« This world needs an enema. »
Aaron vint au monde en 1987, dans la belle ville de Johannesburg, en Afrique du Sud. Son père, Raynald Lestrange, alors en poste dans la capitale sud-africaine, avait emmené sa femme, enceinte jusqu’aux oreilles, avec lui. C’est ainsi que le petit Aaron vit le jour sous le soleil de plomb de ce pays d’Afrique noire. L’accouchement eut lieu dans un hôpital sorcier de la ville.
Ce qui n’était pas prévu, pour Raynald et sa femme, Mary-Jane Flint, c’étaient les complications qui étaient possibles dans un tel moment… L’hémorragie ne put être arrêtée à temps et Mary-Jane mourut quelques heures à peine après avoir donné le jour à Aaron.
Les premiers mois du petit Aaron Lestrange ne furent pas les plus faciles. Après avoir contracté une pathologie nosocomiale, il dut rester hospitalisé plus de trois mois, le temps que tout danger soit écarté. Durant ce temps, Raynald tâcha d’être présent auprès de son fils, mais c’était un peu difficile pour lui, un bébé n’était pas vraiment facile à occuper. A part manger, dormir et remplir sa couche, Aaron ne faisait pas grand-chose.
Quand Raynald put ramener son fils chez lui, ce fut une excellente journée, un jour de fête – le 16 juin 1987. Mais Mr Lestrange n’avait jamais pensé qu’il serait père célibataire. D’ailleurs, il vivait assez mal le veuvage et la paternité. Il savait qu’Aaron n’était pas responsable, mais il ne pouvait pas continuer comme ça.
On lui présenta plusieurs sorcières issues de lignées pures et Raynald finit par tomber sous le charme de l’une d’elle, Karbala Mthembu, professeure d’alchimie dans l’école de magie de Uagadou. On peut parler d’un véritable coup de foudre entre ce sorcier et cette sorcière. Et Karbala, alors âgée de 23 ans à peine et n’ayant pas d’enfant, accepta d’élever Aaron comme son propre fils.
***
Trois ans plus tard, elle donnerait naissance à un fils et encore trois ans plus tard, à une fille. Mon demi-frère et ma demi-soeur.
***
En tant que grand frère, j’ai toujours fait de mon mieux. C’était important pour moi de montrer l’exemple, de protéger, de faire ce qu’il fallait…
J’ai toujours voulu que les choses soient pour le mieux. Alors, le racisme dont j’étais témoin, enfant, j’essayais de fermer les yeux dessus. Parce que c’était comme ça partout dans le pays et que c’était « normal » que les enfants n’ayant pas la même couleur de peau ne jouent pas ensemble. Je ne comprenais pas, parce que les autres enfants blancs ne parlaient même pas aux enfants noirs. Mais moi, je les aimais bien. Je m’entendais même super bien avec Barend et Galand. Leur Mama Rosa faisait la meilleure moambe du monde entier et quand on allait dans le veld ou le bokkeveld, ensemble, c’était génial.
Mon père n’était d'ailleurs pas bien vu par les autres Blancs, parce qu’il avait épousé une femme noire. C’était la plus gentille femme que je connaissais et elle racontait très bien les contes africains. J’adorais ça.
J’entendais souvent des choses sur les moldus, quand j’étais petit. Il y avait des révoltes, des conflits, ils parlaient d’un certain « Madiba » qui avait été emprisonné parce qu’il voulait changer le monde… c’était compliqué à comprendre, tout ça. J’avais toujours pensé que la prison, c’était pour les méchants : les voleurs, les tueurs… mais pas ceux qui veulent changer les choses.
Il y avait quelque chose qui m’échappait et je ne comprenais pas bien pourquoi notre monde de magie et de sorcellerie devait rester en retrait par rapport à celui des moldus… mais je finis par comprendre : c’était parce que les moldus étaient bêtes qu’il y avait des conflits. Quand ces conflits-là allaient s’arrêter, les moldus chercheraient d’autres personnes à détester et à bousculer… et ça pourrait être nous, les sorciers.
