Pour chasser la nuit, je cherche l'aurore

Atabeth

Ce matin d’avril, plusieurs jours après la séance d’échange, Lilibeth fut de retour dans les locaux du Ministère de la Magie. Vêtue d’une robe fourreau et d’une chaude veste, ses talons claquaient dans le hall d’entrée où ses frêles épaules frémissaient.
Cette traversée du ministère sans invitation au milieu des sorciers en activité l’impressionnait. L’écoutera-t-on ? Etait-ce une bonne idée ? La grimpée soudaine de son malaise en croissant un groupe d’hommes et de femmes à la mine franchement patibulaire entama son courage. Elle s’immobilisa un instant pour regarder derrière elle. Oui, après tout, elle n’était pas obligée d’aller jusqu’au bout. Personne ne connaissait sa venue ni son objet, elle pouvait aisément reculer, personne ne connaîtra sa lâcheté. Mais le hall était bondé d’employés pressés, et retraverser cette foule mouvante faisait aussi peur que de poursuivre sa quête. Après une grande inspiration et craignant que son comportement ne paraisse suspect, elle reprit sa marche, feignant la légèreté en décochant des sourires en tranches de pastèque à qui voulait bien croiser son regard. En vérité, elle mourait à l’intérieur.
En arrivant devant les bureaux des aurores, un soulagement relâcha ses muscles contrits, elle dessera notamment sa main crispée sur la lanière de son sac. Une main sur la poignée de la porte, elle lu un écriteau à la dérobée.


Lilibeth avala sa salive puis poussa la porte.
Ladite secrétaire, installée sur un bureau en chêne massif ne releva pas le nez vers elle. Éclairée par une lampe à huile, elle s’absorbait dans la lecture d’un document que Lilibeth ne prit pas la peine d’identifier. La femme l’avait-elle seulement entendu ? Lilibeth se râcla la gorge avant de se souvenir des indications.
– Bonjour ! claironna-t-elle en s’approchant du bureau.
La femme ne lui répondit pas. Étonnée qu’elle ne respecta pas ses propres règles, elle embrassa du regard la salle autour d’elle : une simple salle d’attente, avec des chaises alignées le long des murs, des portes partout, même au plafond, et de nombreuses affiches aux dessins assez parlants.
– Bonjour ! répéta-t-elle arrivée près du bureau.
– Je vous ai déjà entendu, dit sèchement la secrétaire.
Lilibeth afficha une mine désabusée, presque boudeuse.
– C’est pour quoi ? lui demanda la secrétaire.
– Je souhaiterai voir Monsieur Atanas Vassilev.
– Vous avez rendez-vous ?
Zut. Lilibeth arbora son plus beau sourire :
– Non mais il m’a assuré que je pouvais faire appel à lui, si besoin.
Pour preuve, elle ficha la carte de visite sous le nez de la secrétaire. Celle-ci ne prit même pas la peine de la lire. Elle arracha la carte des mains de Lilibeth, la froissa pour la jeter sur le sol. Lili en resta bouche bée.
– Pas de rendez-vous, pas de visite.
Et le nez de la secrétaire replonge sur un parchemin copieusement recouvert de runes.
Dépitée, Lilibeth alla ramasser sa boule de carte de visite, marmonna un “ merci “ puis un “aurevoir “ et détourna les talons en direction de la sortie.

  Atanas passait une bonne partie de son temps à travailler. Il ne pouvait pas oublier ce qu’il avait subi, mais il pouvait empêcher que ça arrive à d’autres. Bien entendu, le jeune Bulgare était là principalement pour le Blood Circle, mais une fois aux Royaume-Uni, il était un Auror comme les autres et devait donc protéger toute la population du pays. Le jeune homme choisissait un maximum les enquêtes concernant des enfants. C’était un sujet sensible chez lui. Ce jour-là, Atanas était dans son bureau. Il était très concentré, essayant de trouver des stratégies pour trouver preuves et aveux dans les différentes affaires qu’il traitait. Contrairement aux clichés, Atanas n’avait pas un tableau rempli de photo et de fils rouges, non tout se passait dans sa tête. La peur d’être trahi l’empêchait de laisser à la vue des autres le moindre indice sur ses missions. Sa paranoïa avait empiré depuis qu’on lui avait affecté une secrétaire. Il n’en voyait pas l’utilité. Pourtant, celle-ci prenait son rôle très au sérieux. Et Atanas ne la supportait pas. Dans son regard, il y voyait cette pointe de folie qu’il percevait chez certaines femmes à qui il avait affaire. Ce n’était pas de l’attirance, c’était plus. Un peu comme une fascination. La jeune femme espérait qu’en faisant du zèle, elle pourrait gagner l’attention d’Atanas, mais cela ne faisait que l’agacer encore plus. Il aurait pu coucher avec elle pour apaiser les tensions, mais elle ne l’attirait pas le moins au monde et ce ne serait pas très professionnel.

