Elle avait planté les iris dans le sol, comme une volonté inextricable d’y creuser un trou sans qu’aucun n’y vienne l’en déloger. La cérémonie fastueuse se déroulait sous ses pieds, imperturbablement enracinés sur la moquette ocre, habiles détenteurs de sa prestance effacée. Amber se voulait absente et pour autant, malgré tous les efforts qu’elle déploya à cette rude tâche, Darius la trouvait ineffaçable. Certes lorsque son oeil brun la percutait discrètement par l’inquiétude, il présumait qu’elle n’était plus forgée par cet or tané des orfèvres mais dans un peu plus de métal fier, le plus pâle de tous. Un teint blafard et d’argent voilait son faciès et corroborait son voeu blanc de silence, sans qu’aucun convive ne parvienne à lui décocher un mot. Aussi de temps à autres, Darius s’évertuait à lui lancer quelques regards préoccupés, le spectre du tracas bien lové dans l’alcôve comme s’il couvait une soeur cadette. Et dans ce sacerdoce porté à la gloire du patriarche Towsen, ici et là - partout en vérité - l’on sonnait le glas de ses louanges, de son courage, de son audace. Autant de boniments flatteurs à la gloire du défunt déblatérés entre deux coupes de champagne sous la lippe ronde et pleine d’arrogance de sang-purs invités sur les lieux. Que l’on ne s’y trompe guère cependant ; en dépit de son adoration délirante pour la pureté du sang, Darius se confronta volontiers à sa différence. Le sang-mêlé préféra accuser le retrait comme le soutien, se contentant de hocher poliment la tête lorsqu’un comparse sorcier engageait la conversation avant de tourner les talons dès lors que la mascarade fut découverte ; un sang-mêlé aux obsèques de Sir Towsen, quel outrage et quelle ingérence puante ! Sur ces couardes débandades, Darius ne pouvait s’empêcher d’esquisser un sourire narquois, comme un pied de nez de sa malice à leur impolitesse.

De nouveau le regard coula sur la jeune fille dont la silhouette se dirigeait furtivement vers la sortie. Le voile de sa robe faisait frissonner les rideaux, son parfum la devançait. Mais d’aucuns ne s’aperçut de son exode furtif. Aucun excepté Darius dont l’hésitation se fit sentir quelques secondes ; sans doute préféra-t-elle demeurer seule, ou bien au contraire souffrait-elle de cet isolement forcé. Le jeune homme opta pour la deuxième option, porté par un libre arbitre très subjectif, puis la suivit au dehors. Les yeux se plissèrent sous l’obscurité soudaine, à la recherche de la silhouette familière qu’il retrouva au loin, assise au pied d’un arbre. Cette fois, Darius ne fut secoué d’aucune hésitation comme il avança vers la jeune fille et se fit pantomime ; il vint s’asseoir au pied de l’arbre, d’une distance suffisamment travaillée et de sorte que lorsqu’il tournait la tête, seule la nuque de Amber se découvrait à lui. Un peu de silence avant de peindre quelques mots sur ses lèvres ; « J’aurais dû insister pour te voir à partir de l’instant où tu ne m’as plus donné de nouvelles. J’aurais dû comprendre que tu n’allais pas bien. » Il y a de certaines épreuves qui bouleversent la tête, le coeur et l’esprit. Qui troublent et qui pénètrent. Darius peut-être, s’avançait de trop quant à l’état d’esprit de la jeune fille, mais sa spontanéité le fit parler avant même qu’il ne pose sa réflexion.