***
Une nuit de juillet, quand j’avais 11 ans, je fis un rêve très étrange. Un esprit portant un chapeau haut de forme me rendait visite et me montrait l’avenir, au cœur d’une montagne que je n’avais jamais vue avant, une montagne dans une chaîne où la lune semblait se refléter… La lumière bleutée qui enveloppait les lieux m’avait beaucoup impressionné et en me réveillant, si je n’avais pas eu un galet gris chiné, comportant des gravures, dans la main, j’aurais cru que j’avais juste consommé un peu trop de sucreries avant d’aller au lit… Mais non, Karbala m’expliqua tout. L’école de magie, les choses que j’étais en âge d’apprendre, les cours que j’allais suivre, les fratries de Uagadou, etc. Je l’avais écoutée, tout émerveillé. C’était comme si le rêve se poursuivait. Je revoyais la terre rouge sombre, comme si elle saignait à l’intérieur, et la végétation où se reflétait la lune…
A la rentrée scolaire, j’entrais donc dans cette école de magie. Uagadou. Dans les Montagnes de la Lune, au-delà du Witzenberg et de nos Skurweberge. Je n’avais jamais été très bon en orientation, jusque là, mais Karbala m’avait accompagné, puisqu’elle entamait l’année scolaire, tout comme moi.
On me retira un filament de pensée pour l’analyser et je me retrouvais dans la fratrie des Alpha Tau Omega, où je constatais rapidement que j’étais parmi les quelques seuls élèves blancs.
Ce constat, je le fis aussi en observant tous les élèves de mon année. La plupart des Blancs quittaient l’Afrique pour retourner en Europe pour leurs études. Moi, j’avais toujours vécu en Afrique du Sud. Je me serais senti comme un étranger si j’avais dû aller en France ou en Angleterre.
Heureusement qu’on parlait afrikaans et anglais, à la maison, parce que je pense que la barrière de la langue aurait été difficile à franchir sans ça.
***
Durant mes études à Uagadou, je me suis fait quelques bons amis, des vrais (Ceux qu’on peut compter sur les doigts d’une main. Ça ne sert à rien d’être populaire et d’avoir 50 « amis » si personne n’est là quand on a besoin, s’il n’y a pas de confiance, etc.)
Je me suis fait des ennemis, aussi.
J’ai été témoin du racisme très tôt. Mais Kabarla m’avait élevé comme si j’avais été de son sang, de sa chair. Pour moi, la couleur de peau, ça n’avait pas d’importance… nous étions tous humains, c’était ça qui comptait.
Dans les cours, j’étais bon dans certaines branches, mais pas toutes. L’alchimie et la métamorphose, j’étais parmi les trois meilleurs de la classe… mais alors, l’astronomie… je ne m’en sortais pas. Je trouvais le ciel superbe, la nuit, mais je n’étais pas fichu de reconnaître les constellations. Je ne voyais pas pourquoi on appelait « grande Ourse » un dessin qui ressemblait à une casserole, par exemple. Alors, de là, forcément, je confondais vite les noms des constellations. Les professeurs voyaient que j’étudiais, mais je ne voyais pas le rapport entre le nom et le dessin : pour moi, c’était comme dessiner une chaise et appeler ça un guépard. J’avais eu le malheur d’expliquer ça au prof et des élèves avaient entendu. J’ai écopé du surnom de « Guépard stellaire » pour le restant de mes années d’études à Uagadou. Dit comme ça, ça peut sembler plutôt classe comme surnom, mais quelle honte se cachait derrière ce titre !
Pourtant, ce fut ce titre pas très honorifique qui me permit de sortir avec la plus jolie fille de l’école. Bola était togolaise. Fille d’une longue lignée de sorciers du Togo, elle était magnifique et douée, j’étais tombé amoureux d’elle au premier regard. Mais je n’osais pas me déclarer. Parce qu’elle était intelligente et belle… trop belle pour moi, peut-être. Pour une série d’examens, nous avions été placés en binômes et elle était avec moi. Elle m’avait confié ses difficultés en alchimie, alors qu’elle connaissait les miennes en astronomie. Nous allions veiller l’un sur l’autre, le deal était simple.
Le Guépard stellaire et la Gazelle de l’Atacora.
Nous avions triomphé de ces épreuves. Comme d’autres, bien sûr, mais sur le moment, nous nous étions d’abord réjouis pour nous-mêmes. J’avais 15 ans pour ce premier baiser échangé avec elle. Et ça avait été le plus beau jour de ma vie.
