Les moldus et élèves de Poudlard du forum se sentent cruellement seuls au milieu de tous ces sorciers adultes, alors pensez à les privilégier pour vos personnages
En dépit de la période de l’année, les nuits londoniennes étaient encore relativement fraiches, poussant irrémédiablement les fêtards et autres adeptes de débits de boissons à l’intérieur des établissements pour un moment en bonne compagnie. Entre amis, amants, collègues, famille ou tout simplement pour draguer, les pubs étaient pleins à craquer en ce samedi soir. On pouvait aisément sentir la légèreté de l’été approcher malgré le climat tendu entre communauté sorcière et moldue. Le cul entre deux chaises, Cassiopée évoluait de monde en monde. Un pied dans celui où la magie était mal vue et un où elle faisait figure d’exception. Si les sorciers et sorcières qu’elle fréquentait au quotidien savaient tout de son métier et de sa nature (du moins celle dont elle avait conscience), l’inverse s’avérait impensable. Avouer à la police et son patron qu’elle travaillait en étroite collaboration avec le monde magique et notamment l’Ordre du Phénix était tout bonnement impensable. Autant démissionner direct et tirer un trait sur sa carrière d’analyste comportemental pour les enquêtes criminelles. Sans parler du fait qu’une reconversion en tant que psychologue pourrait également coincer. Cassie se retrouvait donc réduite au silence, laissant ses interlocuteurs faire les suppositions à son sujet qui les arrangeaient le plus.
Ce soir là, la jeune romancière avait préféré la compagnie de ses collègues moldus pour sortir. Depuis sa discussion avec Zadkiel, Cassiopée préférait éviter les repères à sorciers, privilégiant ses collègues, Doryan et Lucy voire même les sympathisants du monde magique. Du moment qu’elle ne tombait pas nez à nez avec son ex fiancé, Cassie était toujours partante pour une aventure improvisée. Nouvelle résolution prise depuis quelques mois seulement, bien déterminée à ne surtout plus se faire marcher sur les pieds par qui que ce soit mais surtout s’affirmer. Faire entendre sa voix après avoir été continuellement rabaissée, voilà ce qui la motivait depuis quelques mois. Entre l’orphelinat, les quelques foyers, ses anciens camarades d’école et plus récemment Zadkiel, Cassiopée semblait attirer les problèmes voire même inspirer la méchanceté gratuite. Un cercle vicieux qu’elle comptait bien briser pour ne provoquer autour d’elle que du positif.
Au sein de l’établissement de nuit sélectionné par son collègue, les verres s’enchainèrent, les jeux se succédèrent et bien vite la température monta. L’excitation était palpable. Ce qui était au début de simples conversations se muèrent bien vite en exclamations joyeuses ponctuées de nombreuses blagues sous les effets de l’alcool. Le merveilleux liquide doré permettait de dissoudre les langues mais surtout révéler les plus timides dont Cassie. Ainsi entourée de tout ce groupe en partie composé de policiers lui donnait un sentiment de sécurité. Il lui fallait bien ça après le fâcheux incident qui s’était produit avec Doryan. Parmi tout ce large groupe, la demoiselle ne risquait pas de trop attirer l’attention sur elle. Il était donc peu probable, mais pas impossible, de tomber sur un lourdingue qui prendrait mal tout refus au point de la frapper. Croisons les doigts et touchons du bois au cas où… Ce fut après de longues heures passées à jouer et boire qu’un petit groupe se détacha du principal pour sortir prendre l’air. Sans accompagner ses collègues fumeurs dans leur geste, Cassie venait simplement poursuivre une discussion animée sur l’implication du contexte familial dans la prédisposition aux actes déviants. Tout un programme !
Alors que leur conversation battait son plein, ses prunelles émeraudes rencontrèrent pendant quelques instants celle d’un jeune garçon passant devant le bar, suivi de prêt par deux adultes visiblement éméchés. Incapable d’entendre ce qu’ils pouvaient bien lui dire, le garçon semblait plus les fuir qu’autre chose. Bien que son attention fut recapturée par son collègue, quelque chose la démangeait. Il n’y avait rien de normal dans ce qu’elle venait de voir. Pour avoir longtemps été victime de violences de ce type, Cassie savait reconnaître les signes avants coureurs d’altercations physiques. Impossible de tenir plus de deux minutes sans s’excuser au près de son collègue, la jeune femme prit la direction de la ruelle dans laquelle les trois individus s’étaient engagés. Ils étaient très proches du quartier sorcier, il lui faudrait donc redoubler de prudence mais face à ce qu’elle vit, Cassie n’hésita pas une seule seconde. « Hey ! » S’exclama-t-elle alors que le poing d’un des hommes allait s’abattre sur le visage du garçon qu’il maintenait par le col. L’autre homme se tenait à ses côtés, particulièrement menaçant. Quand leur attention se déporta sur elle, Cassie n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle entendit dans son dos la voix puissante d’un de ses camarades de soirée. Le sergent de police ordonna aux voyous de relâcher le jeune homme, annonçant par la même occasion appartenir aux forces de l’ordre. Il n’en fallut pas plus pour mettre en fuite les individus malveillants. Dès qu’il fut relâché, Cassiopée se précipita vers lui, inspectant immédiatement son visage et de façon plus générale son apparence pour essayer d’y déceler, malgré la semi-obscurité de la ruelle, toute trace d’agression physique. L’air soucieux, elle lui demanda alors que ses camarades repartaient en direction du bar. « Tu vas bien ? Ils ne t’ont rien volé ? » Premier réflexe avant de passer à la suite. A travailler la plupart du temps dans un commissariat et entourée de flics, Cassie avait acquis certaines habitudes. « Si tu es blessé ou que tu as besoin d’être accompagné quelque part je peux t’aider. »
Tu penses à la façon dont tu en es arrivé là et tu te dis que tout ne peut pas être dû qu’à ton caractère de cochon. Il y a aussi beaucoup de malchance. Celle-ci a commencée dans un bar à plusieurs mètres de là. Pour une fois, tu as décidé de ne pas te prendre la tête en sortant avec des étudiants de ton âge et ce faisant, tu t’es promis de te comporter correctement avec eux pour ne provoquer aucune bagarre ni dispute inutile. Oui, il a fallu que tu t’en fasses une promesse parce qu’avec toi, l’énervement peut monter très vite. Ton sarcasme et ton ironie parviennent parfois à user la patience des autres jusqu’à la moelle, même de tes amis. Mais ce soir, tu n’as pas envie de tout ça. Toi qui aimes la confrontation, tu veux t’en passer pour ne serait-ce que quelques heures. Tu veux souffler, tout simplement et tes amis t’en remercient silencieusement. Pas de drame, pas d’esbrouffe : vous passez une bonne soirée à plaisanter, parler magie et comparer vos impressions sur les professeurs. Entre autres, vous vous adonnez à des petits challenges bon enfant, une variante du « action ou vérité » qui ne provoque ni heurt ni peine. Tu gardes le sourire tout le long de ces échanges et fais preuve d’une douceur qu’on ne t’alloue que rarement. Sans un mot plus haut que l’autre, on peut presque te qualifier de « calme », ce qui est un exploit en soi. Un verre après l’autre, tu sens tes joues chauffer mais tu es loin d’être le premier à quitter les lieux de cette petite fête entre potes improvisée dans le quartier sorcier. Pendant plusieurs heures, vous oubliez votre quotidien sous tension et le fait que non loin de là vivent des moldus qui veulent votre peau. Tout ça te passe par-dessus la tête, tu ne penses plus qu’à la prochaine blague, au prochain verre, à la bonne nuit que tu vas passer, le sourire aux lèvres après avoir profité à fond de chacun de tes amis.
Et puis, un accident mineur. Vous rigolez entre vous, les esprits s’échauffent et avec eux, les corps. Tu bouscules un groupe d’hommes derrière vous et l’une de ses boissons se renverse malencontreusement sur eux. Tu as beau t’excuser cent fois, rien n’y fait. Ils t’en veulent d’avoir été aussi inconscient et d’avoir gâché une chemise apparemment hors de prix – ce à quoi tu réponds qu’elle a probablement dû être chinée dans les fripes du coin. Mauvais choix de mots car cela ne les rend qu’encore plus en colère contre toi. Bien vite, tes amis t’empêchent d'empirer la situation en parlant un peu plus et vous vous éloignez pour continuer votre soirée. Plusieurs fois au cours de la prochaine heure, tu penses revoir ces hommes-là plus proches de vous que tu ne le pensais et à un moment, tu les surprends même à écouter ta conversation avec l’un de tes amis au sujet de vos derniers amoureux. Mais comme tout le reste, tu décides de passer outre et de t’amuser.
Tu fais partie des derniers de la petite troupe à rentrer chez toi et, bien sûr, tu choisis de quitter le bar en binôme. Bien que vos chemins ne soient pas les mêmes, vous marchez côte à côte de longues minutes durant tout en discutant de choses et d’autres. Le ton léger, l’air te fait un bien fou et te permet de reprendre un peu tes esprits, jusque là embrumés par l’alcool et la chaleur du bar. Arrivés à la limite du quartier moldu, vos chemins se séparent définitivement et tu prends la direction est, tandis que ton ami s’engouffre vers le nord. Les mains dans les poches, tu sifflotes tout en alternant un pas devant l’autre de façon décontractée.
« Eh, Billie… Viens par là. » Tu ne reconnais pas tout de suite la voix mais le ton, lui, ne te dit rien qui vaille. Tu es surpris d’entendre ton prénom être ainsi évoqué en pleine nuit et il ne se passe que quelques secondes avant que tu ne décides de jeter un œil derrière toi. Bien évidemment, tu te rends aussitôt compte que tu n’es pas seul et que deux des membres de la bande que tu as malencontreusement aspergée se trouvent derrière toi. Leur marche est plus rapide que la tienne et tu essayes d’estimer le temps qu’il leur faudra pour te rattraper si tu continues à cette vitesse. Moins de deux minutes sans nul doute possible. Tu accélères donc le pas. Malgré ta passion pour la provocation, tu as un plutôt bon instinct de survie et actuellement, il te dicte de foncer tête baissée sans te retourner vers le point le plus sûr. Ce dernier n’est pas avant plusieurs kilomètres et plus tu presses le pas, plus ils font de même. La distance entre vous se réduit et tu hésites bientôt à courir plutôt que de te contenter de marcher. Tu pourrais les affronter et potentiellement user de ta baguette magique savamment cachée sous ta veste si les choses s’enveniment un peu trop, mais ce serait un acte bien trop risqué dans un lieu aussi peu sûr. Le Blood Circle pourrait te tomber dessus… Tu ne veux pas te mettre dans ce type de position. Tout ce que tu peux faire, c’est marcher et espérer que tout aille bien. La tension qui s’anime dans chacun de tes muscles fait s’évaporer les dernières gouttes d’alcool mais malgré cela, tu ne te sens pas d’attaque pour un affrontement avec ces gars-là. Bien plus costauds que toi, ils sont aussi plus éméchés et donc plus à même d’avoir un comportement imprévisible. Tu sursautes lorsqu’une main t’attrape par le bras et tu n’as pour seul réflexe que de la chasser au plus vite en repoussant violemment l’un des deux hommes qui est arrivé à ta hauteur.
« Tu dois payer pour ce que t’as fait, p’tit Billie… » La menace paraît de plus en plus réelle mais une part de toi refuse de croire que tu es dans un tel pétrin. Alors tu t’enlises parce qu’au fond, tu ne sais rien faire d’autre… « Dégage gros porc, laissez-moi tranquille ! » « On sait comment tu peux nous payer Billie, on t’a entendu… Si t’es sage, on ira vite ! » Tu blêmis car pas un seul instant tu n’as pensé que cela puisse t’arriver. Surtout maintenant et avec ces gars-là. L’urgence devient plus assommante et cette fois, tu les repousses avec plus de force. Hors de question de te faire attraper d’une quelconque façon et alors que tu reprends une marche très rapide, ta main vient tout naturellement se poser vers ta baguette. À n’utiliser qu’en derniers recours, mais un potentiel viol n’en est-il pas un ? Voilà que tu arrives devant un autre bar et pendant une seconde, tu envisages de t’y engouffrer pour avoir la vie sauve. Sauf qu’un groupe bloque l’entrée et que tu as la malchance – ou simple mauvaise idée – de continuer ton chemin. Ton regard croise celui d’une jeune femme à la peau brune mais le contact s’efface aussi vite que ta présence sur cette portion de trottoir. Arrivé à la prochaine intersection, tu trottines et empruntes le chemin de droite. Un cul de sac aux fausses allures de ruelle, très très très mauvaise idée. Tu t’apprêtes à rebrousser chemin mais les voilà qui sont derrière toi et apparemment très satisfaits de la situation. Toi, un peu moins.
« Plutôt crever que de toucher vos vieilles q***es flétries et nauséabondes les gars ! » Les voilà qui ricanent. Tu déglutis, pas à l’aise. Malgré tout, tu prends sur toi et essayes de forcer le passage : sans succès. L’un des deux t’agrippes par le col, l’autre te fout un poing dans l’estomac qui coupe tout usage de tes jambes. T’as le souffle court, presque inexistant. Tu tousses et te voilà décidément faible. « Tu vas pas vraiment avoir le choix mon mignon… » La suite est plutôt brouillonne. Tu ne fais que te débattre pour les empêcher de toucher à tes affaires, à tes vêtements, à toi. Tu reçois un coup au menton, tombes au sol sous le choc. Tu as bien envie d’utiliser une des techniques apprises en cours ou avec Kayla mais le coup que tu as reçu à la tête et à l’estomac t’empêchent de réfléchir et d’agir correctement. Tu vois des étoiles et t’as mal.
Et puis, on te lâche et tu tombes au sol. C’est cette jeune femme que tu as croisé tout à l’heure, celle du bar. Par pur instinct, tu refermes ta veste sur toi avec assez de temps pour la palper et constater que ta baguette est toujours là, intact. Tu soupires de soulagement. La conscience d’avoir échappé au pire ne te frappe qu’au moment où les deux hommes fuient et qu’elle se penche vers toi. Tu vois dans son regard la gravité des faits. Alors tu redeviens le bon vieux Billie, celui qui se protège, celui qui n’avoue rien.
« À part ma dignité ? Non, rien » réponds-tu simplement, le regard rivé sur le sol. Tu frottes tes lèvres du revers de ta main et y vois quelques traces infimes de sang. Rien de bien grave, juste la lèvre explosée. Rien qu’un petit Espikey ne saurait résoudre mais tu ne peux pas t’amuser à faire ça ici, devant des témoins. Alors tu te relèves dans une grimace pour paraître plus fort que tu ne l’es réellement. Au fond, t’es effrayé et traumatisé. Ces heures à fuir l’inévitable t’ont paru être des jours entiers. Tu remets de l’ordre dans tes vêtements. Se doute-t-elle de quelque chose ?
« Hum… je sais pas… j’voudrais pas déranger. Vous êtes de la police ? » Eux aussi, tu les crains.
Si vous osez dire à Cassiopée qu’elle possède un syndrome du sauveur exacerbé, un conseil : fuyez ! La jeune femme plus habituée à déceler des comportements problématiques et analyser son prochain s’avérait incapable de s’auto-diagnostiquer. Rien de bien étonnant de la part d’une psychologue vous me direz. Pourtant, la jeune demoiselle mettait un point d’honneur à s’améliorer, à grandir et évoluer aussi bien mentalement qu’émotionnellement. Impensable pour elle de laisser les nombreux abus subis dans son enfance la définir. Et pourtant… Il suffisait de constater toute la merde qu’elle acceptait dans son quotidien. Combien de fois Doryan avait dû venir à sa rescousse ? Combien de fois s’était-elle retrouvée dans des situations compromettantes car elle était incapable de dire non et s’affirmer ? Combien de fois s’était-elle laissée marcher dessus par peur du conflit ? Si à présent la balance était en train de se renverser, un peu trop radicalement aux goûts de certains, les vieilles habitudes sont toujours les plus durs à perdre. Cassie avait beau être emplie de bons sentiments et intentions, le naturel revenait toujours au galop de façon violente.
