Éclats de verre.

Elle ne sursaute pas Cyria, elle relève à peine le regard de ses coloriages des blasons des familles ancestrales sorcières : son précepteur l’a mise au défi de se souvenir des couleurs, des noms et des devises.  

Eclats de voix.

C’est d’une banalité… Son père s’énerve si souvent, pour des choses qu’elle ne comprend pas souvent. Sur les elfes, sur les gens qui viennent lui rendre visite, sur sa mère… Parfois même sur elle.
Mais quand c’est elle, elle a bien compris que cela ne durait jamais bien longtemps. Il finissait toujours par se calmer, et la prendre dans ses bras, et sortir dehors. Il lui murmurait plein d’histoire, parfois des excuses, des compliments, et tout ce qu’ils allaient faire au monde, aux moldus, tout en glissant ses doigts dans ses longs cheveux.

Elle ne comprenait pas grand chose, Cyria. Elle se disait que la violence était une forme d’amour acceptable, à cet âge : c’était son exemple. Et elle adorait lorsqu’Abercius la portait et lui racontait des histoires. Elle adorait aussi lorsque sa mère, Arabelle, lui brossait les cheveux.


Ses doigts juvéniles glissent sur ses poignets, lissant parfaitement le tissu. Un petit coup d'œil dans le miroir : elle juge plus que correcte sa coiffure. Fort bien. La jeune Cyria s’avance donc dans le salon où l’odeur du tabac plane paresseusement. Bientôt, elle voit son oncle, Viggo, assis sur son fauteuil, les jambes croisées, le cigare à la main et le journal ouvert devant lui. Sa femme, Ester, était assise plus loin à une table ronde vernis, en train de réunir des papiers.

“Bonjour mon oncle.” prit-elle la parole d’une voix calme et mesurée.

Le nommé releva son regard vers la gamine, et lui adressa un sourire sous sa grosse moustache.

Passer du temps, sans trop rien dire dans cette pièce, est l’une des choses qu’elle fait souvent pendant les vacances lorsque ses cousins ne sont pas encore éveillé. Elle ne vient pas troubler le calme matinal de la routine de ce couple, elle vient y participer. Pourtant, c’est un véritable supplice que de rester calme, silencieuse et immobile. Parfois, elle a juste envie de poser mille question, de savoir pourquoi son oncle rentre si tard, pourquoi sa tante porte de tels commentaires de certaines personnes, et oh ! Parfois elle le fait, et malgré le regard noir de tante Ester, oncle Viggo ne semble pas s’en formaliser : il répond toujours. Et elle adore ça Cyria !

Et ce jour-ci en particulier, elle s’avance auprès de sa tante : “Que faites-vous ? Puis-je vous aider ?”

“Oh ne t’embêtes pas, j’ai bientôt fini. Ce sont tes résultats scolaires du trimestre.”

Oh. Etonnant. Et que faisait-elle avec cela au juste ?

“Je suis en train de les archiver. J’en ai envoyé une copie à ton frère.”

Son frère ?

Cela glisse sur le visage de Cyria : de la surprise, de la peur, de l’attente. Son cœur s’affole légèrement et elle avale sa salive.

“Mon frère ?” demanda-t-elle, en essayant de maîtriser sa curiosité et sa nervosité latente.

“Oui, il veut que je le tienne au courant de tes résultats.”

Son frère était intéressé par une telle chose ? Elle inspire, Cyria, avant de s’éloigner, le cœur chancelant. Avait-elle une chance de s’attirer ses faveurs, son intérêt ? D’attirer sa sympathie ? Ou mieux encore, qu’il soit fière d’elle ? Par la barbe de Merlin, elle devait être la meilleure alors ! Si cela pouvait lui donner une chance… Juste une petite chance, qu’il vienne ! Pour la féliciter ! Lui adresser un sourire ! Cela serait.... bien ? Génial ?

Un objectif : être la meilleure.



“Protection magique, ma fille ?”
“Exactement.”
“Ne veux-tu pas suivre les traces de ton frère, en Médicomagie, ou je ne sais pas, en Droit magique ?”
“Pourquoi ?”
“Te vois-tu réellement, vivre dans ces milieux masculins ? Ce n’est pas réellement un corps de métier pour une jeune fille de ta convenance.”
“Je croyais que ce choix m'appartenait, mon oncle… et qu’il n’y avait rien pour m’arrêter, si ce n’était mon imagination et ma capacité. Êtes-vous en train de dire que je n’en ai pas les capacités ?”

Ester ne pipait mot, un léger sourire amusé aux lèvres face au caractère de Cyria qui tenait tête à son oncle. C’était bien de sa faute à lui, il avait nourrit cette insolence et cette assurance…. et peut-être bien à elle aussi, dans l’espoir de voir une femme vivre un peu plus librement qu’elle avait pu le faire elle, ou ses ancêtres avant elle.

“Nullement, Cyria. J’imagine que tu as une idée en tête ?” demanda Viggo, en regardant la jeune Carrow au travers de ses lunettes.
“Oui.”
“Eh bien ? Qu’en est-il ?”
“Vous découvrirez, le jour où cela arrivera.”

