« Maman ? »
La voix tremblante, Azrael se redressa difficilement, tenant son bras gauche endoloris contre son frêle corps d’enfant. Il avait froid, mal et une sensation de démangeaison l’incommodait sur une large partie de son visage et du haut de son corps. Pieds nus, il foula le parquet poisseux par endroits de la chambre, contournant le lit pour atteindre la silhouette étendue sur le ventre de sa mère. « Maman ? Tu dors ? » Chuchota-t-il à nouveau en passant sa main dans ses bouclettes blondes qui lui tombaient sur les yeux. Avant même qu’il eut le temps d’atteindre les pieds de sa mère, une épaisse main se posa sur son épaule. Un sursaut le pétrifia et il releva ses grands yeux noisettes larmoyants vers son père qui se tenait à ses côtés. Ezekiel Yaxley lui adressa un doux sourire emprunt de tristesse pour le rassurer et prit son jeune héritier dans les bras, quittant la chambre pour aller lui faire un brin de toilette. Assis en boule au fond de la baignoire trop grande pour son corps de gamin de sept ans, Azrael observa l’eau tintée de rouge se frayer un chemin jusqu’au drain. Il retrouvait progressivement une sensation de douceur sur sa peau.

Voilà le tout premier souvenir qu’aujourd’hui encore Aze est capable de vous raconter avec certitude absolue. Une nuit de janvier alors qu’il avait sept ans. Avant ça ? C’est le trou noir. Il a tenté de remonter plus loin notamment à l’aide de sortilèges ou même de thérapies moldues comme l’hypnose mais rien n’y fait. C’était comme si sa vie avait vraiment débuté au beau milieu d’une nuit de janvier, dans la chambre de ses parents avec le corps sans vie de sa mère et tout ce sang dans la baignoire. Paradoxalement, ce qu’il retenait le plus c’était le sourire de son père. Cet homme si froid, si distant durant tout le reste de son enfance. Une figure paternelle effacée, un simple vide à la place d’une mère et un petit frère beaucoup trop jeune pour l’aider à lever le voile sur toute cette histoire. Seule elle restait. Elle l’accompagnait. Elle l’accusait encore et encore.
Tout est de ta faute. C’est toi qui l’a tuée.
Non.
Elle est morte par ta faute !
Non ! Tais-toi.
Chut !

Deux ans seulement séparaient les garçons Yaxley. Comme culs et chemises, ils passaient leur temps à jouer ensemble, le vaste domaine dont disposait le manoir familial était leur terrain de jeu de prédilection. Grimper dans les arbres, s’imaginer en plein match de Quidditch, soigner des dragons et autres créatures magiques ou bien combattre des ennemis en brandissant de vulgaires branches de bois en guise de baguette. Tout était bon pour les distraire, pour compenser l’absence de cette figure maternelle dysfonctionnelle qui avait fait vivre pendant des années un enfer à Azrael. Petit ange maudit sous stricte surveillance de son père. Ezekiel n’avait pas remarqué tout de suite l’attitude différente de son fils. Ce ne fut que quand son héritier en devenir ramena dans sa chambre le cadavre fraîchement décomposé d’un lapin pour le disséquer qu’il se mit à ouvrir l’oeil. Quelque chose avait changé. Quelque chose s’était brisé. A croire que le sort d’oubliette qu’il avait lancé sur Azrael n’avait pas effacé le traumatisme des abus sexuels et moraux subis par son fils. Sa femme n’était plus mais son ombre planait encore sur le mental brisé d’Aze. Il pouvait le voir dans son regard, dans cette attitude parfois si sombre, détonant de son habituelle gaieté. Les cris, les pleurs, les crises et accès de violence. Petit ange devenait démon. A croire qu’il portait bien son prénom. Azrael, l’ange de la mort.

Plus les années passaient et plus Ezekiel Yaxley réussissait à se faire à l’idée qu’Azrael ne prendrait pas sa succession. Il était trop doux, trop gentil, trop optimiste mais surtout beaucoup trop dérangé pour faire un héritier. Sa fascination pour le macabre, la façon qu’il pouvait avoir de parler seul parfois, se mutilant, hurlant et en allant jusqu’à se frapper pour faire taire cette petite voix qui résonnait en lui… C’était trop extrême pour en faire un bon Yaxley. Tout naturellement, il décida d’écarter Azrael. Pas de grandes réceptions réservées aux sang-purs pour lui, pas de mariage arrangé en perspective, pas de pression pour rejoindre les mangemorts. Toutes ces responsabilités retomberaient sur les épaules du petit dernier. Une intuition confirmée quand, lors de son entrée à Poudlard, Azrael atterrit chez les Poufsouffles. Bien que la déception était immense, son père ne le renia pas, abandonnant simplement l’idée qu’il puisse un jour revenir sur le droit chemin. Il avait fait ce qu’il avait pu pour le sauver, il était juste intervenu trop tard.

