ABYSSUS ABYSSUM INVOCAT
Eté 2004 ❖ De ses yeux vert, Sienna suit les motos qui évoluent avec férocité dans le ciel. « Ils sont fous. » Le murmure s’échappe de ses lèvres, s’envolant aussitôt au milieu des clameurs qui l’entourent. Pourtant sa voix n’est ni réprobatrice, ni scandalisée, en fait, elle est impressionnée. Ce n’est pas avec crainte que la jeune italienne observe la course qui se déroule au-dessus d’eux, mais avec admiration. Avec une pointe d’envie, même. C’est dangereux, c’est inconscient, c’est illégal, et pourtant de tout ça Sienna s’en fiche bien. Tout ce qu’elle voit c’est l’adrénaline qui pulse dans ses veines et fait s’accélérer son cœur, alors même qu’elle a encore les deux pieds sur terre. Tout ce qu’elle sent, c’est qu’une fois dans le ciel, cette sensation doit être mille fois plus forte, mille fois plus grisante. C’est une pensée dangereuse, une pensée inconsciente, mais ça aussi elle s’en fiche. De toute façon, ce n’est pas comme si sa vie était destinée à être un long fleuve tranquille, alors autant faire les choses à fond. C’est ça faire partie des Giacometti, ce n’est pas juste faire partie d’une famille soudée, c’est faire partie de la Cosa Nostra. Cette mafia italienne dont le nom n’a aucun mal à résonner dans tous les esprits. Dit comme ça, ça peut faire peur, mais Sienna n'est pas de cet avis. La Cosa Nostra, c’est la solidarité, les affaires de couvertures et les mains sales. La Cosa Nostra, c’est voir au-delà du sang, ce sont des familles qui seront toujours ensemble dans l’adversité. La Cosa Nostra va au-delà de tout. L’organisation la vue naître, la vue grandir, elle la verra s’épanouir. Puisque jeune enfant Sienna s’est saisie de la fiole de poison, elle sait que son avenir est lié à celui de la mafia. Que dans quelques années un tatouage de rose et de serpent mêlés ornera son avant-bras pour venir sceller ce lien. Et cela lui convient. Sienna n’a jamais rien connu d’autre, et elle n’est pas sûre d’avoir envie que ça change.
Mais pour le moment, ce n’est pas cette part là de son avenir qui intéresse la jeune sorcière. Ses prunelles ne lâchent pas les motos dans le ciel. Leurs courses sont illégales mais font surtout partie intégrante de la mafia, Sienna a toujours vécu avec. L’exaltation de la course, l’adrénaline de savoir que leur présence est illégale, l’ambiance électrique, la musique forte et les éclats de voix, elle aime tout ça. Mais au-delà de cette atmosphère si particulière, c’est son envie de grimper sur une de ces bécanes et de filer dans le ciel qui se fait de plus en plus forte. Dans quelques semaines, elle fera sa première rentrée à Beauxbâtons, sa vie sera chamboulée, alors pourquoi ne pas commencer par ça. S’arrachant pour la première fois à la course, les prunelles de l’italienne se posent sur son frère aîné qui a accepté qu’elle l’accompagne. Il faut dire qu’elle ne lui avait pas vraiment laissé le choix, c’est qu’elle peut être bornée lorsqu’elle le veut, Sienna. Et ces courses, qui sont un peu l’essence même de la Cosa Nostra, elle ne les louperait pour rien au monde. « Je veux faire pareil. Tu m’apprendras ? » Dans le vert de ses yeux brille un éclat nouveau qui ne s’éteindra jamais.


