Isabella et Isaac Taylor ne pouvaient pas avoir de gamins. C'était ballot, hein ? Surtout qu'Isabella adorait les gosses, elle en avait quasi fait son métier : infirmière à Ste Mangouste, rattachée surtout au service maternité. Alors elle en voyait défiler des petiots vagissant rouge crevette et elle avait beau se dire que les nourrissons avaient une sale gueule, elle mourait d'envie d'avoir le sien. Isaac aussi en voulait bien un mais il ne le disait pas. Il ne disait pas grand chose d'ailleurs, pas un type très causant, normal pour un Langue-de-plomb. Excellent sorcier mais un peu nul dés qu'il s'agissait de relations humaines, son mariage avec Isabella avait tenu à une des rares phrases qu'il prononça face à une inconnue : "Oh c'est marrant, nos prénoms commencent pareil.". Ce n'était pas si drôle que ça en réalité mais cela avait bien plu à Isabella de voir ce grand mec lui adresser la parole. Surtout qu'il commençait déjà à être un peu connu : grand chercheur, excellent sorcier, il avait même fait la une de la gazette une fois après avoir découvert un nouveau truc sur la magie temporelle, sa branche de recherche préférée. Elle l'invita à dîner, ils se revirent souvent, aménagèrent ensemble, se marièrent même, tentèrent de faire une ribambelle de gamins pour peupler leur jolie maison, échouèrent.

Arriva Enola. Enfin sa mère d'abord, parce que sans elle, y aurait pas eu la gosse, trivial hein ? La mère, elle débarqua à l’hôpital pour accoucher et tomba sur Isabella. On a jamais trop raconté les détails à la fillette, on lui avait juste dit : "Ta mère ne pouvait pas t'élever, on ne pouvait pas avoir d'enfant et voilà." Un peu du deus ex machina, Enola avait surtout trouvé cela vide de sens. Ça voulait dire quoi "ne pouvait pas t'élever", ça faisait très chiot donné à la SPA. Remarque, c'était Isaac qui lui avait raconté l'histoire et Isaac était nul avec les mots, ils voulaient juste pas que sa fille s'imagine avoir été kidnappée après le double meurtre de ses parents naturels. Isabella ne parlait jamais de l'adoption, ni de la vraie mère d'Enola, elle disait que ça ne servait à rien de songer au passé et qu'on avait pas besoin de savoir d'où on venait pour avancer. Elle avait tord, bien sûr, mais elle ne voulait surtout pas voir sa fille partir du jour au lendemain dans sa vraie famille. Ça n'avait jamais été un secret l'adoption d'Enola, c'était un peu marqué sur leurs gueules qu'ils étaient pas liés par le sang, même pas besoin de connaissances spéciales en génétique : lsaac et Isabella avaient la peau noire, pas Enola. Ça les emmerdait un peu d'ailleurs, parce que les gens flairaient direct l'histoire d'adoption tragique et larmoyante. "Quoi, cette pauvre petite a été abandonnée ? Heureusement que vous étiez là pour l'accueillir !" Pas de possibilité de feindre la famille biologique pour qu'on ne leur pose pas de question. Ils firent avec et cela se passa plutôt bien.

Le pilier familial, c'était Isabella. Toujours au petit soin pour son mari et sa fille, toujours à les surveiller du coin de l’œil, toujours à les freiner un peu. Car Enola s'était vite révélée gamine remuante du style à apprendre à courir avant d'apprendre à marcher et qu'Isaac avait tendance à partir loin dans ces recherches y oubliant les heures et même de manger. Elle n'était pas forcément cool, elle était même carrément raide, un peu vieux jeu. Elle venait d'une vieille famille sorcière, pas de sang pur mais pétrie de principes, qui l'avait plus ou moins reniée lors de l'adoption d'Enola : "on adopte pas les invoulues surtout quand on ne connait même pas leur lignage" et en avait gardé une certaine idée de comment les choses devaient marcher à la maison. Discipline quasi militaire, cadre on ne peut plus strict mais, en réalité, il fallait bien ça pour garder ses deux coco dans les rangs. Isaac, lui, était né-moldu. Il avait découvert le monde des sorciers le jour de ses onze ans et se fut certainement la plus belle chose qui lui fut arrivé. Il s'était vite révélé extrêmement doué : scolarité brillante, parcours professionnel tout autant. Bien que ne fréquentant quasiment plus que des sorciers, il avait gardé de son enfance moldue un amour infini pour le cinéma et la technologie et décida qu'Enola devrait au moins faire ses premières classes loin du monde des sorciers.

L'enfance d'Enola fut heureuse. La petite se révéla plus passionnée par les scarabées de la cours de récré que les cours de maths où il fallait rester assise mais se révéla étonnement douée dés que les insectes furent l'objet des problèmes algébriques. Cela fit beaucoup rire Isaac qui comprit plus ou moins comment sa fille marchait et ne cessa depuis de titiller sa curiosité en la trimbalant un peu partout  (cinémas, expositions, laboratoire de recherche magique, même dans le département des mystères une fois). Sur ce point, il fallait dire qu'ils se ressemblaient vraiment, avec ou sans gênes communs. Bien sûr, elle posa des questions, elle voulut savoir d'où elle venait vu Les réponses étaient assez floues parce qu'en réalité les connaissances des Taylor sur le sujet étaient assez floues. Longtemps la petite eut peur de dormir la nuit, persuadée qu'on allait l'abandonner de nouveau pendant qu'elle avait les yeux fermés, peut-être que son rythme de sommeil particulier venait de là d'ailleurs, longtemps elle espéra également que sa vraie maman et son vrai papa viendraient la rejoindre et qu'ils habiteraient tous les cinq dans la maison des Taylor. Mais ils n'arrivèrent jamais et Enola se mit à leur en vouloir, de la laisser comme ça avec ses questions. Alors elle cessa d'en poser et décréta qu'elle se foutait bien de tout ça, qu'elle n'en avait pas besoin et tous ceux qui lui faisaient remarquer que ses parents ne lui ressemblaient pas, elle leur cassait le nez.

