Se laisser sombrer dans la violence était grisant. Un shot d’adrénaline et de danger qui rendait toute vie bien plus palpitante. Mais comment faisait-on pour se sentir encore vivant lorsqu’on avait été au sommet de ses sensations ? Tout le reste n’était ensuite que dégringolade et déception. Le Blood Circle avait offert une nouvelle colline à Olivia, ce n’était pas l’Everest de l’aviation mais cela restait bien mieux que le niveau de la mer voir en dessous. Alors quand on lui avait assigné ses premières missions, après un entrainement rude pour son corps encore secouée de son accident, elle s‘y était jeté à corps perdu. Avec son attention prise dans ses missions ou son travail le jour et les médicaments la nuit, Olivia n’avait plus le temps de penser. Et cela lui allait très bien.

Mais le souci quand on tire trop sur la corde, quand on se lance à corps perdu dans l’inconnu, c’est de s’y perdre. Et aujourd’hui Olivia s’était perdue. Elle avait foncé alors qu’elle n’aurait pas dû. Ce qu’elle aurait dû et faillit, c’était y rester. Si ce n’était pour ce foutu Lyam Rosebury. Il l’avait suivi et protégé. Il l’avait suivi. Qu’est-ce qu’elle lui en voulait pour cela. Qu’aurait-elle dit à Charly si Lyam avait été tué par sa faute ? Putain, il avait une gamine ! Elle, à la limite sa sœur et ses parents pleureraient un peu mais en tant que militaires dans l’âme, ils connaissaient le risque. Et puis après Timothy, elle n’était pas sûre que qui que ce soit ait encore des larmes à verser.

Le retour au QG avait été silencieux si ce n’était pour les abrutis qui leur servaient de compagnons d’armes. Abrutis certes, mais elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une certaine sympathie à leur égard. C’était justement ses compagnons d’armes. Même si tous ne partageaient pas la même définition de ce terme. La plupart était des pièces rapportées souvent solitaires avec lesquels il était difficile de créer des liens. Mais parfois, avec ceux qui avaient connu l’armée…  Ils s’engueulaient souvent mais sur le terrain, elle pouvait laisser sa vie entre leur main sans problème. Par exemple Lyam. Elle savait que même à un kilomètre, il pourrait descendre une cible pour la protéger… Ou courir à sa suite dans un bain de sang. Se renfrognant encore davantage, elle ne lui accorda même pas un regard sur le chemin du retour.

Le groupe s’explosa dans le bâtiment, se promettant ensuite d’aller boire un verre. Certains allaient se doucher, se changer d’autres attraper leurs clés de voiture pour repasser par chez eux. Olivia opta pour la douche sans donner sa position sur cette histoire de bières. L’avantage d’un groupe composé majoritairement d’hommes, c’était que dans les vestiaires féminins, elle avait la paix. Le sang se mélangeait à l’eau tout en s’évacuant par la bonde. Des bouts de choses non identifiés s’y retrouvèrent également arrêtés. Vu le carnage dont ils avaient été les acteurs, cela ne n’aurait pas étonnée Olivia que ce soit des viscères. Alors qu’elle regardait ce bout de… Quelque chose bouger au fil de l’eau, elle se demanda quand est-ce qu’elle avait arrêté d’en avoir quelque chose à faire. Peut-être étrangement depuis toujours. Après tout, dans une base militaire ou dans un avion, on était isolée et l’abri du monde et des remords. Ou peut-être était-ce la douleur qui lui en faisait oublier son humanité. Son corps portait de nombreux stigmates d’hématomes plus ou moins récents, dont quelques-uns de la journée. La perspective de rentrer dans la solitude de son appartement ne lui disait rien. Elle arrêta l’eau et sortit de ses pensées autant que de la cabine de douche.

Olivia enfourna deux pilules dans sa bouche alors qu’elle terminait de s’habiller. Elle allait boire ce soir. Et avec un peu de chance, elle trouverait un gars pas trop laid pour s’envoyer en l’air et rentrerait chez elle au matin. Comme ça, pas de problème pour dormir.