DURA LEX SED LEX
Printemps 2011 ❖ « Je peux savoir ce qu’il se passe ici ? » Quoi ? Comment ça ce qu’il se passe ? Allons, c’est une fête, ça se voit, non ? Une piste de danse bien remplie, de l’alcool et de la musique forte, tout ce qu’il faut pour une fête réussie. Du moins, c’était une fête, jusqu’à ce que la vice-directrice de l’école de magie de Beauxbâtons ne débarque et ne gâche tout en coupant la musique et en rallumant toutes les lumières. C’est fou ça, il fallait toujours qu’un professeur débarque et sabote tout. Dire que Sienna a passé des semaines à préparer cette fête. Bon, pas du tout, elle a lancé l’idée au petit déjeuner et étant donné que ses amis sont à peu près aussi prêts à tout qu’elle pour s’amuser, tout s’est organisé en un temps record. Ce qui est plutôt normal étant donné qu’une bonne fête demande surtout de la bonne musique et beaucoup d’alcool. Mais quand même. Sienna est prête à danser jusqu’au bout de la nuit, elle n’a même pas terminé son deuxième verre, ni été flirté avec le grand brun qui lui faisait de l’œil depuis le début de la soirée, ce n’est vraiment pas juste. Mais elle n’a pas trop son mot à dire. A peine la vice-directrice de Beauxbâtons entrée dans la salle qu’ils ont investi pour faire la fête, déjà les étudiants se dispersent en un temps record. Un brin maussade, et déjà persuadée qu’elle ne peut pas échapper à une -ou plusieurs- heures de retenues, Sienna les suit bien plus lentement, presque tranquillement.
Bien sûr, la sorcière vient se mettre en travers de son chemin. « Mademoiselle Giacometti. » La professeure la regarde l’air de dire bien sûr. Rien qu’à la manière dont elle prononce son nom de famille, ça se voit qu’elle connait bien les Giacometti. Il faut dire que même si Ezio est passé avant elle, Sienna trouve toujours de quoi se démarquer. Sienna lève vers la sorcière un grand sourire innocent. Un sourire qui trompe plus le corps professoral depuis longtemps. Pourtant ça n’empêche pas l’italienne de tenter le coup. « Oui, professeure ? » Son ton doux et polit manque presque d’arracher un sourire à la sorcière. Ah, un peu plus et elle l’avait. Mais la direction est habituée aux frasques de la Giacometti. Ses notes sont plutôt bonnes, même si c’est essentiellement dans les matières qui ont sa préférence. Son sourire et sa joie de vivre connus de tous et même communicatifs. Son énergie débordante même appréciée, surtout quand il s’agit de faire gagner son équipe au Quidditch, ce dont elle ne se prive pas à son poste de poursuiveuse. Mais ses bêtises. Oh, ses bêtises sont nombreuses et son amour du règlement tellement faible qu’il n’a pas fallu longtemps pour que ça fasse le tour de l’école. Faire le mur, sécher les cours, visiter le château la nuit, pratiquer des sortilèges interdits, organiser des fêtes clandestines… Même se battre avec ses camarades -merci à son grand frère qui lui apprend à mettre des coups et à en recevoir depuis l’été de ses seize ans, jamais un nez cassé ne se sera montré si utile. Pour Sienna, tout est bon pour s’amuser. Pour ne pas s’ennuyer. Même si elle se fait choper, même si elle accumule les heures de colles. Tant qu’elle passe du bon temps, ça en vaut la chandelle.
« Ils vont bien s’amuser avec vous, à Poudlard. » Sienna ne peut retenir plus longtemps un sourire en coin. Oh oui, des bêtises elle en fait, elle n’a même aucun problème à le reconnaitre, ce sont les professeurs qui ont un problème avec ça, mais sa place à l’université de Poudlard, elle sait déjà qu’elle l’a. Même alors que les examens de fin d’étude sont dans quelques semaines. Même sans avoir reçu la fameuse lettre de l’université britannique. Tout simplement parce que c’est ce qu’elle veut. Ces études en médiation magique, elle compte bien les faire, et les réussir, et quand Sienna a quelque chose en tête, elle met tout en œuvre pour l’avoir. « Oh, ça je n’en doute pas. » Elle étouffe un rire, déjà grandement amusée à cette perspective.


