soirée pépère tranquille. Une petite ronde, des petits contrôles de balises bidons, pas un rat dans les rues, pas une goutte de pluie pour le moment. Parfait, enfin... J’aurais préféré avoir pour compagnie un autre collègue que Dexter, mais bon, la mini mission touchait à sa fin alors j’allais bientôt retrouver mon canapé, ma télé et mon paquet de cookies. Mais ça c’était sans compter sur l’œil de lynx de Dex qui s’étant fait larguer le jour même, cherchait de quoi pimenter sa soirée. Ha non, non ça ne serait pas en noyant sa peine dans une bouteille de rhum, ni en allant se réfugier dans les bras d’une blonde plantureuse. Non Dexter voulait en découdre, il voulait casser la figure à un sorcier ou gueuler sur un contrevenant du couvre-feu. Je crois que mon partenaire lui ne rêvait pas d’une soirée pépère tranquille. Et Dexter avait trouvé son défouloir. Il l’avait vu déboucher d’une rue, avancer le long du trottoir et ni une ni deux, il s’était préparé à appréhender son suspect. J’avais bien tenté de dédramatiser la situation, mais rien à faire, le gars était remonté comme un coucou.

Le type n’avait pas l’air d’un sorcier, mais en même temps à part ceux qui se baladaient avec un chapeau pointu, une robe et un balai de brindilles, les sorciers n’avaient pas l’air de sorciers. Ça serait tellement plus simple pour les appréhender. Bref, Dexter avait foncé comme un dingue, j’avais juste vérifié que j’avais ce qu’il fallait pour neutraliser un sorcier, avant de le rattraper. Lorsque le type avait répondu à Dexou, j’avais écarquillé mes yeux surprise. Dexter en revanche, ça lui avait fait monter la moutarde au nez. Une veine sur le front de mon collègue tressautait nerveusement et le rouge lui montait aux joues. Je me mordis les lèvres, retenant un rire en le voyant péter son boulon.

- Pardon ?! Si tu… si tu peux nous aider ?! Mais bien sûr ! A commencer par nous expliquer ce que tu fais dans la rue pendant le couvre-feu ! Parce que c’est pas autorisé, si t’as pas vu le mémo ! Interdit !!

Il s’interrompit, reprit sa respiration. Purée, c’est qu’il allait nous faire un malaise à force de s’énerver.

- Ya quoi dans ta valise ?! Aboya-t-il de nouveau, Ouvre-là !
- Euuuuuuuh… avançai-je, t’es sûr de toi? Demandai-je à mon collègue.

Non parce que soit il y avait un dragon, et donc c’était pas ouf de lâcher un dragon dans Londres là maintenant. Ou soit il y avait des fringues et ça m’emballait pas de farfouiller parmi les caleçons à fleurs du type. Et alors s’il avait galéré à fermer sa valise, non mais l’enfer de la refermer après en pleine rue.

- Parfaitement !
- Non, mais tu sais, t’es pas obligé de traumatiser les gens, glissai-je délicatement. Tu vois si c’est pas un sorcier, tu nous fais pas une bonne pub là.

Ha bah, carrément, si c’était un gens normal, le type allait pas avoir envie de dire du bien de nous. Et c’était quoi le but du Blood Circle auprès de la population ? Bah oui de gagner leur confiance, leur sympathie tout ça tout ça… Dextouille là, il avait pas pensé à tout ça encore.

- Bah vas-y, si tu penses faire mieux Rosebury !
- Bonsoiiir! Repris-je joyeusement en m’adressant de nouveau au type, tandis que mon collègue levait les yeux au ciel.

Bah oui quand même, quand on était poli, on disait bonjour aux gens pour commencer une conversation.

- Ce que mon collègue voudrait savoir, c’est pourquoi tu te trouves dans la rue à cette heure vu que techniquement c’est pas autorisé ? Comme tu peux le remarquer, il prend trèèèès à coeur sa mission de patrouillage.

Dexter laissa échapper un grognement et je tapotai machinalement dans son dos, « ça va aller Dextouille, détends-toi ». Non puis bon, si c’était un sorcier, il nous aurait déjà attaqué depuis non ? Histoire de se barrer et de lâcher son dragon à Buckingham.