Cette fois-ci, Ester ne put retenir son rire.


“Bonsoir Cyria.” fit cette voix grave et calme lorsqu’elle émergea des flammes vertes de la cheminée.

La jeune sorcière prit le temps de relever ses yeux vers un intérieur qu’elle connaissait que trop peu : elle n’avait jamais mis les pieds dans le bureau d’Euron. Elle nota quelques détails, qui lui apprendrait peut-être des choses sur son adelphe, avant de trouver sa silhouette derrière un large bureau.

“Bonsoir Euron.” répondit-elle tout aussi calmement. Elle ne s’osa à plus, pas même à lui demander s’il allait bien. Elle avait toujours cette sensation qu’elle ne méritait pas de savoir une telle chose….alors elle préférait ne pas demander que de l’entendre dire une banalité, sans véritablement répondre à cette interrogation. Elle ne supportait pas contempler ce vide qu’il y avait entre eux, que l’écart d’âge avait creusé ainsi que la perte de leurs parents.

“Comment te portes-tu ?” demandait-il, en se levant. Il ne la regardait toujours pas, et quelque chose en elle hurlait : regarde-moi ! Ne mérite-t-elle pas cela ? Cyria avalait sa salive, en le voyant attraper délicatement sa baguette. Oh. Si vite ? Peut-être n’était-ce pas plus mal, cela lui évitera de penser à la grossière erreur qu’elle était en train de faire. “Très bien.” Enfin, il posait ses yeux clairs sur elle, et soudainement, elle se sentait minuscule. Sa grande taille n’aidait en rien à cela, à vrai dire. Et contrairement à elle, un léger sourire se glissa sur ses lèvres. Elle s’y échappa en retirant doucement sa cape : elle inspira profondément pour appeler au calme. “Pourquoi désires-tu avoir des cours supplémentaires ?”
L’attention de la poupée se reposa sur les traits calmes de son frère. Il y avait quelque chose dans ses prunelles, qui lui laissait la sensation qu’il était intéressé, peut-être même curieux à ce qui la poussait à faire cela. Arrivait-elle enfin à attirer son intérêt ? Etait-ce là le début d’une… quelconque relation qui pourrait se tisser entre eux ? Elle n’en savait rien…. Mais si elle avait appris une chose vis-à-vis d’Euron Carrow, c’était de ne rien espérer. Il n’était jamais là lorsqu’elle s’y attendait, mais l’était lorsqu’elle s’y attendait le moins. Elle n’avait jamais rien compris à cet homme, et espérait que lorsqu’elle serait pleinement une adulte…. une frontière invisible disparaîtrait. Mais elle n’espérait pas trop. “Je crains que l’enseignement à Durmstrang ait atteint ses limites. Notre oncle m’a fait comprendre que vous aviez continué à approfondir les savoirs dans cet art… Cela m’intéresse et je pense que j’en suis capable.” Etait-ce trop présomptueux ? Seul l’avenir lui dira.

S’attendait-elle à ce qu’il lève déjà sa baguette ? Non.

Le sortilège la frappa en plein fouet, et bientôt ses émotions, sa surprise, ses pensées premières lui furent arrachées d’une douceur qu’elle méconnaissait.

L’ambition au creux des veines, le feu qui la pousse à désirer toujours plus, à atteindre plus loin. Se dépasser dans tout, et peut-être trop, sans jamais regarder en arrière, ne jamais se satisfaire de ce qu’elle avait.

Son pied dérape sur la surface pierreuse, le rappel à l’ordre d’un professeur de Durmstrang, la rage qui gronde dans son cœur pour reprendre son ascension et ne pas prendre de retard sur ses camarades… ses adversaires.

Les multitudes de grimoires autour d’elle pour étudier les sortilèges de défense et d’offensive.

L’emprise se relâche grâce à un sortilège lancé, pourtant dévié. Mais il permet de rompre le contact.

“Nous allons d’abord approfondir tes connaissances en légilimencie : apprendre à plonger plus profondément…. Puis à défaire les défenses basiques d’un occlumens.”

La perspective de ces objectifs l’emplissait d’une motivation profonde. Ce fut à son tour d’attaquer, alors qu’il terminait à peine ses mots, peut-être l’avait-elle coupé.

Des lits alignés, l’odeur de désinfectant…

La voilà repoussée une première fois. Si rapidement ? Elle serrait les dents, Cyria, répétant l’opération encore et encore, jusqu’à ce que son frère mette fin aux sessions. Et elle attendait de plus en plus impatiemment les prochaines séances, qui n’étaient possibles que lorsqu’elle était en vacances… Puis jusqu’à ce qu’elle obtienne une autorisation pour sortir de Durmstrang certains soirs par semaine pour continuer ses cours particuliers. Un rendez-vous avec son frère, et pourtant malgré ces sessions, les mots et les discussions étaient rares, et les souvenirs auxquels elle réussissait à avoir accès n’avaient que rapport à ses patients….  Mais c’était un lien, elle en était certaine.

