Il était une fois, dans un pays froid, une petite fille qui ouvrit les yeux sur un monde empli de mystères qu’elle ne pourrait que vouloir découvrir un jour. Attendue et désirée, elle fit la joie de ses parents qui promirent de l’aimer et la protéger des dangers de la vie. Ah non… Oups… Ce n’est pas la bonne histoire. Il ne fallut pas plus de quelques minutes après son premier cri dans ce monde froid et hostile pour que son destin ne se scelle. Une fille ! Quelle chose inutile ! Comment pourrait-on seulement aimer et être fier d’une chose aussi encombrante qu’insignifiante. La délicate petite chose n’était pas née dans la bonne famille et cet homme froid et autoritaire allait s’évertuer à le lui prouver. Qui sait, avec un peu de chance, la petite chose se briserait et deviendrait un problème lointain et vite oublié. Mais dans ce petit corps qui se tortille en recherche de chaleur sommeille une soif de vivre. Le manque d’amour tue des bébés, le saviez-vous ? Un scientifique s’est même intéressé à ce phénomène. Le destin de la petite aurait donc pu rapidement être scellé mais, dans cette tourmente, un être avait posé son regard sur elle : Dimka, son grand frère. Dans ses yeux à lui, point de malice, juste l’amour sincère qu’il porte à sa petite sœur. Les premiers pas dans l’existence d’Ana laissaient présager un avenir bien sombre. Lorsque l’on vient au monde, l’univers entier nous semble hostile. A peine sorti de ce cocon douillet, les sons agressent un petit être sans défense et le seul réconfort est la voix de sa mère. L’instinct maternel d’Ekaterina ne prit pas le dessus pour rassurer le nourrisson. Il lui faudrait apprendre à se rassurer seule pour survivre dans une famille qui n’avait jamais voulu d’elle. Le manque était un ennemi, un allié décuplant cette rage de survivre.

« Grandir, c'est apprendre le mal. Le mal est inévitable. »

La vie est parsemée de leçons dont certaines sont plus faciles à apprendre que d’autres. Ana ne fut jamais une enfant difficile. Calme, elle avait appris à vivre dans le silence. Avancer dans la demeure familiale à pas feutré pour ne pas faire de bruit, pour ne pas attirer l’attention. Se coller au mur en espérant que celui-ci dissimulerait sa présence au regard accusateur de cet homme qu’elle devait se forcer à considérer comme un père. Discrétion était le maître mot qui guidait son existence alors qu’elle se forçait à proscrire le rire de son existence. Elle faisait son possible pour se faire oublier mais la vie ne voulait pas qu’on l’oublie à son grand dam. La rage, elle la voit briller dans son regard. Elle cherche à comprendre ce qu’elle a pu faire mais elle était simplement en train de dessiner. Elle peut ressentir la peur qui gonfle dans son cœur alors que les battements de l’organe deviennent de plus en plus frénétiques. Elle se retourne cherchant autour d’elle ce qui a pu déclencher une telle colère chez son paternel. Mais elle est seule dans la pièce. Tête baissée, elle fuit ce regard dur qui lui fait regretter d’exister. Plus rien n’a de sens dans son esprit. Elle n’assimile plus la réalité alors que son esprit se détache de son corps pour s’envoler loin de cette pièce. Ses dents maltraitent sa lèvre faisant perler une goutte de sang dont le goût ferreux lui donne la nausée. Elle sent le liquide chaud sur sa main, goutte après goutte, réalisant que les larmes coulent sur ses joues telles des coulées de lave qui lui donnent honte. Pas un cri, pas un son ne sort de cette petite chose alors qu’elle encaisse sans oser même réagir. La première fois que les coups mordent sa chaire, elle éprouve la sensation de se consumer intérieurement. Son petit cœur se brise en mille éclats. Elle ne comprend pas les mots de son père, son cerveau n’enregistre plus. Elle attend laissant son esprit s’évader. Des secondes. Des minutes. Des heures. Elle ne saurait le dire car elle a perdu le fil du temps. Finalement, le silence règne. Prostrée comme si la vie l’avait quitté, elle laisse éclater sa douleur, sa tristesse. Jamais auparavant, il n’avait levé la main sur elle. Elle se promet de ne plus jamais faire de bêtises mais encore faudrait-il qu’elle sache quelle erreur, elle a commise. Son seul tort sera toujours d’être une fille et elle ne pourra jamais rien faire pour éviter d’être le déversoir de la colère de son père.



