Sister, we're two of a kind

Harper se souvenait de la désolation semée par la guerre, l'obscurité et la déraison. Ces moments terriblement oppressant où tout s'embrouille ; le passé, le présent et le futur s'entremêlent ; la succession des scènes n'a ni queue ni tête. Et nous, on est spectateur de ce spectacle macabre, incapable d'y mettre de l'ordre, victime de notre incapacité d'agir.

Harper se souvenait du choc puis de la peine alimentée par les regrets. Terribles regrets. Par chance, tout ça n'était qu'un rêve. Harper s'était éveillée, capable de prendre une décision pour ne pas être une victime de son incapacité d'agir ni d'être confrontée, assaillie et consummée par les regrets. Durant leurs voyages à Las Vegas avec Abigail, elle avait envoyé un SMS à sa soeur cadette, Jin, dont les relations demeuraient tendues, brouillées, incompréhensibles, bien qu'au fond Harper sache délibérément qu'elle est la seule et unique fautive. Tout aurait pu changer depuis bien longtemps. Mais Harper s'était toujours obstinée dans son erreur. Une erreur qu'elle n'admettra jamais : ni à Jin, ni à son entourage et encore moins à elle-même.

Cette nuit-là (une nuit bien entamée à Las Vegas mais une journée ensoleillée à Londres), elle avait fait un pas vers Jin, tendue une perche vers la réconciliation. Si elle n'admettrait pas ses tords, au moins pourrait-elle améliorer leur relation. Après tout, on n'a qu'une vie. Et dans cette vie, elle n'a qu'une soeur. Enfin, une demi-soeur. Parlons bien. Une demi-soeur qui s'est toujours montrée enjouée, réclamant de jouer avec elle, et qui s'est avérée une sorcière émérite, capable d'accomplir de grandes choses et de faire grimper ses résultats scolaires sans se forcer. Dans le fond, Harper s'était toujours sentie acculée face aux facilités de Jin. Elle ne dispose pas d'un talent aussi évident et à vrai dire, elle ne s'est jamais donné la peine d'y pallier. Parce qu'Harper Auburn a bien des qualités mais il faut avouer que l'un de ses plus gros défauts c'est d'être admirablement fainéante, partisane du moindre effort, dans le genre "Ce qui n'est pas fait n'est plus à faire".

Ainsi donc, en ce samedi matin, jour de repos, Harper quitte leurs appartements de Poudlard pour se rendre, à pied (oui, vous avez bien lu, "à pied") jusqu'au village de Pré-au-lard. Il fait un temps de chien. La pluie battante s'abat sur son parapluie qu'elle a enchanté pour n'être la victime d'aucune goutte ni vilaine bise qui viendrait traitreusement rabattre des trombes d'eau sous son parapluie. Elle avait chaussé des bottes de pluies en caoutchouc pour patauger dans la boue, et un imperméable rouge pour rappeler les fières couleurs de Gryffondor, sa maison de prédilection. Elle ne porte aucun sac à main lorsqu'elle pousse la porte du pub des Trois Balais. Les clients se font rare à cette heure-ci, la matinée avance et il ne doit pas être plus de dix heures. S'abstenant de secouer son parapluie avant de faire son entrée, elle le plie et le jette négligement dans le porte parapluie sous l'oeil foudroyant de l'aubergiste qu'elle ne remarquera pas mais saluera d'un geste de la main. C'est qu'elle n'a pas que ça à faire, se disputer avec l'aigreur des gens, elle a bien d'autres choses à penser. Elle se dirige vers une table dans un coin reculé de la pièce. Une table encadrée de deux banquettes, comme ça, elles seront a égalité. Confort contre confort.

Harper s'installe, tripote nerveusement son téléphone. Elle retire son imperméable pour le suspendre au porte-manteau le plus proche.

Reprends-toi Harper Auburn, pré-Madame Macfusty. Ce n'est pas le moment de manquer d'assurance.