La voilà embarquée dans un nouvel épisode de « Cassie part à la rescousse des âmes en perdition ». Il faut dire que le bref regard échangé avec ce jeune homme l’avait secoué. Au plus profond de ses entrailles elle ressentait panique, dégoût et une peur indéfinissable. Quelque chose de terrible allait arriver si rien n’était fait. Elle pouvait le sentir. Toutes les cellules de son corps lui hurlaient d’agir. A la fois dans les prunelles du jeune mais dans l’attitude pressante des deux hommes, Cassie y avait décelé les problèmes. Écho de son agression alors qu’elle était adolescente, la prétendue moldue eut un violent flash de cet homme au dessus d’elle dans son lit de gamine, prêt à commettre l’irréparable tandis qu’elle se débattait de toutes ses forces. Ni une ni deux, son corps prit le dessus et la mena avec précipitation vers la ruelle empruntée par les trois hommes. Cassie n’était plus qu’une observatrice distante de ses actes, un peu comme les collègues avec qui elle était sortie discuter. Son intervention, presque immédiatement suivie de celle d’un de ses camarades stoppa net la scène d’horreur qui avait failli se dérouler sous ses yeux. Le son des coups résonnait encore dans son esprit tandis qu’elle s’avançait vers la silhouette du jeune homme.
Jamais encore Cassie ne s’était retrouvée dans pareille situation. Plus habituée à être celle à qui on vient en aide, la jeune demoiselle était un peu perdue. Il lui fallait faire appel à ses souvenirs pour tenter d’adopter l’attitude et les mots adéquats. Pas simple quand tout ce dont elle avait envie c’était le prendre dans ses bras pour le réconforter. Peut-être pas la meilleure réaction à avoir avec un illustre inconnu qui vient de se faire agresser physiquement… A la place, elle préféra s’enquérir de son état, ne réagissant pas franchement à la remarque formulée par le garçon. Était-ce si humiliant de se faire « sauver » par une femme ? Ou bien s’agissait-il tout simplement d’un mécanisme de défense bête et méchant ? Passer outre. Voilà qui semblait plus pertinent et à en juger par sa seconde réponse, Cassie en déduit bien vite qu’il voulait paraître plus fort qu’il ne l’était probablement. Rien de bien surprenant là dedans et même normal dans sa situation. Revêtant son plus doux sourire en dépit de l’inquiétude qui se lisait aisément sur ses traits, Cassiopée répondit presque aussitôt. « Tu ne me déranges absolument pas… J’ai eu un mauvais pressentiment en te voyant passer avec ces hommes sur tes talons. » Expliqua-t-elle en extirpant un paquet de mouchoirs de son sac à main qu’elle lui tendit pour permettre d’essuyer sa lèvre blessée. S’il n’avait en apparence rien de grave, il lui faudrait soigner sa lippe. Passage aux urgences obligatoire au premier abord. « Mes amis oui, moi non. » Jugea-t-elle bon de préciser, sachant que cela pouvait en rebuter certains. Ses collègues et amis avaient rejoint le bar, laissant donc Cassie seule avec le jeune homme. C’était probablement mieux si elle voulait le mettre en confiance.
Ses prunelles émeraudes scannèrent les environs avant de se reporter sur la silhouette du garçon, lui décrochant un nouveau sourire réconfortant. « Je pense que le plus raisonnable serait d’attendre un peu avant que tu rentres… Sait-on jamais s’ils trainent encore dans le coin. Je t’offre un verre si tu veux. On pourra mettre un peu de glace sur ta lèvre et si tu as mal ailleurs comme ça. » Proposa-t-elle avec un certain enthousiasme à l’idée de pouvoir l’aider à rester en sécurité. Tout naturellement, Cassie s’était tournée en direction du bar dont elle sortait quelques minutes plus tôt, attendant tout de même sagement sa réponse. « Au fait, moi c’est Cassie. » Une nouvelle façon bien à elle pour tenter de le mettre en confiance en sa présence. Elle ne voulait pas l’avoir aidé pour qu’il reparte et se mette en danger une seconde fois. Il y avait fort à parier que les deux hommes n’étaient pas bien loin. S’ils lui tombaient dessus après cet incident, Cassie ne donnait pas cher de son sort. Un des inconvénients à travailler en tant qu’analyste comportemental mais surtout en collaboration étroite avec la police criminelle…
Ta dignité. Voilà bien longtemps que tu t’amuses à la piétiner au gré de tes blagues et de tes provocations aux uns et aux autres. Tu ne t’abaisses pourtant jamais au pire. Tu ne vends ni tes principes, ni ton corps et ce qui aurait pu se passer sans cette intervention vient entailler grièvement cette dignité affaiblie. Tu ne prends pas tout de suite conscience de la portée de tes mots et et quand tu le réalises, le mal est déjà fait. Tu risques de passer pour un homme sexiste mais à ce stade, tu t’en moques bien. Le cul par terre, la lèvre en sang et les bras tremblants, on ne peut pas dire que tu aies fière allure. La faute à pas de chance. Tu en as subi pourtant des déboires : bagarres, noyade, blessures profondes auto-infligées à cause d’un sort mal lancé… On peut dire que tu en as bu de toutes les couleurs, Billie. Mais jamais on avait menacé de t’infliger ce supplice-là. Tu as le défaut de ne pas montrer ta reconnaissance mais elle existe bel et bien. D’instinct, tu refermes ta veste sur toi comme pour te protéger du monde. Tu as tendance à oublier qu’à trop jouer avec ses règles, elles finissent par vous retomber sur le coin du museau. La baffe que tu as reçue ce soir te fait réaliser à quel point tu joues avec ta propre vie.
Tout naturellement, tu baisses les yeux. C’est un sentiment étrange pour toi qui a l’habitude de regarder tes interlocuteurs dans le blanc de l’œil. Comment le pourrais-tu à cet instant, quand la nausée te prend aux tripes à la simple pensée de ce qui aurait pu se produire ? L’aurais-tu empêché ? La question fait mal mais est légitime car pas un seul instant tu n’as fait mine de sortir ta baguette. Tu es pourtant un bon duelliste, tu aurais pu t’en sortir aisément face à deux moldus désarmés. Il aurait suffit d’un geste, un seul… que tu n’as même pas amorcé. À croire que tu étais prêt à laisser ces porcs t’infliger cette souffrance. Pour te punir, peut-être ? Pour prouver quelque chose… mais quoi au juste ? Les ongles de tes doigts s’enfoncent dans ta peau et tu la regardes enfin, cette femme, sans savoir quoi lui répondre. Merci ? Au fond, seules des questions te viennent en tête et elle y répond sans même que tu n’aies à les formuler. Le soulagement se fait présent car tu n’es pas enclin à l’idée de dealer avec les forces de l’ordre moldues. Dans l’idéal, tu devrais aller porter plainte contre ces gars-là et l’envie ne manque pas, mais te retrouver au poste de police est inconcevable. Dans ton état actuel, tu risquerais de dire le mot de trop et d’avouer qui tu es mais surtout ce que tu es. Ils n’y sont pas préparés et toi non plus à vrai dire. La lâcheté est ta meilleure option présentement.
« Hum… oui, okay. Pourquoi pas. Merci… » Tu ne peux pas cacher que toute cette situation t’effraie autant qu’elle te déstabilise. Tu as envie de croire que la jeune femme qui se tient devant toi ne te veut que du bien mais une petite voix dans ta tête te rappelle que les apparences sont souvent trompeuses et qu’à tout instant, elle peut devenir ton pire cauchemar. Cassie, voilà comment elle s’appelle. Son prénom n’a rien d’alarmant ni de dangereux, il est même plutôt doux. Mais le tien l’est aussi et tu es loin d’avoir la personnalité la plus calme et angélique qui soit alors la méfiance reste de mise. Elle essaye même de te convaincre avec un sourire réconfortant mais il n’a pas l’effet que vous voudriez qu’il ait sur toi. Tu époussettes une dernière fois tes vêtements et regardes autour de toi. Vous êtes seuls. S’ils veulent apparaître, c’est le moment car ils ont l’air du genre à se dire qu’une femme et un gamin, c’est facile à maîtriser. Vu les circonstances, tu aurais du mal à les contredire. Peut-être que Cassie s’en sortirait mieux que toi ? Tu te mets en marche pour sortir de cet endroit maudit dans lequel tu te promets de ne plus jamais remettre les pieds. Volontairement, tu laisses le silence s’installer entre vous et si Cassie est réellement la personne qu’elle paraît être, elle ne s’en formalisera pas. Il te faut du temps pour réussir à dire quelque chose qui ne soit pas étouffé par la peur, confortablement logée dans ta gorge. Vous arrivez ainsi jusqu’au bar et tu te laisses guider à travers la foule, évitant le plus possible les contacts physiques. Ce serait beaucoup trop à encaisser pour toi, actuellement. Quand vous vous installez, tu refuses silencieusement de retirer ta veste et cherches autour de toi la trace de tes attaquants. Ils ont probablement dû fuir ailleurs mais cela ne te rassure pas pour autant.
« Désolé pour tout à l’heure. Le truc de la… dignité. En fait, ça n’avait rien à voir avec vous. Je ne faisais même pas référence à votre intervention. C’est juste… moi. J’aurais pu faire quelque chose et… ça n’a pas été le cas. Enfin bref… » De nouveau, tu baisses les yeux. Cela ne te ressemble vraiment pas mais tu ne peux pas t’en empêcher. Et en même temps, tu t’en veux de ressentir autant de honte quand tu n’es clairement pas le responsable de cette attaque visée. Tu n’as fait que renverser un verre ! Tu as beau te le répéter encore et encore, difficile de pleinement l’intégrer. Il est peut-être un peu trop tôt pour cela. Et puis, tu sais ce qu’elle doit se dire : “pauvre petit garçon, il faut que je le sauve !” et c’est ce qu’elle a fait, avec succès. Sauf que tu n’es pas un petit garçon, que tu en as marre d’être vu ainsi et que c’est probablement de cette façon que te regardaient les deux autres pervers. Cela te donne des frissons qu’il t’est difficile de contrôler.
« Billie. C’est mon prénom. Billie. » Même ton prénom, tu as du mal à le dire. Sa prononciation te renvoie à cet échange à travers les rues quand ils cherchaient à attirer ton attention (ou te faire peur, voire les deux).
Cassie n'avait pas réfléchi. Fait caractéristique qui pouvait la décrire à merveille dès l’instant où elle avait une idée en tête. Au premier abord, la jeune femme n’en avait pas vraiment l’air comme ça mais elle était dotée d’un tempérament de feu. Impossible de l’arrêter quand elle avait un objectif. Rien de surprenant donc qu’elle n’ait pas hésité une seule seconde à intervenir en voyant l’air du jeune homme passer devant le bar. A bien y réfléchir à présent, les choses auraient pu très mal tourner. Si son ami ne l’avait pas suivi, si lui aussi n’était pas intervenu, qui sait quelle tournure auraient pris les événements ?! Bien heureusement pour Cassie et le jeune homme, les deux agresseurs avaient été mis en fuite, lui laissant l’occasion de souffler et surtout se remettre de ses émotions. Fait peu aisé, surtout en compagnie d’une inconnue. Ce fut la principale raison pour laquelle Cassie ne lui tint pas rigueur de ce petit sarcasme couplé d’une attitude que d’autres auraient jugé de froide. Elle, elle savait. Combien de fois s’était-elle retrouvée dans la position de l’agressée ?! A devoir se remettre rapidement de ses émotions pour exprimer sa gratitude au brave sauveur. Contrairement à eux, Cassie avait l’expérience nécessaire pour au moins comprendre intellectuellement les émotions par lesquelles il passait. Bien loin de son esprit toutefois d'oser prétendre entièrement le comprendre cela dit.
Armée de son plus beau sourire ampli de compassion, la romancière proposa alors au jeune homme de lui offrir un verre. Moyen non seulement de s’assurer qu’il soit entouré pour les minutes qui suivirent, de doucement revenir à la réalité mais surtout de ne pas le laisser repartir au risque qu’il rencontre à nouveau ses agresseurs. Sa proposition suivie de ses explications fut bien vite acceptée, permettant ainsi à Cassie de reprendre la direction du bar en sa compagnie et ce dans un silence religieux. L’établissement encore plein de fêtard offrirait une masse d’individus suffisamment conséquente pour qu’il puisse se fondre dans le tas au cas où les deux hommes reviendraient pour en découdre. Un fait dont Cassie doutait fortement, principalement car elle était entourée de ses amis appartenant aux forces de l’ordre. Elle laissa d’ailleurs ces derniers, faisant comprendre par un regard et petit sourire gêné qu’elle les abandonnait pour l’instant. Tout naturellement, son chemin prit celui d’un coin du bar disposant d’une table libre autour de laquelle s’installer. Pour se mettre un peu plus à l’aise, Cassie retira sa veste puis posa son sac à ses côtés, ne jetant pas volontairement de regard à cette veste à laquelle il semblait se cramponner comme une bouée de sauvetage. Il y avait quelque chose qu’il cachait, elle en était sûre. Hors de question cela dit d’évoquer le sujet s’il n’en manifestait aucune envie.
Tandis que ses prunelles émeraudes s’étaient déportées à la recherche d’un des serveurs de l’établissement, la voix du jeune homme attira son attention dans sa direction. Prise de surprise par ses propos, elle ne put s’empêcher d’éprouver de la peine pour lui. D’une certaine façon, Cassie se reconnaissait un peu dans ces excuses qu’il lui fournissait. Se justifier d’un détail auquel elle n’avait accordé pas la moindre importance, quelque chose d’aussi accessoire qu'un simple mot. Sans compter le fait qu’il se rejetait la faute quand à son inaction. Cassie avait beau ne pas connaître toute l’histoire et avoir simplement assisté à sa finalité, hors de question pour elle de l’accepter. Un bref soupir lui échappa et alors qu’elle allait reprendre la parole, il lui donna enfin son prénom, extirpant par la même occasion un petit sourire à Cassie. Elle n’eut pas le temps de lui répondre que le serveur vint à leur rencontre. Pour elle, l’analyste commanda un simple panaché histoire de garder les idées claires et une fois que Billie eut fait son choix, le serveur repartit, son attention revint enfin sur lui. « Tu n’as pas d’excuses à me fournir, Billie. » Commença-t-elle sans se départir de son doux sourire qui se voulait rassurant. « Tout d’abord car je ne me suis pas sentie visée et puis c’est ton droit de réagir comme tu l’entends. Ça n’est pas « rien » ce qui s’est passé, c’est normal de se sentir un peu dépassé et de ne pas savoir trop comment réagir. » En la matière, Cassie avait accumulé un beau bagage. Si la plupart du temps on l’avait défendue, on était même venu à sa rescousse dans les situations les plus délicates, elle préférait ne pas penser à la façon dont cela aurait pu tourner si jamais cela n’avait pas été le cas.
Un peu comme pour se donner du courage, elle inspira longuement en se redressant contre le dossier de la banquette et finit par lâcher un bref soupir. « Tu sais… Si je suis intervenue sans trop réfléchir c’est parce que moi aussi je me suis retrouvée dans la même situation que toi. Et ce à plusieurs reprises. J’ai toujours eu la chance d’avoir un ami ou parfois un illustre inconnu qui vienne m’aider mais je sais ce qu’on peut ressentir quand ça arrive. Les remords de n’avoir rien pu faire, le sentiment d’impuissance, la honte aussi parfois… » Le coeur lourd, Cassie eut un nouveau soupir en abaissant son regard sur la surface sombre de la table comme pour tenter de reprendre contenance. Après quelques secondes d’un silence brisé par les clients autour d’eux, son visage se redressa pour capter le regard de Billie à qui elle adressa un petit sourire teinté de tristesse. « Tout ce que je voulais dire par là c’est que tu n’as pas à t’excuser, te justifier et encore moins à te sentir coupable ! » Malgré ce léger voile peiné qu’on décelait aisément, Cassie tentait de s’afficher optimiste et joviale. Veine tentative même quand on ne connaissait pas la jeune femme. « Ah et tu peux me tutoyer voyons ! » Ajouta-t-elle avec un sourire plus franc tandis que le serveur arrivait avec leur commande. Cassie s’empara de son verre qu’elle leva doucement en direction de Billie avant d’en prélever une longue gorgée rafraichissante. De quoi faire oublier les nombreuses bières consommées durant sa première partie de soirée en compagnie de ses collègues et amis. Hors de question de troubler à présent son esprit avec de l’alcool.