Alors qu’il abordait un plan d’attaque sur l’une de ses affaires, il fut interrompu par la voix irritante de sa chère secrétaire, qui, soit dit en passant, se nommait Tiphaine. Atanas tendit ainsi l’oreille. Il y avait une autre voix, qu’il ne put reconnaître, bien que celle-ci lui était familière. Le jeune homme alla intervenir, mais il préféra finalement attendre un peu. Il soupçonnait Tiphaine de renvoyer toute personne essayant de s’approcher de lui. Atanas écouta la discussion des deux jeunes femmes qui l’agaça énormément. Il sortit alors de son bureau sèchement.

« Tiphaine. » Il essaya de garder un ton calme et posé, surtout maintenant qu’il avait reconnu la jeune femme avec qui elle discutait. « Croyez-vous avoir l’autorité pour juger de vous-même qui mérite de l’aide et qui ne le mérite pas ? » Il sortit de son bureau pour se retrouver face à sa secrétaire. « C’est à moi d’en juger. Donc, quand quelqu’un ayant ma carte demande de l’aide, vous l’écoutez. » La secrétaire bredouilla quelques mots, mais Atanas n’écoutait plus, il s’était rapproché de la jeune femme qui était venue à sa rencontre : Lilibeth Barjow. Le contraste entre elle et Tiphaine sautait aux yeux. La secrétaire avait de quoi être jalouse.

« Madame Barjow ? Vous vouliez me voir si j’ai bien compris ? » Il lui offrit un sourire charmant et posé, comme si l’interaction avec la secrétaire ne s’était pas passée. Le jeune homme n’avait pas rencontré cette jeune femme dans les meilleures circonstances, mais Atanas ne l’avait pas oublié. Et encore moins son état face aux élections. Le Bulgare passa délicatement sa main dans le dos de Lilibeth pour l’encourager à le suivre. « Entrez donc dans mon bureau, nous pourrions alors parler de ce qui vous amène ici. »

Atanas se tourna une dernière fois vers sa secrétaire : « Tiphaine, allez nous chercher deux cafés chauds, s’il vous plaît. »

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Pour chasser la nuit, je cherche l'aurore