Ce n'est pas parce qu'elle fait un pas vers la réconciliation qu'elle doit se montrer faible. Depuis combien de temps ne s'étaient-elles pas revu ? Se croiser dans les couloirs de l'école ne compte pas. Harper se débrouille pour rendre visite à ses grands-parents quand Jin n'est pas là. En fait, il n'y a pas eu d'entrevue en tête à tête entre les deux soeurs depuis bien... quelques années. Au fond, Harper se sent honteuse. Et puis zut ! Elle fait ce qu'elle veut et en plus, ce n'est pas le moment de se montrer faible. C'est elle-même qui a organisé ce rendez-vous. Assume tes responsabilités Harper Auburn. Ne laisse pas les mauvais rêves se réaliser.

Dans le pub, la chaleur ambiante la réchauffe, les effluves de café fraîchement moulu se mélangent aux parfums de chocolats chauds. Harper grelotte, jetant un coup d'oeil inquiet en direction de la porte. Et si elle ne venait pas ? Et si cette main tendue, Jin ne l'attrapait pas ? Ce n'est pas le moment de douter, Harper Auburn. Tout va bien se passer. Et son optimisme de toujours reprends le deçu.

Sister, we're two of a kind

Pour quelle raison valable, existentielle et raisonnable Jin accepterait-elle le calumet de la paix ? Une guerre depuis vingt huit ans, un conflit qu’Harper alimentait certes, seule. Pourtant, Jin faisait absolument tout pour l’agacer, tout ! Premièrement, elle était née d’une union invisible exactement comme Harper. Deuxièmement, Harper n’a jamais réclamé de petite sœur. Ni de petit frère d’ailleurs. Il n’y a pas de troisièmement. Assurément, Harper cherche des excuses à ses déboires sentimentales. Elle respire un grand coup. Elle se souvient. Harper se souvient avoir tenu une seule et unique fois sa sœur dans ses bras. Une fois.


Août 1992. Dès que le travail a commencé, grand-père Vicky a conduit maman à la clinique. Grand-mère Elaine est venu la garder. Il n’y en avait que pour ce bébé ! Nouveau lit, nouveau jouet, le bébé occupait toutes les bouches. Plus personne ne faisait attention à elle. Alors, tandis que grand-mère Elaine patientait devant le téléphone au lieu de jouer avec Harper, la petite Harper, quatre ans, fait copieusement pipi sur le sol des toilettes. Franchement, ç’aurait pu être pire. Elle aurait pu faire ça dans le salon, imbibant le tapis à vie ! Ou encore dans la cuisine, le lieu où on se nourrit dont l’hygiène doit rester irréprochable. Grand-mère Elaine a mis une demi-heure à s’en apercevoir. Autant vous dire que personne n’aurait aimé être à sa place.


Le téléphone sonne. Grand-mère décroche plus vite que l’éclair. Le bébé est né.
C’est une fille, je ne comprends pas, il doit y avoir une erreur, disait sa mère au téléphone.
Bienfait ! Songea Harper en coupant les cheveux de sa poupée parce qu’apparemment, faire pipi parterre n’a pas suffit à faire comprendre à sa grand-mère de s’occuper d’elle, SEULEMENT d’elle !

Trois jours plus tard, maman se repose dans la chambre, au bout de sa vie et au bord de la mort. Elle voulait rester plus longtemps à la maternité mais le médecin à menacer grand-père Vicky de la jeter sur le trottoir si elle ne s’en tenait pas à leur avis médical et NE DEGAGEAIT PAS TOUT DE SUITE. L’accouchement s’était bien déroulé, tous les avis convergent vers une sortie mais Winnie, qui ne connait que la fatigue qu’elle s’invente, ne cesse de gémir qu’elle se vide de son sang, transpercée par tous les maux. Ses parents ont l’habitude de leur fille. Tandis qu’elle prend du repos dans sa chambre, ils décident, tout excités, de présenter Jean Harmony à sa grande sœur qui, autant vous le dire, était déjà prête à partir à la fête foraine, casquette sur la tête, petit sac en bandoulière pour recueillir ses trophées.