AD ASTRA PER ASPERA
Automne 2013 ❖ Au milieu de la salle principale du cabaret Midnight Sky, Sienna suit comme son ombre la silhouette d’Ezio. Quand celui-ci s’arrête brutalement et fait volte-face sans crier gare, elle lui rentre à moitié dedans. « Mais t’as pas mieux à faire que de me suivre comme ça ? » Face au ton exaspéré de son frère, Sienna ne tressaille même pas. Ni ne perd son sourire. Pourquoi faire ? Elle n’est pas juste stagiaire au Midnight Sky, elle est la petite sœur du patron, sa future collaboratrice. Ce projet de cabaret, elle en a suivi la création du début à la fin et elle a toujours su qu’elle en ferait partie, même si pendant un temps son frère avait l’espoir naïf qu’elle se charge du sale travail, elle lui a vite fait comprendre que ce n’était pas ce à quoi elle aspirait. La famille vaut mieux que ça, et le Midnight Sky est définitivement une histoire de famille. Tout ça, il faut bien que ça ait quelques avantages, non ? Comme celui de ne pas avoir peur quand le patron élève la voix sur elle. Oh, elle est habituée, Ezio est encore plus caractériel qu’elle. Pendant des années, il lui a fait les pires crasses pour qu’elle soit toujours prête à se défendre ou à estimer quand prendre la fuite en cas de besoin, il lui a même tapé dessus pour lui apprendre à se battre, alors qu’il lui râle dessus franchement ça ne lui fait plus grand-chose. Au contraire, elle sait qu’elle l’exaspère, elle le fait réagir, et elle, ça l’amuse. « Je suis stagiaire, c’est mon rôle, non ? » Son sourire s’agrandit un peu plus en entendant le grognement irrité de son frère. Bingo.
En deuxième année de médiation magique, c’est en toute logique que Sienna a entamé son stage au Midnight Sky. Pourquoi aller voir ailleurs quand elle sait que son avenir se déroulera entre les murs du cabaret ? Elle ne sait pas encore à quel poste exactement mais c’est bien l’intérêt de ce stage. Les Zabini ont leur garage de motos volantes et même si Sienna adore filer à toute allure dans le ciel sur ces engins, elle n’a aucune envie de passer ses journées les mains dans le cambouis ou à vendre des machines dont elle ne sait pas grand-chose. Le business des Giacometti est bien plus luxueux, fait de paillettes, de boissons chères et de spectacles, le tout à l’adresse des sorciers les plus hauts placés dans la société anglaise. Du moins pour celui qui se déroule au rez-de-chaussée. L’autre face du business, celle faite de sexe et d’argent sale, Sienna la connait également mais elle ne s’y lie pas. Pas par frilosité, mais par manque d’intérêt. Le cabaret est bien plus intéressant à ses yeux, c’est là que se tiendra son avenir. Entre ces murs, il y a tant à faire, tant à voir, tant à apprendre. C’est pour ça qu’elle a choisi d’étudier à Poudlard, pour être à la hauteur, et ça aussi elle compte bien le réaliser.
Alors dès qu’elle le peut, elle quitte l’enceinte de l’université pour rejoindre le Midnight Sky. Elle passe son temps à suivre son frère comme son ombre et à lui casser les pieds parce qu’elle veut tout savoir, tout comprendre. Tant et si bien qu’aujourd’hui, elle voit un éclat nouveau briller dans les prunelles de son frère aîné. D’un geste de sa baguette, il fait apparaitre une pile de dossiers qui débordent de tous les côtés et les lui fiche dans les bras sans plus de cérémonie. Sienna vacille sous le poids du chargement, mais ne plie pas. « Arrête de me suivre et trie donc ces dossiers de fournisseurs. T’as beaucoup de choses à apprendre, et des années de retard. » Un grand sourire vient étirer les lèvres de l’étudiante. Oh, elle va galérer et certainement rapidement maudire son frère de ce boulot qu’il vient de lui donner, elle le sait. Mais c’est un premier pas dans leur entreprise. Un premier qui en entrainera de nombreux autres. Ca aussi elle le sait, et cette occasion, elle ne la laissera pas passer. Même si elle sait qu’Ezio va sûrement autant lui en faire baver que toutes les fois où ils s’entrainent ensemble au combat. « Bien, capo. » D’un geste, elle imite un salut militaire, manquant de faire tomber les dossiers par terre. Devant l’air atterré de son frère, un rire s’échappe de ses lèvres et résonne dans l’espace du cabaret. Ce n’est que le début.