Jusqu’au jour….

Les marches gravis à une vitesse folle. Cette voix lointaine : “Qu’a-t-elle ?” Les formes floues prennent lentement forme : elle reconnu l’étage du manoir de son oncle et sa tante.

Elle sent la lutte, le mur qui commence déjà à se refermer sur elle, prêt à le repousser. Cyria applique ce qu’il lui a appris, toujours avec sa part de témérité et d'improvisation qui lui est propre. Elle se sent glisser dans la faille, et plonger un peu plus encore, s’accrocher à ce souvenir en particulier : elle veut savoir la suite.

Une porte s’ouvre. Les formes sont diffuses, confuses. Rien ne se matérialise, si ce n’est le centre de la pièce : un lit qu’elle connaît parfaitement. Bientôt, elle voit son frère s’asseoir à côté d’elle, elle dans son souvenir, elle, qui est profondément endormie, le visage couvert de sueur, les cheveux sombres collées aux tempes. “Le médecin a dit que ce n’était qu’une fièvre… Que peut-être elle se surmenait…” Euron ne tourne pas la tête vers sa tante, il glisse juste ses doigts contre les cheveux de sa soeur, avant de répondre : “Je vais m’en occuper.” N’était-il pas meilleur que le guérisseur qui était venu ?

Et brusquement le mur se refermait : elle avait baissé sa garde.


La lumière blanche l’aveuglait, tandis qu’elle prenait place face à l’homme qui l’avait accueillie dans le Hall du Ministère de la Magie. La pièce était minuscule, austère, elle ne comportait qu’une simple table et deux chaises… Rien qui ne puisse vraiment la mettre en confiance : était-elle en état d’arrestation ? Non… Non, bien sûr que non, elle avait été conviée suite aux résultats positifs de son concours passé pour rejoindre la formation ministérielle du Département de la Justice Magique. Alors pourquoi un tel lieu ? Un placard à balais lui aurait fait le même effet !
Bien qu’elle n’arrivait à se permettre d’être tout sourire, elle restait placide, espérant ne pas montrer son malaise grandissant.

“Ms. Carrow, vous avez réussi notre concours d’entrée, néanmoins, nous nous refusons à vous proposer un poste au sein du Département de la Justice.”

Par la barbe de Merlin ! Pourquoi ? Quel était le problème ! Elle avait réussi à décrocher son diplôme avec les honneurs ! Elle était l’une des meilleures ! Et son classement aujourd’hui pourrait faire des envieux !

“Je crains de ne pas vous suivre… Pouvez-vous m’expliciter vos raisons ?”

Doux sourire. Poli sourire. Sourire amadoueur.

“Vos résultats sont effectivement exemplaires, néanmoins ce sont vos tests psychotechniques ainsi que votre technicité de la légilimencie qui ont mis en exergue d’autres besoins que nous possédons au sein du Ministère… Nous aimerions vous proposer un poste au sein du Département des Mystères.”

Cyria clignait légèrement des yeux, et ne put masquer sa surprise… Puis il y avait cette fierté qui s’apprêtait à exploser brusquement dans son cœur. Avait-elle, réellement, réussie ? Etait-ce à quoi elle pensait ?

“Du Département des Mystères ? Je n’ai aucune compétence en recherches magiques. Ce n’est pas de cela dont il est question ?”
“Non, effectivement.”

Par le crin d’un sombral ! Elle était à deux doigts de sauter de sa chaise et hurler son bonheur !

“Oh.”

On lui avait appris à se tenir, bien sûr, bien sûr… Une femme de sa stature…

“La suite de cet entretien est confidentielle. Si vous viendriez à refuser notre proposition, nous serions dans l’obligation d’effacer cette entrevue de votre mémoire…. Et votre dossier sera, bien évidemment, confié au Département de la Justice Magique. Souhaitez-vous poursuivre ?”

“Oui.”


Voilà quelques années que Cyria Carrow avait rejoint le Département des Mystères.

Elle avait survécu au programme interne d’entraînement et de tutorat : tant pour approfondir les capacités qu’elle possédait déjà, que pour en acquérir de nouvelles.

Lors de sa période de tutorat, elle protégeait le Secret Magique avec son mentor. Les choses ont bien évidemment évoluées depuis : le Secret n’est plus, et un ennemi aux sorciers est apparu… le Blood Circle.

Aujourd’hui, Cyria est passée cheffe d’une de ces équipes. Son travail est davantage administratif…. Elle gère les affectations de plusieurs agents, les aident à obtenir ce qu’ils cherchent, leurs envoie de l’aide lorsqu’il en ont besoin, active le réseau sorcier… s’occupe de la formation de nouveaux, participe à des réunions à divers niveaux d'instances…. Mais il peut lui arriver, en cas de nécessitée extrême d’être renvoyée sur le terrain. Mais ce n’est pas bon signe pour les agents, si le Département en vient à envoyer les cheffes.