Assieds-toi sur le canapé, demande grand-mère Elaine d’une voix enjouée en la décoiffant de sa casquette.

Grand-Père Vicky la porte sur le canapé pour qu’elle s’exécute plus vite. Harper est déroutée. Apparemment, ils n’ont pas l’intention de l’emmener à la fête foraine. Ils préfèrent lui foutre l’autre gueularde dans les bras, en l’entourant de coussin pour être certains qu’Harper ne la fasse pas tomber. Encadrée de ses grands-parents, voilà que Jin gigote dans sa couverture. Harper regarde son visage malmené par l’accouchement, ses yeux regardant dans le vide, ses doigts tout juste capable de se déplier. En plus elle bave, son crâne est pratiquement chauve. A quel moment ses grands-parents l’ont-ils trouvé jolie au juste ? Harper prend un air dégouté.

Oh regarde Vicky chéri, elle est toute émue.
Qui ça ?
Tandis que la petite Harper inspecte ses grands-parents d’un air incrédule, sa petite sœur a un rejet qui vient salir son tee-shirt préféré.
Son.
Tee-shirt.
Préféré.
Aussitôt, la petite fille de quatre ans se met à hurler.


Elle est venue. Evidement qu’elle est venue. Jin a toujours souhaité se lier à sa sœur. Une sœur qui l’a toujours rejeté. Jin s’avance vers le comptoir avant de la repérer. Harper lui fait un signe de la main. La jeune femme est littéralement trempée. Il n’y a aucun doute : il n’y en a pas une pour rattraper l’autre. Harper se mure derrière l’indifférence et son aisance naturelle pour masquer ses émotions, les étouffant du mieux qu’elle le peut.

Je vais bien merci ! Dit-elle pour répondre à son salut. J’ai déjà commandé de quoi nous réchauffer.

La serveuse dépose devant Harper un café surmontée de crème fouettée avec des brisures de cookies chocolatées. Pour Jin, Harper a choisi un chocolat chaud sous une montagne de chantilly parcourut de caramel beurre salé. Laissant le soin à sa sœur de se mettre à l’aise, Harper commence à remuer sur son siège. Que faut-il faire exactement ? Lui demander de ses nouvelles ? Aller droit au but ? Les deux en même temps ? C’est possible ? S’excuser du temps qui passe ? Faire table rase du passé ? Recommencer à zéro ? Faire comme si les querelles n’avaient jamais existé ?

Euh… Désolée de t’avoir envoyé un message aussi tard. Le temps passe si vite. Le traintrain à l’école, tout ça… tu vois… Essaie-t-elle de se justifier ? Abigail et moi sommes parties en voyage aux Etats-Unis. On en a profité pour faire un détour à Las Vegas. Mais le but originel de ce voyage était tout autre. Avant de t’annoncer officiellement ce que Grand-Mère Elaine n’a pas su garder pour elle, j’ai d’abord autre chose à te dire.

Elle avait parlé les yeux rivés sur son café sucré. La serveuse dépose des biscuits chocolatés. Les préférés d’Harper.

Une connaissance aux Etats-Unis m’a mis sur la piste de mon père biologique, racconte-t-elle. J’ai appris bien des choses. Elle se râcle la gorge. Je me disais que peut-être tu aimerais le savoir.

Elle se sert un biscuit mais n’arrive pas à le manger. Grand merlin ! Reprend toi Harper Auburn ! Elle laisse le biscuit de côté et fini par lever les yeux vers Jin :

J’ai été créé par procréation artificielle. Maman est tombée sur un sorcier qui lui a naturellement caché ses pouvoirs. Il l’a conduit chez un ami, Guillaume Liellig, qui tenait un laboratoire clandestin à New York avec sa femme. A l’époque, l’éthique et la sureté de cette technique n’étaient pas encore défini. Heureusement, le couple Liellig sont fort dans leur domaine. Maman a donc subi une insémination puis cet homme qu’elle avait rencontré... Elle se mord les lèvres... Mon père... Il l’a oublietté. Grâce à la mémoire implacable du médecin, nous avons réussi à connaître l’identité du donneur.


