Il y a toujours de la lumière

 @Khelia Anderson

La fin de journée en automne était mon moment préféré. Pour commencer, les cours étaient terminés, les élèves turbulents et prépubères furent renvoyés à leurs autres occupations et le calme, à l’orée de la forêt, s’installait timidement. J’appréciais particulièrement cet instant qui me donnait l’impression d’assister, chaque soir, à l’éclosion de la nature nocturne. Le vent qui agitait lentement les grands arbres de la forêt interdite était à nouveau perceptible. Les feuilles se coloraient des mêmes tons que le ciel, enchantement de la saison, comme si toute la nature était soudainement en symbiose absolu. Les grillons stridulaient et le chant des oiseaux remplissait l’air qui se refroidissait sensiblement. Le tout était accompagné des couleurs vives du coucher de soleil, donnant au ciel une couleur d’abord jaune, puis orange avant qu’elle ne vire au rose pour enfin laisser sa place au bleu sombre, puis aux étoiles.
Pour l’heure, le temps était encore au jaune alors que je terminais de balayer l’écurie des hippogriffes en savourant le silence alentour uniquement perturbé par les quelques manifestations des créatures fantastiques. Dans mon dos, Sleipnir, mon Sombral, me suivait comme mon ombre au nez et à la barbe des sorciers qui n’avaient pas la capacité de le voir. Ces sorciers, dans le fond, étaient chanceux, car apercevoir la mort était un événement qui nous hantait jusqu’à la fin de notre vie. S’il avait partagé ma peine durant trois ans, Sleipnir, aujourd’hui, reflétait davantage le souvenir d’une époque douce qui m’était aujourd’hui interdite à jamais. Pour autant, j’aimais le petit cheval ailé, justement parce qu’il était l’incarnation de cette époque résolue. Quand je le caressais, il me donnait l’illusion d’étreindre celui qui m’avait été arraché sous mes yeux.

Si le début de l’année avait été tumultueux avec l’attaque à King’s Cross, le reste avait été on ne peut plus calme. L’arrivée de Elida dans notre vie avait été un changement radical que nous acceptions de tout notre cœur, Harper et moi. La présence de l’adolescente était un rafraichissement bienvenu dans notre couple. Je souris en revoyant le visage timide de la jeune femme.
De fil en aiguille, mes tripes se nouèrent d’impatience pour un tout autre projet que nous avions, mon épouse et moi. Tout allait changer ! Les rendez-vous agendés en attestaient, et même si je manquais de sauter de joie comme une enfant, j’avais peur aussi. Une peur qui me nouait la gorge au point que déglutir devenait douloureux. Il y avait ces fameuses innombrables questions commençant toutes par « et si… ? ». J’essayais de les chasser. Le positivisme de Harper était contagieux. Dans le fond, j’avais confiance. Pour la première fois de ma vie, j’avais confiance pour ce projet d’avenir. Moi qui y avais été férocement opposée encore au printemps de cette année.

Il fallait dire que l’époque dans laquelle nous vivions avait tout pour être merveilleuse, mais il y avait cette guerre… ces conflits immondes qui entachaient toute la beauté et toute la sérénité de notre ère. Nous avions tout pour être heureux et pour cohabiter et pourtant… il fallait toujours qu’il y ait des extrémistes soient disant bienpensants pour tout gâcher. Ni les moldus ni les sorciers n’étaient épargnés, il y avait des fous partout. Assez fous pour monter une guerre et faire couler le sang d’innombrables innocents… jusqu’à attaquer une gare pleine de gosses. La rage qui étreignait mes tripes engendrait ma culpabilité de ne pas avoir été présente ce jour. Je ne prenais plus le train pour me rendre à Poudlard, et ce, depuis que j’avais quitté les bancs universitaires et j’avais été informée trop tard par l’Ordre puisque je ne me trouvais pas à Londres.
Voilà pourquoi, depuis le début de l’année, j’avais eu à cœur de convoquer chaque élève de la maison que je dirigeais afin de prendre le temps de discuter avec eux. En tant que directrice, je me sentais responsable d’eux et de leur bien-être, je voulais m’assurer que, malgré l’attaque, ils puissent bénéficier d’un soutien adéquat. Je n’étais pas sans savoir que plusieurs élèves avaient été blessés durant cet assaut, et j’avais répertorié ceux qui me concernaient. Kiara en faisait partie. Elle était la prochaine après Khelia, qui devrait me rejoindre dans quelques minutes.
Je déposais mon balai et Sleipnir me poussa l’épaule du bout des naseaux. Je souris en lui caressant l’encolure.