Pénétrant dans le bar, la chaleur, les éclats de rire et les odeurs de chips l’enveloppèrent comme des bras amis. Un mince sourire apparut sur ses lèvres alors qu’elle se dirigeait vers le bar. Elle commanda une pinte en faisant machinalement tourner un dessous de verre entre ses doigts. Une Guinness arriva finalement devant elle. La première gorgée la fit soupirer de satisfaction. Après une douche et une bière, même le plus horrible des massacres s’évaporait dans le néant. Son regard quitta finalement sa boisson pour se porter sur les alentours. Encore quelques gorgées et elle serait prête à rejoindre les gars de son groupe. Les connaissant, ils allaient encore se vanter de qui avait réussi la plus belle tuerie. Objectivement, cette fois-ci, elle était une des chalengeuses. Son regard s’arrêta sur Lyam qui s’approchait. Elle lui en voulait terriblement pour aujourd’hui. « Elle nous a donné du fil à retordre cette mission. » La jeune femme émit un petit rire ironique. « Non tu crois ? » Lyam n’était pas du genre bavard, du moins pas avec elle. Peut-être que Charly pouvait en être blâmée ? Après tout, c’était elle qui dès leurs premières rencontres avait tout tenté pour les pousser dans les bras l’un de l’autre. Alors oui mais non. Déjà, elle n’était que ruine alors lier une relation amoureuse n’était même pas envisageable. Et alors gagner une gamine au passage, non merci. Alice était adorable, mais à petite dose et surement pas sous sa garde. Olivia reprit une gorgée de sa bière, aussi amère qu’elle. Elle parlait perdue dans la contemplation des bouteilles qui décoraient le bar. « T’aurais pas dû me suivre aujourd’hui Rosebury. » Elle se décida finalement à se retourner vers lui. « T’as une gamine j’te rappelle. »  Secouant la tête de désapprobation, elle jeta un coup d’œil vers leurs compagnons de mission plus loin. « Surtout avec ces abrutis qui connaissent rien à rien. » Une nouvelle gorgée de Guinness, plus longue cette fois-ci. Se prenant la tête dans les mains, elle soupira tout en indiquant le tabouret à ses côtés.  « La place est libre si tu veux. » Dit-elle, en signe de pénitence, pour essayer de lui montrer, malgré son apparent énervement, sa gratitude. Car c’était bien de la gratitude qu’éprouvait la jeune femme à l’égard du Rosebury, en étant tout à fait honnête avec elle-même. Olivia Baring devait être intouchable et indépendante, c’était la base de toute femme Mackenson ou associée. Seulement parfois, elle se retrouvait à terre. Et personne ne lui avait jamais appris comment se relever de si bas.

« Et toi tu n’aurais jamais dû t’engouffrer là-dedans toute seule c’était du suicide. Si je n’étais pas venu tu serais morte et nous n’aurions même pas cette conversation. » Cette simple constatation de Lyam suffit à la mettre mal à l’aise devant son propre énervement et ses actes. Non, il avait tort ! Cela n’avait pas été du suicide : Olivia pensait pouvoir faire une trouée dans les lignes ennemies et elle avait saisi sa chance. Elle s’était simplement trompée, cela arrivait même aux meilleurs. Oh vraiment Olivia ? L’ironie dont faisait preuve une petite voix dans sa tête lui donnait trop à réfléchir, ce qu’elle ne voulait absolument pas faire. « La situation a changé trop vite, ça arrive. Ils étaient plus nombreux que prévu. Point. » Olivia se renfrogna encore davantage et but une gorgée de sa bière. Mais quel âne elle faisait : elle ne voulait pas l’admettre pas vrai ? Admettre qu’elle aurait bien voulu y passer ? Non évidemment, car les Baring n’abandonnaient pas, ils ne s’arrêtaient pas parce que c’était un peu difficile. Personne ne lui pardonnerait si elle baissait les bras... Mais mourir au combat, ça c’était une porte de sortie sympa. Pas de honte, pas de déception, juste des lauriers et la fin de tout. La tranquillité. Ça avait bien fonctionné pour Timothy Baring non ? Elle secoua imperceptiblement la tête. Mais qu’est-ce qui n’allait pas bien chez elle ?!

Olivia ne répondit rien à la mention d’Alice. Il était vrai que Lyam était à peine plus âgé qu’elle mais avait déjà une famille bien à lui. C’était peut-être apaisant et rassurant d’avoir quelqu’un vous attendant à la maison, allez savoir. Mais les responsabilités étaient trop lourdes. La jeune femme savait qu’elle n’en serait jamais capable, pas maintenant. Peut-être jamais. Ils étaient beaux les enfants Baring pour perpétuer le grand héritage de la famille : l’ainé était mort, la seconde au fond du trou et la dernière pour le moment bien plus occupée à servir Dieu que les intérêts dynastiques de la famille. Non, définitivement, Olivia ne pouvait se comparer ou argumenter avec Lyam sur ce point. Ils avaient choisi des voix juste trop différentes pour s’entendre sur ce point.

« Justement, t’aurais voulu que je perde la seule personne censée de la bande ? Je crois que j’aurais préféré y passer à ta place. » Olivia releva les yeux vers Lyam alors qu’il la faisait sourire. « Censée ? T’es bien gentil… Tu sais bien que j’t’aurais pas laissé prendre ma place Rosebury. » Comme elle y pensait précédemment, elle aimait bien les gars de l’Armée. Ils fonctionnaient pareil et Lyam le lui prouva encore. Elle lui proposa alors de s’installer. Elle n’était pas du genre à parler de ses sentiments et de ses problèmes, surtout pas à un collègue ou au frère de Charly. Mais elle n’avait pas non plus envie de rester seule ou de se mêler aux gugusses plus loin.