Atabeth

Accablée par la déception, les espoirs que le courage de Lilibeth revêtait à son entrée dans le bureau s’envolaient comme des papillons de nuit chassés par les rayons du soleil. Sa main se posa sur la poignée quand elle sursauta en reconnaissant le bruit d’une porte qui s'ouvrait. Machinalement, son regard se tourna vers Atanas qui faisait son entrée pour reprocher copieusement à sa secrétaire son manque de professionnalisme. Aussitôt éprise de malaise, Lilibeth fixa le sol en tirant sur un pli imaginaire de sa robe pour masquer sa gêne.
Il se souvenait d’elle ! L’attitude de Lilibeth changea du tout au tout, son visage se parant d’un sourire en tranche de pastèque. Elle s’avança à petits pas rapide dans sa direction en lui tendant sa petite main.
– Je suis ravie de vous revoir Monsieur Atanas.
Pour un peu elle aurait tiré la langue à Tiphaine la secrétaire grincheuse. Mais Lilibeth était une jeune femme de bonne famille et elle savait se tenir. L’auror l’invita dans son bureau dans lequel Lilibeth entra la première. C’était qu’il avait des manières, lui aussi. Avant qu’il ne referma la porte, il commanda deux cafés à sa secrétaire et Lilibeth se retourna vivement pour préciser :
– Sans sucre pour ma part, s’il vous plaît, Tiphaine.
Puis, tout en traversant la pièce elle ajouta :
– Je fais attention à ma ligne.
Son sourire ne la quittait plus. En ce jour, elle se sentait chanceuse. Elle s’installa dans le fauteuil réservé aux invités puis lança un coup d'œil alentour pour analyser le bureau d’Atanas. Maintenant qu’ils étaient enfin seuls, Lilibeth pu dévoiler l’objet de sa visite :
– Je vous remercie de me recevoir, Monsieur Atanas. Avec le recul, je m’aperçois que j’aurai effectivement dû prendre rendez-vous, ne serait-ce que par hibou. Je m’excuse pour ce désagrément avec votre secrétaire. D’une certaine manière, je suis fautive.
En déballant ses excuses, Lilibeth était autrement sincère. La décision de rendre visite à Atanas avait été prise sur un coup de tête - ou un coup d’émotion. Depuis les dernières élections, Lilibeth se sentait nerveuse et encore plus en danger qu’à l’accoutumée. Plus que jamais, elle avait besoin de trouver du réconfort et l’assurance que sa vie n’était pas en danger.
Trois coups à la porte et Tiphaine entra, la mine sombre, portant un plateau à bout de bras qu’elle déposa devant Atanas. Lilibeth lança un remerciement enjouée avec un sourire rayonnant mais la secrétaire ne lui adressa pas un regard. La jeune femme ne s’en formalisa pas, son attention revenant sur l’auror.
– Ce qui m’amène aujourd’hui est un sujet assez délicat, Monsieur Atanas, reprit-elle, son sourire s’atténuant.
En arrivant à la véritable raison de sa présence, Lilibeth perdait de sa superbe et de son assurance.
– J’émets beaucoup de craintes quant aux dernières élections…
Elle sursauta, plaquant une main sur sa bouche, s'apercevant des paroles impies qu’elle venait de proférer. Triturant nerveusement la hanse de son sac à main, elle reprit, les joues teintées de rouge :
– Vous êtes auror et un professionnel, j’espère pouvoir compter sur votre discrétion ? Je ne viens pas un ennemi de la communauté. J’ai simplement besoin d’être rassurée.
Elle se redressa, cara ses épaules et, en un souffle, annonça :
– Je suis cracmole et, les mangemorts attachant une certaine importance à la pureté du sang et leur génétique magique - j’en sais quelque chose, au vu de mon nom de famille, vous devez vous en douter ? J’aimerai savoir ce que je risque maintenant que tout le monde se bats sous la bannière de l’augurey ?
Elle avait dit tout cela précipitamment, quasiment sans reprendre son souffle. D’abord rouge de gêne, ses joues devinrent cramoisies en manquant d’air. Elle s’éventa de sa petite main puis son visage rayonna à nouveau d’un sourire. Voilà ! Ce qui devait être dit était dit.

  Atanas était un bourreau de travail. Pendant longtemps, ç'avait été son seul objectif dans la vie. Et même aujourd’hui, avec sa mission de retrouver sa mère, tout continuait de tourner sur son rôle d’enquêteur. Pour simplifier les choses, Atanas avait eu une secrétaire. Histoire de ne pas perdre son temps avec de la paperasse inutile. Pourtant, il regrettait cette Tiphaine, qui l’exaspérait au plus au point. Peut-être avait-il été un peu froid avec elle, voire légèrement odieux. Mais le jeune homme en avait marre de son côté possessif. Il était clair que la secrétaire espérait que leur relation devienne plus que professionnelle, mais Atanas n’en avait pas du tout envie.

Le bulgare ne s’attarda pas sur cette dernière et fit entrer Lilibeth. Sans vraiment savoir pourquoi, Atanas était heureux que celle-ci soit venue à lui. Il la laissa s’asseoir tranquillement. Atanas ne savait pas la raison de la visite, mais il commençait à connaître son métier : quand on venait à lui, ce n’était pas pour des problèmes de routine.

« Tout le plaisir est pour moi, madame Barjow. »

Tiphaine arriva très vite avec le café. Atanas l’avait vexé, il allait devoir rattraper le coup pour qu'on n'aille pas dire qu’il maltraitait ses employés. L’Auror sourit quand Lilibeth parla de sa ligne. Il se retint de dire qu’elle n’en avait pas besoin, mais il craignait que ça paresse déplacé. Le jeune homme se contenta donc de sourire.

Une fois la secrétaire partie, Lilibeth commença par prendre la parole. Bien sûr, c'étaient des excuses. Atanas ne connaissait pas vraiment cette femme, mais il ne fut pas surpris. Elle avait l’air d'être le genre de personne à se réprimander, même si elle n'y pouvait rien.

« Ce n’est rien. Tiphaine a tendance à oublier qu’elle est secrétaire dans un bureau d’Auror et non dans une boutique. Les personnes qui viennent me voir sont rarement égaillées, leurs problèmes sont souvent source d’angoisse qui peut leur faire manquer de lucidité quant au protocole. »

Il n’était pas psychomage non plus, mais quand quelqu’un venait à l’improviste chez un Auror, il fallait faire preuve d’un minimum de tact.