— Tu as déjà mangé, glouton, et je vais devoir m’occuper des Abraxans.

Le cheval ailé renâcla un peu, comme vexé, ce qui m’amusa d’autant plus. Alors que je prenais le chemin de l’écurie des Abraxans, je levais les yeux au ciel et admirait les lueurs du ciel se teinter d’orange. En jetant un bref regard vers le château, je vis la silhouette de Khelia qui s’approchait.

Il y a toujours de la lumière

 @Khelia Anderson

Je souris à la jeune femme en prenant soin de croiser son regard que furtivement. Si j’étais directrice et enseignante depuis plusieurs années maintenant, je n’étais toujours pas à l’aise avec autrui. Timide maladive, je devais faire des efforts constants pour me faire entendre et garder mon autorité à Poudlard. Une tâche bien éprouvante, mais que j’avais à cœur à mener à bien. Après tout, les jeunes sorciers étaient la nouvelle veine, le nouvel espoir, et je tenais à ce qu’ils soient le mieux formés possible. Pas uniquement pour la guerre, mais aussi pour se confronter au monde, avec ses joies, ses surprises et ses coups du sort. Le monde était merveilleux, même là où on le pensait initialement obscur. Il y avait du bon chez les moldus, et je tenais à le prouver à mes élèves pour pas qu’ils deviennent ses fous sanguinaires que le Blood Circle prétendait combattre. Il ne faut jamais nourrir un troll. C’était une règle élémentaire dans la vie.
En d’autres termes, je me sentais un peu la mère de substitution de tous les élèves qui assistaient à mes cours, en particulier ceux de la maison Poufsouffle. C’était l’un de mes devoirs tacites en tant que directrice et enseignante. Voilà pourquoi j’avais demandé à mademoiselle Anderson de me retrouver en cette fin de journée.

— Bonsoir, mademoiselle Anderson, comment allez-vous ? Je lorgnais les tonneaux de whisky pur malt. Je n’ai pas spécialement besoin d’aide, mais si ça vous fait plaisir, alors, prenez l’un des tonneaux, j’allais justement m’occuper des Abraxans.

Je donnais une dernière caresse sur l’encolure de Sleipnir avant de me détourner du cheval ailé qui vaqua à ses occupations, bien peu incommodé que Khelia ne puisse le voir. La jeune femme à mes côtés, je me saisissais moi aussi d’un tonneau et l’entraînait dans l’écurie des Abraxans où les chevaux se mirent à renâcler et hennir bruyamment, manifestement impatients de recevoir leur repas du soir.

— Excellente fin de journée oui. C’est très apaisant je trouve.

Déposant mon tonneau devant le premier box, j’indiquais à Khelia d’en faire de même. Sur une étagère, je me munis d’un petit sceau et d’un coup de baguette, ouvrit le premier tonneau. Je remplissais mon seau et versais le whisky pur malt dans le premier box. L’imposant cheval se mit à boire goulument. Tout en continuant ma besogne, je reprenais la parole de ma voix douce.

— Vous ne m’ennuyez pas, mademoiselle Anderson, et de toute façon, je désirais vous voir.

Je servais le second cheval avant de marquer une petite pause et la regarder en prenant soin de ne pas croiser ses yeux.

— La rentrée a été mouvementée pour beaucoup d’élèves, je veux dire, à cause de l’attaque sur la voie 9 ¾ . Vous en avez peut-être entendu parler, mais je convoque tous les Poufsouffle pour savoir comment ils se sentent.