MEMENTO MORI
Hiver 2017 ❖ D’un geste, Sienna pousse la porte du bureau d’Ezio. Elle n’a pas frappé, comme à son habitude. Et toujours comme à son habitude, elle entre dans la pièce sans y être invitée. Son frère a bien tenté de lui apprendre à se montrer un peu plus polie mais face à l’attitude bornée de la sorcière, il a fini par se résigner. Sienna aime dire que c’est là son privilège de petite sœur. Tout comme lui, elle gère le Midnight Sky, et elle est bien la seule à pouvoir agir ainsi sans s’attirer les foudres de l’italien. Il a bien tenté, ça n’a jamais vraiment marché sur elle. En quelques pas, elle passe devant le bureau de son aîné sur lequel elle laisse tomber le journal avant de continuer son chemin. L’italienne ne s’arrête d’une fois devant une desserte sur laquelle sont déposées des carafes en cristal. Elle s’en saisie d’une un peu au hasard, renifle distraitement l’alcool qu’elle renferme et fronce aussitôt le nez. Ca a l’air fort, ça fera l’affaire. Sans se préoccuper du fait qu’elle ne se trouve absolument pas dans son bureau, et que ce n’est donc pas son alcool, elle remplit deux verres. Revenant devant le bureau, elle en tend un à Ezio avant de se laisser tomber sur le siège qui lui fait face.
En silence, elle observe son frère ouvrir le journal et le parcourir. Elle n’attend aucune réaction de sa part, elle sait qu’il n’en aura pas et c’est loin de la gêner. Elle sait comment est son frère. Tout comme elle sait ce qu’il est en train de lire. Quelque part dans la région de Rome, une famille, un clan même, a été décimé. Tous, jusqu’au dernier. Du plus ancien, au plus jeune. « J’ai fait ce qu’il y avait à faire. » Sienna lève ses prunelles sur son frère, le contemple du regard un instant. Ce qu’il y avait à faire. Son frère fait souvent ce qu’il y avait à faire, un peu trop au goût de la sorcière même. Comme une solution de facilité. C’est ça de grandir et d’évoluer dans le milieu de la mafia, les vies humaines n’ont pas le même poids, les solutions aux problèmes sont plus extrêmes, les sourcils sont moins souvent levés de surprise. Souvent, ça fait protester Sienna et elle se retrouve à râler sur son aîné lorsqu’il est trop tard. Ou à tenter de temporiser ses envies de meurtre quand elle trouve que celles-ci vont un peu trop loin.
Mais cette fois, Sienna ne fait rien de tout ça. Elle se contente de vider son verre d’un trait et de réprimer une grimace lorsque l’alcool vient lui brûler la gorge. « Très bien. » Sa voix est glaciale lorsqu’elle résonne contre les murs du bureau, un ton qu’elle n’utilise que rarement. Où pointe la colère du deuil. La douleur enfoncée au fond de son cœur. Ils ont tué leurs parents, ils ont profité de les savoir affaiblis pour leur porter le coup de grâce. Ils méritaient de mourir. Tous. Ce n’était peut-être pas eux qui avaient allumé la mèche de la discorde, mais ils n’avaient qu’à pas y prendre part. Sienna sait que sans leurs envies de grandeurs, les Giacometti n’auraient pas fomenté pour projet de prendre la tête de la Cosa Nostra. Sans leurs plans pour détrôner les Zabini, ils n’auraient pas été trahis. Sans les Zabini, leur famille serait encore réunie. Sans ces autres idiots, les Giacometti seraient encore en vie. Au final, qui est réellement coupable, Sienna ne le sait pas bien. Tout ce qu’elle sait, c’est que sa famille passe avant tout. Ca a toujours été le cas, pour Sienna ça a toujours été les Giacometti en premier. Peu importe ce qu’elle fait, peu importe ce qu’elle décide, c’est toujours dans l’intérêt de sa famille. Ce sera toujours le cas. Et désormais tout ça est plus vrai que jamais. Il ne lui reste plus qu’Ezio et c’est à lui que va toute sa loyauté. C’est la famille avant tout.
Rien ne sera plus jamais pareil.