La technique bisounours et paillettes ? Bon ok c’était pourri, clair qu’avec un gosse de sept ans à la rigueur ça passait, mais avec un gars qui en avait vingt de plus, c’était nul nul. Dexter me regarda avec un air ahuri, l’air de se demander si j’avais pas un pet au casque. Ouais ça va, j’avais peut-être un peu surjoué le personnage de la gentille, un peu. C’est bon pas la peine d’appeler le service psychiatrique… Le regard du type passa de Dexter à moi et son commentaire m’arracha un sourire. Je me mordis la lèvre pour ne pas pouffer. Dexou souffla agacé. Ça ne l’amusait pas, mon intervention était à chier, il allait craquer. Je tapotais l’épaule de mon collègue, l’air de dire « zen mon chou, il a dit il coopère ». Sagement, nous écoutâmes la petite histoire qui expliquait comment le type se retrouvait dans la rue après le couvre-feu.

- Comme par hasard ! C’est pas possible d’avoir autant la poisse, répliqua Dexter qui ne voulait pas lâcher.
- Oh si, si je t’assure c’est possible, le contredis-je.

Ha bah quand c’était pas le jour, c’était pas le jour. Il devait le savoir quand même, sa femme qui l’avait quitté ce matin… Bon… Vraiment pas compréhensif le gars. Fallait pas s’étonner de se retrouver célib’ après… Je regardai le type, il devait encore se dire bad cop et good cop le retour… Moi j’y pouvais rien si Dexter voyait le mal partout et qu’il fallait le tempérer pour qu’il plaque pas un pauvre gars au sol en l’accusant de sorcellerie.

- Je crois que le billet et le téléphone suffiront, hein ? Fis-je en adressant un regard à Dexou.

Franchement, on serait déjà en train de morfler si c’était un sorcier non ? Il se serait dit, non mais pas de temps à perdre avec des moldus. En plus des Blood Circle, allez zou deux de moins ! Enfin moi à la place d’un sorcier c’est ce que je me dirais. Mais Dexter insista pour la valise… Relou. Après vérification, l’histoire du poissard tenait la route. Ha clair que Dexter était déçu de ne pas trouver une pile de grimoires et de balais volants dans la valise. Je sentais même qu’il ne voulait pas en rester là. Histoire de finir la journée de la poisse en beauté. Je le pris en aparté pour lui dire de laisser tomber. Il voulait faire quoi ? Le coller au trou ? Pour l’exemple ? A cause d’un malheureux concours de circonstances ?

- Va pour un avertissement pour cette fois, lâcha-t-il à contrecoeur.

Rah la formule toute faite à la con qui ne voulait rien dire. C’est vrai ça, c’était juste pour que Dexter fasse style « je fais respecter la loi » bla bla bla. C’est du sérieux.

- Allez Rosebury, on y va.
- Oh bah, euh je vais le raccompagner, histoire qu’il n’ait pas à se justifier encore une fois s’ils croisent les forces de l’ordre ou autre.

Ben oui c’était chiant de répéter tout, d’ouvrir/fermer sa valise toutes les cinq secondes. Non en fait c’était surtout une excuse pour échapper à Dexter. Ça, je prenais touuuut de suite.

- Il te restait pas des balises ?
- Non, non, mentis-je, en fait j’ai tout fait.

Oh ça va, deux balises c’était pas la fin du monde. Qui allait vérifier ? Dexter s’éloigna et je me retournai vers le poissard. Ouais pas terrible comme nom, il avait sûrement mieux. Enfin j’espère, parce que les Français parfois…

- T’habites pas trop loin quand même ? Demandai-je.

Non parce que s’il fallait traverser tout Londres... J’aimais bien le sport et la marche, mais fallait que je rentre après. Du coup, c’était peut-être plus smart, d’aller chercher ma voiture.

- Je suis Lucy au fait.

Oui j’étais du genre à sympathiser super vite. Un jour, j’allais vraiment tomber sur un sorcier qui allait me pigeonner, pour peu qu’il m’offre un mojito ou un cosmo, j’étais foutue. Bon là, je restais convaincue qu’il n’avait rien du sorcier et puis vu le couvre-feu, c’était mort pour le cocktail.