Le sceau remplit une troisième fois, je servais l’Abraxan suivant. Obligée d’élever la voix pour couvrir les coups de sabot donnés contre le mur de l’écurie, je me raclais la gorge.

— Comment allez-vous, mademoiselle Anderson ? Est-ce qu'il y a quelque chose dont vous aimeriez me parler ?

J’allais servir le quatrième cheval ailé et subitement, le silence s’imposa. Je soupirais, soulagée, puis me rendit aux réserves de grains. Dans l’intention de remplir un nouveau seau, je plongeais une dosette, puis m’arrêtais pour regarder la jeune femme. Je prenais subitement conscience que le lieu n’était pas complètement idéal pour s’adonner à quelques confidences. Si moi ça ne me dérangeait pas, je savais d’expérience que cela pouvait être déroutant pour d’autres. Je me mordis la lèvre inférieure, gênée. Je pris une voix plus douce et plus avenante maintenant que les Abraxans étaient apaisés.

— J’ai à cœur de m’assurer que vous allez bien et que vous soyez dans les meilleures conditions pour poursuivre vos études. Les événements ont été pour le moins traumatisants…

Je pris un instant pour l’observer, pour capter son langage corporel, pour observer ses épaules, ses mains et les traits de son visage. Si je n’étais pas douée pour parler aux autres, j’avais un certain talent pour comprendre le langage non verbal. Un talent que j’avais développé à cause de ma timidité, pour autant, je ne voulais pas paraître intrusive. Voilà pourquoi j’allais servir les Abraxans de leurs doses de grains pour le soir tout en écoutant la jeune femme. Je frottais mes mains l’une contre l’autre puis contre mes vêtements déjà pleins de taches, sans me soucier d’en faire davantage. Rester propre dans mon métier était une illusion et je ne m’étais jamais trop attardée sur mon apparence lorsque je travaillais. Un travail que j'effectuais pour la majeure partie des tâches, à la main, et non avec l'aide de la magie. D’ailleurs, j’avais de la paille dans les cheveux. Une apparence bien particulière pour une directrice, mais au moins, j’étais tout ce qu’il y avait d’authentique. Si c’était critiqué par les parents des élèves de sang pur ou moqué par les adolescents imbéciles, je le vivais bien. Après tout, j’étais mariée à une femme, ce qui était le sommet du comble pour tous les puristes et tous les simples d’esprit. Quoiqu’il en soit, la paille dans les cheveux, les vêtements sales et la bague au doigt, je dégageais une certaine forme de sérénité et de bonheur. Alors, au diable les conventions.

Il y a toujours de la lumière

 @Khelia Anderson

- Oui je vais bien, merci.

Je répondais non sans grimacer en levant le sceau pour donner à boire à un Abraxan particulièrement impatient de recevoir son repas du soir. Pour autant, je souriais en caressant l’encolure de l’imposant cheval, fière de pouvoir enseigner à mes élèves les bases des connaissances des chevaux ailés en partenariat avec l’école française BeauxBâtons. Je leur confiais des hippogriffes quand ils me confiaient leurs grands chevaux blancs. Au moins, les Abraxans étaient visibles pour les élèves, à l’inverse des Sombrals comme Sleipnir qui s’était couché à l’extérieur de l’écurie.
Loin d’être dérangée par la présence de la préfète de ma maison, je la mettais à contribution pour nourrir les chevaux. L’air de rien, je me permettais de me renseigner quant à son état d’esprit actuel. L’attaque du Blood Circle avait marqué bien des esprits et je m’en voulais de ne pas avoir été sur les lieux à ce moment. Le hasard avait mal fait les choses puisque je ne prenais plus le train depuis longtemps pour me rendre à Poudlard. Ma fois, le mal était fait. Maintenant, il fallait agir avec les dégâts causés. Voilà pourquoi je convoquais chaque élève de Poufsouffle pour qu’ils me confient, s’ils le voulaient, leurs craintes et leurs doutes. Je n’étais pas psychomage, loin de là, pour autant, je jugeais qu’il était de mon devoir de leur offrir une première oreille attentive.
Ainsi, les paroles de mademoiselle Anderson ne me surprirent guère. Alors que je l’observais, je captais sa grimace et son malaise évident quant à la situation. Bien qu’elle regardait ailleurs, je devinais bien que sa question trahissait sa quête d’espoir. Je chassais une mèche de cheveux qui barrait ma joue balafrée en prenant le temps de choisir aux mots que j’allais employer.

