Février 2022
Je fermais l’eau de la douche et laissais les gouttes ruisseler le long de mon corps et de mes cheveux. Encore une nuit de merde. S’il y avait du mieux dans mes symptômes grâce à la surveillance accrue du personnel de Sainte-Mangouste et l’aide d’Arondella, je vomissais quand même encore tous les matins. Si être malade faisait partie de mon quotidien depuis ma naissance à cause de ma maladie, vomir était quelque chose dont je ne pourrais jamais m’habituer.
Heureusement, aujourd’hui, c’était jour de repos pour moi. L’avantage d’être professeur d’un cours optionnel. Par définition, moins d’élèves étaient sous ma garde que ne l’avait Harper qui elle, enseignait une branche obligatoire, et ce depuis la première année d’étude. Pour autant, mon planning n’était pas vide. Après mes obligations administratives pour le clan MacFusty, j’avais un rendez-vous au quartier général de l’Ordre.
Mademoiselle MacMillan m’avait appelée en renfort pour soigner des créatures délivrées des griffes du Blood Circle. Si j’avais accepté le rendez-vous sans trop réfléchir, après coup, je m’en suis voulu. Voilà des années que je ne m’étais plus mêlée aux créatures capturées, et pour cause. Cela réveillait un souvenir douloureux. Mais d’après ma psychomage, je devais aller en avant… et je n’avais de cesse de le faire depuis le mois de décembre.
Face au miroir, je penchais la tête en regardant ma silhouette, et, constatant que rien n’avait changé (tout le moins, je ne le voyais pas), j’enfilais des vêtements longs et chauds. Hors de question de tomber malade dans mon état. J’avalais d’une traite la petite potion quotidienne pour m’aider contre les nausées et sortais de la salle de bain. Je pris le temps de frotter mes cheveux en regardant par les vitraux de l’une des fenêtres de notre salon. Certains élèves s’ébattaient à l’extérieur en m’évoquant ma propre enfance. Je souris. Mes yeux dérivèrent sur la cabane des créatures magiques que j’avais quittées un peu plus tôt. Car oui, si c’était un jour de repos pour moi avec les étudiants, il n’y avait pas de véritable repos quand on s’occupait d’animaux, qu’ils soient magiques ou non. Tout semblait calme. Parfait.
Je terminais de me préparer puis rassemblais mes affaires.
— Bah ?En fouillant dans ma sacoche, je constatais qu’il me manquait du matériel. Merde. J’y avais pensé après coup et je n’avais pas tout embarqué. Je devais retourner à l’écurie. Dans un immense soupir, je quittais notre appartement sans oublier de fermer à clé avec ma baguette en forme d’aile de dragon, et sans remarquer que ma sacoche fut subitement lestée de quelques petits kilos.
Machinalement, je traversais les couloirs et sortis dans la cour jusqu’à l’écurie où les animaux, apparemment surpris de me voir revenir, poussèrent plusieurs cris. La cacophonie m’arracha un sourire.
— Oui, oui, bonjour ! J’ai oublié un truc, je repars tout de suite. Je me dirigeais vers mes étagères et enfournai divers matériels qui me seraient peut-être nécessaires tout à l’heure. Je ne remarquais toujours pas le petit remue-ménage dans mon sac.
En ressortant de l’écurie après avoir jeté un dernier coup d’œil à mes protégés, un long appel, presque une plainte, me fit lever les yeux. Sleipnir, qui faisait fi des barrières, sauta l’une d’elle pour me rejoindre. Il posa affectueusement ses naseaux charnus contre mon épaule et souffle des naseaux.
— Hey, salut.La présence du Sombral avait toujours le don de m’apaiser presque instantanément. Même si je le voyais depuis le décès de mon frère, j’avais trouvé refuge en la présence du bébé qu’il était à ce moment. Sauvé des griffes des braconniers, je l’avais adopté, ou plutôt, lui me suivait partout. Nous étions devenus inséparables. Mes doigts glissèrent le long de son encolure bosselée d’os qui pourraient rebuter plus d’un sorcier. Moi, j’avais appris à les aimer.