Le silence est ta meilleure arme. C’est presque étonnant de ta part. Tu ne te souviens pas être resté muet aussi longtemps par le passé, hormis lorsqu’on t’y a forcé. Les circonstances font qu’aucun mot ne te vient en tête tant celle-ci est vide de tout. Il ne sera pas facile d’oublier, c’est certain mais tu iras de l’avant, comme à chaque fois qu’on te fait la misère. C’est juste plus aisé de ne pas regarder en arrière quand on est réellement responsable de ce qui s’est produit. Tu fais référence à toutes ces fois où tu as cherché le conflit. Tu trouvais alors les coups et les injures plus justifiées vu que tu avais poussé ces personnes à bout – une belle manière de donner du sens à une injustice qui n’en a pas. Lorsque tu es entré chez les Serpentard, on ne t’a pas rendu la vie facile. On t’a martyrisé pour être un moldu chez les sangs purs et tu as laissé les choses se faire pendant de longs mois. Par choix, par peur, par indécision… la liste est longue. Et puis, tu as fini par trouver l’astuce pour trouver un sens à toutes ces conneries qui rendaient ton quotidien insupportable : les provoquer pour avoir l’impression de mériter ce qui t’arrivais. Cette technique marche mais te coûte autant. Elle ne fonctionne pas pour la situation actuelle car peu importe comment tu retournes la situation dans ta tête, tu n’arrives pas à trouver une justification valable. Il n’y en a tout simplement pas. Certaines personnes font des choses inconsidérées, complètement stupides, qui n’ont aucune raison d’exister. Et pourtant, les voilà. Te voilà. À t’asseoir dans ce bar avec cette femme que tu ne connais pas mais qui a été la seule à se rendre compte du pétrin dans lequel tu t’étais fourré, contre ton gré. Celle sans qui tout aurait pu réellement virer au cauchemar. Tu n’as aucun mal à délivrer ta reconnaissance et à savoir quand tu dois remercier quelqu’un. Tu espérais juste ne jamais avoir à le faire dans ces circonstances. Le fait que Caelum t’ait sorti de ta noyade quelques mois plus tôt ne fait qu’ajouter un poids à tout ce que tu ressens déjà. Vas-tu passer ta vie à te faire sauver par les autres ? N’es-tu pas capable de te sauver toi-même ? D’être celui qui vient en aide plutôt que celui dont on doit constamment soigner les blessures ? À quoi bon aller en Protection Magique si tu n’es même pas capable d’user de tes connaissances pour te défendre ? Oui, cette question-là aussi tourne en boucle dans ta tête. Le silence s’est évanouit pour laisser place à un tourbillon de sentiments et de pensées que tu ne parviens pas à maîtriser comme tu le voudrais. Peut-être as-tu honte, c’est vrai… De beaucoup de choses. Cet événement te fait remettre en question une bonne quantité de tes choix passés.
Les excuses se font rapides mais sincères. Tu n’as tout simplement pas réfléchi à ce que tu as dit, ce n’était clairement pas le moment de tourner sept fois ta langue dans ta bouche. Et Cassie comprend cela – ou du moins, elle le laisse entendre. Entendre ton prénom te tend un peu plus et tu tentes par tous les moyens de passer outre cette sensation. Les murmures dans ta tête doivent à tout prix se stopper si tu veux pouvoir dormir en paix ce soir, ce qui ne risque pas d’arriver de si tôt. Comment vas-tu faire pour quitter cet endroit sans mourir de peur ? Tu hoches de la tête aux propos de ta sauveuse. Elle comprend. Elle TE comprend et cela te fait un bien fou, bien plus que ce que tu pensais ou avais imaginé. Une pensée survient, celle selon laquelle elle sait probablement ce que tu as vécu et es encore en train de vivre. Le mal qui te ronge ne s’en ira pas si vite. Les femmes le savent, certains hommes aussi. Tu ne voulais pas en faire partie mais c’est trop tard désormais. Et sans avoir rien vu, Cassie a deviné ce qu’ils voulaient, ce qu’ils étaient sur le point de faire. De TE faire. Tu ne poses pas de questions par peur de mettre les pieds dans le plat, toi qui pourtant adore ça d’ordinaire ! La situation ne s’y prête pas. En réalité, tes batteries sont à plat. Tu n’as envie de rien, tu ne fais que l’écouter, Elle. Elle qui te confirme ce que tu avais deviné, les horreurs qu’elle a pu vivre. Elle ne met pas de mots dessus, rien de très explicite de toute manière. Il n’y a pas besoin, tu le comprends sans même l’entendre. Par contre, elle parvient à en mettre sur les sentiments que tu éprouves et que tu aimerais tant chasser. Difficile de soutenir ton regard – encore une chose que le Billie ordinaire n’aurait aucun mal à faire. Tu ne te reconnais plus mais peut-être est-ce parce que tu es enfin toi-même ? Dans ton état le plus vulnérable ? Celui que tu ne veux montrer à personne. L’envie de lui répondre ne manque pas et pourtant, lorsque tu ouvres la bouche, c’est pour ne laisser passer que du vide. Tu es même soulagé lorsque l’on vient prendre vos commandes et dans une voix sourde, tu demandes un coca. Tu n’es même pas sûr de pouvoir le boire mais au moins cela te fera quelque chose à tenir pour te donner un peu d’allure. Tu ne dois probablement ressembler à rien présentement…
« J’aimerais dire que je me sens rassuré par tout ce que v-tu viens de dire, mais ce n’est pas le cas. Pas parce que je ne le veux pas mais parce que ça m’est impossible. Je suis désolé… » Encore des excuses, tu n’as que ça en bouche. Vos verres sont posés sur la table et tu suis les mouvements de Cassie. La seule gorgée de ta boisson vient pétiller dans ta gorge et la réveiller. Un frisson te parcourt et tu poses ton verre, que tu entoures de tes mains déjà moins tremblantes qu’il y a quelques minutes, dans la ruelle.
« Est-ce qu’elle s’en va un jour ? La honte. Je pense pouvoir gérer la culpabilité, mais ça… » Bien sûr, tu ne raconteras cela à personne. Pas même tes amis les plus proches ou ceux avec qui tu as passé la soirée. Surtout pas à l’ami duquel tu t’es séparé avant que ces gars-là ne te tombent dessus, il se sentirait coupable lui aussi et tu ne veux imposer ce sentiment à personne. Eux ne doivent pas vraiment en ressentir d’ailleurs… Bien sûr, tu te demandes où ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils pensent… ! S’ils sont en train de recommencer avec quelqu’un d’autre ou si, au contraire, ils se sont rendus compte de ce qu’ils allaient faire et qu’ils sont en train de se fustiger l’un l’autre d’avoir trop bu et déconné. Ou si, au contraire, ils n’en ont rien à faire et qu’ils sont passés au prochain bar pour s’amuser. Les émotions qui les traversent sont-elles les mêmes que les tiennes ? Tu as toujours été la victime, jamais le bourreau – du moins, jamais physiquement. Tu ne sais donc pas ce qu’on peut ressentir à imposer cela à quelqu’un d’autre.
« Ma question va être indiscrète mais… tu dis que tu as toujours eu de la chance. C’est vrai ? Toujours ? Pas une seule fois, personne ne s’est présenté et c’est… arrivé ? Et moi, que suis-je supposé faire ? Porter plainte ? »
On ne pouvait pas dire que la vie avait été tendre avec Cassie. Commencer son existence en étant abandonnée par sa mère n’avait rien du conte de fées il faut dire. Encore moins quand vous évoluez de foyers en foyers, incapable de trouver une famille décente. Quand ça n’était pas les autres enfants qui la martyrisaient, Cassie se voyait rabaissée par ses propres gardiens, échappant au viol de justesse. Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, la jeune demoiselle aux origines obscures restait optimiste. D’autres auraient pu sombrer dans la dépression ou bien tout simplement céder à la violence. Après tout, Cassie avait été plus d’une fois témoin des effets dévastateurs qu’une enfance troublée pouvait avoir sur un individu. De part son passé comme dans son quotidien en tant qu’analyste comportemental, la jeune femme était entourée d’exemples tragiques. Avait-elle une bonne étoile ? Était-elle particulièrement chanceuse ? A moins qu’il s’agisse plus d’une force de caractère insoupçonnée ? Cassie la douce, la naïve et optimiste s’en était sortie grâce à sa résilience. D’une logique implacable et pourtant elle préférait ne pas y croire.
Face à Billie, la tentation de comparer leur sort était grande. Pourtant, Cassie savait pareil processus futile et principalement peu constructif. Il suffisait de voir le silence dans lequel le jeune homme s’était muré et cette attitude de repli sur lui-même, cramponné à sa veste comme s’il s’agissait d’un bouclier derrière lequel se protéger de toute nouvelle agression. Pour être complètement honnête, Cassie ressentait de la peine pour lui. Elle l’aurait bien pris dans ses bras pour le réconforter mais par expérience elle savait que pareil rapprochement physique pourrait avoir l’effet inverse. Sans compter le fait qu’ils ne se connaissaient pas. Mieux valait donc garder ses distances mais surtout ne pas le brusquer. Raison pour laquelle Cassie mit un point d’honneur à s’expliquer. Avec toute la douceur dont elle disposait à l’instant, devant également gérer les vagues d’émotions liées à sa propre histoire personnelle trouvant un écho dans le vécu de Billie, Cassie tenta de lui faire comprendre qu’il n’avait nullement besoin de se justifier en sa présence. Mieux encore, elle était bien placée pour saisir les nombreuses émotions qui devaient l’envahir et ce doute, celui de retrouver un jour une vie « normale », loin de l’inquiétude et du traumatisme engendré par pareille agression.
Cassie n’était pas pessimiste, bien au contraire. Elle savait qu’il pouvait s’en sortir. La guérison pourrait mettre un peu de temps mais il en trouverait le chemin, la jeune femme en était certaine. Elle-même était passée par pareil cheminement. Pour l’instant, Billie avait besoin d’être écouté. Quand il reprit la parole, ses mots lui brisèrent le coeur. La gorge nouée, même la gorgée de panaché n’aida guère à la détendre, peinée par l’aveu qu’il venait de lui faire. Il fallut à Cassie beaucoup de self-control pour ne pas trop afficher la peine qu’elle éprouvait à l’instant et reposa doucement son verre sur la table. Un léger soupir lui échappa avant de revenir capter son regard. « Tu n'as pas besoin de t'excuser pour cela, Billie. C’est ton ressenti. Ne t’excuses pas pour ton ressenti. » Un rappel essentiel à ses yeux. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle s’était sentie coupable, même responsable de ce qu’il lui était arrivé. Doryan avait été obligé de lui répéter à maintes reprises qu’elle n’avait pas à s’excuser qu’il ait eu à intervenir pour qu’enfin elle prenne conscience de la chose.
« Je dirais que c’est un cheminement. Un apprentissage qui demande un peu de temps pour s’en détacher et ne pas y accorder autant d’importance. » Avoua-t-elle en jouant mécaniquement avec la condensation se formant à la surface de son verre. A quoi bon lui mentir ?! Il semblait peut-être bien plus jeune qu’elle mais Billie n’avait rien d’un gamin. « Le plus important est d’en parler, de ne pas garder tout ça pour toi. Tu as des amis à qui tu fais suffisamment confiance pour pouvoir te confier ? » Jugea-t-elle utile de rajouter pour lui montrer l’importance de ne pas rester seul avec ses pensées. Elle lui aurait bien suggéré de voir quelqu’un d’extérieur mais son intuition lui soufflait que c’était encore trop tôt. Par expérience, Cassie savait qu’il fallait quelques temps pour laisser le choc se décanter avant d’être pleinement en capacité d’en parler. Elle n’osait même pas imaginer l’état de chaos dans lequel son esprit devait se trouver. A moins que ce dernier ait plus opté pour la fuite et qu’un calme plat y règne. Allez savoir… Une preuve de plus s’il en fallait des façons si différentes de gérer pareils événements.
A la question de Billie, Cassie eut un léger sourire se voulant rassurant. Si elle ne voulait pas répondre à ce type d’interrogations, si elle n’avait pas été prête, elle n’aurait pas abordé pareils sujets au préalable. Plus motivée par l’idée de l’aider par son expérience, Cassie tentait de mettre de côtés les émotions liées aux traumatismes passés pour lui apporter des réponses. « J’ai eu de la chance oui… C’est passé pas loin mais oui, à ce moment là quelqu’un est intervenu. Sans lui… Je n’ose même pas imaginer ce qui aurait pu arriver. » A cette époque là, l’adolescent avait fait le sacrifice d’une vie pour la sauver des griffes de son agresseur. Il avait tué son propre père alors que ce dernier s’apprêtait à commettre l’irréparable avec Cassie. Une fin tragique marquant également son retour en foyer dans l’attente d’une prochaine famille qui voudrait bien l’accueillir. Il lui arrivait souvent de penser à lui, se demandant ce qu’il était devenu, si sa peine n’avait pas été trop sévère à la lumière des nombreux viols et actes de pédophilie commis par son père. Des questions restées en suspens auxquelles elle n’aurait probablement jamais de réponse. Ses pensées revinrent alors à Billie et la déduction à laquelle elle était arrivée après sa question. C’était bel et bien un viol qu’elle avait empêché en s’interposant quelques minutes plus tôt. Un peu comme si son corps tout entier lui avait hurlé d’agir. « Tu peux porter plainte si tu le souhaites. Mes amis et moi pourront apporter nos témoignages et t’aider dans le descriptif des deux hommes si tu ne les connaissais pas. » En la matière, Cassie était une experte. Sa grande connaissance du système judiciaire et pénal serait probablement une aide pour Billie afin de l’accompagner au mieux dans pareille procédure. Si c’était son choix. « Bien évidemment, tu n’es pas obligé hein ! Tu peux prendre ton temps pour décider et dans tous les cas je pourrais t’accompagner si tu le souhaites. »
Les questions se bousculent dans ta tête. Les scénarii également. Les « et si ». Et si elle n’était pas intervenue. Et s’il avait sorti sa baguette plus tôt. Et s’il en avait tué un par mégarde. Et s’il n’avait tout simplement pas renversé cette bière quelques heures plus tôt. Et si, et si, et si… On peut refaire tout un monde avec un « et si » mais le tien va devoir avancer, que tu le veuilles ou non. Tu es obligé de mettre un pied devant l’autre car le temps ne t’attendra pas et que tu ne veux pas le passer à te morfondre dans ton coin. Alors tu te fais cette promesse muette d’aller mieux demain. Oui, demain, car ce soir c’est impossible que tu puisses la tenir. Et c’est normal, n’est-ce pas ? Les évènements sont encore trop récents et tu n’as pas eu le temps de totalement intégrer les conséquences de ce qui aurait pu se produire et de ce avec quoi tu vas devoir vivre le restant de ta vie. Franchement, tu t’en serais bien passé. Cassie fait de gros efforts pour te mettre à l’aise et tu n’oses pas lui dire – tu ne PEUX PAS lui dire – que la seule chose qui te permet de tenir c’est la baguette que tu serres contre ton corps à cet instant. C’est ridicule étant donné que tu n’as même pas voulu t’en servir contre ces hommes-là mais cela ne s’explique peut-être pas. Tu ne saurais dire pourquoi elle te donne un sentiment de protection alors que toutes ces personnes autour de toi pourraient aisément remplir ce rôle à tes yeux. Mais aucune ne s’y prête vraiment. Aucune d’elles ne te connaît, ne te voit pour ce que tu es. Pour QUI tu es. Tu te sens envahi par cette sensation de ne pouvoir compter que sur toi-même et, quelques fois, une aide extérieure insolite. Comme Cassie.
Tu trouves enfin le courage de poser tes questions et elles n’ont rien d’agréable. Elle n’y répondra peut-être pas car si c’est bien ce à quoi tu penses, cela doit être difficile d’en parler avec un pur inconnu même si, désormais, tu partages sa peine. Son dégoût. Pourtant, tu ne veux pas t’appesantir sur l’acte qui aurait pu se produire car tu sais que plus tu le feras, plus le sentiment de dégoût se propagera et il est hors de question que tu vives une vie où le sexe te donnera envie de vomir ou de te replier sur toi-même. Toi, Billie, tu es un charmeur. Ta séduction est ton identité, que feras-tu sans cela ? Il ne restera plus que le jeune homme frêle et incisif qui se met les gens à dos pour rien. Non, tu ne veux pas tirer un trait sur les aventures, les flirts et les sentiments juste parce que deux gros porcs ont trouvé malin de s’en prendre à toi pour une histoire d’alcool. Ils ne doivent pas gagner cette bataille.