- C’est normal, moi aussi je suis inquiète pour ceux que j’aime. Et même ceux qui n’existaient pas encore. Je pris le temps d’avaler ma salive avant de continuer. C’est difficile de vous répondre mademoiselle Anderson. En temps de guerre, il est toujours difficile de savoir où et quand va frapper l’ennemi, le mieux que nous puissions faire, c’est d’être préparé quoiqu’il puisse arriver. C'est ce que nous essayons de faire, en tant qu'enseignant, avec nos cours. C’était en cela que je dirigeais mes cours, bien que mon épouse, l’enseignante en sortilèges, pouvait agir bien plus que moi. J’ignore comment le Blood Circle a pu s’infiltrer sur le voie 9 ¾, et ça donne la sensation que les barrières magiques sont moins efficaces qu’à l’époque. Cependant… je ne pense pas que ce soit vrai.

Il ne fallait pas oublier que les Mangemorts trafiquaient beaucoup de choses dans le dos de l’Ordre du Phénix et du Ministère en général. Je n’avais d’ailleurs toujours pas digéré les votations truquées, mais impossibles à prouver. L’Ordre était le dindon de la farce depuis un an, depuis l’assassinat de Harry Potter. Cela paraissait une éternité, mais hier au même temps. Une sensation étrange quand j’y songeais. Pour autant, si mon devoir était de rassurer mademoiselle Anderson, je ne tenais pas non plus à lui mentir. Elle était adulte, majeure et vaccinée, donc bien assez grande pour prendre ses décisions seule. Néanmoins, je me voulais porteuse d’espoir avant tout. Car quand il n’y a plus d’espoir, plus de buts, l’ennemi est déjà vainqueur.
Dans un sourire doux, j’invitais la jeune femme à sortir de l’écurie en lui faisant un signe de la main. Une fois à sa hauteur, je nous dirigeais tranquillement dans le parc qui bordait l’extérieur du château et la Forêt Interdite. Nous voyant nous éloigner, Sleipnir se releva et trottina jusqu’à nous pour nous suivre. Silencieuse, je réfléchissais à nouveau à ma réponse alors que le vent frais de la fin de journée soulevait mes cheveux bruns.

- Si vous êtes inquiètes concernant la sécurité de Poudlard, vous n’avez pas de soucis à vous faire. Pour le moment, les mesures nécessaires ont été prise. Je ne peux hélas pas en dire autant pour ce qui est des autres lieux magiques, mais c’est surtout parce que je n’ai aucune information.

Je lui souris doucement avant de lever les yeux pour observer le vol hasardeux d’un couple d’oiseaux qui passaient au-dessus de nos têtes.

- L’Ordre du Phoenix ne reste pas sans agir. Nous continuons à faire en sorte de redorer l’image des sorciers, ce que les Mangemorts apprécient démonter. Je soupirais, un peu dépitée. Si on perd espoir, on perd une partie de notre humanité.

Je m’arrêtais à côté d’un banc en le lorgnant non sans un sourire doux. Les yeux dans le vague, je lisais une gravure sur l’une des lattes en bois s’intitulées « La Harpe et le Chien ». Je clignais des paupières avant de reprendre.

- Vous avez dit tout à l’heure que vous vous posez des questions. Voudriez-vous les partager avec moi ?

Lentement, je reprenais ma déambulation, le nez levé vers le ciel aux couleurs chatoyantes.

- Enfin, seulement si vous souhaitez me les partager bien évidemment. Je ne sais pas tout, mais je ferai de mon mieux pour vous répondre avec le plus de justesse possible.