Son genou remue incessamment sous la table. Quelques secondes se passent. Il lui est tellement difficile de l’avouer. Tant de honte. Jin avait retrouvé son père depuis plusieurs années. Comment lui dire ? Qu’elle ne pourra jamais créer pareille relation avec son propre père ?

C’est Gilderoy Lockhart, finit-elle par lâcher.

Et franchement, il faut vraiment avoir le courage d’un Gryffondor pour faire une annonce pareille. Elle a l’impression que les mots lui ont écorché la gorge au passage. Harper avait déjà digéré la nouvelle. Mais quelle conduite devait-elle conduire désormais ? Le cacher ? Mentir ? Le dire ? Subir la honte ?

Je n’en ai pas encore parler à nos grands-parents, conclut-elle.

Sister, we're two of a kind

Déballer la vérité revenait à se griffer la gorge à l’aide des dents d’une fourchette. Harper Liv Auburn est la fille de Gilderoy Lockhart, un prétentieux de Serdaigle, un escroc vaniteux, un mec assez bête pour s’être oublietté en lançant le sort du bout d’une baguette endommagée. Tandis que Jin se tartinait le nez de crème, Harper faisait des bruits de sucions assez désagréable en sirotant sa boisson. La classe à la Auburn. Leur marque de fabrique. En premier lieu, Jin s’interrogea sur l’origine de ses soupçons.

Nous savons pertinemment qu’elle serait incapable de garder un secret pareil… je l’ai supposé, finit-elle par dire.

Abigail et Harper avait annoncé leurs fiançailles durant les fêtes de Noël en présence de leur famille respective au Manoir des Macfusty. Une once de culpabilité traverse Harper en songeant qu’elle avait volontairement écarté Jin du cercle familial, ne serait-ce qu’en ne lui suggérant pas de passer au Manoir après les festivités avec sa famille française. Les tensions entre les deux sœurs sont ce qu’elles sont. Mais après-en, Harper s’aperçoit de la bourde qu’elle avait commise. La culpabilité accroit sa nervosité. Vous savez ce que fait Harper Auburn lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle a fait une bêtise ? Elle change de sujet.

Car il y avait une autre nouvelle à lui annoncer, moins réjouissante. A quoi bon le cacher, de toute évidence, Jin l’apprendrait tôt ou tard… par Grand-Mère Elaine.

Je suis contente pour toi, au moins, maintenant, tu as obtenu des réponses à certaines de tes questions.

Un profond sentiment de lassitude s’empare d’Harper. Ravie, oui, parce qu’elle ne sait pas, elle ne sait pas de qui il s’agit. Et Harper Auburn fini par cracher le morceau. Et franchement, il y a de quoi vous faire bafouiller. Tandis que Jin n’en revenait pas, Harper concentre ses yeux remplis de honte sur son café crème, sa touillette remuant nerveusement cette montagne de crème surplombant le liquide bouillant.

Enfin…comme on entend dire qu’il est ? C’est-à-dire…totalement à l’ouest ?

Peut-être est-ce parce qu’Harper ne répondit rien que Jin entama une discussion à propos de son propre père. Harper demeure silencieuse. Jin apporte des détails sur les retrouvailles avec son géniteur. Le professeur de sortilège n’ose pas intervenir, de crainte qu’elle est déjà apportée ces informations dans ses lettres. Des lettres qu’elle n’avait pas lu. Peut-être même était-ce un test. Pourtant, elle relève les détails tel que « ce n’est pas toujours rose ».

Je vais bientôt leur annoncer, je préfère le faire seule. Je ne voulais pas que Grand-Mère Elaine te vende encore la mèche, dit-elle, son attention focalisée sur son café mélangé dorénavant avec la crème, prenant des airs de café au lait.