« Mmh, pas vraiment… Je n’ai jamais eu à me poser la question de si oui ou non je serais en mesure de leur raconter une telle chose. Il faut que j’y réfléchisse. » La confiance est le mot-clé et malheureusement, la tienne ne s’accorde pas si facilement. Tu es même particulièrement méthodique lorsqu’il s’agit de faire entrer une personne dans ton cercle d’amis proches. Et même quand elle réussit les nombreux tests que tu lui infliges, il y a un nombre de choses incalculables que tu ne racontes pas. Par exemple, ton passé reste tabou auprès de tous tes amis, sans exception. Certains en connaissent les grandes lignes mais jamais les détails car c’est quelque chose que tu veux garder pour toi. C’est ta souffrance, ta croix à porter et à personne d’autre. Est-ce que cette soirée en fera partie ? Bien sûr que tu aimerais tester la théorie du « j’en parle pour me soulager » mais cet exercice te semble compliqué à mettre en place dans les faits. Voilà pourquoi elle demande réflexion. Il faut que tu sois attentif à la personne qui entendra ce que tu as à raconter car elle pourrait aisément s’en servir contre toi. Tu doutes qu’une tentative de viol soit sujet aux moqueries mais elle peut l’être à la pitié et à la condescendance. Hors de question que tu deviennes Billie, le petit garçon qui se fait attaquer par les grands messieurs ! Et puis, tu le sais, certains mettront cela sur le compte de ton comportement et leur trouveront des excuses parce que c’est bien connu que tu es une tête de mule, une langue de vipère et un p’tit con. C’est la surface qui compte pour eux, l’apparence…
Elle te donne la confirmation que rien n’est jamais allé jusqu’au bout, qu’elle a évité le plus grave à chaque fois. C’est presque un soulagement mais beaucoup de questions restent en suspens. En même temps, as-tu réellement envie de connaître la vérité qui se cache derrière une telle agression ? Est-ce que cela t’aidera à te sentir mieux que de savoir que tu y as échappé, toi aussi ? Que tu es un rescapé ? Un chanceux ? Chanceux… Comment peut-on s’attribuer cet adjectif quand il n’y a aucune chance à subir une telle attaque ? Tu prends une gorgée de ton coca, toujours aussi silencieux. Tes pensées sont de plus en plus abruptes et chaotiques au fur et à mesure que Cassie te parle. Elle rajoute du grain au moulin. La question de porter plainte ou non apparaît sur la table, c’est toi qui l’y as fait venir. La vérité étant que tu ne sais vraiment pas quelle décision prendre à ce sujet. Tu ne veux pas que cette affaire existe plus longtemps mais en même temps, pourquoi devraient-ils s’en sortir aussi impunément ? Comme s’ils n’avaient pas démoli une partie de toi ? De ta confiance ? Elle te propose son aide, son soutien et rien qu’à cela il est facile de comprendre que c’est une bonne personne qui se tient devant toi. Quelqu’un d’altruiste qui pense aux autres, à leurs sentiments. Tu ne peux pas en dire autant de toi-même malheureusement mais elle ne s’en doute probablement pas. Elle pense peut-être que tu es comme elle.
« Mais est-ce que ça servirait réellement à quelque chose ? » Ton cynisme fait surface comme un boulet de canon et on voit ton vrai visage. Celui de l’homme blessé par la vie, par les autres. Ce n’est pas la première qu’on abuse de tes faiblesses pour te dominer, tes parents s’y sont essayés « en pensant bien faire » mais le résultat reste le même. Ces hommes ont fait la même chose. Même si tu te présentes au poste avec des témoins et un croquis précis de tes agresseurs, où est-ce que cela mènera-t-il ? Tu le sais : nulle part. S’il y avait une justice, ça se saurait. Et puis, tu ne veux pas attirer l’attention sur toi. N’étant ni tout à fait moldu ni tout à fait sorcier, ta simple existence est de l’ordre du chaos.
« Je n’attaque pas tes amis qui sont probablement bons et honnêtes dans ce qu’ils font. Mais j’ai du mal à me dire que porter plainte résoudra ce que je ressens. Il y a tant de plaintes pour si peu d’actions… Pourquoi serais-je différent des autres ? Est-ce que tu as pu avoir une conclusion satisfaisante à chacune de tes… histoires ? »
Passer sa fin de soirée à aider un jeune homme qui avait échappé de justesse au viol pourrait en rebuter plus d’un. Pour Cassie ? La jeune femme était ravie. Non pas que Billie se soit retrouvé dans pareille posture, elle aurait plutôt apprécié faire sa connaissance d’une autre façon, mais bien de pouvoir apporter son aide d’une façon ou d’une autre. Elle toujours victime, toujours secourue par plus fort (en même temps pas bien compliqué quand on mesure un mètre cinquante cinq…) voilà qu’elle endossait le rôle de chevalier sur son cheval blanc. Bon, heureusement que son ami flic avait été là pour la seconder sinon elle n’aurait pas donné cher de son sort face aux deux grands gaillards qui s’en prenaient à Billie dans cette allée. A présent c’était de son domaine dont il était question. C’était à elle de prendre les commandes et faire ce pour quoi elle avait été originellement formée à l’université : accompagner son prochain dans l’expression d’un trauma. Hors de question de faire une séance de psychanalyse à Billie en plein milieu d’un bar bondé de Londres. Son but était tout autre. Apporter une oreille attentive, compatissante mais surtout évoquer son propre vécu. Il était important pour elle de lui montrer qu’outre l’horreur de la situation, cela ne devait pas modifier sa façon d’être. Combien de victimes en arrivaient à se blâmer, à vivre dans la peur constante d’une nouvelle agression ou pire, sombraient dans une dépression dont il devenait compliqué de les extirper. Cassie ne voulait pas ça pour Billie. Elle ne voulait ça pour personne à vrai dire.
Constater la façon que le jeune homme avait de se replier sur lui-même, son utilisation du cynisme et les doutes apparents qu’il renvoyait… Ça n’était pas bon signe. Il allait ne plus être vraiment lui-même pendant quelques temps mais Cassie voulait être là pour lui s’il en éprouvait le besoin. Elle tenta donc de lui expliquer l’importance de parler et les pouvoirs salvateurs qu’une simple conversation pouvaient revêtir. Pas toujours simple à faire comprendre quand certains préféraient se murer dans le silence par honte, fierté ou tout simplement douleur. Ce fut les deux premiers qui lui vinrent en tête quand Billie évoqua le fait qu’il avait des doutes concernant les amis à qui en parler. En dépit du fait que son coeur se serra douloureusement dans sa poitrine, la jeune femme préféra répondre avec tout le détachement dont elle était capable à l’instant présent (à savoir pas des masses donc). « Tes amis ou quelqu’un d’extérieur si tu préfères… L’important à mon sens est d’en parler. » Elle marqua un bref temps d’arrêt avant de reprendre pour insister à nouveau sur un point. « Bien sûr c’est à faire à ton rythme et seulement quand tu te sentiras prêt. » Autre facteur qui pouvait en brusquer plus d’un !
Si Cassie avait décidé de ne pas s’orienter vers la pratique de la psychologie en tant que thérapie mais plus d’un point de vue criminel, c’était bel et bien pour toutes ces agressions restées impunies qu’elle avait subies. Elle souhaitait faire bouger les choses et offrir un monde meilleur en participant aux arrestations de criminels notoires. Ça n’était pas grand chose mais si ça pouvait aider… Ce soir elle ne contribuait pas à arrêter ceux qui avaient agressé Billie mais elle l’aidait lui en partageant son expérience. Le jeune homme avait probablement besoin d’être rassuré. Savoir qu’elle avait vécu la même chose, qu’elle avait été à sa place et se tenait toujours là, souriante, devait faire son petit effet. Du moins elle l’espérait. L’analyste préféra donc garder le silence quand il exprima ses doutes quand à l’utilité de porter plainte. Des freins auxquels elle faisait face tous les jours. Il lui arrivait parfois d’intervenir auprès de victimes pour tenter de les convaincre de parler et livrer leur version des faits. Une posture pas simple mais nécessaire pour faire bouger les choses. « Concrètement, porter plainte ne t’aidera pas à aller mieux. Je préfère être directe avec toi sur ce point. Si on parvient à mettre la main sur eux par différents moyens, savoir qu’ils vont être condamnés n’atténuera pas ce que tu peux ressentir. Du moins pas si tu fais un travail sur toi au préalable. » Cassie reprenait sa posture très professionnelle. Calme, douce mais honnête, la différence résidait dans le fait qu’elle ne voulait pas le convaincre. Billie aurait tout le loisir de prendre sa décision, son rôle résidait plus dans le fait de lui apporter tous les éléments pour qu’il puisse faire un choix éclairé. « Porter plainte peut te permettre d’être accompagné par un professionnel pour en parler et la procédure peut être rapide. Dans ton cas c’était dans l’espace public et avec des témoins. Ils pourront utiliser les images des caméras de surveillance en plus de divers témoignages. » A l’entendre en parler, il devenait évident que si elle n’était pas de la police, la demoiselle avait l’habitude de travailler avec eux. Depuis le temps, ainsi qu’avec ses nombreux romans qu’elle publiait sous un nom d’auteur, difficile de ne pas se laisser entraîner dans un peu de déformation professionnelle.
« Il existe bien des façons d’obtenir des réponses… » Dit-elle d’un air très évasif avant de plonger ses lèvres dans sa boisson pour en prendre une nouvelle gorgée. Bien que partisane convaincue du monde magique, Cassie savait devoir faire attention dès qu’il était question des sorciers. Par principe elle préférait attendre une confirmation verbale ou limpide de ses suppositions plutôt que d’aborder le sujet. Ce soir, avec Billie, elle avait lâché un peu de lest. Pourquoi ? Impossible de vraiment le savoir ou même le comprendre. Peut-être lui était-il si sympathique qu’elle voulait à tout prix l’aider ? Ou bien était-elle simplement trop fatiguée pour posséder encore ce filtre qui l’empêchait d’évoquer la question avec n’importe qui. Sa phrase avait bien un seul avantage : elle était si vague qu’il pouvait y comprendre absolument tout et n’importe quoi. De quoi la tirer d’affaire sur ce coup-ci. Au pire elle ferait celle qui est offusquée qu’il ait pu penser à de la magie s’il était férocement opposé à cette dernière. Comme pour rediriger l’attention sur autre chose que sa malheureuse phrase, Cassie répondit enfin à sa dernière question. « Pour la seule agression « grave » que j’ai subie, je n’ai pas eu à porter plainte. J’ai simplement fait une déposition… Ce qui n’en reste pas moins effrayant qu’importe l’âge qu’on a. » Dit-elle en accompagnant ses propos d’un maigre sourire pour dédramatiser la situation. Ses mots étaient lourds et évocateurs de malheur mais il était important pour elle de lui montrer qu’aujourd’hui, malgré tout ça, elle allait bien. « Ça va te paraître d’une banalité affligeante ce que je vais dire mais… Il ne tient qu’à toi de décider d’en faire une force. C’est clairement une épreuve lourde dont on se passerait bien mais si tu peux la tourner à ton avantage ça te rendra encore plus résilient. » Ça n’était pas la révélation du siècle mais si à l’époque on lui avait dit qu’elle pourrait s’en servir pour se construire une épaisse carapace de positivisme, peut-être que le processus aurait été moins douloureux. Plutôt que de lutter contre le passé, contre ce qui était, pourquoi ne pas se concentrer sur le présent et le futur. Impossible de changer ce qui est arrivé, autant à la place construire son avenir et ne pas se laisser définir par les événements.
Parler. D’ordinaire, ce n’est pas un acte qui te demande beaucoup d’effort. Parler t’aide à trouver ta place dans la société et à prendre le dessus sur ceux qui cherchent à te dominer. Parler te donne autant de pouvoir qu’il ne t’inflige des dommages et il faudrait que tu sois sot pour ne pas t’en rendre compte. Mais parler, ce soir, est difficile. Te dire que tu devras raconter tout ce qui s’est produit à une personne extérieure à ta vie encore plus. Tu n’imagines même pas la scène tant elle te paraît inconcevable. Et pourtant, c’est vers cela que tendent les conseils de Cassie. Elle se fait même assez insistante sur le sujet et tu ne remets pas en cause sa vérité selon laquelle exprimer ses émotions peut avoir des effets réparateurs sur l’esprit. Tu te demandes juste si cette technique serait vraiment efficace sur toi… toi qui parle beaucoup mais jamais de ce qui se passe à l’intérieur de ton corps. Si tu souhaites porter plainte, il faudra forcément que tu passes outre ces habitudes et que tu dises à haute voix ce qui s’est produit. Devant des gens qui ne te connaissent pas et risquent de te juger. De ne pas comprendre. Peut-être même remettront-ils la faute sur toi, comme d’autres l’ont déjà fait avant eux. Tu as l’habitude d’être blâmé pour les torts qu’on te fait subir et en règle générale, tu te ranges de leur côté. Le fait que tu sois incapable de tenir ta langue de vipère fait en sorte qu’il t’est difficile de ne pas leur donner raison. Oui, il arrive que tu mérites qu’on t’en mette une car tes mots ont été trop durs et volontairement mesquins. Cependant, dans cette situation, tu cherches à quel moment il s’avère que tu mérites ce qui t’est arrivé. Le point de vue de Cassie sur le sujet t’éclaire un peu mieux même s’il ne te rassure pas. Elle ne fait que confirmer ce que tu soupçonnais déjà : porter plainte ne te soulagera jamais de ce poids et il y a de fortes chances que cela ne mène nulle part. Pire encore, ils pourraient s’en prendre encore plus à toi à cause de cela. Te retrouver et te faire la peau, quelle justice y a-t-il là-dedans ? Étant donné qu’ils n’ont même pas commis l’acte et que des violeurs n’écopent que de peines minimes, ne recevront-ils pas qu’une tape sur les doigts et une recommandation de « ne pas recommencer » ? Le système est mauvais. Non, le système craint et tu n’as pas confiance en lui. Cassie, au contraire, semble persuadée qu’une sanction peut être mise en place et que vous possédez les preuves et donc les moyens nécessaires pour procéder à une arrestation. Elle s’y connaît probablement mieux que toi étant donné ses connexions avec des membres des forces de l’ordre moldues (si tu as bien compris) mais malgré cette – presque – évidence, tu ne parviens pas à adopter la même vision qu’elle. Tu veux mettre cela sur le compte du traumatisme que tu viens de subir et dont tu accuses les contrecoups, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Tu te leurrerais. La vérité est que, malgré le fait que tu aies choisi un cursus en Protection Magique et que tu veuilles servir la Justice, tu n’as aucune foi en elle. Pernicieuse, inégale, douloureuse… voilà comment elle t’apparaît au quotidien. Tu redresses la tête à la réflexion de la jeune femme et fronces les sourcils à son attention. Qu’entend-elle par-là ?
« Je ne suis pas sûr que la torture soit autorisée dans ce genre de cas, non ? Ou un sérum de vérité, s’il en existe de tels… Comme l’alcool. » Tu te rattrapes aux branches comme tu le peux. C’était moins une. Le veritaserum est usité dans la communauté sorcière mais tu doutes que ce soit le cas chez les moldus. À part, peut-être, par le Blood Circle s’il parvient à mettre la main dessus. Mais tu te demandes ce qu’elle a voulu entendre par ces mots et si, en fin de compte, tu n’aurais pas simplement compris son sous-entendu. Il est possible que devant toi se tienne une sorcière bien dissimulée. Se doute-t-elle de quelque chose à ton sujet ? Peu importe en fin de compte la génétique de la personne qui se tient en face de toi. Tu ne fais confiance à aucune des deux espèces… Chacun a ses travers et use des mêmes fourberies que l’autre pour parvenir à ses fins. Il n’y a pas de « bon camp »… Tu bois une gorgée de ton coca dont le goût est sensiblement différent maintenant que tu es un poil plus à l’aise dans cette conversation. Pas totalement bien sûr mais tu ressers déjà bien moins ta veste contre toi en guise de protection. Les mots de Cassie ne peuvent pas tous t’atteindre mais la douceur de son ton fait particulièrement effet sur ton esprit torturé et en pleine ébullition.
