Le premier vrai souvenir que je garde c’est vers les quatre ans, quand je volais sur ma moto d’anniversaire et qu’on s’est rentré dedans avec Andrea. Nos parents ont paniqué, mon oeil est resté noir pendant plus d’une semaine, mais qu’est-ce que nous avons ri ! C’était mon premier accident de bécane magique, et j’ai longtemps cru que ça serait le seul. C’est donc affreux que mon premier souvenir avec mon frère, soit aussi le dernier que l’on partage. Sa mort en moto était-elle prévue depuis la nuit des temps ou la malchance me torture volontairement ? J’en saurais jamais rien, mais ça continuera de me broyer le coeur chaque jour de ma vie.


JUIN 1994. C'est la tradition dans la Cosa Nostra, autour du premier anniversaire de l'enfant, on leur en place deux en face d'eux pour voir lequel ils vont choisir. La plume et la potion. L'un prédit des grandes études et une place de choix en politique, médecine ou autre. L'autre destine les enfants à suivre leur parent dans la voie mafieuse. Mes parents me racontent avec passion la joie qu'ils ont ressenti quand j'ai tendu la main vers la potion empoisonnée, sans la moindre hésitation.


DECEMBRE 1998. Je tiens la main d’Andrea et marche sagement dans les rues, tout en admirant les boutiques éclairées et remplies de jouets tous plus attirants les uns que les autres. Nous avons déjà tout ce qu’il nous faut à la maison et plus encore, mais c’est plus fort que nous, on veut quelque chose de plus. Avec un signe de tête, on se sépare et chacun entre dans la boutique de jeu en bois a quelques secondes d’écart, laissant passer un groupe d’enfant entre nous. Je repère vite ce qui m’intéresse et fait signe à mon jumeau. Il savait déjà, évidemment. Nous préparons notre larcin quand une main se pose sur mon épaule. « Repose ça tout de suite fils. » La voix de notre mère est sèche et son ton me fait peur. « Mais c’était pour faire comme p » Elle me coupe d’un regard extrêmement sévère et je sens que ma fesse sera rouge une fois rentrés à la maison. Andrea ne dit rien et repose l’objet sur l’étagère. Nous sortons de la boutique dans un silence glacial et, une fois à l’abri des regards, ma mère nous gronde en chuchotant, ce qui est presque pire que si elle criait. « Vous êtes des imbéciles ! Je ne veux pas risquer qu’on vous connaisse et vous reconnaisse. Si vous volez, faites le au moins avec justesse et sans la moindre erreur. Le vigile vous regardiez, l’avez-vous vu ? Et les caméra moldues, ne les aviez pas remarquées ?! » Nous baissons la tête et promettons de faire mieux. La prochaine fois.


MARS 2000. Avec Andrea nous suivons des cours d’un genre tout particulier. Un précepteur vient le matin nous apprendre des bases de lecture, d’arithmétique et d’histoire, autant sorcière que moldue. Puis l’après-midi nous allons dans le Garage de la Cosa Nostra, la couverture de la Mafia dans laquelle Père bosse depuis toujours. Nous apprenons les bases d’un commerce illégal et de la mécanique. On y trouve aussi les enfants Zabini, avec lesquels j’ai du mal à me lier, mais pas mon frère. Pendant qu’il fait le pitre et profite de jouer avec Anjelica, moi je lis et j’observe. Je sais rester discret et silencieux, c’est un talent qui me sera utile bien plus tard.


SEPTEMBRE 2004. C’est le grand jour; l’arrivée dans le palace somptueux de BeauxBâtons ! Qu’est-ce que nous attendions ce moment avec impatience ! Je dévore du regard les pièces, les murs, les décorations. Je vais être heureux ici, je le sens déjà. Andrea et moi nous suivons dans la répartition et arrivons dans le même atelier, j’en suis soulagé, je me serais pas vu ici sans lui à mes côtés à chaque instant.


AVRIL 2008. « Hey, pst, les jumeaux Tosello, vous auriez pas les réponses du devoirs ? » Si je travaille avec assiduité, je ne crache pas sur les aides et pour ça, Andrea c’est l’meilleur. Il a toujours un piston d’avance, un prof dans la poche ou un élève plus âge prêt à bosser pour lui. Il se fait aimer de tous, Andrea, et il le rend bien. Je jette un coup d’oeil noir à l’élève qui ose nous demander de l’aide - on en à la bibliothèque, il peut pas être plus discret - et je lui indique la sortie. Faut que je vois avec Andrea si on l’aide ou pas, j’ai pas encore décidé. Dans le duo, c’est lui qui obtient les choses et moi qui gère le financement et nos alliés. On s’répartit et ça marche plutôt pas mal. J’aime ce que je fais et personne ne nous a jamais pris la main dans le sac, donc on va continuer.


JUIN 2011.

 Sept années passées à étudier plus ou moins sérieusement et voilà que c’est terminé. Un diplôme en poche et nous voilà lancés dans la vraie vie. Celle du monde adulte. Et je suis clairement prêt. J’ai un boulot au garage de la Cosa Nostra, même si mon diplôme n’y est pour rien. C’est plutôt grâce à nos parents ça, mais je leur montrerai à tous mon attachement, ma volonté de bien faire  -et l’atout que je leur apporte. J’mérite ma place dans la Mafia Sorcière Italienne. J’enchaîne rapidement les petits boulots de transporteur. Sur ma bécane je file à toute allure et j’adore cette sensation de liberté. J’ai pas peur de me mouiller, mais je ne suis pas souvent au devant de la scène… et ça me plait. Je me préfère loin des décisions importantes ou risquer ma peau tous les jours.


JANVIER 2021. A peine j’ai posé le pied à Londres que je regrette qu’on m’y est envoyé. Au fil des années, j’ai pris ma place au sein de la Cosa Nostra, mais je ne peux pas dire que j’ai été malheureux de voir les Zabini s’envoler pour Londres. Sauf qu’on m’y envoie aussi. Il faut développer la branche là-bas et j’exécute les ordres, toujours. « Bienvenue à Londres » me lance le gamin venu me faire visiter les lieux à l’instant où il se met à pleuvoir. Je hais ce temps pourri. Et je ne vais pas tarder à haïr cette ville. Mais qui sait, je rencontrerais peut être des gens intéressant ?


AUJOURD'HUI.

 Je bosse au garage, le même qu’Anjelica Zabini. Vraiment, c’est su-per. Je vois sa sale face tous les jours, j’entends son coeur battre d’excitation quand elle part en moto, je la vois, bien vivante, et moi je ronge mon frein. J’ai pas l’droit d’la toucher, je peux le comprendre, mais qu’est-ce que je la hais d’être en vie à sa place. En plus, manque de pot, c’est son frère, Luca qui gère la branche anglaise. Mon boss. Il déteste que je hais Anjelica et il me le fait sentir. Parfois, je me demande si ma vie serait pas mieux si j’abandonnais tout… puis je me rappelle Ezio et j’ai plus envie de fuir. C’est plus simple de rester dans les bonnes grâces des gens bien placés et riche. Et puis, heureusement qu’il y a Adèle…