Il s’en était fallu de peu pour que ce type atteigne un nouveau niveau de poisse. Après je dis pas, la journée n’était pas finie, peut-être qu’il allait lui arriver d’autres bricoles d’ici là. Quoi ? Mais non, je ne lui portais pas la poisse, c’était juste… Enfin, on ne sait jamais quoi. Et puis en plus j’étais avec, alors je préférais encore qu’un énième malheur ne lui tombe pas sur la tronche. Je n’étais pas très partante pour les emmerdes. Bref, débarrassés de Dexter qui avait sorti une histoire d’avertissement, qui n’aurait à mon avis pas beaucoup d’impact sauf si éventuellement, ce type recroisait Dexou dans des circonstances similaires. Je regardai mon collègue s’éloigner puis disparaître dans la nuit, avant de m’enquérir de la prochaine destination. Je calculai dans ma tête, hum… ouais ça pouvait le faire, au pire, je prendrais un vélo pour rentrer chez moi plus vite.

- Ouais, c’est pas dingue ce couvre-feu, j’étais pas pour d’ailleurs. Mais je ne suis pas la plus calée en mesures de sécurité, ajoutai-je en riant.

Bah non, mais puisque j’étais clouée au lit, je n’avais pas pu m’exprimer. Remarquez, pas sûre que ma seule voix ait fait pencher la balance. Après comme je le disais, égoïstement, je pensais surtout aux contraintes que ça impliquait sur mon quotidien, peut-être que les bénéfices pour la population étaient finalement plus intéressants. Je me présentai et grimaçai lorsqu’il se présenta à son tour en supposant que je devais déjà le savoir. Alors, non, Dexter avait très probablement bien regardé, mais moi pas du tout.

- Alors non, j’avoue je n’ai pas fait attention. Heureusement que je ne suis pas flic, ce serait un désastre !

Sur plein de plans d’ailleurs. Les techniques, la rigueur, le sérieux, respecter la loi, tout ça, tout ça…

- Ha, je connais ça, répondis-je en riant lorsqu’il me parla de l’inquiétude de sa mère, je n’ai pas de quoi charger, mais prends mon téléphone, si ça peut éviter de lancer une alerte enlèvement, je t’en prie.

Je sortis mon portable, le déverrouillai, laissant apparaître un fond d’écran de panda un peu kawaï faisant du basket-ball et le lui tendis.

- Dexter ? Ha je te dirais bien qu’une fois qu’on le connaît, c’est un nounours, mais en vrai, je ne crois pas. Le peu de fois où je l’ai croisé, il tirait cette tronche d’ours mal léché.

Du coup Dexter, c’était plutôt un grizzly que Winnie, voilà. Après c’est bon, j’arrêtais mes comparaisons d’ours.

- Oh et tu ne m’embêtes pas, c’est pas comme si, j’avais un programme de fou pour la soirée.

Oh bah rentrer binger une série ou squatter l’ordi à regarder des vidéos de chatons qui se pètent la tronche en voulant chopper une mouche ou de chinchillas qui font un remake du Titanic, c’était pas le programme du siècle.

- Bah en fait, je ne m’occupe pas de ça habituellement. Je remplaçais une collègue pour le contrôle des balises anti-magie, c’est plus simple à faire quand il n’y a personne. Courir après les réfractaires d’un couvre-feu qui ne m’emballe pas, ce n’est pas vraiment ma passion.

Pas du tout même. Moi ce que je préférais, c’était bosser dans mon labo, mes analyses, mon microscope, mes cultures cellulaires etc.

- En vrai, je croisais les doigts pour qu’on ne tombe sur personne. En plus, je suis sûre qu’il doit y avoir des bars et des soirées clandestines, je ne me vois pas du tout gérer des trucs comme ça. Enfin du coup ça va, un idiot qui a la poisse, c’est pas si terrible, repris-je en riant.

Alors que nous passions devant une rue adjacente mal éclairée comme par hasard, un gros bruit de poubelles renversées se fit entendre. Je sursautai malgré moi, tout en songeant que ça pouvait être des chats errants ou même un renard. C’était pas déconnant à Londres. Ou peut-être des rats. Je pressai le pas, mais pas assez rapides, nous nous fîmes interpeler. Je jetai un œil au type qui avait tout du gaillard louche et pas net. Pas du tout un agent de police à qui j’aurais expliqué l’histoire du train de la poisse de Raphaël avant de poursuivre mon chemin. Flûte, j’aurais dû faire style de n’avoir rien entendu… C’était pas contagieux au moins la poisse ?