« C’est ce que tu as fait, toi ? Tu es devenue plus résiliente en faisant de ces épreuves une… force ? Et une force de quoi ? Dans quels aspects de la vie cette expérience peut-elle représenter un atout ? » Et ta question est plus que sérieuse. Il n’existe aucune animosité dans ton ton, juste de l’interrogation sincère. Il est rare que tu sois aussi disposé à écouter les conseils d’une parfaite inconnue mais le comportement de la jeune femme depuis le début t’aide à passer outre ta méfiance habituelle. Bien sûr, tu es loin de lui faire confiance mais au moins, tu acceptes de l’écouter. Ce qui semble banal pour d’autres ne l’est pas pour toi. Elle ne doit probablement pas le deviner car ce n’est pas écrit sur ton visage, mais tu es plutôt résilient comme garçon à la base. Tu es passé outre le fait qu’on t’ait enfermé dix années dans un appartement, sans espoir de sortie, juste parce que tu étais considéré comme « différent et dangereux ». Et une fois cette époque passée, tu as dû affronter la haine des uns et des autres, cette incompréhension qui certes, t’a forgé mais dont tu as dû supporter chaque épine plantée dans ta peau. Il n’y a pas si longtemps que ça, on t’a jeté dans un lac sans fond alors que tu ne sais même pas nager et tu es pourtant passé outre cet incident. Enfin ça, c’est ce que tu veux bien te raconter bien évidemment… Tu t’imagines résilient après tout ceci. Tu n’as presque pas de doute sur le fait de l’être. Tu continueras de mener ta vie quoi qu’il en soit, mais que faire de toute cette rage, cette colère, cette incompréhension qui te rongent de l’intérieur chaque jour un peu plus ? Tu avales chaque couleuvre et passes à la suivante comme si c’étaient des bonbons mais viendra un jour où tu seras forcé de vomir toute cette résilience. Où en faire une force ne sera plus suffisant. Tu as beau paraître et être adorable, il existe une noirceur en toi que tu n’ignores pas.
« Et qu’advient-il de ceux qui ne parviennent pas à en faire une force ? Parce que ça doit forcément se produire. »
Après avoir regardé autour d’elle et en se basant uniquement sur l’image que lui renvoyait la foule présente dans ce bar, Cassie se disait qu’au final elle était la plus à même de pouvoir aider Billie. Non seulement à être intervenue dans l’allée mais à discuter avec lui à présent pour tenter de désamorcer la situation et le bordel mental qui devait être en train de se dérouler en lui. L’entièreté de la clientèle du bar semblait si alcoolisée et euphorique que sa discussion avec Billie relèverait du défi dans leur état. C’était bien mieux comme ça, oui. Une constatation renforcée en voyant le jeune homme progressivement se détendre face à lui. Il parle, ce qui est une chose ÉNORME pour Cassie, plus habituée à se confronter à des victimes enfermées dans un mutisme dévastateur. Il pose des questions, toutes plus pertinentes et encourageantes les unes que les autres. Au fond d’elle, Cassie sent la volonté du jeune inconnu de tendre vers une guérison. Il ne veut pas se laisser définir par ce qui est arrivé, il veut aller de l’avant. Peut-être se fourvoie-t-elle complètement mais c’est ce qu’elle perçoit, ce que Billie lui renvoie qu’il le veuille ou non.
Toutefois, si Billie lui renvoie l’image de quelqu’un qui veut tout faire pour aller mieux, passer outre cette agression et son trauma, Cassie n’est pas dupe. Elle décèle ses doutes mais sait surtout parfaitement que ça n’est pas si simple. Les pièges sont multiples, les retours en arrière nombreux et les illusions dévastatrices. Ce fut pour toutes ces raisons qu’elle préféra se montrer entièrement honnête avec lui. Non, porter plainte n’allait pas magiquement le faire se sentir mieux. Même si cela se soldait par une sanction qu’on pouvait juger dérisoire en comparaison avec le trauma causé à vie, les avantages se comptaient surtout d’un point de vue reconnaissance des faits et accompagnement. Une compensation bien souvent jugée dérisoire à côté de la souffrance occasionnée. Bien qu’elle savait les limites auxquelles faisaient face ses collègues sorciers, Cassie ne pouvait s’empêcher de dire que leurs méthodes étaient plus efficaces. Oublier l’incident d’un simple sort, traquer par la magie les agresseurs et leur infliger un sortilège qui les tiendraient éloignés de la victime… Raison pour laquelle elle ne put s’empêcher d’y faire référence de façon complètement détournée sans pour autant que cela soit évident. Mieux valait assurer ses arrières en ce moment. Ainsi aux propos de Billie, la jeune demoiselle ne put s’empêcher de tiquer à l’évocation du mot « sérum de vérité », elle savait de source sûre que pareille potion existait. Était-ce là un pur hasard ? Billie était-il sorcier ? Lui faisait-il passer un message en ayant perçu son sous-entendus ? Impossible de le savoir de façon certaine. Mieux valait rester prudente encore pour l’instant. « Non effectivement, c’est pas vraiment recommandé même. » Dit-elle simplement mais non sans avec un petit rire amusé avant de reprendre. « Je pense pas non plus que l’alcool serait un bon sérum de vérité… Il nous faudrait plutôt des pouvoirs pour que cela puisse faire de l’effet à mon sens. » Une nouvelle phrase « banale » pour un moldu comme elle mais qui pourrait faire tiquer le sorcier, si c’était ce que Billie était.
Plutôt que de s’attarder là-dessus, Cassie préféra enchaîner pour évoquer son cas à elle. Celui de son agression notamment et l’issue fatale que connue l’affaire. Difficile de traîner en justice l’agresseur quand celui est décédé littéralement sur le corps de sa victime des mains de son propre fils. Bonjour le trauma. Un aveu à demis-mots, rien de trop explicite, suffisamment clair pour qu’il comprenne ce qui avait pu se passer mais pas assez pour le préserver de toutes informations qui auraient pu le perturber. Il ne fallait pas oublier qu’il venait de vivre un événement traumatique, Cassie ne voulait pas en rajouter une couche. Tout en prélevant une nouvelle gorgée de son panaché, elle écouta ses nombreuses questions, bien consciente de la préoccupation que cela pouvait constituer pour lui. Il faut dire que discuter de pareil événement avec quelqu’un ayant vécu la même chose ça ne courait pas les rues. Après un bref silence, Cassie reprit la parole après un léger soupir destiné, une fois de plus, à se donner contenance et courage pour évoquer son passé troublé. « Outre les différentes formes d’agressions que j’ai subies, je n’ai pas eu une enfance et adolescence facile… C’était un peu comme si le sort s’acharnait sur moi, tu vois ? Malgré tout, je dirais que grâce à tout ce que j’ai vécu, grâce aux agressions, au harcèlement, à l’abandon et au rejet, grâce à toute cette malchance, je suis devenue moi. J’ai refusé de me laisser abattre, j’ai décidé que si je voulais une chose j’allais tout faire pour l’obtenir et ne jamais baisser les bras. J’ai gagné en force de caractère, positivité et résilience. » D’orpheline, ballottée de foyers en foyers, raillée de ses camarades et semblables, Cassie s’était muée en jeune femme brillante, forte, écrivaine à succès en plus d’analyste reconnue et émérite. Elle avait de quoi être fière. « Bien évidemment il m’arrive toujours de me faire embêter ou harceler… Pourtant j’ose plus m’affirmer maintenant. J’ai décidé de voir le positif dans les autres mais en même temps je sais ce que je veux et je fais le travail nécessaire pour ne plus me faire marcher sur les pieds. » Contrebalança-t-elle. Elle pouvait aisément parler de sa relation toxique avec Zadkiel qui avait duré bien trop longtemps, de son incapacité à dire « non » de façon claire à moins qu’on la pousse dans ses derniers retranchements et de cette gifle qu’elle s’était prise justement car elle n’arrivait pas à repousser les avances d’un homme de peur de froisser mais surtout de provoquer sa colère. Ça n’était pas parfait. Voilà le message qu’elle voulait lui faire passer. La dernière question formulée par Billie plongea Cassie dans un nouveau silence. Un peu plus renfermée sur elle-même, la jeune femme prit une longue gorgée avant de reposer son verre sur la table, brisant le silence avec douceur sans pour autant tout de suite relever ses prunelles émeraudes vers le jeune homme. « Il n’y a pas deux scénarios pré-définis mais malheureusement je vois tous les jours dans mon métier des personnes qui vivent dans la peur, dans la colère constante. Des gens qui tentent tant bien que mal de contrôler leurs émotions plutôt que de les accepter et finissent par exploser, blessant ceux qui les entourent en plus d’eux-mêmes. » Les suicides. Les meurtres. Les crises dépressives intenses. Les internements en hôpital psychiatrique. Autant d’échecs, de crèves coeurs avec lesquels elle devait vivre au quotidien, tentant de s’auto-convaincre qu’elle avait fait tout pour les aider. Un nouveau soupir plus profond s’extirpa d’entre ses lippes avant qu’elle ne relève enfin la tête vers lui pour capter son regard. A la vision de Billie face à elle, Cassie ne put s’empêcher de lui adresser un sourire d’une douceur infinie. Non pas car il lui faisait de la peine mais bien car elle se reconnaissait en lui et souhaitait lui apporter tout son soutien. Elle ne voulait qu’une seule chose : qu’il puisse aller mieux et passer outre un jour. « Voilà pourquoi il me semble important de ne pas se murer dans le silence, d’extérioriser tes sentiments. Qu’importe la solution que tu retiendras au final, l’essentiel c’est de ne pas tout garder à l’intérieur. »
« Cela rendrait tout bien plus facile, n’est-ce pas ? » La question est rhétorique. Tu penses désormais savoir qui se trouve en face de toi et au comportement qu’elle a eu envers toi, tu doutes que ce soit une Mangemort. On en voit rarement d’aussi prévenants envers des moldus. À moins que d’un simple regard, elle n’ait deviné ton appartenance ? Tu en doutes. Le mystère plane au-dessus de vous, aucun ne formulant à voix haute la question que vous voulez tant poser : es-tu un.e sorcièr.e ? Tu plonges ton regard dans celui de Cassie à la recherche d’une réponse qui se ferait muette. Elle devra attendre et tu te contentes de l’idée que tu te fais d’elle. Elle n’est pas désagréable, somme toute.
Il n’y a pas besoin d’être un devin pour sentir qu’elle parle par expérience. Tu devrais t’inspirer de son vécu pour continuer ta vie la tête haute mais ce n’est pas un comportement donné à tout le monde. Ta personnalité en a pris un coup, c’est certain et tu ne peux pas nier que tu auras du mal à oublier. Tu ne comprends qu’à moitié les allusions que Cassie te fait et en fin de compte, tu n’as pas besoin de saisir tous ses malheurs pour voir en elle une version de toi du futur. Enfin, en quelque sorte, car tu n’as jamais été une personne réellement positive et tu ne penses pas pouvoir le devenir un jour. Cela ne t’intéresse pas. Voir le bon chez les autres s’apparente, à tes yeux, à de la naïveté. Il ne faut jamais oublier le mal qui l’accompagne car il n’existe pas de lumière sans ombre, ni d’ombre sans lumière. Tu ne peux pas fermer les yeux sur cette partie de l’humanité, qu’elle soit sorcière ou moldue. Voir le bon, oui pourquoi pas, mais ne surtout pas oublier le mauvais car il peut vous sauter à la gorge sans crier gare, au moment où vous êtes le plus vulnérable. Cassie n’est pas la première que tu rencontres qui prêche cette vision des choses. Tu ne vois pas ça comme un défaut pour autant : il faut des personnes comme elles pour relever des personnes comme toi, qui voyez le mal partout où vous allez et qui avez tendance à vous concentrer dessus, si ce n’est exacerber sa présence. Tu n’iras jamais lui dire qu’elle a complètement tort mais tu ne peux pas faire comme si tu adhérais à ses propos. Ils te paraissent beaux, presque un peu trop. Tu te tais pendant que Cassie parle, par respect et parce que tu as furieusement envie d’entendre ce qu’elle a à te dire. Il s’avère que, bien que vous ayez eu des enfances différentes, vous avez chacun subit des traumatismes à votre manière. Cependant, vous ne les avez pas gérés de la même façon. La positivité ne fait pas toujours partie de ton quotidien, même si tu t’efforces de ne pas t’appesantir sur ce qui ne va pas dans ta vie et les obstacles qui se dressent devant toi. Tu es combattif, tu veux que les choses fonctionnent et tu as un mental qui va avec cette volonté. Cela t’aidera dans cette situation, tu en es persuadé. Il te faudra du temps mais tu accepteras ton passé et tu iras de l’avant. Mais contrairement à Cassie (ou l’image que tu t’en fais), il est fort possible que tu passes le reste de ta vie sur tes gardes. Tu n’as pas été assez prudent ce soir et en voici le résultat. Plus jamais on ne t’y prendra !
« C’est assez drôle… Sans avoir le même passé, il y a comme des… concordances entre ce que tu dis et la façon dont je vois ma vie en règle générale. ‘Le sort qui s’acharne’, c’est tout à fait ça. J’admets que parfois, c’est moi qui fous la merde pour, peut-être, faire en sorte que le sort s’acharne un peu plus sur moi. Mais il y a des jours comme aujourd’hui où je n’y suis vraiment pour rien. Je n’ai rien demandé et pourtant, ça m’arrive. J’imagine qu’il est inutile de se demander pourquoi étant donné que ce n’est pas quelque chose que l’on peut contrôler… » Tu n’obtiendras jamais de réponse à cette question alors pourquoi te la poser ? Well, cela ne t’empêche pas de le faire quoiqu’il en soit. Tu es prêt à reconnaître ta responsabilité dans certains éléments de ta vie qui ne vont pas parce que tu as la langue trop pendue ou que tu as tendance à te montrer manipulateur avec tes camarades. Mais tu n'étais rien de tout cela à ton arrivée à Poudlard et encore moins à ta naissance et pourtant, déjà là, le sort s’est décidé à s’acharner sur toi. Oh qu’on ne s’y trompe pas, tu as bien conscience de n’être qu’un parmi tant d’autres à souffrir de la sorte ! Cassie est là pour le confirmer. C’est tout de même pas de bol, quand on y pense. Tu aurais préféré ne pas être de ce côté de la ligne. Et comme elle le dit si bien elle-même : il faut accepter. Les sentiments – surtout la colère, la fatalité du passé, les remords et les regrets qui peuvent l’accompagner… Sauf que tu doutes que tout le monde soit comme ça et surtout, tu ne penses pas faire partie de ceux qui fonctionnent de cette manière. Non, tu en es même certain. Il te suffit d’entendre Cassie pour le comprendre pleinement. Extérioriser ses émotions, les communiquer, les évacuer de ton système pour te sentir mieux… Ce n’est pas toi.
« Pour ça, je pense que c’est un peu trop tard. C’est déjà mon mode de fonctionnement initial, tu vois… Il y a des moments où c’est comme ça, on est obligé de tout garder pour soi. » Tu repenses à ces dix années enfermé chez toi. À part tes peluches et tes jouets, tu n’avais personne à qui parler. Tu ne pouvais pas exprimer ces sentiments à tes parents puisqu’ils étaient à l’origine de ceux-ci. Ils n’auraient pas compris ta colère et ta peur de ne pas voir le jour, de ne pas être comme les autres. C’est devenu une habitude, avec le temps, surtout depuis ton entrée à l’école des sorciers. Tu as atterri dans un monde totalement surréel, où rien n’a de sens et il a fallu que tu t’adaptes là où ceux de ton âge étaient déjà en pleine possession de leurs moyens. Bien sûr que tu es devenu un paria, une chose étrange. Un né-moldu chez les Serpents, qu’y a-t-il de plus improbable ? Il t’a fallu des mois pour comprendre pourquoi tu t’étais retrouvé chez eux. Aujourd’hui, tout fait sens bien sûr mais ce n'est pas pour autant que tu oublies toutes ces années à refouler la moindre de tes émotions pour ne montrer qu’une façade parfaite pour la défense mais, surtout, pour l’attaque. Mordre avant d’être mordu, manger avant d’être mangé : voilà comment tu agis au quotidien. Il n’y a pas de place pour l’hésitation et pourtant, ce soir… tu as hésité. Tu n’as pas agi, tu n’as ni mordu ni mangé. Pourquoi ? Tu aurais dû… et ça ne te sort pas de la tête. Tu n’auras jamais de réponse à cette question alors ça ne risque pas de s’en aller de sitôt !