J’ignorais encore que la libération de Madiba et son élection, quelques années plus tard, n’allaient pas régler toutes les histoires de racisme et que Bola allait en faire les frais.
Nous sortions ensemble, comme le faisaient les ados de notre âge, sans nous prendre la tête pour le reste. Elle venait chez moi, j'allais chez elle. Pendant les vacances, nos parents étaient plutôt contents de nous voir passer du temps ensemble. Ils voyaient d’un très bon oeil notre relation et envisageaient clairement d’unir nos familles.
Mais nous nous étions trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Il y avait encore des séparatistes blancs qui voulaient un retour à une société où la population sud-africaine servirait les Blancs, comme avant… Il y eut un attentat dans un quartier noir de la ville de Johannesburg, là où on achetait quelques épices pour la moambe, et Bola fut prise dans les coups de feu. Son crime ? être Noire.
Les meurtriers, des moldus séparatistes, avaient même revendiqué sa mort comme le symbole de leur lutte… Et moi… j’étais anéanti.
C’est après ça que j’ai commencé à déconner.
J’ai fumé un peu de tout, j’ai bu un peu de tout, j’ai fait le con. Sans Bola, je ne me voyais pas vivre. Alors je prenais risque sur risque, parce que c’était la seule manière que j’avais trouvée pour me sentir encore vivant.
***
Quand j’eus terminé mes études à Uagadou, le manque de Bola me rendait triste et terne. Je n’arrivais pas à avancer dans la vie, tout me ramenait toujours à elle. J’ai vraiment déconné, à ce moment-là. J’ai dépensé du fric, sans compter, pour des conneries, au grand dam de mon père et de Kabarla qui me voyaient glisser vers quelque chose qu’ils ne souhaitaient pas. Finalement, je demandai à mon père de me donner ma part d’héritage et je partis. Je fis la fête, je bus, je fumai, je vécus n’importe comment, n’importe où et avec n’importe qui. En réalité, je vivais comme si j’étais encore ado, à tester les limites, mais je n’en avais plus aucune. Rien ne m’arrêtait et je faisais ce que je voulais.
Vint un moment où je n’eus plus d’argent. Je dus alors me rendre à l’évidence : il me fallait trouver un job. Je fis un peu de tout : les récoltes de coton, la plantation de riz, les cultures de toutes sortes, les cueillettes de toutes sortes...
Je repensais souvent à cette histoire que Mama Rosa me racontait parfois, quand j’étais petit, une histoire de fils prodigue… je m’y reconnaissais, finalement, dans cette histoire. j’avais dilapidé mon héritage, j’avais agi sans réfléchir. Je voulais retrouver mon père, Kabarla, et puis mon demi-frère et ma demi-soeur. Mais de loin, je vis la propriété et je vis que je n’y avais plus ma place.
Au-dessus de chez nous, je m'asseyais sur des rochers d’où je pouvais voir tout ce qui venait de me renier. Je sentais la rage qui montait en moi, comme un abraxan qui tirait sur ses rênes pour se libérer. Je m’appuyai sur un des rochers et je le sentis qui bougeait légèrement sous mon poids. Je rassemblais toutes mes forces pour le soulever en haletant, j’essayais encore et encore jusqu’à ce qu’à la fin il fût en équilibre sur le rebord, puis il culbuta et roula, de plus en plus vite, entraînant avec lui des rochers plus petits et des cailloux, il bondit de plus en plus haut, avec un bruit de tonnerre, et des étincelles jaillissaient dès qu’il touchait quelque chose. Et si les étincelles mettaient le feu aux herbes ? Et si je mettais le feu à la montagne et que tout brûle, d’ici aux champs de blé en bas ? Laisser brûler. Laisser tout brûler. Je serais le maître des lieux…
Et puis j’ouvris les yeux. Je ne pouvais pas faire ça. La destruction n’allait rien apporter. Ce qu’il fallait, c’était que je m’en aille, loin, pour mener ma vie comme je le voulais. Je devais m’exiler.
La première étape a été de faire en sorte que je puisse gagner un peu d’argent. Suffisamment, en tout cas, pour me payer un aller simple pour l’Europe.