Pas toujours rose. De quoi se plaint-elle au juste ? Elle n’est pas la fille d’un gars interné à Sainte Mangouste atteint d’amnésie notoire. Harper avait dévoilé une faiblesse, voilà qu’elle déblatérait les siennes. Faut toujours qu’elle fasse son intéressante en parlant d’elle, ELLE, elle qui l’avait toujours effacé.

Une pensée pour Abigail lui rappelle combien elle avait pris l’habitude de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Face à Jin, valait mieux tourner sa langue sept fois dans son cerveau avant de commettre une bêtise. Elle lui avait envoyer un message pour faire la paix. L’amnistie de quelle guerre au juste ? Dans le fond, Harper était la seule à avoir toujours lancé l’offensive. Jin s’était contenté de parer les attaques et brandir un drapeau blanc. Mais Harper n’est pas prête à admettre ses erreurs. Autruche Auburn. Il est peut-être temps de changer de sujet. Again.

Ainsi donc, Abigail et moi sommes fiancée. Nous établirons bientôt la date du mariage ainsi que le lieu. Tu es naturellement conviée avec la personne de ton choix, si tel est ton désir.

Elle marque un temps d’arrêt pour observer ses réactions. Ensuite, elle entame sa dernière annonce.

Arondella sera mon témoin de mariage. Aussi, j’aurais aimé que… hmm

Elle regarde la table puis Jin. Puis la table et enfin Jin.

Que tu sois ma demoiselle d’honneur.

Sister, we're two of a kind

Quelle fut la réaction de grand-mère Elaine ?

Elle a demandé dix fois à grand-père Vicky si elle était bien vivante ou si elle avait ingurgité une huître avariée pendant le dîner. Elle s’est aussi empressée de proférer des condoléances auprès d’Abigail.

Harper esquisse un léger sourire en sirotant son café. Grand-mère Elaine a toujours eu de l’humour.

Je ne vois pas du tout de quoi elle parle, s’empresse-t-elle d’ajouter, faisant faussement mine de n’y rien comprendre.

Et les mots de Jin tombèrent. Lorsqu’elle eut fini de parler, Harper replace sa tasse de café fumant sur sa soucoupe. Elle touille négligemment sa cuillère dans le liquide chaud, sans quitter Jin des yeux. Si elle espérait que ce rendez-vous soit un premier pas pour les sœurs Auburn de se rapprocher, elle ne s’attendait pas à ce que Jin lui parle à cœur ouvert.

Harper avait toujours considéré la venue au monde de Jin comme le plus grand drame de sa vie. Les gens ne comprennent pas, mais qu’est-ce qu’elle y peut ? Les gens ne comprennent jamais rien. Ils ne comprennent égoïstement rien. Ils comprennent ce dont ils ont bien envie de comprendre.

Quoiqu’il en soit, Jin dit textuellement qu’elle aurait aimé être présente durant l’annonce de leurs fiançailles. Alors que toute la famille Macfusty était rassemblée avec le couple de grands-parents Auburn, Jin, sa propre sœur, était absente. Pas invitée. Un peu comme si elle n’existait pas pour elle. Jin finit par lui demander pourquoi l’avoir choisi comme demoiselle d’honneur alors qu'à ses yeux elle n’existe pas. Harper se racle la gorge. Les mots de Jin l’ont bousculé pour ne pas dire, clouée sur place. Alternativement, elle observe sa tasse de café puis Jin, comme mue par l’hésitation, comme si elle cherchait ses mots. Comme si elle était abasourdie, les émotions rayées ; comme si elle venait de comprendre. Elle entrouvre les lèvres pour bégayer quelques onomatopées inaudibles avant de se reprendre pour déclarer :

Parce que je n’ai pas beaucoup d’amis, souffle-t-elle les yeux rivés sur sa sœur.

