Fête foraine de Londres

Sortie entre potes. Il est à peu près 23h mais la fête bat son plein. Un peu à l’écart des autres attractions, Aodhan voit une machine étrange avec à l'intérieur un robot en forme de personnage ésotérique qui s’anime lorsqu’on met une pièce. Sur la machine on pouvait y lire :



Une bière à la main, Aodh se sent d’humeur joueuse.

_ Hey on se fait le train fantôme ?

_ Ouais, je vous rejoins. Dit-il à ses amis qui filent à l’attraction suivante.

Fouillant ses poches, il en extirpe quelques pièces avant de les glisser dans la fente à cet effet. Soudain, la marionnette à l’intérieur s’anime, bougeant maladroitement ses mains plastifiées et sa tête par accoups.

_ Bonjour Aodhan O’Brian de Dublin.

Aodhan, qui buvait une gorgée, plissa ses yeux.

_ Salut.

Pour un moldu ce détail aurait déjà été perturbant mais pour une raison qu'il ignorait, il en attendait bien davantage.

La figure de la marionnette inclina sa tête à droite, puis à gauche et ouvrit sa bouche motorisée.

_ S'il est des solitaires, vous n'en êtes pas. Vous possédez un caractère que l'on perçoit plutôt comme extraverti et sociable qui vous pousse au besoin vital d’avoir une bande, un clan ou une famille. A cette dernière, vous pouvez tout donner sans compter. Si vous êtes attaché sentimentalement, vous êtes capable d'une grande générosité et même d'un profond sens du sacrifice, comme c'est le cas pour votre sœur Saoirse, votre bien le plus précieux. Le besoin des vôtres passera loin devant vos propres intérêts.

Cette fois, il lève un sourcil interrogateur avant de plaquer sa main sur sa bouche pour étouffer son rire.

_ Putain de merde…  

_ Le courage est l'un des traits les plus marqué de votre personnalité. Vous savez surmonter votre peur, le danger, la souffrance et la fatigue. S'il se trouve que cette part de votre personnalité est une vertu, elle peut se changer en inconscience et vous pousser à mettre votre vie en danger car vous ne connaissez aucune limite. La douleur exerce d’ailleurs sur vous une sorte d’addiction que l’on pourrait comparer à une drogue. Vous aimez donner des coups mais vous aimez aussi en prendre. Vous êtes d'ailleurs un grand amateur de combats clandestins. Cela vous permet d'extérioriser la fureur qui vous habite et de vous sentir ainsi libéré temporairement.

_ Putain de merde… murmure-t-il, incrédule.

_ Vous souffrez de dyslexie, ce qui a grandement compliqué votre vie. Vous ne manquez pourtant pas d'intelligence et pouvez faire preuve d'un esprit rusé très aiguisé et peu de choses peuvent vous détourner de votre objectif, qu’importent les moyens pour y parvenir.

Encore en train de boire, son hoquet de surprise à fait remonter la bière par son nez. Toussant comme un perdu, il essuya son visage, les yeux écarquillés fixés sur la machine, il semble avoir changé de couleur. Un brin d’agacement trahit ses traits et son air jovial fit place à un regard bien plus sombre.

_ T’as dit quoi là ?

Mais la machine semble ne posséder qu’une bouche et aucunement des oreilles. Le sorcier commença à se demander si quelqu’un n’essayait pas se foutre de lui. Il lança quelques regards aux alentours avec sucpiçion.

_ Votre volonté d'acier vous rend particulièrement tenace. Puisque vous ne pouviez pas  briller dans vos études dès qu'il s'agissait d'ouvrir un livre, vous avez décidé d’exceller dans les matières plus physiques et vous y êtes brillamment parvenu. C'est grâce à ces bons résultats que vous avez intégré la filiale Protection Magique, à laquelle vous voulez faire honneur. Vous avez préféré ne pas exploiter votre grande sensibilité artistique, domaine pour lequel vous semblez pourtant avoir du génie, notamment à travers la musique et le dessin, pour vous consacrer entièrement à un domaine martial qui vous rassure mais ne vous épanouit pas.

Ses œillades se firent plus fébriles. Par chance, personne ne semblait intéressé par cette vieille machine et les quelques badauds étaient à une dizaine de mètres, trop occupés pour lui porter attention.  

