LA GIRAFE - Grande, élégante, elle symbolise ce pont entre la fermeté de la terre, et la subtilité de l'air - le monde dilaté de l'esprit, l'univers éphémère du corps. Sémaphore antique, elle s'élève et observe le monde; sa stupidité, sa naïveté, ses arabesques continuelles et ses courbes archaïques. Elle se fait la gardienne de la paix des mœurs et des langages du cœur.

L'ÉLÉPHANT - De sa psyché stable, il incarne l'intelligence, sobre de toute avarice, sa prestance foule l'argile ancien et terrasse vices et animosité. Témoin des maux terrestres, il démontre une certaine sagesse impartiale. Tantôt un animal quiet, il amène l'orage et la colère pour faire taire bravades et menaces. Son courroux peut se montrer dévastateur ! 

LE LÉZARD- Discret, il se faufile, se cache. Vous ne le voyez pas, le petit reptile, dissimulé derrière les roselières, sur les pavillons et même sous les symphorines. Immobile. Attentif. Furtif. Vous n'êtes jamais à l'abri de son regard fouineur.  

Et voilà. Ajabu est embrassée par le don de la tempérance, de la modération des sentiments et de la sobriété d'âme. Semblant froide aux premiers abords, ce n'est pourtant qu'une façade qui s'écroule quand la confiance est installée. Son allure dominante et conquérante, fait d'elle un pilier protecteur inébranlable. Sa nature de corps et sa prestance ensorcelante assujettissent tout idéaux et écueils à son égard. Ajabu, on peut le dire, est le silence oppressant avant le chaos, l'accalmie après l'émoi. Sa maîtrise à peser le pour et le contre, le juste et ce qui est à damner. Elle est neutre dans toutes causes, ce qui fait d'elle l'incarnation parfaite de Thémis, déesse de l'Ordre, de la Justice et de la Loi. 
Bien qu'elle ait l'air angélique, Ajabu garde sa fougue de jeunesse; petite fouineuse, elle s'immisce dans les histoires qui ne la regarde pas, cherchant à se faire médiatrice dans les disputes. Au moins, c'est une épaule sur laquelle se poser quand les temps sont durs. Gourmande, elle profite de son métabolisme rapide pour manger chocoballes et macarons qui peuvent lui passer devant le nez. 