Olivia regarda Lyam s’installer à ses côtés en buvant sa bière. Elle n’était pas douée pour faire les bavardages. Ce qu’elle disait le plus souvent était direct, simple comprenaient les informations suffisantes pour le bon passage de l’information. Le reste, elle s’en fichait un peu, sauf quand l’ironie prenait le dessus bien sûr. Alors ils restèrent assis en silence à boire leur bière jusqu’à que Lyam lui demande sa permission de lui poser une question. Depuis quand un Rosebury demandait la permission pour poser des questions ? Entre Charly et Doryan, ils n’étaient pas du genre à s’embarrasser de préambules. Il semblait que cela était différent pour Lyam. « Vas-y. Mais j’te promets pas d’y répondre. » Dit-elle évasive. Toujours se laisser une porte de sortie. « Pourquoi as-tu rejoins le Blood Circle ? » Le regard vert de la jeune femme se posa intensément sur Lyam. Mais qu’est-ce qu’il racontait ? Alors qu’il ajoutait des précisions et le pourquoi de sa question, Olivia resta silencieuse. Mais pour qui il se prenait ?! Elle n’était pas au bar pour suivre une thérapie mais simplement pour se bourrer la gueule et coucher pour oublier. Sèchement, elle envoya balader sa question. « J’ai merdé aujourd’hui Lyam. Très bien, mais ça ne veut pas dire que je fais mal mon boulot. Et ça ne me tient pas à cœur. Ça doit juste être fait. Point. Et oui tu m’as sauvé les fesses mais c’était une fois, ça ne te donne pas le droit de me faire endurer ta psychanalyse à deux balles. »

Olivia but une gorgée de sa bière en réalisant bien vite qu’elle n’était pas très juste avec Lyam. Il semblait presque s’inquiéter pour elle, ou du moins pour l’organisation. Elle aurait eu la même démarche : un membre hors de contrôle mettait tout le groupe en danger et menaient à des erreurs. Hors les erreurs, dans leur profession, étaient le plus souvent mortelles. Se radoucissant quelque peu, elle évita le regard du Rosebury tout en soupirant. Elle ajouta d’une voix calme : « Juste continuer à servir mon pays d’une autre façon. » Se sentir utile, se sentir quelqu’un. Ne pas être invisible et sans pouvoir d’action. « Tu ne peux pas comprendre ce que ça fait de se faire jeter. Toi… » Elle lui jeta un coup d ‘œil. « Toi tu continues à porter l’uniforme. Ils ne m’ont pas laissé une chance, une seule chance, de faire mes preuves… » Sa mâchoire se serra. C’était vrai, elle avait encore tant de choses à apporter. Bon dieu, elle était persuadée d’avoir encore toutes ses capacités pour voler s’ils lui avaient laissé un peu de temps. Olivia aurait pu continuer à voler. Elle aurait pu continuer à protéger ses camarades. Elle aurait pu… Elle aurait pu faire tant de choses. La jeune femme était presque étonnée de ses propres pensés, qui aurait pu être qualifiées de caprice. Et Lyam ? Qu’est-ce qu’il foutait là franchement ? Qu’est-ce qui lui manquait à lui ? Peut-être pour faire oublier ses paroles bien trop franches, elle se tourna vers lui et lui demanda d’un ton moqueur. « Et toi, l’Armée ne te suffisait plus ? Fallait que tu protèges encore davantage les citoyens ? »

De nouveau, Olivia leva les yeux au ciel devant les remarques du Rosebury. Cet apparent énervement, la faute qu’elle rejetait sur le « pas de bol » et sa colère contre Lyam, tout cela lui permettait d’éviter soigneusement de penser au pourquoi de ses actes. C’était une fine barrière mais cela restait quand même une barrière. Évidemment que c’était une probabilité qu’elle aurait dû prendre en compte. Évidemment qu’ils étaient entrainés à analyser les situations et minimiser les risques au maximum. Sauf dans une situation extrême, il n’y avait pas de place à l’improvisation. Un guet-apens ? Ils savaient quoi faire. Un tireur isolé ? De même. Alors qu’est-ce qu’il lui était passé par la tête pour ainsi se jeter dans la gueule du loup ?! Il était hors de question qu’Olivia reconnaisse pieusement ses erreurs et demande pardon à Lyam.

« C’est mal me connaitre Olivia si tu crois que tu aurais eu le choix. » Olivia se recula légèrement tout en le regardant. Avec le sourcil levé, il était évident qu’elle avait pris cette phrase comme un défi. Olivia aurait été parfaitement capable s’assommer Lyam pour le calmer et lui sauver la mise. Non pas qu’elle voulait le faire immédiatement mais cette idée était tout de même séduisante pour le futur.

Alors que le Rosebury s’installait à ses côtés, il sentit le besoin de poser des questions qui ne plurent pas du tout à la jeune femme. La réponse cinglante de cette dernière ne se fit pas attendre et l’air renfrogné que Lyam apposa sur son visage trahissait précisément son ressenti sur la question. « Très bien. » Tout aussi bornée que lui, Olivia garda le silence plusieurs secondes. Ils avaient l’air malin tous les deux à boire leurs bières sans s’accorder un regard.

Ce fut finalement Olivia qui fit le premier pas vers la trêve, puisque c’était un peu elle qui rétrospectivement était à l’origine du conflit. Quel bien lui en prit. Alors qu’elle balançait ses boulets, qu’elle crachait son venin sur le monde et les fichus trucs qui la foutaient en l’air, elle se sentit un tout petit peu mieux. Pas grand-chose, presque rien du tout. Mais quand même. Et ce sentiment grossissait au fur et à mesure des réponses de Lyam. C’était gratifiant de le voir ainsi avouer que lui aussi aurait craqué : elle n’était pas faible, elle avait juste beaucoup enduré.