C’était un peu comme si elle la voyait pour la première fois. Parler à cœur ouvert procure une étrange sensation, mais présentement, Harper à l’impression d’avoir sombré dans un état second où ses pensées peines à se dissocier de ses émotions.

Le peu d’ami que je possède sont des hommes, à dire vrai. Je doute qu’ils s’imaginent gaîment promener dans l’allée en lançant des pétales de rose. Un faible sourire se dessine sur son visage. Je suis désolée, lâche-t-elle tout à coup sans ciller du regard. Elle se racle à nouveau la gorge, gigotant sur sa banquette, mal à l’aise. Je suis sincèrement désolée de ne pas t’avoir invité à Noël.

Elle ne s’était pas imaginé balancer des excuses pour faire table rase du passé. Peuvent-elles vraiment imaginer effacer tout ce qu’il s’est passé ?

Je n’aurai pas dû faire ça. Ça et euh… Tout le reste.

Le poing serré, elle tapote sur la table en remuant incessamment du genou. Qu’est-ce qui lui arrive ?

Quand maman a annoncé qu’elle voulait trouver un sorcier afin d’avoir un deuxième enfant exceptionnel, j’avais beau n’être encore qu’une toute petite fille, il y a quelque chose qui s’est passé, en moi. Je me suis sentie… Salie. À l’école maternelle, tous les petits copains étaient fiers que leurs « parents » présentent leurs petits frères ou leurs petites sœurs nouveau-nés. Moi, je me rendais déjà compte que « notre parent » n’était pas comme les autres parents. Maman ne m’accompagnait pas à l’école. Elle ne jouait pas avec moi. Elle voulait un autre enfant, pourquoi ?

Harper n’avait jamais parlé à personne de tout ça.

Je n’ai pas voulu de toi et ensuite, ensuite… Il y a eu Poudlard. Non seulement, tu étais aussi un enfant « exceptionnel » mais qui plus est, tu faisais tout « exceptionnellement bien ». Bien entendu, je ne faisais rien pour améliorer mes résultats ni pour me tenir à carreau, c’était plus fort que moi. Mais toi, je voyais bien que tu étais aussi turbulente que moi, mais que ça ne se ressentait pas sur tes résultats scolaires. Je crois que le pire pour moi fut lorsqu’un camarade m’a raconté que dans les couloirs tout le monde disait que tu réalisais tes sorts à merveille du premier coup… C'était la seule matière où je n’avais pas d’efforts à faire… Puis il y a eu les retrouvailles avec ton père biologique. Je me suis sentie seule, tellement seule. C’est arrivé après ma rupture nulle avec Abi, après tout le mal que je lui ai fait, après m’être acharnée à devenir une aurore ratée. Pendant que tout roulait pour toi. Toi dont je n’ai jamais voulu.

Que dire d’autre ? La jalousie avait fait place à la haine. Mais Harper Auburn n’est pas une personne haineuse alors, mieux que de haïr, elle s’était plongée dans les méandres de l’ignorance, rejetant cette petite sœur encore et toujours, comme si elle n’existait pas.

Soudain, dans les profondeurs de sa conscience, tout ce qu’elle avait vécu lui semble inapproprié, injustifié… Injuste.

Je ne te demande pas de me pardonner, mais peut-être que le mariage, ce pourrait être un bon début pour… pour… pour apprendre à se connaître ?

En avait-elle fait trop ? Jamais, au grand jamais elle n’avait raconté à quiconque ce qu’il s’était passé, ce pourquoi du comment elle ne voulait pas de cette petite sœur. Jamais elle n’avait raconté à quel point elle avait honte de sa situation familiale, à quel point l’absence de parent l’avait fait souffrir malgré la proximité de leurs grands-parents puis des Macfusty plus tard, qui l’ont toujours accueilli à bras ouverts. Dans cette vie qu’elle menait entourée, Harper Auburn s’était toujours sentie irrémédiablement seule. Pas comme les autres. C’est tout naturellement qu’elle a tout fait pour être différente en espérant briller comme une auror aguerrit. Peine perdue.