_ Ok là on arrête de rigoler.

D’une traite, il termina son verre et s’approcha, commençant à chercher des yeux la source d’alimentation de la maudite machine. Remarquant quelque chose, il se baissa vers ce qu’il pensait être le câble d’alimentation.

_ On peut également vous qualifier sans mal de petit histrion.

Il se releva d’un coup.

_ Petit quoi ? J' t’emmerde, tu commences sérieusement à m’faire chier sale con.

_ Si une matière vous ennuie, vous trouverez sans nul doute une autre activité bien plus amusante à faire dans le dos de votre professeur. Votre apparente nonchalance et votre caractère impétueux et provocateur cache néanmoins un garçon qui a un cruel besoin de repères. Vous haïssez montrer vos failles et votre vulnérabilité.

_ Putain comment on arrête ce machin…

_ Tout cela, mêlé à votre personnalité explosive…

Debout, il se tourne et regarde tout autour de lui. Pas de câble électrique. Il ne pouvait décemment pas utiliser sa baguette mais pas besoin de magie pour régler son compte à cet espèce d’enfoiré. A quelques pas de là, un parpaing traînait au sol. Il s’en saisit.

_ … ont beaucoup compliqué votre parcours scolaire, vous poussant toujours vers les moins bons élèves de la classe, sinon le pire…

BAM. Le bruit sourd retentit lorsqu’il frappa le bas de la machine dans le but d’ouvrir le cache qui recélait le mécanisme. La machine vibra de tous ses rouages dont on entendit les cliquetis. A l’intérieur, le vide total. Le regard azuré froncé, il se redressa et fit face au mannequin de plastique.

_ Cette déficience est un ennemi que vous ne pouvez pas pulvériser avec vos poings et cela vous rend ivre de rage.

_ De la rage hein ? Se ressaisissant du parpaing, dans un seul élan, il défonça la vitre qui le séparait du foutu devin qui malgré tout, continuait son exécrable laïus.

_ Du fait, même si vous donnez l'impression d'avoir confiance en vous, vous portez cette honte, un complexe d'infériorité cuisant qui peut vous rendre particulièrement susceptible et brutal. Vous êtes même capable de vous couper de toute forme d'émotions, laissant ainsi le champ libre à la violence qui vous habite. Vous souhaitez donner une image parfois erronée de vous-même pour mieux vous protéger.

Ni une ni deux. Aodhan attrapa la poupée à la gorge avec force et l’extripa de sa boîte avec une colère palpable. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il constata que la créature parlait encore et toujours…

_ Vous devriez apprendre à écouter les morts qui vous parlent.

_ Putain mais t’es quoi… Il tenait la créature entre ses mains et son regard était partagé entre l'incompréhension et la fascination.

_ Votre don de nécromancie est tellement précieux. Cessez de l’ignorer vous rapprochera de votre moi véritable.

Un sourire mêlé de froideur et d’amertume étira les lèvres de l’irlandais qui arracha la tête de la poupée mécanique, mettant un terme définitif à cette perturbante séance.

_ Qu’est-ce qui te dit que j’ai envie de m’en rapprocher sale enfoiré…

_Aodh bordel qu'est ce que tu f… la vache… il s'est passé quoi avec le truc...

L'irlandais, manifestement plus détendu, tira une cigarette de son paquet et l'alluma avec un briquet qu'il dont il protégea au préalable la flamme du vent. Il tira une longue taf sur la clope avant d’expirer longuement.

_ Il m'a pas rendu ma monnaie.

_ Putain t'es un grand malade…

Non loin de là, l'un des forains sembla se rapprocher d'eux, le pas pressé.

_ On s’tire…

Le son de ses airpods allait si fort qu’il sentait son crâne vibrer. Assis sur un banc dans un couloir de Poudlard, il patientait. La tête reposée contre la pierre froide, il ferma les yeux. Le rythme endiablé de Sally MacLennane des Pogues hurlant dans ses oreilles.




Il sentit une main secouer légèrement son épaule. Il sortit de sa torpeur en une seconde et enleva ses écouteurs en observant le professeur qui le regardait.

_ Aodhan, merci de m’avoir attendu. Mais je t’en prie, suis-moi.