« Pour que tu ne bousille pas cette deuxième chance que tu as au Blood Circle, pour pouvoir te faire confiance les yeux fermés les fois où on se retrouve en mission ensemble. Parce que tu as un sacré potentiel soldat ! » Son regard plongé dans celui du Rosebury, le visage d’Olivia était fermé. Elle ne voulait pas laisser transparaitre une quelconque expression qui aurait pu trahir à quel point ces mots la touchait. À se morfondre sur ses propres soucis, elle n’avait même pas voulu voir le danger dans lequel elle mettait ses camarades. Olivia avait été seule. Mais plus maintenant, plus avec le Blood Circle. « Évidemment que j’ai un sacré potentiel, sinon je ne serai pas là Rosebury. » tenta-t-elle avec une pointe d’humour pour détendre l’atmosphère qu’elle trouvait trop sérieuse, trop pesante et trop vraie. Trop de son ancienne vie. « Je ne serais pas tendre avec toi parce que tu as eu un accident Olivia. » Elle reposa lentement la bière qu’elle avait portée à ses lèvres. Encore, heureux, elle ne voulait la pitié de personne, elle avait déjà suffisamment elle-même. Toute sa vie, Olivia avait cherché à être au niveau des plus grands. Elle avait échoué mais n’était pas encore au fond du trou. Pour qui la prenait-il exactement ? « Mais je ne te lâcherais pas pour autant. » La jeune femme inspira profondément car elle sentait des sanglots lui monter au nez. Elle savait pouvoir compter sur les gens. Mais c’était autre chose de se l’entendre dire de but en blanc. Elle se réfugia dans sa boisson pour se calmer et y parvint finalement. « Merci Lyam. » Elle le regardait, le visage toujours neutre mais elle était sincère. « Merci. » Elle ne souligna pas qu’elle en avait eu besoin terriblement de se l’entendre dire… Mais le sous-entendu était là.

Olivia ne s’attendait pas vraiment à ce que Lyam réponde honnêtement à ce qu’elle avait plutôt demandé ironiquement qu’autre chose. Et pourtant, Monsieur Rosebury s’y engouffra de tout son premier degré. Et elle ne put que l’écouter en silence alors que ses mots résonnaient avec ses propres troubles. « L’armée n’a pas ce qu’il faut pour protéger le monde des sorciers. » C’était vrai. Bon, maintenant que le secret sorcier était découvert, les militaires commençaient à s’y intéresser un peu. Mais tout leur savoir provenait du Blood Circle, des familles fondatrices qui, depuis des générations protégeaient les humains de la fureur des sorciers. Lorsque Lyam raconta pour Alice et Doryan, Olivia baissa les yeux et rebut une gorgée de bière. Elle ne s’était pas rendu compte de l’implication personnelle de Lyam. Certes Charly lui avait rapidement raconté ces deux histoires mais… C’était autre chose de voir un père ayant failli perdre sa fille, de voir un frère ayant failli perdre son jumeau que de se l’entendre raconter. « Je n’avais pas les détails… Je suis heureuse qu’ils aillent bien. C’est le problème de la guerre civile… Il y a trop de civils pris au milieu des tirs… » . Olivia n’avait jamais eu de problème à tuer. Certes dans son avion, elle était détachée du monde et bien loin des chairs et du sang. Et par la suite, elle avait bien sûr été secouée lors de ses premières missions : tout était plus viscéral et voir un regard s’éteindre faisait toujours quelque chose. Mais elle avait en face d’elle des gens qui se battaient, qui avaient choisi de prendre les armes et qui savaient qu’ils pouvaient en mourir. Elle n’était que le bras qui allait faucher leur vie déjà tendue à la Mort. Avec cette vision, Olivia était intransigeante sur l’inclusion d’innocents dans ces échauffourées. « Tu t’en es occupé ? Des sorciers qui ont fait ça ? » Si non, elle le ferait. On ne s’attaquait pas à des gamins, à des gens qui n’avaient rien à voir dans le problème. Sinon tout devenait personnel. Et ce n’était jamais bien de prendre la guerre à cœur. Car alors on acceptait de faire le pire. Et à quel moment le monstre prenait le pas sur l’homme ?

La fratrie Rosebury était connue dans le Blood Circle. Après tout, c’était assez rare d’avoir une fratrie entière dans l’organisation qui ne soit pas ou issue des familles fondatrices. Cela restait dans l’idée du groupe : familial. Olivia connaissait Charly depuis plus longtemps que ses frères, par Timothy, mais c’était bien avec Lyam qu’elle avait tissé les meilleurs liens professionnels. Après tout, Charly était une amie mais il lui manquait toute la vision et les manies que l’armée laissait. Elle l’aimait bien pour discuter historique et tactiques en buvant des bières, mais Olivia se tournerait vers Lyam pour parler des dernières armes disponibles ou écouter les derniers bizutages sur le terrain. Ne dis rien à Charly sinon je vais me faire frapper. Cependant avec cette meilleure connaissance des rouages de la grande machine qu’était la vie militaire, Lyam en connaissait également les côtés plus sombres qu’habituellement, Olivia réussissait à camoufler. Il savait que l’armée « prenait soin de chacun » avec plus ou moins d’efficacité. Il connaissait les cauchemars que laissait une existence entière sous pression. Mais il lui rappelait de ne pas arrêter de rire.