« Oubliez donc cette histoire avec Tiphaine et concentrons-nous sur la raison de votre venue. »

Atanas la regarda avec concentration. Il écouta parler la jeune femme, pensant qu’elle allait tout lui raconter d’une traite, mais Lilibeth avait l’air plus qu’anxieuse. Le jeune homme fut surpris de l’avoir aborder le sujet des élections, et peut-être que ce fut visible, car la jeune femme plaqua aussitôt la main devant sa bouche.

« Ne craignait rien. Je suis ici pour protéger la population. Dites-moi ce qui vous interroge et je vous répondrai comme je le peux et sans jugement. »

Le secret que Lilibeth lui confia n’était pas des moindres. D’ailleurs, Atanas fut à la fois étonné et flatté qu’elle ose lui en parler alors qu’ils ne se connaissaient qu'à peine. Heureusement, Atanas n’avait aucun préjugé sur le sujet. À vrai dire, il n’avait jamais rencontré de Cracmol et ne s'était donc jamais posé la question de leur place dans la société. Dans la noblesse sorcière de Bulgarie, les Cracmols étaient cachés. Par pure logique, Atanas voyait les Cracmols comme des sorciers avec une maladie. Et cela ne changeait rien à leur sang. Mais il savait que c'était loin d’être une idée répandue.

La crainte de la jeune femme était tout à fait justifiée : les mangemorts avaient, par le passé, déjà chassé les Cracmols au même titre que les moldus. Mais les choses étaient différentes aujourd’hui.

« Je suis honoré que vous me confiiez ainsi votre secret. Étant donné le climat politique et votre crainte, c'est une grande marque de confiance que vous me faites et je vous en remercie. »

Pour la suite, Atanas ne savait pas trop comment aborder le sujet, sans effrayer son interlocutrice. Le jeune homme restait très discret quant à sa nouvelle allégeance et n’avait pas l’intention de le dire à grand monde. Cependant, Lilibeth venait de lui confier l’équivalent et le jeune homme culpabilisait de ne pas se dévoiler à son tour. Mais Atanas ne se confiait jamais à personne et aussi pure qu’avait l’air d’être Lilibeth, le jeune homme restait incapable d’agir de la même manière.

« Je ne vais pas vous mentir : je comprends votre crainte. Après tout, les mangemorts ont fait beaucoup de mal à votre communauté. » Atanas ne savait pas si c’était le meilleur mot pour parler des Cracmols, mais il avait peur de la braquer en parlant de maladie.

« Cependant, je pense que le monde change, notre société change. Les mangemorts ont prouvé qu’ils concentrent leurs efforts non pas contre les Cracmols, mais pour lutter contre le Blood Circle. Cette guerre est horrible, mais elle a fait évoluer les mentalités. »

Atanas sourit en essayant de la rassurer, mais son visage joyeux du début de l’entretien était devenu grave et sérieux.

« Je pense que, notre nouveau nom ne reste qu’un nom. Une bannière. C’est une façon maladroite de montrer au peuple qu’on se concentre non plus sur nos querelles, mais sur une guerre qui pourrait mettre fin à notre existence. »

Le jeune homme marqua une pause. Il disait ce qu’il pensait, mais ce serait inconscient de sa part de ne pas la prévenir des risques toujours présents qu’elle encourrait.

« Malheureusement, les personnes avec de mauvaises intentions à votre égard existent encore. Et il n’est pas impossible qu’ils s’imaginent que ce nouveau nom soit une forme d’autorisation à perpétuer leurs crimes. »

Atanas avait conscience que ses mots pourraient effrayer la jeune femme. Mais lui cacher cette part de la vérité pourrait avoir de graves conséquences.

« Cependant, les lois restent les mêmes, et nous, les Aurors, les appliquons de la même façon qu’avant. S’attaquer à un innocent, Cracmol ou non, reste un crime qui vous envoie directement à Azkaban. Et nous sommes toujours là pour assurer la sécurité de notre peuple, et ce n'importe leur différence. »

Le Bulgare avait grandi avec plein d’aprioris sur la pureté du sang. Mais quand il était devenu Auror, il avait choisi de protéger toute la population sorcière.

