Les cartons étaient sous ses yeux, et un voile de tristesse sembla passer dans son regard, alors qu'elle se rendait compte que toute sa vie était contenue dans ces boites, et qu'il n'en avait même pas une dizaine qui étaient entassé là, dans un coin du vieux grenier de la maison familiale. Arrêtée sur le seuil de la porte, elle n'osait pas avancer, comme si elle était paralysée par les souvenirs qu'ils devaient contenir. Devait-elle s'en approcher, devait-elle les retrouver ? Une partie d'elle avait envie de tout déballer, pour pouvoir se rappeler un peu les années qu'on lui avait enlevées. Peut-être qu'une odeur particulière, qu'un livre, qu'un objet viendrait assez à titiller son esprit torturé pour lui donner la possibilité de reconstituer toutes les pièces du puzzle. Elle avançait depuis si longtemps dans le noir, qu'elle cherchait d'une certaine façon, la moindre lueur d'espoir qui pourrait l'aider à faire la lumière sur tout cela. Mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, une plus grande part encore d'elle-même ne voulait pas y toucher, comme si cela appartenait à quelqu'un d'autre. Car quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle vienne à décider, les souvenirs, les affaires qui se trouvaient là, appartenaient à une autre Ana, une Ana qu'elle n'était plus depuis de nombreux mois et qu'elle n'était pas sûre, un jour, de pouvoir retrouver, ou même d'avoir le désir de la retrouver. Elle était perdue entre deux mondes, elle était perdue entre deux temps, son corps avait été transformé au cours des deux dernières années, son esprit s'était petit à petit mis à sombrer, sans rien pour pouvoir la retenir, pour pouvoir lui permettre de remonter à la surface. Chaque jour, un peu plus, elle avait l'impression qu'elle était aspirée par l'abysse, et bien qu'elle avait été libérée, bien que son corps n'était plus prisonnier, il en était tout autre pour ce qui était de sa tête. Et là, dans cet endroit qui avait tant caché de doux rires d'enfance, alors que sa sœur et elle ouvraient les malles de leur grand-mère pour se déguiser, ou pour regarder les vieilles photographies, elle se rendait compte qu'elle avait grandi, avec toute l'horreur que cela amenait derrière, et que ces tendres jours d'insouciance avaient disparu. À cet instant, elle se sentait tout simplement terrassée, et quand elle regarda son reflet dans le vieux miroir qui se trouvait dans la pièce, elle ne put qu'observer la finesse de sa peau blanche, laissant entrevoir le dédale de ses veines sous sa peau ; son visage était plus austère qu'auparavant, sous ses yeux se baladaient des cernes impressionnantes qu'on pouvait expliquer par un manque de sommeil excessif. Le pire était son regard, elle avait l'impression d'être éteinte à l'intérieur, et le constat était terrible. 

Une main se glissa sur son épaule, amicale et tendre, mais ce simple contact la fit sursauter, comme si l'ennemi se trouvait derrière pour l'atteindre chaque fois un peu plus. « Désolé » Souffla-t-elle du bout des lèvres en se tournant et en voyant le visage de sa grande sœur, qui était entre le soulagement des retrouvailles, l'affection profonde qu'elle avait pour elle, l'affliction certaine en la voyant, et la réelle inquiétude qui ne la quittait pas depuis qu'elle avait passé la porte de la maison familiale que Tara avait récupéré au décès de leurs parents, des années auparavant alors qu'elle vivait, elle, déjà sa vie à Londres. Heureusement qu'elle se souvenait du décès de leurs parents, il aurait été encore plus tragique qu'elle vienne à apprendre qu'ils avaient disparu pendant son absence, ou pendant ses années oubliées et qu'elle ne se souvienne plus des derniers instants qu'elle avait bien pu passer avec eux. « Tu as tout le temps pour les ouvrir… Ils sont là depuis longtemps, je ne compte pas les déplacer ... » Lui répondit Tara en faisant un signe de la tête vers les cartons. Pour autant, Ana était à nouveau perdue dans ses pensées. Elle parvenait à sentir la présence de sa sœur à ses côtés, elle pouvait entendre les rires de ses neveux dans le salon en dessous, ou encore l'odeur du repas que son beau-frère cuisinait pour eux, mais si physiquement, elle était ancrée dans le sol, son esprit s'était remis à vagabonder sans qu'elle ne puisse avoir d'emprise sur lui. Ana finit par avancer prenant un carton où il était inscrit qu'il y avait des livres dedans. Cela avait toujours été sa grande passion, et d'ailleurs en y regardant bien, sur la plupart des cartons, ils contenaient presque tous des livres. Elle passa ses doigts sur plusieurs couvertures avant d'en prendre un, était-ce un hasard ou presque. « The Notebook » Elle trouva un petit paquet cadeau, qu'elle se décida à ouvrir, elle retourna alors le livre, lisant alors le résumé derrière, et un pauvre sourire se dessina sur ses lèvres, c'était tellement ironique. L'ouvrant alors, elle découvrit un petit mot, derrière la première de couverture, et elle glissa ses doigts sur les mots qu'elle avait elle-même écrit. « En lisant ce livre, tu comprendras combien je t'aime. N'oublie jamais, ne m'oublie jamais. Tendrement. Ana ». Ce n'était pas un cadeau pour elle, c'était un cadeau qu'elle devait offrir, elle en était certaine au plus profond de son coeur. Presque par automatisme, elle toucha le bracelet auquel avait été enfilé un coquillage, dont elle ne se séparait jamais. Et soudainement, elle la sentit monter, cette crise d'angoisse qu'elle n'était pas sûre de pouvoir gérer. Ses poils se dressèrent sur ses bras, elle eut une sueur froide qui lui parcourut le dos, ses yeux se remplirent de larmes, elle jeta le livre, et elle se releva rapidement, dévalant les marches de l'escalier aussi vite que possible, elle sortit par la première porte et elle se mit à courir, tout en criant, tout en pleurant, tout en suffoquant. La campagne irlandaise permettait à tout ce qu'elle contenait en elle, de sortir, pour le meilleur et pour le pire. Elle finit par tomber, venant à faire plusieurs tours sur elle-même dans l'herbe mouillée, puis tout s'arrêta et elle regarda le ciel, comme hypnotisée par les nuages qui s'y déplaçaient. 