« Oh tu sais, pour certaines personnes, je me demande justement ce qu’elles font là. » Le sérieux commençait à la quitter. Olivia ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire moqueur devant la déclaration de Lyam. Il n’avait pas tort le Rosebury… En même temps, comme partout, l’intégralité des membres du Blood Circle n’avaient pas la lumière à tous les étages… Voir, il y en avait certains qu’elle suspectait d’échouer face à une porte sur un test d’intelligence. Mais enfin, qui était-elle pour juger ? Ces gars, bien qu’idiots, machistes et parfois carrément connards, risquaient quand même leur vies pour protéger des gens. Cela méritait d’être salué et impliquait une certaine dose de dévouement ou d’inconscience… Même s’ils étaient aussi cons que leurs pieds.

La discussion bifurqua finalement sur des sujets plus graves. Bien qu’Olivia ne portait pas Doryan dans son cœur, cela ne voulait pas dire qu’elle lui voulait du mal. Quand à Alice, elle était trop jeune et innocente pour qu’il soit acceptable qu’il lui arrive quoi que ce soit. Alors que Lyam lui racontait ce qu’il avait fait des crevures qui avaient osé s’en prendre à sa gamine, Olivia garda le silence. Elle ne voulait pas l’interrompre alors même que la colère commençait à lui enserrer le cœur, comme un étau qui marquait son organe au fer rouge. Il avait bien fait de tirer. Quoique cette ordure n’avait même pas souffert pour ses crimes. Olivia lui aurait fait bouffer sa baguette si elle avait eu l’occasion. Elle pouvait aisément comprendre pourquoi Lyam s’était retrouvé dans le Blood Circle. La jeune femme n’était pas du genre à comparer les raisons de chacun de combattre la magie. Mais, peut-être un peu minée par la boisson, elle trouvait que celles de Lyam étaient bien plus pertinentes que les siennes. Pourquoi était-elle là ? Parce qu’elle ne voulait pas accepter sa réformation et que c’était une voie connue des Baring depuis plusieurs générations…

Lyam marqua une pause. Il semblait vouloir ajouter quelque chose et Olivia lui laissa le temps qu’il désirait pour trouver ses mots. « Je ne me serais pardonné s’ils n’avaient pas réussi à sauver Alice ce soir-là… » . Le sentiment d’impuissance était traître et particulièrement douloureux. Et entrainait souvent une foutue culpabilité qui ne s’en allait jamais vraiment. Olivia posa sa main sur celle de Lyam, dans une tentative de lui montrer son support. Elle n’était pas douée pour ça. Comprendre les gens, ce n’était pas son truc. Elle pensa à Timothy et son cœur se serra. Ce dernier n’avait même pas eu l’occasion de combattre un quelconque sorcier. Il avait juste sauté sur une mine un jour. Mais la détresse qu’avait ressentie Olivia ne se préoccupait pas des raisons de cette disparition.

La jeune femme ne se rappelait plus si Lyam avait rencontré l’ainé de la fratrie Baring. Probablement, vu que Charly sortait avec… M’enfin, Olivia n’allait pas ramener son frangin décédé dans la conversation, cela ne permettait jamais de remonter le moral de qui que ce soit. Pire, Olivia serait capable de se laisser aller à la boisson pour oublier et cela n’aiderait surement pas Lyam de devoir s’occuper d’elle saoule. Surtout que le Rosebury lui rappelait finalement un peu Tim… Ils se seraient bien entendus. « Je crois que je ne serais plus du tout le même et j’aurais vraiment péter les plombs… » Elle lui tapota la main, ne sachant pas vraiment quoi répondre et décrétant qu’écouter c’était pas mal aussi.

Ils restèrent ainsi tous les deux silencieux après ça. Olivia but une gorgée de bière et poussa gentiment du poing l’épaule de Lyam. « Mais c’est pas arrivé Rosebury. Alors faut passer à autre chose. Ta gamine elle est mignonne et elle va bien. Et on fait tout pour que ça reste comme ça. » Elle lui servit un sourire franc qui témoignait de sa croyance en ces paroles. Ils allaient rendre le monde meilleur.

Soudain le regard d’Olivia dériva vers la table occupée par les idiots du BC où la plupart du petit groupe qui les avait accompagnés dans leur mission leur lançait des regards appuyés. L’un d’eux les héla. Olivia savait déjà que ce ne serait pas des paroles d’une grande sagesse. « Hey Rosebury ! Tu nous diras quand t’auras fini avec la Baring, qu’on tente notre chance ? J’aime bien les femmes sportives…» Si le regard d’Olivia avait pu être aussi mortel que le sniper de Lyam, cet abruti serait décédé d’une balle dans la tête. Sa mâchoire se serra. Oh, ce n’était pas la première fois qu’elle se prenait ce genre de réflexion. Ne pas avoir d’appendice entre les jambes semblait laisser le champ libre à chaque mâle qu’elle croisait de venir lui chercher des noises, du moins les idiots du coin… Avant que Lyam ne puisse dire quoi que ce soit, Olivia répondit d’un ton glacial. « Et moi j’aime les hommes silencieux Thompson, comme quoi on est tous déçu un jour ! Je m’envoie en l’air avec qui je veux, Rosebury y compris et tu peux te foutre tes commentaires au cul… J’espère qu’il reste de la place avec le balai qui y est déjà. » Après tout, on lui avait sauvé les miches une fois de trop aujourd’hui, elle avait besoin de se prouver à elle-même qu’elle pouvait encore s’occuper toute seule de ces miches-ci. Elle baissa la voix et s’adressa à Lyam. « Non pas que je veuille m’envoyer en l’air avec toi Rosebury hein mais ça sonnait bien dans la réponse. » Elle apporta le verre à ses lèvres avec un petit sourire pour son camarade.  « T’as pas tous ces abrutis toi… Profite de ta chance. »