***
Durant quelques années, je vivotais. Je prenais tout ce que je pouvais trouver comme job. J’ai ainsi travaillé comme veilleur de nuit, comme gardien de bâtiments administratifs, comme récolteur, planteur, vendangeur… Je pense que tous les jobs saisonniers qui existaient, j’ai pu les faire au moins une fois. La difficulté, après ça, c’était surtout de ne pas dépenser tout cet argent tout de suite, bien que j’en aie très envie, mais je devais économiser. Alors je vivais comme un clodo, en cachant bien mon fric, pour garder mes rêves à l’esprit et dans mon coeur.
J’avais 22 ans quand j’ai enfin pu réunir la somme nécessaire pour pouvoir à la fois compléter les nécessités administratives et obtenir mon billet pour le pays de Shakespeare. Là, j’allais pouvoir étudier à l’université et pouvoir peut-être ensuite trouver un boulot fixe et avoir une vie un peu plus stable.
La protection magique… un choix assez stratégique, en fait, quand j’y pense. Je ne voulais pas spécialement devenir un héros pour le monde magique, mais j’avais à coeur de me rendre utile.
Et mon don d’animagus pouvait être un atout dans l’idée de protéger les sorciers, alors j’allais dans ce sens. Je n’étais pas mauvais, en fait, peut-être que j’aurais pu faire mieux si j’avais un peu moins profité en dehors des cours, parce que oui, les soirées entre étudiants, je ne connaissais pas ça avant de venir en Angleterre… et Londres est parfaite pour s’éclater ! Et puis, il y avait les filles, bien sûr… et les mecs, aussi… mais eux, c’était juste pour m’amuser que je passais entre leurs reins, les histoires un peu plus sérieuses que les coups d’un soir, c’était toujours des nanas.
J’ai aussi dû me pointer à plusieurs soirées mondaines, les trucs de sang pur, en fait, au milieu de plein de sorciers guindés et coincés, puis d’autres qui se pensaient drôles ou en vogue. Le genre de soirée chiante à mourir. Heureusement qu’il y avait de l’alcool… et puis, j’avais toujours de quoi fumer ou planer un peu, ça améliore toujours pas mal les choses.
J’ai terminé mes études en 2015. Une année qui a marqué un tournant dans ma vie...
***
Une fois mon diplôme obtenu, j’ai fait comme tout le monde : j’ai cherché un boulot stable. Le Ministère engageait et je me suis présenté pour un poste chez les Aurors… mais je me suis bien planté sur une épreuve un peu trop technique pour moi… il faut dire que je suis du genre à penser que la fin justifie les moyens, vous voyez ? peu importe comment on y arrive, tant qu’on y arrive… Enfin, ça a été une bonne occasion de me prendre une murge avec une fille qui était candidate en même temps que moi… un peu allumée, la gonze, mais on s’est bien entendus autour de quelques verres. Elle a fini prof à Poudlard… et moi, j’ai passé les épreuves pour entrer dans la police magique.
C’était plus accessible pour moi que le poste d’Auror, faut croire, parce que là, j’ai géré. Et comme j’ai une bonne vue et que j’arrive à bien me concentrer, je n’ai pas eu trop de mal à devenir tireur d’élite.
Il m’arrive de réaliser des missions avec d’autres personnes du Ministère, notamment les Aurors, d’ailleurs, et j’utilise mon don pour bien repérer les lieux et observer les choses avant d’attaquer. Un atout, vraiment ! Tout comme le fait de ne pas avoir besoin de ma baguette pour tout… en Afrique, on avait tous appris à manier la magie sans cet ustensile. ça facilitait bien les choses en mission, aussi.
C'est à peu près lors de mon entrée en fac que j'ai été approché pour rejoindre les rangs des mangemorts. On m'a un peu vendu du rêve, mais je dois dire que je rejoins pas mal les idées qu'on m'a présentées. Les moldus méritent de retourner à leur place et nous de vivre notre vie de sorcier au grand jour.
Aujourd’hui, ça va faire cinq ans que je bosse là. Et j’aime bien ce boulot. Parfois, je rends quelques services à des potes plus ou moins fréquentables quand ils ont des demandes particulières, mais je réserve la plupart des bons plans déconnade pour les week-ends. Je me sers aussi de mon don pour trouver certains trucs sympa que je peux revendre.