Le silence accablant du vent aux apparitions saccadées transperçait mes tympans, comme des cymbales imaginaires retentissant tout près de mes oreilles. Le bruit régulier des sabots fendus du troupeau de girafe qui m'escortait étaient la seule source de réconfort parmi cette quiétude morbide. Moi-même attelée à l'un de ses mammifères, perdue dans cette masse d'animaux aux longs coups, j'étais encore aux aguets. Mes pupilles semblaient se multiplier dans leurs orbites; au-delà de mon voile protecteur contre le sable voletant dans l’atmosphère sèche et ardente, et contre ce soleil étouffant qui consumait sans pitié les dernières ressources d'eau accumulées dans mon corps, je scrutais chaque détail, chaque petit grain de terre. Cela faisait déjà quatre bonnes heures que l'on voguait à travers le désert kényan. Le Gouvernement m'avait catégoriquement interdit de me rendre à l'autre orée de cet océan embrasé à dos d'oiseau - autrement, l'ennemi m'aurait déjà repéré, puis sauvagement tué. Plus tôt dans la matinée, le département de la Protection Magique avait reçu une missive dans laquelle l'expéditeur s'affolait qu'un groupe de sorciers bien connu du Ministère kényan et craint pas les minorités, avait réduit en cendre tout un village. Biscornu, comme idée, de me faire subir tout ce pèlerinage pour s’apercevoir que, finalement, tout allait bien, et que maintenant il ne fallait plus qu'à faire marcher arrière pour rentrer au bercail, bredouille.
Les yeux toujours plissés, mon dos droit et inflexible, je distinguai alors des ruines, au loin. Au moins, j'aurai de quoi peaufiner mon rapport. Mes deux mains se débarrassent des tissues fins aux arabesques discrète. J'étais prête, à tout instant, à riposter contre la menace. À aucun moment, aucune seconde, je ne devais détourner mon attention; l'écueil était beaucoup trop conséquent pour que je ne divague à d'autres pensées encombrantes. Arrivées à la lisière des ruines où tantôt se dressaient maisons et étals divers, le cataclysme avait ravagé tout un pauvre village où essayaient de survivre une honnête population. Le troupeau nous quitta, moi et ma girafe, pour aller se reposer non loin à l'ombre d'un baobab qui avait été épargné.
Mon bras droit, d'un geste vif et presque machinal, se dresse à la hauteur de mon visage. Ma tenue fragile et ample se meut un instant, comme bouleversée par une bourrasque d'air. Mes doigts se laissent porter par l'agitation atmosphérique dont ma main paraissait être la principale source d'énergie. "Qu'est-ce que tu en conclues, Ajabu ?" Une voix à mes côtés perturba le silence ambiant des ruines endormies. Là où tantôt s'élevait ma girafe, se tenait une figure féminine aux traits tirés et tendus. Je fis claquer ma langue contre la paroi supérieure de ma bouche. J'étais certaine d'une chose; "Ma chère Mandwa, reste sur  tes gardes. La menace est encore proche." Mon ton était sans appel. Un frisson d'effroi parcourue ma coéquipière qui se mit aussitôt en position d'attaque. Et effectivement, la fin de ma phrase fut ponctuée par un rugissement à en faire pâlir la déesse de la lune Mawu. Ce mugissement tonitruant était si proche, que mes entrailles en étaient encore chamboulés.
J'étais érigée de toute ma hauteur. Mes mains parcouraient l'air, l'effleuraient pour un instant plus tard peut-être la frapper de toutes mes forces afin de terrasser notre antagoniste. Une ombre gigantesque oscilla au-dessus de nos têtes. D'où diable venait-elle ? Nous étions, Mandwa et moi, dos à dos pour appréhender toute attaque. Le diable lui-même, dans un martellement effroyable, posa ses quatre pattes grandiloquentes  face à nous. Le désespoir et l'épouvante se dessina sur mon visage. Mes yeux fixait ceux du Nundu. M'imaginait-il déjà entrain de me décharner, et de me vider de mon sang ? Toujours à dos contre moi, Mandwa tremblait visiblement tandis que ma posture demeurait draconienne. "Mandwa, n'esquisse pas un seul mouv..." bredouillais-je dans une voix si basse que même ma personne n'arrivait pas à l'entendre. Mais alors que je sentis le dos de mon amie quitter le mien, je sus que son seul mouvement allait sceller nos destins.
Tout allait si vite. Mandwa fend l'air de ses deux mains. Une vague herculéenne d'énergie repousse le Nundu en arrière, suivit d'un amas de poussière. Il se relève aussitôt. Avant même d'ébaucher un mot, mon corps décline. Il se contracte, il rétrécit, s'allonge. Mes yeux d'un noirs profond, sous la forme d'un gecko noir, observe la scène. Mandwa Kubwahingo, l'Animagus girafe de la troupe d'Aurors du Kenya, se retrouve écrasée sous les pattes acérées de la bête. Elle crie mon nom. Elle crie de supplice. Elle a besoin de mon aide. Mais moi, sous la protection de ma peau de reptile minuscule, je reste de marbre, je ne sais pas comment réagir. Le coup fatal est porté; le Nundu dresse sa crinière, et laisse s'échapper, dans un dernier rugissement, une nappe de gaz toxique. La peau de Mandwa fond. Sa voix se perd dans l'agonie. Sa chair se dilate, ses os apparaissent.
Je me retournai une dernière fois, laissant la carcasse de ma consœur gésir face aux crocs lacérées de la bête affamée qui s’apprêtait déjà à dévorer le troupeau de girafe. Ahurie, suffocante, je rebroussais chemin. Une traîtresse, une renégate, une honte aux Dieux eux-même. Je ne sais pas ce que je ressentais. Un mélange incertain de consternation, d'affliction, de chagrin, de bassesse s'était formé au creux de mon cœur. Ce n'est que lorsque j'arrivai aux arcades du Ministère de la Magie, épuisée, abattue, les vêtements déchirés, que je décrochai les mots qui transpercèrent mon entité tout entière avant de m'affaisser : "QU'ON M'OUBLIETTE, PAR PITIÉ !"

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