Au moins Lyam et Olivia partageaient la même vision du monde et de ce qu’ils voulaient en faire. Cela n’était évidemment pas étonnant. Ils étaient tous les deux passés par le moule de l’armée, aussi différent soit-il entre la Terre et l’Air. Ils avaient une envie commune de rendre le monde meilleur  pour les nouvelles générations. Cela éveilla en Olivia une question qu’elle ne s’était jamais posée car elle n’en avait juste pas eu le temps : voudrait-elle un jour avoir des enfants ? Quelle angoisse ! Rien que de s’imaginer faire la taille d’un petit cétacé pendant neuf mois, incapable de s’occuper d’elle-même et à la merci du n’importe quel idiot de sorcier venu… Non. Et puis, elle savait. Elle savait au fond d’elle-même qu’elle n’avait pas l’instinct maternel. Elle protégeait avec joie les enfants mais c’était sa responsabilité d’adulte. On ne lui demandait pas de les éduquer, de les divertir et encore moins de les aimer. Elle aimait sa famille. Mais elle n’avait pas à s’en occuper.

Un abruti de gros lourd interrompit la discussion des deux militaires. Olivia lui exprima le fond de sa pensée avec toute la sincérité et la brutalité dont elle était capable. La petite phrase ajoutée par Lyam la fit sourire. A la décharge du pauvre Thompson, ça courait pas les rues une femme à sa hauteur…

« T’en fais pas, je ne suis pas offusqué et je peux servir de couverture si ça t’aide à ne pas être emmerder par ce genre de gars. Et je reconnais, ta réponse était tout simplement parfaite ! » Olivia, tout sourire, reprit une gorgée de bière. Elle arrivait bientôt à la fin. Alors qu’elle faisait la remarque de l’absence de gros lourds pour Lyam, elle ne put s’empêcher de rire à la réponse de celui-ci. « Voyons Lyam, je suis sûre que des femmes en manque de sexe se jettent sur toi dès que tu entres quelque part. Fais pas ton modeste ! » Lyam n’était pas laid et avait de l’humour. Cela devait suffire pour attirer les demoiselles en soirée, légèrement émechées, non ? A son plus grand honneur, Olivia faisait partie de ces femmes légèrement éméchées qui accostaient les hommes dans les bars. Elle était du genre directe et, après toute sa vie dans un environnement masculin, elle avait appris à ne pas s’en inquiéter. Et puis, au pire, elle se faisait rembarrer. Ca arrivait, c’était le jeu ma pauvre Lucette.

La demande de Lyam à propos d’Alice la fit éclater de rire. Elle mit quelques secondes à se calmer. Elle imaginait le pauvre garçon qui viendrait emmerder Alice après que celle-ci ait été coachée par Olivia ou même Charly ! De même, elle plaignait le gentil garçon (ou la gentille fille) que ramènerait un jour Alice à la maison et qui devrait faire face au père, à l’oncle et à la tante Rosebury…  Olivia lui souhaitait bien du courage ! Retrouvant un semblant de sérieux, elle mit sa main sur son cœur, en parodiant un serment solennel. « Je jure d’apprendre tout ce que je sais à Alice sur comment repousser les abrutis. Par contre, je te laisserai le privilège de lui expliquer les petites subtilités et autres activités qu’elle pourra faire avec les garçons…» Repartant dans un fou rire, elle n’arriva pas à réarticuler un mot avant plusieurs minutes. De nouveau, imaginer Lyam expliquer comment faire des enfants à sa fille la plongeait dans une hilarité sans borne.

Voyant le verre presque vide de son camarade, elle réussit légèrement à se calmer, à finir le sien et à recommander deux verres. « Laisse Rosebury, cette tournée est pour moi… Pour te soutenir dans tous tes futurs défis parentaux… » Elle tentait de se retenir de partir de nouveau dans un fou-rire en tendant l’argent au barman. Cela faisait vraiment du bien d’ainsi se laisser aller à l’hilarité, surtout après la journée qu’ils avaient tous les deux passée. Lyam devait après tout se préparer à l’adolescente qu’allait devenir Alice. Olivia était mal placée, malgré le fait d’avoir été un jour une adolescence, pour lui donner des conseils sur le sujet. Elle avait été mature très tôt, devant s‘occuper d’Emily avec leurs parents souvent absents. Sur la base où elle vivait…. Qu’est-ce qu’elle en avait fait de ces conneries…Les idées stupides étaient légions avant la majorité. En même temps, n’était-elle pas humaine ? Et niveau cœur… Les jeunes soldats étaient souvent mignons alors…

Deux jeunes femmes entrèrent dans le bar et allèrent s’asseoir sur une banquette pas si loin d’eux. Olivia avait évidemment remarqué leur arrivée. Un vieux réflexe. Toujours définir les sorties et surveiller les entrées. Elle put presque entendre distinctement la voix de Charly dans sa tête qui exortait Lyam à aller saluer la gente féminine. « Alors Rosebury, on a une demoiselle en ce moment ? Charly a bien fait son boulot ? » Demanda-t-elle alors que deux nouvelles bières remplçaient leurs verres vides.