Ça semblait assez surréaliste. Non seulement elle venait à la rescousse d’un jeune homme qui avait manqué de se faire agresser sexuellement sans son intervention mais maintenant elle allait jusqu’à évoquer la magie ?! Il devait y avoir un alignement de planètes notables ce soir pour que Cassie ose enfin sortir de sa carapace et se mette ainsi en danger. En raison de son travail en collaboration étroite avec les forces de l’ordre, elle avait déjà été témoin de ce que la folie ambiante pouvait générer comme dérives. Agresser gratuitement un autre concitoyen car on le soupçonne d’être un sorcier ou une sorcière… On en était revenu aux temps anciens des procès de l’inquisition avec le bûcher. Si en temps normal la jeune femme préférait faire attention, étant elle-même dépourvue de pouvoirs magiques, Billie soulevait bien des questions. Ainsi, sa question rhétorique ne faisait qu’un peu plus attiser sa curiosité, épaississant par la même le mystère qui planait autour du jeune homme. « J’imagine, oui… » Dit-elle sans être capable d’empêcher un léger sourire amusé se dessiner au coin de ses lippes. Si Cassie n’était pas sorcière, du moins pas qu’elle le sache (LOL), elle avait bien vu la facilité qu’apportait les sortilèges, potions et autres bénéfices de la magie. Son frère adoptif Jamie avait été le parfait exemple pour l’introduire à ce monde merveilleux bien avant que le secret sorcier ne soit révélé. Depuis, l’implication de Cassie dans cet univers, sa volonté de rejoindre l’Ordre du Phénix, d’apporter son aide à certaines investigations et plus simplement de participer à instaurer un climat de pays entre moldus et sorciers, se prémunir du danger était devenu une de ses principales préoccupations.
Une brève lueur de légèreté, de douceur à l’idée que Billie puisse être un sorcier, à la pensée de Jamie également avant que la noirceur ne les rattrape. Cela faisait plusieurs mois qu’elle s’était interdit de penser à lui. Principalement car l’image mentale de son frère adoptif la déprimait. Le temps avait eu beau passer depuis son décès, son absence n’en était pas devenue plus supportable pour autant. Entre ça, sa récente rupture avec Zadkiel qui possédait toujours une forte emprise psychologique sur elle et tous les autres petits tracas du quotidien, Cassie avait suffisamment de pain sur sa planche pour ne pas vouloir en rajouter un peu plus. Autant volontairement éluder certaines choses, quitte à se voiler la face. En revanche, s’il y avait bien une sombre réalité qu’elle ne pouvait pas ignorer c’était celle de Billie. Impossible pour la jeune femme de ne pas lui venir en aide alors qu’elle avait connu de nombreux traumas similaires au sien. Tant bien que mal, Cassie tenta alors de lui partager son expérience, une partie de son histoire et vécu ainsi que les enseignements qu’elle en avait tirés pour tenter de lui être utile. Quelque part, elle le savait, elle s’en doutait pour être passée par là elle aussi : tous ces conseils qu’elle s’évertuait à lui donner, Billie n’allait pas vraiment les suivre. Il y avait même de fortes chances pour qu’il soit contre, comme elle l’avait été elle-même à l’époque. S’il ne disait rien, n’opposait pas de résistances visibles et semblait même se détendre, le blocage viendrait probablement par la suite.
Peinée de découvrir le mode de fonctionnement qu’il lui décrivait et disait être le sien, Cassie ne pouvait pas affirmer être surprise. Non pas car il dégageait cette attitude en particulier mais plutôt car sa réponse à des traumas du passé semblaient typiquement masculines. Provoquer ouvertement pour justifier son mal-être et malheur. Un grand « classique » en psychologie qu’elle observait parfois chez certains jeunes témoignant contre leurs agresseurs au commissariat. Billie aurait facilement pu être l’un d’entre eux, sortant des remarques cinglantes aux enquêteurs juste pour leur prouver qu’il ne méritait pas toute l’attention qu’on lui donnait, qu’il méritait ce qui lui était arrivé. Une théorie à laquelle Cassie refusait de croire. Probablement car elle voyait le biais cognitif derrière pareil comportement auto-destructeur et complètement borderline. « Je pense aussi que se demander « Pourquoi ça m’arrive à moi ? » n’est pas la bonne démarche. On ne peut pas contrôler les autres, leurs attitudes et réactions alors même si tu dis « chercher la merde » pour que le sort continue de s’acharner, tu ne mérites pas pour autant qu’on déverse de la colère sur toi. Quand bien même tu provoques les autres, leurs réactions leur appartiennent. Tu en es peut-être le déclencheur et la raison pour laquelle tu vas vers le conflit est un sujet à part mais c’est eux qui décident de céder à leurs émotions négatives. » D’une certaine façon elle se doutait que ses propos serraient balayés d’un revers de main, après tout c’était presque tout le temps le cas dès qu’elle commençait à s’exprimer sur les comportements humains. Cassie avait l’habitude qu’on ne l’écoute pas, qu’on juge ses propos utopistes et parfois même naïfs. Si à une époque cela l’avait blessée, elle s’était faite une raison à présent. « Désolée… Je ne veux pas me positionner en donneuse de leçons. Déformation professionnelle, j’image. » Lâcha-t-elle finalement avec un petit sourire quelque peu fatigué mais dans lequel on pouvait sentir sa gêne avant de noyer le tout dans la dernière gorgée de son panaché.
Ainsi, quand Billie montra sa réticence à l’idée de pouvoir changer, Cassie ne broncha pas. Après tout, elle ne connaissait pas le jeune homme et avait elle-même expérimenté ce marasme dans lequel on peut vite se complaire d’une situation mais surtout d’un comportement avant d’en déceler sa toxicité. La jeune femme laissa quelques secondes s’écouler, son regard s’étant porté sur le fond de son verre vide, de plus en plus perdue dans ses propres pensées et souvenir douloureux. Finalement, un soupir souleva ses épaules avant qu’elle ne pose ses prunelles sur Billie. « Je te comprends… » Dit-elle comme dans un souffle. « Parfois ça semble être la solution la plus adaptée pour se protéger des autres surtout si tu ne leur fais pas confiance. Cela dit, je ne pense pas que nos fonctionnements soient figés. Tu peux, si tu le décides, modifier ta façon de faire. A condition de le vouloir et car cette dernière te fait souffrir, bien évidemment. » C’était bien là le plus dur : déceler qu’un comportement familier, avec lequel on évoluait depuis des décennies, était en réalité néfaste pour nous. Pas toujours simple de s’en rendre compte et encore moins d’amorcer le moindre changement. C’est bien connu, le cerveau humain n’aime pas le changement et encore moins pour aller vers l’inconnu quand souffrir est plus familier. « Je ne remets pas en question ton mode de fonctionnement, hein. Après tout, si ce dernier te convient c’est mieux ainsi. Ce que j’essaie maladroitement de te dire c’est que parfois, faire une entorse à sa façon de faire habituelle peut être salvateur. » Cassie accompagna ses propos d’un tendre sourire qu’elle voulait le plus compatissant possible. Loin d’elle l’idée de se positionner en tant que sachante quand tout ce qu’elle pouvait faire c’était lui transmettre une expérience et des ressentis. Billie prendrait ce dont il avait besoin et ce qu’il était prêt à entendre pour amorcer le changement en lui. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il ne le prenne pas mal. S’il y avait bien une chose que Cassie redoutait plus que tout, c’était de vexer ou même brusquer les autres.
Tu ressens derrière chaque parole de Cassie la volonté de te montrer un nouveau chemin à emprunter qui pourrait faciliter ton existence. Bon nombre de personnes bien plus avisées que toi se rendraient compte que c’est une opportunité en or à saisir sans perdre une seconde. Seulement, tu es bien trop borné pour imaginer qu’elle puisse avoir les bonnes réponses à tes questions quand toi-même tu as passé les dix dernières années à les faire tourner en boucle dans ta tête, sans succès. Qu’elle sache si bien comprendre la situation dans laquelle tu te trouves est aussi rassurant que dépaysant. Tu n’as pas pour habitude que l’on puisse deviner si vite ce qui se passe dans ta tête et il est vrai que tu es presque déçu de ne pas paraître plus mystérieux à ses yeux. Elle a l’air de savoir des choses sur toi que toi-même tu ignores complètement. N’est-ce pas à la fois dangereux et effrayant ?
Si ses propos ont du sens, tu as par instinct envie de les rejeter pour te complaire dans ta position de victime qui ne comprend pas ce qui lui arrive et qui, pourtant, remet toute la faute de la situation sur elle-même. Il est facile de se blâmer pour les réactions des autres quand, en fin de compte, on n’en est pas responsable. Avec le passé que tu te trimballes, il a toujours été plus facile pour toi de prendre la faute sur tes épaules et décider que si la situation est catastrophique, c’est à cause de ce que tu as fait ou dit. Le fait que tu pousses les autres à bout pour obtenir une réaction est également la preuve que tu as besoin de cet échange, de ce contact… sans quoi tu te sentirais bien seul. Voire abandonné. Une solitude que tu n’es décidément pas prêt à revivre de sitôt. L’idée de se faire molester te semble presque plus attrayante que celle de rester seul dans ton coin, à te morfondre avec tes pensées sombres et tes souvenirs fugaces. Tu te demandes quel âge peut avoir Cassie et ce qui la rend si mature. Bien sûr, tu parais plus juvénile et insouciant à côté de tout le monde ou presque, mais la différence qui s’opère entre vous est flagrante. Il n’y a pas d’autre mot. De sa façon de s’exprimer jusqu’au contenu de ses propos, c’est comme si elle avait eu le temps de réfléchir à la question longtemps avant de t’avoir rencontré. Elle parle alors de déformation professionnelle et tu fronces les sourcils. Bien évidemment, tu te sens obligé de rebondir dessus, ta curiosité prenant le pas sur les malheurs qui viennent de t’arriver. C’est un des bons points de ta personnalité si chaotique.
« Déformation professionnelle ? Tu es quoi, psychologue ou un truc du genre ? » Pour savoir ‘donner des leçons’ comme elle le fait, tu n’imagines pas autre chose. Elle a l’œil, elle t’a consciencieusement écouté afin de te cerner au mieux et de te donner des conseils appropriés… et tu n’as rien vu de tout cela. Tu étais trop aveuglé par tes sentiments pour t’en rendre compte pendant qu’elle, elle se permettait de t’analyser. Tu ne te sens pas intimement violé par cette intrusion, tant qu’elle n’a pas utilisé de la légilimencie pour obtenir quoi que ce soit de toi. Tu ne saurais lui pardonner un tel acte. C’est à ton tour de chercher chez elle des signes de sa personnalité profonde mais tu n’es pas assez doué ni assez alerte (vu les circonstances, on peut te le pardonner) pour obtenir quoi que ce soit des quelques traces qu’elle laisse derrière elle. Des mimiques, des expressions, sa façon de se coiffer, de sourire ou de te regarder… Il y a tant d’indices mais même en les ayant sous les yeux, tu ne parviens pas à les rassembler pour former une personnalité complète ou, du moins, réelle. C’est très frustrant car d’ordinaire, tu es plutôt perspicace. Aurais-tu perdu ce trait de caractère ou n’est-ce que temporaire, dû au choc récent ? La seconde réponse est forcément la bonne. Il le faut.
« Ne t’en fais pas. Je comprends bien que tu ne tentes de me forcer à rien. Tu ne fais que me donner des pistes de réflexions sur ma façon de procéder. Je sais qu’elle n’est pas forcément bonne pour moi autant que pour les autres, mais quand un système est profondément ancré depuis des années, il est difficile de s’en défaire. Pas impossible, mais difficile. Cela ne veut pas dire que je n’y pense pas, que je ne ferai rien contre ça. Oui, le changement fait partie de tout, surtout de nous. Je sais que je vais changer, je ne suis simplement pas certain que ce sera maintenant ou dans un futur très proche. Mais un jour, peut-être. » Oui, il est possible que tu deviennes moins méfiant, plus enclin à accorder ta confiance sans risquer continuellement d’être blessé. Mais n’est-ce pas le lot de tout un chacun ? On ne peut jamais être sûr de la personne qui se trouve en face de nous. Seul le temps permet de dire si, oui ou non, elle mérite sa place à nos côtés. Tu te demandes qui, parmi ton entourage, considère que tu mérites une place conséquente. Pour qui comptes-tu ? Qui te fait réellement confiance ? S’il en existe, seras-tu un jour capable de la rendre ? Trop de questions qui tambourinent les bordes de ta tête, tu as l’impression que l’on te frappe sur la tempe gauche. La gorgée de coca que tu prends est plus grande et te fait un bien fou.
« Tu n’es pas obligé de faire tout ça. Tu aurais tout aussi bien pu m’emmener à l’hôpital et m’y laisser, ou te contenter de me raccompagner chez moi. Qu’est-ce qui te pousse à faire tout ça, hors la…. déformation professionnelle ? » Tu te demandes ce qu’elle retire de cet échange, si tel est réellement le cas. Il n’existe pas d’acte purement altruiste. Même la moindre aide apportée à autrui provoque en nous un sentiment de fierté, de satisfaction ou de bien-être à l’idée d’avoir pu être utile.
Pauvre petite Cassie qui a besoin qu’on la protège. Pauvre petite Cassie trop naïve pour déceler les mauvaises intentions des autres. Pauvre petite Cassie… Voilà ce qu’elle imaginait qu’on pensait d’elle. Contrairement à ce qu’elle laissait transparaître, Cassiopée n’était pas si naïve. Peut-être lui arrivait-il de se voiler la face, d’un peu trop croire en la bonté de son prochain pour contrebalancer de toutes les horreurs constituant son quotidien depuis si longtemps… Pourtant, Cassie n’était pas stupide, elle savait ne pas pouvoir ou devoir faire confiance à tout le monde. L’humain est rempli de vices. Pour des raisons obscures et bien souvent insoupçonnables, elle pouvait se retrouver victime d’un être cher dont elle n’avait perçu aucun signe de violence préalable. Voilà l’expérience qu’elle en avait fait avec Zadkiel par exemple. Son ex-fiancé s’avérait être un cas d’école ! Toutefois, la jeune femme préférait ne pas tirer de conclusions trop hâtives. Oui, il fallait faire attention, non, elle n’était pas condamnée à constamment répéter ce schéma là et oui, elle allait pouvoir dépasser cet événement afin de trouver quelqu’un de confiance. Vous le voyez l’optimisme qui pointe une fois de plus le bout de son nez ? Presque maladif mais surtout nécessaire pour continuer encore et toujours d’avancer.
Voilà ce qui motivait Cassie : l’idée que les choses n’étaient pas fixées, que tout pouvait changer, évoluer et surtout s’améliorer. Après tant d’années passées dans la misère, victime de nombreuses attaques sur tous les fronts, espérer être heureuse avait été tout ce qui lui restait. Rien de bien étonnant de la voir si compatissante avec Billie, de vouloir l’aider avec tant de vigueur mais surtout de se reconnaître dans certains de ses raisonnements. Après tout, elle aussi y était passée. Elle aussi avait connu cette tendance à la victimisation, se dire que le sort s’acharne et qu’on y peut rien, qu’on doit forcément être la source de toutes ces emmerdes déferlant sur nous telle une tempête aux dimensions gargantuesques. Attendre que ça passe. Rester optimiste et attendre que ça passe. Aujourd’hui, Cassie ne pouvait plus qu’endosser le rôle de celle qui écoute, celle qui comprend en silence et celle qui tente de transmettre son expérience de la façon la plus douce et inclusive possible. La voilà sa hantise, la peur viscérale de blesser, vexer ou même éloigner Billie d’elle en cet instant si délicat. Se positionner en sachant peut en éloigner tant. La propension à partir dans des monologues aux accents complaisants l’avait elle-même longtemps rebuté. Ainsi, quand Billie rebondit sur son excuse, un petit sourire vint étirer ses lippes, amusée par cette déduction peut-être un peu trop évidente aux vues des indices laissées depuis le début de leur conversation. « J’ai une formation de psychologue mais je suis analyste comportemental criminel. En gros j’aide les enquêteurs à mieux saisir le profil psychologique de meurtriers et autres criminels pour permettre leur arrestation. » Expliqua-t-elle dans l’espoir que cela ne le fasse pas fuir. Après tout, elle avait bien remarqué sa tension quand il avait été question de ses amis policiers, il y avait donc fort à parier qu’une psychologue pourrait presque autant, si ce n’est même plus, le rebuter.