Poudlard fut un peu la déception dans la mesure où c'était de simples journées de cours, quasi comme l'école moldue. Elle s'était attendue à une pédagogie plus novatrice, elle constata que c'était foutu au moment où il fallut sortir plume et parchemins pour écrire. Ils ne connaissaient pas les bics ces gens là ? Très vite elle reprit ses habitudes de dormeuse du fond de la classe, très vite son père qui n'était absolument pas dupe veilla à ce qu'elle suive un minimum le programme en lui fournissant bouquins, lettres menaçantes et cours particuliers intensifs dés les vacances scolaires arrivées. Si Enola s'y pliait, elle avait le droit de faire ce qu'elle voulait à côté, c'était le deal sous-entendu et le deal tint bien au plus grand damne d'Isabella qui aurait aimé d'avantages de respect envers les cours. A Poudlard, Enola se fit facilement une ribambelle d'amis plus quelques ennemis. L'ambiance qui y régnait lui convenait bien et chaque jour le château semblait livrer un de ses secret. Elle pouvait s'occuper non stop, découvrait sans cesse de nouvelles choses, était heureuse quoi.

Un jour, il n'y eut plus d'Isabella. Enola se souvenait mal de cette journée. Elle était en cours quand on était venue la chercher, elle ne savait plus qui était assise à côté d'elle, ni en quelle matière elle était, elle se souvenait juste qu'il faisait enfin beau et qu'elle allait pouvoir voler à la fin de la journée. Elle ne se souvenait plus non plus de ce qu'on lui dit, ni du moment où son père avait débarqué aussi perdu qu'elle. Elle se souvint de son passage à la morgue, des mots creux qu'un responsable de Ste Mangouste leur déclama, du regard d'Isaac. Brûlant de haine. On avait tué sa femme, le responsable respirait encore, il fallait régler ça. Depuis elle avait un peu peur Enola, que son père passe à l'acte. Car il en était bien capable et qu'il serait difficile de l'arrêter. Et que s'il faisait ça, il finirait à Azkaban et elle serait toute seule. Elle lui avait dit ça un soir d'ailleurs, il l'avait prise dans ses bras en déclarant qu'il ne fallait pas qu'elle s'inquiète. Ça avait sonné comme un mensonge. Puis perdre sa mère, toute adoptive qu'elle était, ce n'était pas rien. Tout Poudlard était au courant à cause de la Gazette, tout Poudlard ne cessait de le lui rappeler. Alors elle se la jouait bravache, à dire que ouais, sa mère était une héroïne et que c'était comme ça, qu'elle de son côté allait avancer. Elle même était à deux doigts de croire à ses mensonges. En réalité la mort d'Isabella n'avait fait que réveiller la sensation de vide d'Enola. Parce qu'elle avait perdu sa mère mais aussi la seule personne qui en savait un minimum sur ses origines.

Période bizarre entre deuil et annonces d'attaques dans les journaux. Enola passa ses BUSEs dans le brouillard - mode automatique enclenché, noyade dans les révisions pour arrêter de penser, recrachage en règle aux examens - puis partit en voyage avec son père. Ils allèrent en Australie voir les dragons locaux, ils parcoururent les réserves africaines où l'on pouvait apercevoir toutes les créatures qu'Enola n'avait jamais vu ailleurs que dans ses manuels de soins aux créatures magiques et cela laissa la gamine bouche bée. Puis ils retournèrent à Londres où il faisait gris. La belle maison était vendue, trop de souvenirs, ils avaient un appartement au Chemin de Traverse maintenant, impersonnel au possible où s'entassaient des cartons qu'ils ne voulaient pas ouvrir. La rentrée était le lendemain, ils mangèrent en silence, ça faisait trop calme avant la tempête pour que l'ambiance soit détendue. Ça sonnait fin d'une époque, quelque chose avait irrémédiablement changé chez les Taylor, ça partait à la dérive, ils avaient perdu leur repère et tout chez Isaac indiquait que leur voyage était un genre de cadeau d'adieu avant qu'il ne fasse son inévitable connerie. Le pire, c'était qu'Enola ne lui en voudrait même pas. Au fond, elle la voulait aussi cette vengeance.

Boule au ventre en prenant le Poudlard Express le lendemain, boule au ventre lors du banquet, l'année scolaire commençait bien. Maintenant, elle attendait les journaux avec angoisse chaque matin, s'imaginant déjà le gros titre : L'infirmière tuée : la vengeance du mari". Ou pire "Attaque de mangemorts : un langue de plomb né-moldu assassiné sauvagement". Toujours cette impression d'être vide. Alors, pour combler tout ça, pour oublier l'angoisse, elle mit un point d'honneur à redoubler d'idées de conneries, à défier le règlement de toute façon trop injuste et tant pis si elle se faisait virer. Elle n'avait jamais aimé l'école de toute façon.