Les rafales glaciales de cette fin décembre mille neuf cent quatre vingt dix neuf chasse les nuages qui pourraient assombrir le ciel. Clair, il dévoile l’incroyable et merveilleux phénomène terrestre que sont les aurores boréales. Malheureusement, Monsieur et Madame Eskil ne pourront pas être les spectateurs de ces vents solaires car, ce soir-là, leurs filles décident de pointer le bout de leur nez. Les deux petites blondes aux grands yeux verts font déjà leur bonheur alors qu’elles poussent leur premier cri. Enfin, c’était ce qui était supposé se passer. Les douces et innocentes créatures sont le fruit d’une pure ignominie, le symbole même de la trahison. Leur père au sourire enchanté n’est pas leur géniteur. Leur mère a commis l’irréparable avec un autre. Un Lestrange. Le nom qu’elles auraient dû porter.

Le scandale n’éclatera jamais au sein de la communauté sorcière. Que dirait-on d’une tromperie au sein du couple Eskil ? Leurs compétences politiques seraient mises en doute, assurément. Ils perdraient leur crédibilité parmi leur semblable. La tromperie restera secrète. Alors, lors des grands événements, la famille parait unie, heureuse. Au cœur du foyer, il n’en est rien. Les deux filles grandissent sous l’oeil dédaigneux de leur père aux yeux de la loi. Leur mère tente tant bien que mal de se racheter en n’accordant aucune importance à sa progéniture. Elle montre à son mari que son erreur n’est qu’anecdotique, malgré les conséquences désastreuses.

Une erreur. Nées avec un boulet au pied. Obligées d’évoluer avec un immense fardeau sur leurs épaules. Malgré leur date de naissance partagée, Solveig et Astrid prennent chacune un chemin bien différent pour affronter leur périlleuse existence. Solveig rentre dans les rangs. Elle obéit aveuglément aux exigences de son père. Elle n’est même pas encore à Durmstrang, qu’elle étudie jusqu’au petit matin. Elle dévore les livres de leur immense bibliothèque et engrange un maximum d’informations. Il n’y a aucun doute : elle sera la meilleure élève de l’école. Elle en est persuadée, lors de la Cérémonie de remise des ASPICs, elle verrait enfin la fierté dans le regard de son père.  

Elle a onze ans, elle rejoint enfin le collège magique de Durmstrang. A sa grande surprise, elle est assignée au Clan Blizzard. Téméraire, certes, elle est pourtant liée au Clan Tempête, elle le sait au plus profond d’elle. Son père en était le préfet en chef ! Comment ne pouvait-elle pas suivre ses traces ? Elle pense à une méprise. Déterminée, elle se rend dans le bureau du directeur et fait savoir son mécontement. Il sourit et déclare dans un calme olympien : « Je ne vois aucune erreur dans l’assignation de votre maison, Mademoiselle Eskil ». Elle fulmine et se réfugie dans la bibliothèque. Lieu qu’elle ne quittera pas avant la fin de son cursus scolaire. Elle lève parfois les yeux de son livre pour surveiller sa jumelle. Elle sourit, elle pétille. Elle paraît heureuse, en phase avec elle-même. Solveig l’envie. Astrid est le Soleil, elle est la Lune. Elles sont chacune à un pôle, mais elle reste irrésistiblement attirée l’une à l’autre.

Des années de réclusions plus tard, elle obtient six Efforts Exceptionnels à ses ASPICs. Ses efforts - et c’est le cas de le dire - ont enfin porté leurs fruits. Ses résultats lui ouvrent les portes du Ministère de la Magie - sous réserve qu’elle poursuive ses études à Poudlard. Elle s’empresse de tendre son diplôme à son père qui ne daigne même pas y jeter un regard. Il l’ignore. Elle insiste. Il s’énerve. Il la méprise et la frappe. Elle comprend enfin qu’elle n’est qu’un caillou dans sa chaussure. La tristesse l’envahit si puissamment qu’elle s’effondre. Calfeutrée entre les quatre murs de sa chambre, les larmes inondent ses joues. Sa poitrine se serre. Elle suffoque. L’air se raréfie dans ses poumons. Elle est effrayée. Alors qu’elle s’apprête à tomber, elle se rattrape de peu à sa commode. Elle se redresse, tremblante et tombe nez à nez sur son reflet dans le miroir. Ses doigts serrent rageusement le bois du meuble. Elle ne veut pas de ce flot d’émotions. Elle ferme les yeux, respire profondément malgré les sanglots qui soulèvent sa cage thoracique. Ses études poussées sur l'occlumancie doivent porter leurs fruits. Elle ne peut plus tolérer un nouvel échec. Elle doit réussir à maîtriser cet art. Sa jumelle est une Legilimens, pourquoi ne pouvait-elle pas maîtriser un autre aspect de cet art aussi ? « Vide ton esprit de toute pensée et de toute émotion.» Sa respiration s’apaise, sa peau sèche. Elle ouvre les yeux, essuie ses joues et se redresse. L’occlumancie élémentaire est à portée de main.

Depuis cet événement où elle a su se détacher de ses émotions et pensées, Solveig apparaît beaucoup plus froide, comme détachée de la réalité. Son unique motivation est de continuer d’exceller dans ses études. Le déménagement de la famille à Londres est une aubaine pour elle. Intégrer l’Université de Poudlard est un véritable privilège dont elle compte bien en profiter. Elle se dirige naturellement vers des études de Droit Magique, chemin obligatoire pour espérer prétendre à une place au sein du Ministère. Comme à son habitude, elle se donne corps et âme à ses études. Elle prend même l’option de Droit Moldu contre la volonté de ses parents afin de parfaire ses connaissances. Cependant, elle développe une étrange fascination pour ce monde dont elle ne connaît rien - à part quelques terribles anecdotes probablement inventées.

Trois ans d’études plus tard, ses convictions s’effondrent. Les Mangemorts qu’elle a longtemps dû vénérer ne correspondent plus  à ses principes. Les différents conflits lui donnent le tournis. Qui a raison ? Qui a tort ? Quelle justice y a-t-il là-dedans ?  Plus rien n’a de sens. Elle est partagée par son désir viscéral d’être la fierté de son père - celui qui l’a animé jusque là - et sa volonté de comprendre, d’être. Elle s’accroche à la seule chose qui semble immuable : sa relation avec sa sœur jumelle.Elle est son rempart dans ce flot d’interrogation, la lumière dans cet obscurité. Peut-être que, finalement, la réponse à toutes ses questions n’est autre qu’Astrid.