« J’assurerais votre sécurité, si vous vous sentez en danger, n’hésitez surtout pas à faire appel à moi. »

Après l’avoir rassuré droit dans les yeux, Atanas détourna le regard. Il avait pour la première fois un peu honte de son allégeance. Il s'était persuadé qu’il était du bon côté. Mais si c’était le cas, pourquoi le cacher ? Atanas balaya ces idées stupides et contreproductives : tout ce qu’il faisait, c'était pour le bien commun.

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Pour chasser la nuit, je cherche l'aurore

Atabeth

“Madame” Barjow. Lilibeth trottina gaiement dans le bureau de l’auror. On ne l’avait jamais appelé comme ça. De par sa petite taille et sa frêle attitude, d’ordinaire on lui envoyait des mademoiselles. Un titre qui rappelait à la jeune femme à quel point elle était désespérément célibataire. Au moins, “Monsieur” Vasilev remarquait qu’elle était une femme. Une adulte.
Le sujet de Tiphaine d’expédié, Lilibeth passa aux choses sérieuses. Se lancer fut le plus difficile, mais Atanas su trouver les bons mots pour attiser la confiance de Lilibeth. Elle fit le grand saut. Et quel saut ! Un saut vertigineux, du genre plongeons, les deux pieds en avant sans connaître la profondeur des eaux.
Les traits de l’homme ne cillèrent pas, pour le plus grand bonheur de Lilibeth. A tout moment elle craignait un haussement de sourcil - synonyme de danger ? - des yeux levés au ciel ou un coup de baguette magique pour appeler la sécurité ; Lilibeth serait ramenée de force au manoir Barjow. Qui sait ce qui l’attendait, là-bas ? La mort lente, rapide ou peut-être son père la jetterait aux oubliettes.
Le cœur encore palpitant de par la folie de sa révélation, Lilibeth s’efforçait de garder le sourire, mais l’envie de se rouler en boule, prostré sur le sol, serait d’un grand secours. Mais Lilibeth est une “dame”, de bonne famille qui plus est. Et ce n’était pas en se ramassant par terre qu’elle allait trouver un bon parti.
Il comprenait ses craintes. Lilibeth oublia une fois de respirer. Avalant difficilement sa salive pour se donner contenance, elle gigota sur son siège en tirant sur sa robe. Le discours d’Atanas se voulait rassurant. Pourtant, une part d’elle-même n’y croyait pas tout à fait. Il montrait une dévotion sans faille pour honorer son métier. Les yeux de Lilibeth étincelèrent. Elle aimait la dévotion. Et le ton qu’il employait, plein d’assurance, l’enveloppa comme d’un manteau chaud.
Il se proposa personnellement pour la protéger. La protéger. Lyllyah en faisait tellement déjà et Rory la surprotéger. Devrait-elle vivre ainsi toute sa vie, la protégée des autres ? Ni bonne à se défendre seule chez les sorciers, pas à la hauteur pour être de taille chez les moldus. Lilibeth marchait en funambule sur la faille creusée entre les deux mondes, balançant alternativement d’un côté à l’autre, sans jamais s’y sentir en sécurité, ni à sa place. Atanas avait détourné le regard. Se sentait-il obligé de la rassurer pour honorer son métier ? Les paupières à demi clause, elle perdit contenance un instant avant de redresser les épaules.
“Je vous remercie pour votre diligence, Monsieur Atanas. Je me sens pour le moins rassurée. Puis-je compter sur votre discrétion quant à mon absence de magie ? Hormis mes patrons et quelques connaissances, personne n’est au courant. Je n’ai pas envie que cela s’ébruite”.
En quelques gorgées, Lilibeth termina son café sans sucre. L’angoisse ne l’avait pas quittée, et elle cherchait à s’immerger dans les paroles d’Atanas pour chasser ses craintes, les ressassant continuellement, histoire de s’en convaincre.
La petite femme inclina poliment la tête, annonçant sa sortie imminente. Elle avait obtenu ses réponses, inutiles d’ennuyer Monsieur Vasilev plus longtemps. Les narines encore pleines des effluves du café, elle lui serra la main chaleureusement, et lorsque l’homme la raccompagna jusqu’à la porte, des fragrances boisées chassèrent celles du café. Une odeur de pin ou peut-être d’arbres anciens au fin fond d’une forêt à l'abri du pied humain. Gênée par une mèche rebelle venue se coincer sur son rouge à lèvre, elle s’en débarrassa avec deux doigts, sentant au passage le parfum de grenade du savon dont elle se servait pour laver ses mains.
“Merci pour tout Monsieur Vasilev. Je vous dit à bientôt”.