Sleipnir baissa la tête et souffla contre mon ventre. Je gloussais.
— Tu as déjà tout deviné toi, hein ? Mais ne trahis pas notre petit secret, d’accord ? Pas encore.Le cheval ailé s’ébroua et tandis que je prenais route vers Pré-Au-Lard pour pouvoir transplaner, il m’emboita le pas. Trottinant joyeusement autour de moi en battant des ailes, il me tourna autour plusieurs fois en secouant encolure et queue. L’invitation était claire. Je riais.
— D’accord, d’accord. Tête de mule. Souplement, je montais sur son dos et trouvais place entre deux vertèbres. D’un coup d’aile puissant, le Sombral nous fit décoller. Bientôt, le château, ses jardins, son lac et la forêt diminuèrent pour disparaître complètement, avalés par le paysage d’Écosse qui s’étendait devant nous à perte de vue. Le paysage des nombreuses petites montagnes, de la verdure et de ces immensités sauvages fit battre mon cœur un peu plus rapidement. J’aimais mon pays.
Après une grande inspiration, je laissais mon esprit divaguer jusqu’à notre arrivée à Londres. Je fis maints efforts pour ignorer le douloureux souvenir de mon frère tandis que je me rapprochais du lieu de rendez-vous. Mon pouls ne cessa de croître. C’était comme se gratter une blessure dont la croûte restait encore fermement attachée à la peau. Je frissonnais quand Sleipnir se posa devant la porte du Quartier Général de l’Ordre. Il me fallut plusieurs secondes pour me décider à mettre pied à terre et ne pas faire demi-tour. Je caressais l’encolure du Sombral.
— Merci. Sois prudent. Dans un hennissement qui ressemblait à une plainte, l’animal reprit son envol. Je souris en le voyant s’éloigner le temps que je rassemble les dernières miettes de mon courage pour entrer dans le Quartier Général. Voilà longtemps que je n’étais pas revenue ici. Il me fallait à tout prix éviter les missions (Harper me taillerait en pièce si je prenais trop de risque) et l’ambiance tendue et électrique des derniers événements ne m’incitait plus à passer beaucoup de temps ici.
Pourtant, ça avait été comme ma deuxième maison fut un temps.
Je poussais un rapide soupir et franchis la porte. Je saluais les sorciers sur place et me dirigeais dans la pièce du lieu de rendez-vous. Ma main se posa sur la poignée et j’eus un nouvel élan d’hésitation. Dans quels états seraient les créatures ? Est-ce qu’il y aurait un danger pour mademoiselle MacMillan comme ça avait été le cas pour Kyle ? Est-ce que je serai capable de surmonter tout ça aujourd’hui ?
Je déglutis lentement, et poussais enfin la porte du vivarium qui avait été construit tout spécialement pour y accueillir les créatures magiques récupérées lors de diverses interventions. Des écosystèmes bien spécifiques avaient été mis en place pour répondre aux besoins de chaque créature présente. De la toundra à la jungle tropicale, tout y passait. Je m’avançais vers la cabane centrale avant de sursauter quand quelque chose se cramponna à ma manche. Une forme brune et blanche se hissa jusqu’à mon épaule.
— Bon sang ! Théodore, qu’est-ce que tu fous ici ?! Le niffleur me répondit en reniflant frénétiquement ma chevelure.
— Évidemment… Répondais-je comme si j’avais compris tout son langage.
— Tu peux rester, mais tu es sage. Pas de conneries surtout.Théodore eut l’air offensé que je puisse songer ne serait-ce qu’un seul instant que lui, pouvait faire des conneries. Je lui jetais un coup d’œil plein de sous-entendus alors que je me rapprochais de la cabane centrale.
— Oui, oui, tu as bien entendu. Muriel a une mauvaise influence sur toi. Ces créatures… toutes les mêmes. Mais je ne serai rien sans elles.