Impossible pourtant de ne pas partir dans un nouveau petit discours qu’elle tenta de rendre plus compréhensif et moins porté sur le jugement. Cassie gardait toujours en toile de fond cette crainte de le heurter, qu’il se sente acculé, jugé et surtout incompris. Tout ce qu’elle avait souhaité lui épargner en ne le conduisant pas à l’hôpital et au poste dans l’immédiat. Tout ce qu’elle aurait aimé qu’on fasse pour elle à l’époque. Billie était bien plus âgé qu’elle au moment de son agression mais par expérience, Cassie savait qu’un trauma pareil pouvait en réveiller d’autres et surtout provoquer une réponse plus enfantine chez certains. Un maigre sourire vint alors progressivement se dessiner sur ses lèvres à mesure que le jeune homme s’exprimait. Par ses mots, il la rassurait quand à sa façon de prendre ce qu’elle venait de dire. Non seulement il ne semblait pas vexé, ou alors il était excellent acteur, mais en plus il concevait ce qu’elle avait tenté de lui partager. Rares étaient ceux qui jusque là ne lui avaient pas ri au nez dès qu’elle évoquait pareils sujets jugés comme « sensibles ». Après tout, comment les blâmer ?! La société apportait un tel conditionnement que parvenir à le déceler et tenter d’amorcer le moindre changement pouvait s’avérer plus compliqué que ce qu’il n’y paraît.
Constater que malgré son jeune âge il avait la maturité nécessaire pour appréhender pareille question, d’autant plus juste après son agression, rendait Billie un peu plus sympathique à ses yeux. Plutôt que de vraiment réagir à ses propos, Cassie se contenta d’un petit hochement de la tête accompagné d’un large sourire. Comment ne pas voir sa joie débordante allant même jusqu’à donner ce scintillement distinctif à ses prunelles émeraudes ? Dans d’autres circonstances, Cassie aurait plongé la tête la première dans le sujet, à extrapoler la question sans pour autant prendre l’exemple de Billie mais juste s’étaler sur le sujet du conditionnement de l’esprit humain, de son évolution etc. Pas ce soir. Pas tout de suite. Tandis que la joie se lisait encore sur ses traits, les derniers propos de Billie soulevèrent une nouvelle question. Le « pourquoi » ? Grand sujet. Grand classique également. « Pourquoi m’aider moi ? » « Qu’est-ce que ça vous apporte à vous ? » Des interrogations auxquelles Cassie était habituée mais si d’ordinaire sa réponse était toute faite, ce soir le contexte ne justifiait pas ses réparties habituelles. « Par expérience. » Rectifia-t-elle presque immédiatement. Certes, à présent, impossible de mettre de côté sa formation de psychologue et le travail de profilage quotidien qui la faisait vivre mais c’était surtout ce furtif regard échangé avec lui qui l’avait poussée dans sa direction. « Je sais ce que c’est que de réchapper d’une agression et atterrir au milieu des docteurs, infirmières et policiers. La confusion, la peur, le renfermement sur soi, le jugement qu’on peut sentir émaner de certains, la forme de paranoïa qui va se développer inévitablement par la suite… De part mon expérience personnelle et mon métier je sais que malgré toutes les bonnes intentions qu’ils peuvent avoir, ceux qui traitent les victimes d’agressions restent humains. A une heure aussi tardive, dans le quartier des bars et j’imagine que tu as un peu bu ce soir… J’ai préféré t’épargner ça. Je m’en serais voulue d’une certaine façon de t’abandonner comme ça. » Cassie n’avait eu personne pour lui expliquer ce qui allait lui arriver. Personne n’avait pris le temps de lui parler, de la rassurer. De ce petit lit d’enfant, suffoquant sous le poids de celui qui aurait pu être son père adoptif, recouverte de sang, Cassie s’était retrouvée propulsée dans une ambulance puis sous les lumières aveuglantes d’une salle d’auscultation. Des manipulations maladroites, une froideur inquiétante, un silence assourdissant, des messes basses faisant craindre le pire et puis le profil trop familier de l’assistance sociale qui débarque en plein examen. Elle était repartie pour un tour… « D’une certaine façon, j’aurais aimé qu’on puisse prendre ce temps avec moi quand j’ai été à ta place. Plutôt que de me précipiter aux urgences, dans l’agitation et l’inconnu, j’aurais apprécié un temps de calme pour parler ou juste pouvoir intellectualiser ce qui m’était arrivé. » Quelque part, en prenant le temps avec Billie, c’était un peu comme si elle se sauvait elle toutes ces années après. Son complexe du sauveur lui jouait des tours mais si c’était pour éviter des traumas conséquents aux autres, où était le mal après tout ? Cassie prit une profonde inspiration avant de contenir le soupir salvateur qui aurait permis de relâcher la tension des souvenirs vivaces, son regard se posa inévitablement sur le coca de Billie. « Tu en veux encore un ? Ou tu veux manger un bout peut-être ? On peut commander quelques frites si tu as faim… »
Psychologue et travaillant avec la police : voilà un drôle de combo et c’est la seule chose que tu retiens de ce qu’elle te dit à cet instant. En vérité, ça te fait un peu peur de lui faire face et de lui raconter toutes ces choses sans savoir ce qu’elle peut en faire. Tu ne pensais pas tomber sur une telle personne après ce que tu viens de vivre et l’étonnement s’accompagne d’angoisse. Malgré le fait qu’elle ait l’air réellement douce et prévenante, tu ne la connais pas et tu ne sais pas ce dont elle est capable. Que ce soit envers toi ou envers d’autres, d’ailleurs. Tu es le dernier à pouvoir te leurrer à ce sujet : les apparences sont bien souvent trompeuses et Cassie, aussi positive soit-elle en surface, pouvait cacher une part d’ombre capable de te blesser au passage. Peut-on seulement s’étonner que tu te poses des questions à son sujet ? Que tu te demandes pourquoi elle a agi ainsi avec toi plutôt que de choisir un comportement plus « commun » ? Tu ne veux aller ni au poste de police, ni à l’hôpital mais c’est bien dans ces endroits que tu t’es imaginé finir lorsqu’ils se sont réellement mis à t’attaquer. Et pourtant te voilà dans un bar, devant un coca, à tenter d’assimiler des propos certes intelligents, mais potentiellement trop complexes pour ton état actuel. Étrange femme qui te fait face et dont tu ne sais absolument rien. Tu ne saurais lui octroyer ta confiance sans retourner le problème dans tous les sens afin de trouver un vice caché. Sa réponse pèsera pour beaucoup dans ta réaction future. SI tu ne la juges pas suffisamment honnête, tu prendras le risque de partir seul de cet endroit, quitte à affronter seul les rues de Londres à nouveau. Ce n’est pas une alternative qui t’enchante mais l’idée de te retrouver encore une fois abusé par quelqu’un qui t’est étranger te semble plus difficile à surmonter que la peur de marcher dans les rues désertes. Tu as toujours ta baguette. Si l’occasion se présente, tu pourras toujours faire le choix de transplaner jusque chez toi. Pas la solution idéale étant donné que le Blood Circle circule tout autour de vous mais quelle autre option possèdes-tu ? Oh si, il y en a une mais tu ne veux pas compter dessus tant tu ne la maîtrises pas. Changer ton visage en pleine rue, sous l’œil d’un potentiel témoin, fera de toi une cible facile pour tes ennemis. Mais surtout, c’est un don que tu ne maîtrises pas encore et tu pourrais tout aussi bien te retrouver avec un visage déformé, incapable de revenir à sa forme originelle. Cette simple idée te donne des frissons.
Pas la peine de se monter la tête si vite. Tu respires un grand coup et attends qu’elle ait formulé une réponse concrète avant de décider si, oui ou non, tu dois prendre la fuite. Tu espères sincèrement que non car tu n’as pas la force d’affronter une nouvelle déconvenue humaine. Pour une fois, tu aimerais que les choses se passent bien et que tu puisses lâcher un peu ce masque d’assurance et de certitude que tu te forces à porter pour arrondir les angles avec tout le monde. Au fond, à trop chercher à paraître plus adulte que tu ne l’es réellement, tu oublies que tu n’as que dix-huit années de vie derrière toi, donc seulement huit en société. Il n’y a rien de plus normal au fait que tes relations soient bancales ou que ton comportement soit « étrange » à leurs yeux car tu es encore en apprentissage dans le domaine des relations humaines. Qu’on essaye seulement de marcher dans tes chaussures avant de t’accabler de tous les torts !
« Je vois » réponds-tu dans un premier temps. C’est une réponse acceptable basée sur une expérience qui semble réellement vécue. Tu ne perçois aucun mensonge, que la réalité de son passé dont tu n’as encore que de rares morceaux. Elle n’est pas obligée de t’en donner plus, tu ne demandes rien d’autre que ce qu’elle vient de faire : être honnête. Et un peu mère poule, non ? Elle a probablement dû te prendre pour un gamin et son instinct maternel s’est déclenché. Ou alors elle possède un complexe du super-héros ? Peut-être un mélange des deux mais peu importe en fin de compte, c’est ce qui t’a sauvé la vie. Tu mordilles la peau de tes lèvres inférieures puis portes de nouveau ton regard sur elle.
« Tu n’as pas peur qu’en m’épargnant tout ce que tu as vécu, tu m’empêcheras de suivre le parcours qui t’a permis, aujourd’hui, d’être plus positive ? Je comprends que tu aies voulu me simplifier la tâche, enfin je ne sais pas trop comment dire ça. Me faire prendre un raccourci vers la guérison, sans tous les traumatismes accompagnant cette expérience. Mais il est possible qu’en fin de compte, sans avoir vécu ces choses-là, je manque d’éléments pour compléter ma guérison. Ou pas. J’en sais rien. » Tes pensées sont quelque peu confuses. Tu ne parviens pas à expliquer concrètement la réflexion qui t’est venue lorsque tu as entendu l’explication de Cassie. Tu sais seulement que l’on t’a toujours dit que les raccourcis ne sont pas toujours la solution aux problèmes. Qu’ils ne font parfois que les aggraver. Tu ne penses pas que ce soit vrai. Néanmoins, tu ne peux pas t’empêcher de songer aux sentiments que tu aurais dû avoir si tout s’était passé comme dans l’expérience vécue par Cassie. La peur, l’incompréhension, le jugement, l’angoisse, le manque de contact réel… Tu sais que personne ne t’attend chez toi pour en discuter car comment raconter une telle chose à tes parents ? Depuis que tu es entrée à Poudlard il y a sept ans, vous ne parlez plus vraiment de rien. Ils n’iraient pas jusqu’à dire que ce qui s’est produit est de ta faute mais tu les mettrais dans un embarras certain.
« Je veux bien, oui… » Tu as déterminé qu’elle n’était pas assez dangereuse pour que tu décides de fuir dans la minute donc manger un morceau ne te fera assurément pas de mal. Maintenant que tu as pu échapper quelques sentiments, ton corps reprend sa course naturelle et les émotions brusques qui t’ont assaillies ont creusé ton ventre.
Se confier sur son emploi c’était un peu quitte ou double. Ça passe ou ça casse. Par expérience, Cassie savait que la combinaison « travail avec la police » et « analyste comportemental » souvent associé à « psy » passait mal. Les gens avaient tendance à se sentir analysés, violés dans leur intimité quand elle ne cherchait qu’à aider et parfois même simplement apporter son soutien à des êtres qui pouvaient lui être cher. Dans le cas de Billie, la situation était d’autant plus tendue. Non seulement car le climat actuel dans lequel le monde était plongé appelait à la méfiance de toutes parts, car ils ne se connaissaient pas et dernier élément non négligeable : il venait de subir une agression dont l’issue avait laissé envisager le pire. Qu’il prenne ses jambes à son cou aurait donc été une réponse tout à fait légitime et compréhensible pour Cassie bien qu’elle préférait amplement sa réaction actuelle. En revanche, une seule chose la troublait en ce instant : son absence d’émotions, du moins décelables à l’oeil nu. Si elle avait été à même de lire dans le paraverbal, peut-être aurait-elle perçu la méfiance éprouvée à son égard… Qui sait. Cassie devrait donc se contenter de l’air constant affiché par le jeune homme. Au moins il restait avec elle, c’était déjà ça de gagné.
Dans une certaine tentative, un peu illusoire, de lui prouver qu’il n’avait rien à craindre venant de sa part, Cassie s’efforça donc de lui répondre avec le plus de franchise possible. Un exercice extrêmement facile pour la jeune femme pour qui mentir n’était jamais la solution. S’il lui arrivait parfois d’omettre certaines informations face à des victimes au poste, dans sa vie de tous les jours, la demoiselle brillait pour son honnêteté. Parfois même un peu trop. Ses explosions de franchise sans filtre ne passaient pas toujours très très bien, lui attirant même souvent plus de problèmes qu’autre chose. Même si l’incident remontait un peu à présent, Cassie gardait bien en tête cette gifle reçue par un illustre inconnu devant Doryan quand elle avait osé décliner ses avances. Heureusement que son ami d’enfance avait pris sa défense face au malotru. En compagnie de Billie, Cassie tentait donc de trouver les mots pour ne pas le brusquer et exposer son point de vue de la façon la plus douce possible. Pas toujours simple quand on parle d’agression et de traumatismes…
La première réponse fournie par Billie la laissa quelque peu dubitative. Qu’attendait-il exactement ? Était-il déçu par ses propos ? Soulagé peut-être ? Comment savoir ?! Cassie avait beau tenter de sonder les traits de son visage, elle ne parvenait pas à y déceler de réponse viable. Ce fut quand il reprit la parole qu’elle eut un aperçu de ses réels sentiments. Billie avait beau émettre une certaine réserve concernant ses propres propos, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable. Elle qui voulait bien faire, peut-être avait-elle commis une erreur. Peut-être que sur ce coup-ci, sa volonté de protéger Billie avait été trop loin. Un léger soupir lui échappa accompagné d’un petit « Mmh… » de réflexion. Ses prunelles rivées sur le contenant vide emprisonné entre ses doigts, elle prit quelques instants pour rassembler ses esprits et mettre de côté la culpabilité commençant à la ronger. Cette « simple » conversation avec Billie s’avérait être une sacrée épreuve de self-control couplé à un détachement presque vital pour ne pas replonger dans la noirceur de cette période de sa vie. Afin de rester sur la même lignée avec lui, Cassie préféra rester fidèle à elle-même en lâchant de but en blanc. « Je dois t’avouer ne pas y avoir réfléchi quand je t’ai vu si… Prostré. » Une vérité qui pouvait ne pas plaire. Après tout, depuis qu’elle avait croisé son regard en fuyant les deux hommes, tous les actes de la jeune femme pouvaient être qualifiés d’irréfléchis et impulsifs. L’hésitation n’avait pas eu de place comme lorsqu’elle avait préféré l’inviter à boire un verre plutôt que d’aller porter plainte sur le champ.