 
Avec certaines personnes, on peut sentir qu’en elles, il n’y a aucune violence. Peut-être était-ce son instinct d’Auror qu’il avait aiguisé au cours des années, mais Atanas ne voyait en Lilibeth que pure innocence. C’était probablement pour cela qu’il tenait tant à l’aider. Après, il y avait toujours la possibilité que derrière ce petit morceau de bonne femme, se cache une mégère. Mais Atanas n’y croyait pas. Il écouta donc attentivement la raison de la venue de Lilibeth. Le jeune homme fut assez flatté de voir qu’une parfaite inconnue pouvait se confier sur un sujet aussi sérieux. Atanas n’avait jamais eu de préjugés sur les Cracmols, c’était une maladie comme une autre. Mais il savait que dans le cercle des familles de sang-pur, la plupart des sorciers réagissaient avec une haine profonde. Lilibeth venait de se confier à un mangemort. Elle n’imaginait pas la chance qu’elle avait eue de tomber sur lui. Croyait-elle que tous les Aurors avaient une morale inébranlable, allant au-delà de tous les préjugés ? Que seuls ceux avec un cœur pur étaient autorisés à pratiquer ce corps de métier ? Beaucoup de ses collègues auraient retenu son nom, allant peut-être même jusqu’à la faire suivre. Il était facile de l’accuser d’être de mèche avec le Blood Circle, l’opinion publique se jetterait dessus. Mais Atanas avait beau avoir des défauts, il était d’un professionnalisme sans faille. Être Cracmol relevait de la médecine, pas de la sécurité. Enfin, si, mais la sécurité des malades.

La réaction d’Atanas à cet aveu l’étonna lui-même. Non pas parce qu’il lui avait promis de la protéger, mais, car il n’avait pas osé dire qu’il était mangemort. L’Auror se disait pour se rassurer que cela relevait du privé et qu’il n’avait pas à le partager avec une inconnue. Cependant, elle venait de faire bien plus, elle avait pris des risques et c’était ouverte à lui. De plus, se revendiquer mangemort aurait pu être un moyen de lui montrer que même chez eux, il y avait des personnes avec de bonnes intentions envers les siens. Le Bulgare était persuadé de ne pas avoir honte de sa marque. Il était d’ailleurs persuadé de n’avoir jamais honte de rien. Il s’assumait parfaitement. Alors, Atanas que signifiait sa réaction ?

Atanas eut l’impression d’avoir déstabilisé un peu son interlocutrice. Avait-il mal réagit ? Elle se plia ensuite en remerciement avant d’avaler son café à toute vitesse. Cependant, la gêne de l’Auror augmenta encore un plus quand il apprit faire partie des rares personnes à être au courant de son secret. Lilibeth lui offrait une confiance qu’il n’était pas sûr de mériter. Après tout, Atanas avait beau être un Auror appliqué, il avait aussi de nombreuses parts d’ombres. Mais, Lilibeth n’avait pas à le savoir, si ? Le Bulgare gardait la face : celle du gentleman. Ce n’était pas la première personne à se laisser charmer par cet aspect de sa personnalité. Et il n’avait jamais culpabilisé à l’idée de l’utiliser. Et pourtant, face à Lilibeth, le jeune homme ressentait comme une forme de syndrome de l’imposteur. Était-ce dû à l’innocence qui émanait de cette femme ? Il n’en savait rien, mais Atanas se reprit en vitesse. Ses questionnements n’avaient pas lieu d’être. Il était un Auror talentueux, point.

« Je ne dirai rien, vous avez ma parole. » Cette fois-ci, il était tout à fait honnête. Atanas était déjà une tombe, que ce soit à propos de lui ou des autres. Personne ne saurait au courant. Ainsi, Lilibeth se leva, imité par l’Auror. Il prit alors sa frêle main et la serra avec délicatesse, comme s’il risquait de la briser. C’était sûrement une forme de sexisme ordinaire, mais Atanas l’assumait entièrement. Il remarqua la douceur de sa peau. Atanas réalisa que ces pensées n’étaient pas appropriées. Il était Auror et en service. Le jeune homme lâcha donc sa main, peut-être un peu trop brusquement, et regarda Lilibeth pousser sa mèche d’un geste maladroit avant de se diriger vers la porte. « Au revoir, madame Barjow, je suis à votre disposition si besoin. »

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