Le jeune homme se leva pour suivre le doyen jusque dans son étude. Lorsque la porte se referma derrière lui, on l’invita à s’asseoir face au bureau, ce qu’il fit. L’enseignant avait cet air grave au visage, celui dont se parent les gens lorsqu’on leur a annoncé une putain de mauvaise nouvelle mais qu’ils ne sont pas vraiment concernés. Lorsque l’ancien prit place, il joignit ses mains sur son bureau et planta ses yeux ridés dans ceux du jeune homme.

_ Je tenais vraiment à vous présenter mes plus sincères condoléances… J’ai appris le décès de votre tuteur et je voudrais que vous sachiez que…

Ca y est. Ça commençait. Quelle plaie. Quelle putain de plaie. L’irlandais posa ses yeux ailleurs. Sur quoi ? Ce tableau là-derrière ? Non. Une connasse s’y trouvait et tamponnait ses yeux mouillants avec un mouchoir. Même les objets lui cassaient les couilles. Il devait trouver quelque chose pour passer le temps, une idée… tout, n’importe quoi, tant que son attention serait totalement absorbée, incapable d’entendre ce que l’autre éblatérait. D’ailleurs il ne le regardait plus. Il aurait souhaité ne plus entendre. Concentre toi.




Cette musique des Pogues, un groupe irlandais pur jus, c’était la préférée de Ciaran. Le vieux -comme il aimait à l’appeler- pouvait l’écouter en boucle pendant une heure. Une fois ça l’avait rendu dingue, tellement qu’ Aodh qu’il avait insulté les membres du groupe.
Grosse erreur.
Il s’était pris une sacrée dérouillée pour avoir osé faire ça. Avec Ciaran, tu pouvais cracher sur la famille royale -tu y étais même fortement encouragé- mais cracher sur le drapeau irlandais -et sur n’importe quelle de ses extensions comprenant musique, personnages historiques, alcool, symboles en tous genres, trèfles et moutons- c’était se confronter au châtiment divin.
Bref. Cette chanson parlait d’un mec amoureux d’une certaine Sally MacLennane qui en fait était une bière. Y a que les irlandais pour pondre un truc pareil. Dans les bras de Dublin, à partir d’une certaine heure en soirée, elle avait le don de mettre le feu. Une ambiance de folie qui a bercé la jeunesse du garçon qui avait l'habitude de la chanter debout sur le comptoir. En un instant il se souvint des cuites mémorables qu’il avait prises par le passé à ces occasions… parfois en compagnie de Ciaran qui le chaperonnait, jusqu’au moment où le vieux était tellement bourré que c’était le gamin de quinze piges qui le ramenait à la maison, lui enlevait ses pompes et le couchait dans son lit. Bon c’était rare mais Aodhan adorait le rappeler à son cher tuteur. Comment tu ferais sans moi.

_ Les circonstances de sa mort sont vraiment terribles…




Sa respiration se fit plus rapide et une étrange chaleur montait à sa tête. Il se connaissait assez pour savoir que ce n’était jamais bon signe. Ses yeux avaient beau regarder à droite ou à gauche, il n’y avait aucune échappatoire, aucune issue. Il ne pouvait pas laisser sortir le monstrueux flot d’émotions qui lui serrait la poitrine, qui l’empêchait de respirer. La rage folle de n’avoir pas été là pour protéger son mentor, celui qu’il estimait comme son vrai père,
l’incommensurable chagrin d’avoir encore perdu une part de lui-même, un homme qui l’aimait, qui le comprenait, qui le soutenait et qui ne le jugeait pas malgré tous ses nombreux travers.




Le rythme des battements de son cœur s’accélérèrent. Il n’arrivait plus à faire abstraction. Il n’arrivait plus à se souvenir des paroles de cette putain de chanson. Un sifflement sembla percer ses tympans et une vive douleur lui vrilla la tête. Il savait ce qu’il combattait. Il n’avait pas envie de voir, pas envie d’entendre mais il n’eut pas le choix. L’image s’imposa à lui, comme d’habitude mais là ce fut pire que tout. En un flash, Ciaran lui apparut de ses yeux éveillés, et le sang du garçon se glaça. Le murmure qu’il crut sentir, comme un souffle à son oreille fut de trop. La digue céda.

_ Mon garçon ? Est-ce que tu vas bien ?