Reprendre, il fallait revoir tous les détails de son existence, ce qu'elle parvenait à se souvenir. Elle était Ana Maureen Walsh, fille de Samuel et Shanna Walsh, petite sœur de Tara Walsh. Enfance heureuse en Irlande, c'était là, dans cette petite maison familiale qu'elle avait reçu sa lettre pour Poudlard et qu'elle avait donc gagné l'école de sorcellerie pour commencer ses études. Elle avait atterri chez Serdaigle, sans que cela ne provoque la moindre surprise chez ses parents. Curieuse de tout, studieuse, autant qu'il était possible, elle avait rapidement eu de nombreuses reconnaissances de la part de ses professeurs, et elle avait eu des notes optimales pour l'ensemble de ses examens. On oublie souvent les bons moments, alors que les pires restent graver dans chaque cellule de votre peau. À sa sortie de l'école, elle avait passé un an à faire le tour du monde, elle se cherchait, cherchait celle qu'elle voulait devenir, ce qu'elle désirait faire, les causes qu'elle voulait défendre. Elle avait vu les joies et les peines dans le monde, elle avait survécu parfois plus que vécu dans certaines conditions, mais tout cela lui avait permis de se rendre compte du champ des possibles et quand elle était rentrée, elle avait décidé de devenir journaliste dans le monde des sorciers. Qu'est-ce qu'elle avait pu galérer alors, enchaînant les stages minables à la rémunération ridicule. Elle n'avait jamais rien demandé à sa famille, elle les adorait, mais ne voulait pas les inquiéter. Son père était mort de maladie, et sa mère l'avait suivi quelque temps après, dans le chagrin d'avoir perdu l'amour de sa vie. On ne pouvait séparer ce qui était inséparable, deux âmes-sœurs se retrouvaient toujours dans cette vie ou dans l'autre. Tara et elle s'étaient soutenus dans cette épreuve, et puis la vie devait continuer, sa sœur était enceinte, elle allait être tata, c'était une chose qu'il fallait célébrer et ainsi rendre hommage aux disparus. Et ensuite… Ensuite, tout était confus, comme si on avait cherché à gommer de son esprit, une partie de sa vie. Elle s'était réveillée un jour, prisonnière du Blood Circle. Elle avait pleuré en silence, partageant sa terrible aventure, son calvaire avec une autre sorcière. On avait testé de nombreuses choses sur elle, le neutraliseur de magie avait été un des petits joujoux dont on avait eu recours sur elle, mais il n'y avait pas que cela, il restait l'enfermement, le manque de nourriture, la perte d'humanité profonde, les cicatrices sur certaines parties de son corps. Elle faisait tout pour que cela puisse rester le plus nébuleux possible, cherchant à faire croire à son esprit torturé que cela n'avait été qu'un cauchemar, mais quand la démence revenait, elle perdait pied encore plus. Elle voulait oublier ce qu'elle ne pouvait oublier, elle voulait se souvenir de ce qu'elle ne pouvait pas se souvenir. La tristesse lui enserrait le cœur, mais la colère, la rage et le désir de vengeance étaient ce qui le faisaient battre. Sa nouvelle allégeance aux mangemorts était un secret qu'elle conservait, sa sœur ne pouvait pas comprendre, personne ne pouvait malheureusement comprendre, et elle refusait de l'affliger plus encore, mais elle était presque certaine que si elle ne se libérait pas, en faisant autant de mal qu'elle en avait subi, elle ne serait jamais libre, elle ne serait jamais aussi libre que dans la mort. Mais pour le moment, elle avait encore assez envie de vivre, assez envie de se battre, assez envie de reprendre possession de son existence pour laisser cette éventualité derrière elle.