Olivia ne put retenir un petit rire moqueur lorsque Lyam se présenta comme plus réservé que Doryan. S’il n’y avait eu que ça comme différences entre les jumeaux, elle ne serait surement pas ce soir à boire un verre avec Lyam. Elle ne pouvait pas supporter Doryan et ses grands airs. La confiance en soi était une bonne chose… À petite dose et quand on ne se sentait pas le besoin de l’étaler sur la face de toutes les personnes présentes… Sans mentir, Lyam était le meilleur des deux frères. Il pouvait difficilement rivaliser avec Charly qui était la meilleure pote d’Olivia mais il n’était pas loin derrière. Doryan lui pourrissait au bas du classement. Nah ! En détaillant Lyam, elle retrouvait des petites choses de Timothy chez lui. Oui elle s’était déjà fait la remarque mais cela lui sautait encore plus à la figure maintenant qu’il venait d’envoyer chier des gros lourds et qu’ils buvaient des bières ensemble. Si Tim avait survécu jusqu’à ses 30 ans, il aurait probablement été comme Lyam. Il aurait peut-être même eu un gosse dis donc, et probablement avec Charly. Elle repoussa ces pensées. Avec des « probablement », le monde serait bien différent.

« Insistants ? T’as pas idée… Mais après une épaule déboitée, souvent ils comprennent le non… » Dit-elle avec un sourire camouflé par sa bière. Olivia se demandait parfois comment faisaient les femmes qui ne savaient pas se défendre, pas même avec quelques prises de self-defense. Devaient-elles espérer secrètement ne jamais en avoir besoin ? Comme connaître les gestes de premiers secours ? Cela dépassait totalement la jeune femme. Cette dernière avait été élevée différemment que la plupart des femmes, et êtres humains en général : ne savoir compter que sur soi-même. Il s’agissait bien de la seule personne sur Terre qu’on était sûr d’avoir avec soi en toutes circonstances… Oui, elle ferait en sorte qu’Alice comprenne et apprenne. Avec Charly, elle ferait de la petite Rosebury une excellente jeune fille qui ne craindrait rien ni personne ! Cette idée la fit rire et de nouveau songer un peu à la maternité. Et puis elle réfléchit à avoir un gosse dans les pattes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et se dit que finalement le célibat sans enfant c’était pas mal.

Les nouvelles bières arrivèrent, le compte en banque d’Olivia encaissa le coup et la discussion dériva sur les passe-temps de Charly et son envie de caser son pauvre frère qui, comme il venait de le dire quelques minutes plus tôt, n’était pas du genre coureur de jupon. Olivia releva un sourcil alors que Lyam répondait maintenant sur la défensif. Elle sentait poindre de l’agacement et s’en étonna. Ce n’était que des blagues, il ne fallait pas prendre la mouche comme ça… Lui, ayant été entouré de mecs en service pendant des années, s’offusquait de ce genre de chose ? Franchement cela en était presque risible… Cela donnait presque envie à la jeune femme de pousser un peu le Rosebury dans ses retranchements. Il ne lui en laissa pas l’occasion, lui renvoyant la balle désagréable des compagnons de coucherie. Mouai, c’était quand même vachement moins drôle lorsque l’on était la cible des moqueries… « Dans ce tas de rats ? Aucun, et encore heureux, je ne me le serais jamais pardonné… Pas comme toi avec une des jolies brunes là-bas je suis sûre… » Fit-elle d’un air sérieux qui sentait quand même bon la moquerie. « Va pas croire que je suis une sainte Rosebury. J’ai juste un certain standing dans mon choix de mecs. Et ça passe premièrement par avoir un cerveau et savoir s’en servir… » Haussant les épaules, pour montrer sa résignation, Olivia enchaina. « De toute façon, je me suis faite une raison. Fonder une famille c’est pas mon truc. Le pauvre gosse qui m’aurait comme mère… Il finirait en foyer ou pire… Chez mes parents ! » La jeune femme but une gorgée de bière. Les blagues masquaient un réel malaise : ne pas savoir. Le monde était fait de telle façon que les femmes étaient attendues sur le sujet de la maternité : dès sa majorité passée, les questions incessantes du « tu veux des enfants » étaient sur toutes les lèvres. Olivia les avait balayées, après tout à vingt ans elle avait le temps non ? Et maintenant que son monde avait totalement été chamboulé et que la trentaine se rapprochait dangereusement… Les choix commençaient à se restreindre. « Alors l’objectif c’est de s’amuser. L’avantage de piocher dans le Blood Circle ? C’est tous plus ou moins des sportifs… » De nouveau un sourire moqueur. Avec Lyam ça devenait maladif. Mais il était si drôle quand il était mal à l’aise. « Ou sportives en fonction du point de vue… » Fit-elle avec un sourire entendu. « T’as qu’à te venger… » Reprit-elle en se remémorant Charly. « Essaye de caser ta sœur et vous serez quitte ! »