Deux yeux d’un bleu perçant se posèrent sur l’enseignant de Poudlard. Derrière leur voile, pas l’ombre d’une âme n’y subsistait car par la haine et la douleur elle était engloutie.

_ Mon père vient de se faire descendre. Bien sûr que je vais bien espèce de vieille charogne dégarnie. Pourquoi ça n’irait pas ? Ma mère alcoolique s'est suicidée, mon père biologique s’est barré, ma sœur est emprisonnée  à  Azkaban, j’ai l’impression d’être un foutu corbeau maudit qui fait crever tout ce qu’il touche mais ouais bizarrement j’me sens bien.

Le précepteur, interdit, entrouvrit ses lèvres sans qu’un son n’en sorte.
Dans un seul élan, le septième année décolla de sa chaise et se jeta sur le prof en passant par-dessus le bureau. L’ancien n’eut pas le temps d’attraper sa baguette. L’adolescent, grand sportif aux saisissants réflexes, n’eut aucun mal à attraper la main de l’homme pour la plaquer contre le bureau, l’autre se s'emparant de sa chevelure argentée pour frapper sa tête contre la table. Le son sourd des coups répétés résonnèrent dans le cabinet et le tableau de la jeune fille poussait des cris de terreur sous le regard à la rage démentielle de l’assaillant.

Puis le bruit cessa. On ne pouvait dès lors entendre que les plaintes de l’oiselle qui se cachait comme elle pouvait dans son tableau. Dans un sombre glapissement, suite à cette inexplicable violence, le professeur tenta de trouver la force de faire bouger sa main, d’attraper sa baguette, pas si loin de lui, il parvenait à la voir malgré le sang qui maculait son front, coulait dans ses yeux, et la douleur qui meurtrissait son corps. Son bourreau au visage exempt de pitié, fit rouler ses yeux bleus au plafond en poussant un soupir d’agacement.
Mollement, il saisit la plume dont l’encrier s’était renversé sous la violence des coups et la planta sans autre forme de procès dans la main de sa victime qui poussa un râle étouffé de douleur, achevant là le peu de force qui lui restait.
Doucement, Aodhan se pencha à l’oreille du vieil homme, les sourcils froncés. Son visage effleurait les fils argentés de sa chevelure et ses yeux semblaient indifférents à ce spectacle morbide.

_ Est-ce que vous allez bien monsieur ? Dit-il dans un cruel sarcasme semblant tendre l’oreille pour percevoir une réponse entre les râles. Maintenant vous avez un petit aperçu de comment moi je me sens.

Il attrapa un vieux presse-papier d’obsidienne finement ouvragé en forme hiboux qui trônait sur une petite pile de livres de sortilèges.

_ Alors vous c’est sûr vous kiffez les brocantes.

L’irlandais le fit sauter dans sa main avec adresse puis sans une seconde d’hésitation, l’abattit avec force sur le crâne du professeur. Un dernier cri d’épouvante retentit.

Aodhan se redressa brusquement sur sa chaise. Le professeur de sortilèges le regardait, visiblement inquiet.

_ Mon garçon ? Est-ce que tu vas bien ?

Aodhan déglutit et mordit sa lèvre inférieure.

_ Hum hum. Répondit-il simplement en acquiesçant, haussant naïvement les sourcils tandis qu’un sourire rassurant se dessina sur ses lèvres.

_ Merci beaucoup monsieur mais ça va. Ma sœur s’occupe de moi. Est-ce que je peux y aller ? Mon cours de potion a déjà commencé.

_ Bien sûr. Je tenais juste à te dire que si tu avais besoin de parler, ma porte serait toujours ouverte. Ajouta-t’il avec un sourire bienveillant.

_ Merci. Répondit-il, vide d'émotion. Aodhan se leva et eu un mouvement d’arrêt. Il attrapa le hibou d’obsidienne sur le bureau et le fit sauter dans sa main avant de la reposer au même endroit.

_ Sympa la chouette. Il fit un clin d’œil à l’enseignant qui sourit faiblement par défaut bien que cela lui parut étrange en un tel instant.





Ca y est, il parvenait enfin à se souvenir de la suite. Il sortit du bureau en sifflant cet air, une apparente gaieté occultant un monstre de haine et de rage, assez affamé pour dévorer le monde. En fait, il adorait cette foutue chanson.