The past is never where you think you left it

feat Isaac Prewett
mars 2022 | journée | Chemin de Traverse

S’il y avait bien une personne, dans l’univers tout entier, à qui Silas faisait confiance, c’était bien Monsieur Delabranche, un sorcier français qui avait émigré à Londres il y avait de cela une cinquantaine d’année. C’était également l’un des tailleurs les plus en vue de la capitale qui habillait une bonne partie de la classe aisée sorcière. Silas n’y faisait pas exception et passait deux fois par an environ entre les mains expertes du bonhomme, afin de renouveler sa garde robe qui, puisqu’il portait un costume chaque jour que l’univers faisait, s’usait relativement vite. Il était de plus hors de question pour le sorcier de porter des vêtements même légèrement abimés. Il y avait un certain standing à avoir et cela passait par se présenter convenablement face au client. Le Beurk connaissait ainsi les habitudes et les codes de cette boutique, « Delabranche : tailleurs et associés », comme sa poche. Il avait presque l’impression d’y être plus à l’aise que dans la maison familiale -ce n’était pas qu’une impression…-.


Il avait laissé les rênes de la boutique à son employé - assez peu compétent - et espérait à chaque instant qu’un hibou urgent ne lui parvienne pas pour annoncer une quelconque mauvaise nouvelle. Après avoir transplané, Silas se retrouva dans la rue bondée du Chemin de Traverse. Aurait-il pu en être autrement un samedi ? Il se maudit intérieurement de ne pas avoir anticipé ce détail - ses rendez-vous étaient toujours normalement le mercredi mais suite à une expertise il avait dû décaler-. Son chapeau vissé sur la tête et sa fidèle canne à ses côtés, il avança vaillamment à l’assaut du monde. Avec sa démarche boitillante et son regard noir, le sorcier réussit sans mal à se frayer un chemin dans la foule bourdonnante. Il en avait déjà assez de cette dernière après seulement quelques mètres. Voyant son objectif à quelques enjambées encore, il se dépêcha d’entrer chez Delabranche pour fuir le brouhaha. Une clochette tinta pour annoncer son arrivée suivie d’une voix féminine. « Monsieur Beurk, bienvenue. Un plaisir de vous revoir chez nous. Vous venez récupérer votre commande c’est bien cela ? » Alors qu’il enlevait son chapeau comme de coutume en entrant dans un lieu clos, il posa ses prunelles bleutées sur une jolie jeune femme blonde en tailleur parfaitement coupé. Elle s’appelait Miss Tommington et travaillait chez Delabranche depuis plusieurs mois maintenant. Silas n’avait eu qu’une ou deux interactions avec elle mais il en était très mal à l’aise, principalement dût au fait qu’elle lui souriait toujours et qu’elle était bien trop jolie pour son propre bien. « Bien le bonjour Miss Tommington, c’est bien cela. Je devais passer mercredi mais j’ai malheureusement eu un empêchement. Puis-je patienter quelque part ? » Il la vit fixer soudainement sa canne et une expression passa fugacement sur son visage. Une surprise doublée de dégout et de curiosité. Tout ce que Silas détestait venant de quelqu’un d’autre. Elle lui indiqua un canapé vide un peu plus loin dans la boutique et lui assura que l’attente ne serait pas longue.

Ce que Silas détestait encore plus que l’attente - qui lui faisait perdre de précieuses minutes dans son agenda extrêmement chargé - c’était bien les rencontres impromptues. Et malheureusement, un samedi, celles-ci avaient bien plus de chance de se produire que les mercredis habituels où il avait le plus souvent la boutique pour lui. Il reconnut face à lui un des fils Avery qui se perdait dans la contemplation de cravates en soie. Silas pria pour qu’il ne se retourne pas. Ce garçon était d’une idiotie clinique et chaque mot qui sortait de sa bouche était plus inutile que le précédent. Le Beurk repéra également Mrs. Parkinson, une bavarde de première qui passait régulièrement à sa boutique pour il ne savait quelle raison puisqu’elle ne lui vendait ni n’achetait jamais rien. Silas se recroquevilla un peu plus dans son canapé, en se servant négligemment de son chapeau pour cacher son visage. Il remarqua un journal posé à l’intention des clients s’en empara alors qu’il voyait du coin de l’œil la Mrs. Parkinson se retourner. Tel un insecte immobile pour échapper à un oiseau coloré mais bruyant, il espéra de tout son cœur passer sous le radar de la vieille dame. Finalement, il entendit la porte tinter et les piaillements Parkinsonien se faire engloutir dans la rue passante.

Et là, Silas fit une erreur de débutant. Il baissa un peu trop son journal et son regard en croisa un familier. Isaac Prewett. Ancien Serdaigle que Silas connaissait de vue à Poudlard. Enfin connaissait suffisamment pour devoir le saluer. Sinon cet échange de regard deviendrait particulièrement gênant pour tous les deux. Le Beurk se résigna donc à suivre les convenances - il n’avait jamais réussi à faire autrement-. Se levant en s’appuyant sur sa canne, il passa le journal sous son bras et tendit la main en direction d’Isaac. « Isaac Prewett, quelle coïncidence. Egalement client de Monsieur Delabranche ? » Il hésita un instant à demander des nouvelles de ses parents, tous deux représentants de familles de sang-purs mais il ne sut se souvenir si sa mère était une Slughorn ou une Shacklebolt. Dans le doute, il s’abstint de tout commentaire. « J’espère que tout va bien pour toi. Que deviens-tu ? J’avais cru entendre que tu étais enseignant à Poudlard si ma mémoire ne me fait pas défaut. » Poser quelques questions de rigueur sur ce que devenait la personne et puis ce serait plié. Il pourrait retourner à la lecture de son journal et espérer que la jolie miss Tommington se dépêcherait de lui ramener sa commande avant que la conversation ne s’essouffle. Il n’aurait vraiment pas dû venir un samedi. Il ne connaissait même pas bien Isaac. C’était surtout une connaissance d’Artémisia dans le temps. Elle lui en avait parlé deux ou trois fois. Sa mâchoire se contracta à la pensée de feu son épouse. Silas n’avait pas envie de penser à elle aujourd’hui, ni jamais pour être tout à fait honnête. Mais la présence d’Isaac n’allait pas l’aider à atteindre cet objectif de toute façon déjà raté.