« De toute façon mon seul plan ce soir, c’est Alice ! » Olivia secoua la tête, autant compréhensive que désespérée par les paroles de Lyam. Certes sa fille était importante mais quand même… Il ne devait pas oublier de vivre le petit père ! La jeune femme ne s’inquiétait pas à proprement parler de la vie sociale de Lyam -ce n’était pas son problème- mais elle ne pouvait s’empêcher de vouloir l’entrainer avec elle dans ses divertissements. Pour se sentir moins seule peut-être ? Elle n’aurait su le dire. En tout cas, elle lui tira la langue lorsqu’il lui annonça se douter qu’elle n’était pas une sainte et lui répondit d’un signe de tête alors qu’il lui assurait savoir qu’elle ne s’abaissera pas aux idiots qui les avaient accompagnés aujourd’hui. Au moins les choses étaient claires, ne put-elle s’empêcher de penser avec un grand sourire.

Olivia savait qu’elle n’aurait pas dû parler de cette histoire de gamins. Évidemment que Lyam allait lui dire qu’il s’agissait de la plus belle chose qui ne lui était jamais arrivée. La suite lui prouva qu’elle avait tort et elle se réfugia dans son verre alors qu’un certain malaise s’installa. Le Rosebury abordait en effet l’histoire de sa femme qui avait tout abandonné. Il eut la gentillesse de continuer la conversation en changeant de sujet et de ne pas laisser une Olivia mal à l’aise tenter de se dépêtrer de toute cette histoire. « Mais tu ne sais pas vraiment quel genre de parent tu seras tant que ça ne te tombe pas dessus tu sais ? » Olivia haussa de nouveau les épaules. Une habitude pour balayer les questions profondes sur lesquelles elle ne voulait définitivement pas s’attarder. Un gosse, c’était des responsabilités énormes. Une vile petite voix lui rappela que la mère d’Alice avait bien réussi à s‘en débarrasser, ce qui voulait bien dire que c’était possible… Elle balaya cette idée. Ce n’était pas correct et fuir ainsi ses responsabilités ? Pas le genre d’Olivia. Il fallait en plus être le plus irréprochable possible pour avoir un enfant qui ne finisse pas suicidaire ou drogué. Et puis ça ne se faisait pas toute seule ces bestioles-là. Actuellement, c’était un peu le désert dans ses relations… Tous les gars qui croisaient son lit n’étaient pas vraiment faits du bon matériau pour être père. « On verra bien… » Répondit la jeune femme. Elle s’empressa ensuite de changer de sujet.

« Ça va, je reconnais, qu’elles ne sont pas désagréables à regarder, t’es contente ? » Un petit sourire satisfait habilla les lèvres d’Olivia à la réponse de Lyam. Et bah, on allait quelque part finalement ! « Très contente… » Dit-elle en reprenant une gorgée de bière, irradiant cette satisfaction puérile de lui avoir ainsi arraché cette vérité. A la mention de Charly, le sourire de son interlocuteur se fit encore plus grand. Olivia sentit une pointe de jalousie saupoudrer son cœur. Les Rosebury étaient si proches, si potes, si fiers et proches les uns des autres. Elle aurait voulu avoir ça elle aussi. Avec Tim et Emily. Mais les deux n’étaient plus de ce monde : l’un six pieds sous terre et l’autre servant les cieux.

Mais déjà la conversation repartait sur Charly par l’initiative d’Olivia. Alors que Lyam la questionnait sur un mec potentiel pour sa sœur, la jeune femme prit un air faussement concentré, son regard détaillant l’ensemble des personnes présentes dans ce bar. Elle savait que le sujet était glissant. Jamais un grand frère sain d’esprit ne cautionnerait un homme pour sa petite sœur. Et Olivia s’en amusait grandement. Tim aussi avait levé les yeux au ciel à chaque fois qu’elle lui avait présenté une conquête. Alors qu’Olivia n’avait jamais rien dit sur les filles avec lesquelles il sortait ! Quelle hypocrisie quand même ! Pas même pour Charly. Elle s’en était d’ailleurs faite une amie donc bon… Cela voulait dire que Tim n’avait pas fait un si mauvais choix que ça. « Hum… Un homme calme et réfléchi… Comme Dolokhov par exemple ? » Ambrose était beaucoup de choses, calme et réfléchi n’en faisait  définitivement pas parti. « Sinon Robin, je suis sûr que d’être le beau-frère d’un Kane t’emplirait de joie… » Ajouta-t-elle alors que son sourire s’agrandissait de plus en plus et que le fou rire n’était pas loin. Elle se mordit la lèvre alors qu’elle guettait une réaction de Lyam. Il risquait probablement de la tuer –un comble alors qu’il lui avait sauvé les miches plus tôt dans la journée-, car la vie sentimentale de Charly semblait être un sujet aussi sensible que sa vie sentimentale à lui. Olivia devait bien avouer que même elle n’était pas satisfaite des choix qu’elle avait proposé : Ambrose était trop taciturne et Robin trop peu sérieux. Non le seul avec qui elle la voyait était Timothy. Le sourire d’Olivia diminua légèrement alors qu’elle détournait les yeux et se réfugia dans sa bière. Ce n’était peut-être effectivement pas le meilleur sujet à aborder. Elle espéra fortement que Lyam détournerait de nouveau la conversation, cela risquait de devenir une habitude entre eux.