« Dans l’ensemble, je ne pense pas que passer par toutes ces étapes et traumas supplémentaires soient une condition pour être plus positif sur le long terme. La vie est déjà suffisamment dure comme ça sans en plus en rajouter une couche. Sans compter que ton vécu est nécessairement différent du mien. Selon moi c’est plus une question de mentalité, de caractère plutôt qu’une série d’étapes clés à passer pour accéder à la guérison. Il n’y a pas de chemin tout tracé. » Cassie laissa volontairement de côté ce dont elle lui avait précédemment, préférant ne pas se répéter sur l’importance de verbaliser ses peurs et autres de crainte qu’il se braque. « Tes expériences à l’hôpital et au poste auraient été différentes des miennes pour toute une multitude de raison comme l’âge, ton sexe et les circonstances de l’agression. Toi tu as la maturité nécessaire pour comprendre ce qui s’est passé, moi je n’avais que 11 ans au moment des faits. J’imagine que c’est pour ça que, pour me « protéger », on m’a laissé dans l’ignorance la plus totale malgré la brutalité de ce que je venais de subir. » Parler de pédophilie, meurtre et viol à un pré-adolescent s’avérait toujours assez délicat il faut dire. Même avec un adulte, pareils sujets si tabous pouvaient clairement créer des tensions. Il n’y avait donc à ses yeux aucune raison de comparer les deux événements et surtout partir du principe qu’il n’arriverait pas au même résultat qu’elle car privé de ces expériences. C’est du moins ce que Cassie espérait qu’il retienne de leur conversation de ce soir. Dans une maigre tentative d’ajouter un peu de légèreté à la soirée, elle lui proposa un nouveau verre et de prendre un bout, affichant un large sourire à sa réponse. Il lui suffit de tendre le bras par dessus la banquette sur laquelle elle était assise pour attraper le menu de la table vide derrière elle et présenta le tout au jeune homme. « Tiens, commande tout ce que tu veux. » Dit-elle avec ce même sourire tendre et avenant dans lequel on décelait une pointe de joie à l’idée de savoir qu’il avait de l’appétit. Plutôt prometteur pour la suite !
Tu te sens forcé d’être aussi impassible car tu sais que si tu te laisses aller à suivre tes émotions, tu risques de craquer et de t’effondrer à même cette table. Tu le feras probablement une fois seul dans ta chambre universitaire, à Poudlard et il y a fort à parier que tes camarades de dortoir ne comprendront rien à ce qui se passe chez toi. Tu ne leur en voudras pas qu’ils s’inquiètent ou même qu’ils décident de ne pas venir te voir. Les réactions des uns et des autres sont bien différentes et tu n’es toi-même pas certain de pouvoir supporter d’expliquer le pourquoi de ta réaction. Devant Cassie, tu tentes d’être maître de toi-même, bien que cela te coûte beaucoup. D’aucun diront que c’est une décision ridicule étant donné qu’elle se présente comme disposée à accepter la moindre de tes émotions pour t’aider à mieux les surmonter. Mais l’idée d’être un poids pour quelqu’un d’autre que toi-même t’est inconcevable. Il est fini le temps où tu dépendais des autres. Tu t’accroches à cette pensée de toutes tes forces et ce n’est pas parce que tu penses que c’est une bonne chose que ça l’est forcément. Tu sais d’ailleurs que lorsque tu finiras par lâcher prise, la chute sera douloureuse. Qu’il n’y aura probablement pas une personne comme Cassie pour te rattraper ou même te relever après ça. Comme d’habitude, tu assumeras les conséquences de ta décision, aussi bête soit-elle.
La question que tu poses n’a pas pour but de mettre la jeune femme mal à l’aise. Tu es conscient de l’aide qu’elle peut t’apporter et ne la rejette pas en bloc. Tu ne nies pas non plus qu’elle a peut-être de bonnes raisons d’avoir agi ainsi avec toi. Il est même fort probable qu’elle ait eu raison de le faire. Il est impossible de savoir ce qui se serait passé si tu étais aussitôt allé au poste de police ou à l’hôpital. Tu n’as pas la capacité de remonter dans le temps pour le découvrir et rien ne te laisse penser que tu en aurais envie. Tu te poses simplement des questions sur l’expérience que tu aurais pu vivre si les choses s’étaient passées autrement. Un peu comme pour Cassie, en fin de compte. Tout ce qu’elle t’a épargné, n’es-tu pas supposé les vivre ? Si tu en es privé, que va-t-il se passer pour toi ? Tu n’es pas assez mature pour trouver seul les réponses à ces questions. C’est probablement pour cela que tu te permets de les poser à la sorcière. Tu n’es pas totalement en confiance mais elle ne t’a donné aucune bonne raison de te méfier d’elle. De plus, elle s’est déjà prouvée de bons conseils. La nuit restera très longue pour toi mais au moins, tu éviteras peut-être les cauchemars…
Prostré ? L’étais-tu ? Si elle le dit, ce devait être le cas mais tu as du mal à l’imaginer. En fait c’est bien simple : tu n’as presque aucun souvenir de la façon dont elle t’a trouvé. Le cul par terre, non ? Oui, ce doit être ça. Tout s’est passé si vite et il y a de fortes chances que ton cerveau ait décidé de t’épargner de revivre cette scène constamment. De nouveau, tu écoutes Cassie avec attention. Elle agit comme une grande sœur avec toi, presque comme une mère. Cela t’est étranger, bien que tu aies quelques figures dans ton entourage pouvant prétendre à ce rôle, comme Moïra. Elle est comme une maman à tes yeux mais les mamans, on leur ment non ? Pour les protéger. Tu ne t’imagines même pas lui raconter ce que tu viens de vivre. Elle s’inquiéterait, s’énerverait, voudrait… tu ne sais pas, faire quelque chose ? Ou rien. Peu importe, la situation serait trop difficile à vivre pour toi et tu veux lui épargner ces sentiments négatifs. En fait, tu veux simplement les garder pour toi, un peu égoïstement tu dois bien l’admettre. Il n’y a que peu de jours où tu n’as pas l’impression de n’être qu’un pur égocentrique.
Le point de vue que t’offre Cassie est intéressant – comme d’habitude, penses-tu subitement. Là encore, tu te dis qu’elle a sûrement raison et te ranges de son avis. Il est bien rare que tu sois aussi docile mais tu n’as tout simplement pas la force de rentrer dans un débat que, de toute façon, tu n’es pas sûr de vouloir gagner. Peu importe en fin de compte les épreuves par lesquelles tu dois passer pour atteindre la guérison : dans un cas comme dans l’autre, ce sera difficile et te demanderas plus d’efforts que tu n’as dû en faire par le passé. Tu ne sais même pas si tu reverras Cassie un jour pour lui raconter la façon dont ça s’est passé pour toi et comment tu as pu surmonter ces épreuves malgré ce parcours différent. Tout ce que tu sais, c’est qu’elle a été là au bon endroit au bon moment dans ta vie. Parfois, il n'y a pas besoin de chercher plus loin. Tu souris un peu maladroitement avec l’impression d’afficher une grimace qu’elle pourrait prendre pour un affront. Apprendre qu’elle n’avait que onze ans au moment des faits te glace le sang. C’est à cet âge-là que tu t’es libéré de l’emprise de tes parents. Étant donné les sentiments qui te traversent présentement, tu ne parviens même pas à imaginer ce que doit être une vie d’enfant avec un tel passif. D’ailleurs, tu ne comprends même pas comment Cassie peut être aussi joviale et solaire… mais ça, tu le comprendrais sûrement plus tard, sur la voie de ta propre guérison. Tu ne trouves rien à dire de plus et hoches simplement de la tête. Étrangement, tu éprouves beaucoup de respect pour les paroles de la jeune femme. Elle ne te connaît pas donc il est possible qu’elle ne comprenne pas que le comportement que tu adoptes est bien différent de celui que tu as d’ordinaire envers tes prochains et qu’il est plus emprunt que jamais de gratitude. Lorsqu’elle te propose de prendre quelque chose à manger, tu sautes sur l’occasion. Le menu entre les mains, tu le parcours avec rapidité pour te contenter d’une assiette de frites, ne trouvant pas d’intérêt à prendre un plat trop compliqué que tu ne finiras pas, de toute façon.
Ton appétit n’est pas entièrement restauré lorsque l’assiette arrive et tu la mets volontairement entre vous deux, invitant Cassie à se servir en même temps que toi. Vous parlez bien moins pendant ce laps de temps et tu as l’impression que ce n’est une nécessité pour aucun de vous deux. C’est agréable. Tu apprécies le silence, toi le grand bavard. Si la solitude te pèse plus souvent que tu ne peux l’admettre, elle te fait parfois le plus grand bien quand tu t’y attends le moins.
« Merci pour les consommations et… tout ça » dis-tu alors que tu te sens enfin prêt à rentrer chez toi. Tu fais mention, bien sûr, de ses paroles encourageantes et pleines de sagesse qui vont sûrement t’accompagner pendant un bon bout de temps. C’est d’ailleurs avec un embarras conséquent que tu lui demandes si elle accepterait de te raccompagner chez toi. Car oui, tu n’envisages pas d’aller au poste de police. Ta décision est prise. Tu n’as pas l’impression que la justice puisse faire quoi que ce soit pour toi et peut-être est-ce une erreur, mais c’est ton choix. Tu sais simplement que la prochaine fois qu’une telle chose arrivera ou que tu les recroiseras, tu seras plus que préparé. Ils ne pourront plus ni te surprendre, ni te faire du mal. Cette fois, tu oseras te servir de ta baguette et de tes compétences en combat rapproché pour leur faire comprendre que tu n’es pas un jouet à disposition. Que ton visage juvénile ne fait pas de toi un poupon avec lequel s’amuser vilement.
Elle te raccompagne à Poudlard mais c’est devant les portes de l’université que vous êtes obligés de vous quitter. Tu hésites un court instant puis finalement, fais un pas en direction de Cassie pour la prendre dans tes bras. Le geste te semble presque naturel. Tu la serres peut-être un peu trop mais cela n’est que l’appréhension de te retrouver seul dans ton lit avec toutes tes pensées. Elle ne peut rien contre ça.
« Encore merci, Cassie. Vraiment. Fais attention en rentrant. » Elle va probablement transplaner, tu te dis. C’est plus sûr pour elle. Cela ne t’empêche pas de te soucier car inévitablement, en parlant de ces choses-là, en partageant cette expérience, vous vous retrouvez liés par un fil invisible.
Ce soir, pour l'espace de quelques instants, Cassie avait eu l’impression de réellement avoir un impact positif sur cette Terre. Une réflexion peut-être jugée naïve, enfantine même de vouloir servir en bien aux autres mais pourtant si cruciale pour la jeune femme. Dès son plus jeune âge, confrontée à l’adversité, malmenée par sa vie, c’était bel et bien ce besoin devenu viscéral d’un monde meilleur qui l’avait poussée à se dépasser. Plutôt que de répondre à la violence par la violence, pas simple quand on est plus petit et frêle que la moyenne, Cassie avait opté pour le chemin « juste ». Celui de la justice pour tendre vers un équilibre plus acceptable où les déviances des plus malveillants entraineront inévitablement leur chute. Un monde idéal où craindre pour sa sécurité après une certaine heure en passant dans une rue sombre ne serait plus qu’un lointain souvenir. Un monde idéal qui, comme ce qu’elle avait constaté ce soir, était encore bien loin de prendre forme. Douce utopie inatteignable dans laquelle elle devait simplement se contenter d’apporter ici et là un peu de lumière. Voilà quelle avait été sa mission avec Billie.
Qui mieux qu’elle aurait pu intervenir ? Qui mieux qu’elle aurait pu l’aider à sortir de sa coquille quand il était à terre, fermement agrippé à sa veste telle un bouclier contre les agressions du monde extérieur ? Qui mieux qu’elle aurait pu évoquer ce qui venait de se passer et le long cheminement menant à la guérison ? Qui mieux que quelqu’un ayant vécu la même chose et n’ayant pas sombré ? Bien que Cassie n’avait pas la prétention d’être la meilleure ou encore de tout savoir sur tout, elle doutait que parmi les fêtards présents ici ce soir, peu d’âmes pouvaient rivaliser avec les épreuves que la vie avait dressées sur son chemin depuis sa naissance. Orpheline, continuellement malmenée par ses camarades, ballotée de foyers en foyers, échappant au viol de son futur père adoptif en assistant par la même occasion au parricide de celui qui aurait pu être son frère, un peu plus tourmentée avec l’âge… La spirale ne semblait jamais s’arrêter. Même son ex-fiancé s’était donné le mot pour la tourmenter pendant les deux ans de leur relation. Trop bonne, trop conne. Cassie avait voulu y croire, elle l’avait aimé, elle lui avait trouvé toutes les excuses du monde, donné mille et unes chances pour qu’il se rattrape mais la situation n’avait fait qu’empirer. Pourtant, malgré tout ça, malgré les peines, malgré l’enchainement de mauvaises expériences, elle avait su garder la tête haute. Une attitude qu’elle aurait léguer sans la moindre hésitation à Billie s’il s’agissait d’un simple objet que l’on prête à son prochain pour qu’il fasse ses enseignements siens. A la place, Cassie s’était efforcée de lui transmettre divers conseils.
Plus simple à dire qu'à faire. La jeune femme en avait bien conscience mais espérait secrètement qu’il en retiendrait quelques uns. Du moins suffisamment pour ne pas se laisser aspirer dans le cercle vicieux du « tout est ma faute » et des infinis « si ». Deux jeux mentaux qui attiraient plus de souffrance qu’une réelle avancée. Pour ce soir, alors qu’elle lui avait proposé de manger un bout, Cassie espérait secrètement avoir bien fait son boulot. Pas celui de psychologue mais juste celui de quelqu’un prêt à aider son prochain sans rien attendre en retour. Enfin, s’il y avait bien une chose qu’elle attendait c’était de ses nouvelles dans les semaines à venir. Leur rencontre, aussi inconfortable soit-elle, avait fait naître un profond sentiment d’empathie à Cassie envers Billie. Savoir comment il allait s’en sortir lui tenait à coeur. Ce fut de façon délibérée qu’elle laissa ce sujet de côté alors que la commande de frites arriva sur leur table. Un bref sourire vint une fois de plus illuminer ses traits quand il plaça l’assiette au centre, lui faisant implicitement comprendre qu’elle pouvait se servir. La jeune femme en préleva alors quelques-unes par accord tacite, ne ressentant absolument pas le besoin de meubler ce silence entre eux. Contrairement à d’autres, Cassie n’était pas gênée par ce type de moments de calme. Pourquoi continuer de s’exprimer quand on n’avait rien à dire ? Quel malaise cacher ?
« Je t’en prie… » S’exclama-t-elle tout en déposant quelques billets plus des pièces à l’attention de la serveuse pour leurs consommations. Si dans son esprit il était clair qu’elle ne laisserait pas Billie s’échapper si facilement, sa demande provoqua la surprise de la brunette. Un léger choc bien vite transformé en large sourire attendri avant de prendre la direction de la sortie. Au passage, Cassie prit le soin de saluer ses amis, leur indiquant qu’elle allait raccompagner le jeune homme chez lui. Leur chemin les mena jusqu’au Chaudron Baveur que la demoiselle reconnu immédiatement. Un lieu où Billie lui précisa loger temporairement. Bien sûr, pour un moldu lambda, ce lieu accessible n’avait rien d’exceptionnel, pour les invités en revanche… Alors que son regard s’attardait sur la devanture du pub, l’accolade du jeune homme la surprit agréable. Répondant avec joie à cette dernière, Cassie le serra doucement sans quitter son sourire. « Ne t’inquiète pas pour moi. » Le rassura-t-elle, comptant prendre un taxi pour rejoindre ses amis au bar avant de rentrer en toute sécurité avec quelques uns de ses collègues du poste. Une habitude prise depuis leur toute première sortie ensemble.
Avant que Billie ne parte, elle tira une carte de son sac à main. Cette dernière était peut-être professionnelle mais au moins il aurait toutes les infos nécessaires. Son nom, prénom, numéro de téléphone mais surtout les deux adresses professionnelles où la trouver. « Tiens, voici mon numéro. Surtout n’hésite pas à m’appeler, ok ? » Dit-elle en prenant doucement sa main comme pour insister sur ses propos et bien faire passer le message. Quelque part, elle espérait qu’il n’hésiterait pas à franchir le pas. « Parfois c’est plus simple de parler à quelqu’un qu’on ne connait pas vraiment… D’autant plus quand on a vécu une expérience similaire. » Qu’il ne pense surtout pas qu’il la gênerait en prenant contact avec elle pour donner de ses nouvelles, parler ou même se rendre au poste afin de déposer plainte si l’envie lui prenait. « Fais attention à toi, Billie. » Fut ses derniers mots avant qu’elle ne le regarde entrer dans l’auberge-pub et prenne de son côté le premier taxi venu pour rejoindre son groupe d’amis.
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I'll be your knight in shining armor - Billie
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