Comme un poisson dans l’eau à Poudlard, le jeune Yaxley traversa sa scolarité sans encombres. Apprécié d’une très grande majorité, il était toujours le premier à vouloir s’amuser, raconter des blagues et proposer son aide pour travailler certains sortilèges ou potions. Sa grande intelligence le plaçait parmi les meilleurs de sa promotion, excellant dans de nombreux domaines de compétences. Malheureusement, en parallèle la petite voix dans sa tête s’intensifiait. Victime d’épisodes de rage intense, il intensifia les séances de mutilations, un moyen comme une autre de se canaliser, de maîtriser cette violente envie de souffrance. Un aspect de sa personnalité qu’il réussissait à cacher à merveille, refusant de se défouler sur ses camarades. Ce fut donc tout naturellement que lorsqu’il fallut choisir une orientation pour l’université, Aze opta pour la médicomagie. Une façon habile d’être confronté à la mort, la souffrance et l’hémoglobine sans faire de mal à qui que ce soit. Les cours d’anatomie, les autopsies, le perfectionnement en potions, botanique et sortilèges de guérison. Un véritable bonheur pour Azrael. De quoi contenir à merveille ses pulsions macabres et stimuler sa curiosité débordante. Du moins, cela dura un temps. A mesure qu’il multipliait les stages, ensorcelait des employés de morgues moldues à travers Londres pour plus facilement avoir accès à des cadavres mutilés, son obsession grandissait, devenant de plus en plus étouffante. Par chance, le conflit armé en Moyen-Orient dans lequel le Royaume-Uni était impliqué lui offrit un nouvel échappatoire.

A peine fut-il fraichement diplômé qu’Azrael s’enrôla dans la Royal Army en tant que médecin. Il prit un nom d’emprunt, se faisant ainsi passer pour un moldu. De l’été 2015 jusqu’au début de l’année 2018, le jeune sorcier évoluait dans des zones de guerre, confronté à la violence, la peur et la mort. Le sang et les corps mutilés faisaient partis de son quotidien. C’était dans ces moments difficiles, traumatisants pour beaucoup, qu’il se sentait le mieux. La facilité déconcertante avec laquelle il vivait son quotidien de soldat, gardant toujours le sourire, permettait d’égayer la vie sur le campement. Une fois de plus il était un peu ce soleil qui rendait la situation plus légère, plus facile à vivre. Non seulement Aze s’illustrait pour ses talents de médecin mais il brillait également par sa bravoure au combat. Ce que ses coéquipiers ne savaient pas c’est qu’il s’aidait bien souvent de la magie pour éliminer les ennemis, en profitant très souvent pour torturer et mutiler quelques tireurs esseulés. La guerre c’était fantastique !
Si on avait proposé à Azrael de rester pour toujours, il aurait probablement accepté. Malheureusement, suite à un acte de bravoure particulièrement remarqué et la fin de la nouvelle mission à laquelle son unité avait été affectée, le jeune Yaxley dû rentrer au pays. Décoré d’une médaille, certes, mais forcé à retrouver la vie de civil. Comment reprendre une vie normale après des années sur le front ?! Il eut beau intégrer Sainte Mangouste en tant que médicomage, l’action du front lui manquait. Aze avait besoin de plus que cela. Il reprit ses bonnes vieilles habitudes : quand il ne soignait pas ses patients, il soudoyait des employés de morgue ici et là, il recherchait un moyen d'assouvir ces pulsions qui le rongeaient. Quand le secret sorcier fut révélé et que les premières attaques du Blood Circle commencèrent, Azrael y vit l’occasion d’apporter son aide tout en retrouvant l’adrénaline qui accompagnait n’importe quel conflit. Consécration ultime : il fut propulsé en septembre 2020 chef du service spécialisé dans les blessures liées aux moldus, un pas de plus vers son rêve bien que pour certains il prenait position dans le conflit. Se désintéressant de l’aspect politique et idéologique, Aze n’était là que pour satisfaire la petite voix qui lui susurrait des idées noires à longueur de temps. Ce camp là comme un autre faisait bien l'affaire. Il avait besoin de frissons, besoin de dangers et surtout d'un exutoire à toute cette violence qui sommeillait en lui sans qu'il n'en saisisse vraiment l'origine. Son père l'avait protégé. Il lui avait fait oublier toute une partie de son enfance, de son histoire. Oui, mais pourquoi ? La question restait sans réponse.