Devenir une petite fille parfaite. L’enfant russe croyait encore que cela finirait par lui attirer la grâce de son père. Elle n’espérait nullement qu’il l’aime ou soit fier d’elle mais qu’il détourne son attention assassine de sa petite personne. Malgré elle, elle appartenait à cette « illustre » famille Dimitrov et l’excellence seule avait sa place pour les êtres de la famille. Elle bénéficia malgré sa misérable condition d’une éducation sans failles afin de ne pas davantage attirer la honte sur la famille. Futée et intelligente, l’enfant apprenait rapidement s’efforçant d’atteindre les attentes propres à la famille Dimitrov. Mais ses réussites ne lui attirèrent jamais un seul regard de fierté. Une femme ne peut espérer que l’on apprécie ses habilités. Une femme se doit de servir les hommes qui l’entourent et ce, sans jamais oser s’en plaindre. Une femme doit s’estimer chanceuse des coups de son mari car cela prouve qu’elle existe à ses yeux. Ana aurait pu perdre le goût d’apprendre mais, par chance, elle aimait découvrir toute une panoplie de nouvelles choses. Jamais elle ne se refusait à la tentation d’expérimenter le savoir. Elle ne rechignait jamais au moindre effort. Elle rêvait de découvrir ce talent inattendu qui ferait d’elle un être d’exception. Dimka pouvait obtenir de son violon des sons divins s’élevant dans l’air telle une mélodie enchanteresse. Elle aimait à l’écouter et gravait les sons dans sa mémoire. Lorsque les coups pleuvaient, elle s’évadait au son de la douce symphonie de sa chanson préférée. Elle laissait son esprit se détacher de son corps. Mais elle ne pouvait fuir la vérité qui la meurtrissait au plus profond de son être. Elle n’était qu’une fille, la coupable du péché originel. Elle incarnait Eva croquant la pomme et damnant l’humanité toute entière. Cette vérité s’ancrait un peu plus en elle à chaque coup. A 6 ans, elle haïssait sa condition, rejetant sa féminité. Elle n’hésita pas même une fraction de seconde lorsque les ciseaux firent tomber au sol les jolies mèches de sa soyeuse chevelure. Elle aspirait à ressembler à un garçon, désirant une coupe garçonne. Elle avait même volé des vêtements de ses frères, parée comme eux. Elle aspirait à être leur égal. La main de son frère l’empêche de mener à bien son projet. En larmes, elle lâche les ciseaux avouant sa faiblesse. Seuls les coups récompensent son « exploit ».


La vie est monotone quand rien d’inattendu ne vient briser la monotonie du quotidien. Vieille avant l’âge, Ana n’espère rien de l’existence. Elle accepte les coups avec des larmes de douleur. Elle apprend sans jamais perdre cette soif de connaissance. Elle aime du plus profond de son cœur Dimka voyant en lui un modèle, un héros qu’elle suivrait jusqu’en Enfer. Elle aimerait se dire qu’ils sont une famille unie mais la réalité en est si loin. Ils souffrent tous sous les coups mais chacun vit ces épreuves dans la solitude la plus profonde. Assise dans son lit, cachée sous la couette avec faible lumière, elle écrit l’épopée d’une famille que tout divise. Elle décrit la princesse enfermée dans son donjon, celle qui souffre et se meurt intérieurement, celle qui est sans défense. Elle décrit le protecteur, celui qui fait preuve de douceur, celui qui console, celui qui rassure. Elle décrit l’absent, celui qui vit son existence, celui qui partira sans un regard, celui qui est trop différent. Elle décrit le mouton de panurge, celui qui ne réfléchit pas par lui-même, celui noyé par l’orgueil qui reproduit le schéma, qui devient le bourreau. Ils vivent ensemble des péripéties et elle les imagine grandir et murir. Elle réécrit l’histoire où chacun de leurs aventures les rapprochent des uns et des autres. Elle sourit lorsque finalement, la fratrie s’unit pour s’opposer au monstre ténébreux afin de protéger la princesse en danger. Mais tout cela n’est que dans son imagination fertile, cela représente son talent à elle : écrire. Elle fuit la réalité et dans un moment de perdition, ses pouvoirs se déclenchent. Elle ne peut s’empêcher d’être fière d’elle mais elle ne récolte que peu d’applaudissements pour son éveil.


Elle fera bientôt son entrée à Durmstrang. Elle en rêve jour et nuit. Elle veut croire qu’elle sera enfin libre, qu’elle pourra échapper à son calvaire mais elle sait que chaque vacance verra mourir en elle ce petit bout de liberté durement conquis. Elle plie l’échine alors que, seule dans le bureau de son père, elle sent la morsure de la ceinture sur sa chaire. Elle se mord la lèvre attendant le prochain coup qui ne vient pas. Elle relève la tête tremblante. Elle le voit comme nimbé d’un halo lumineux. Son regard s’empli d’un espoir nouveau alors que rien ne semblait pouvoir la sortir de ses meurtrissures. Elle fixe Dimka comme son sauveur et sans réfléchir, elle se réfugie derrière lui. Elle sent en elle que plus rien ne sera jamais comme avant et un vent nouveau vient recoller morceau par morceau les parties brisées de son âme. Après ce jour, plus jamais un seul coup ne vient meurtrir son corps. Plus jamais, elle ne dut se référer à ce père sans cœur. Dimka devient son seul repère et elle put enfin songer à se reconstruire, surprise d’avoir pu résister si longtemps, de ne pas s’être totalement brisée. Les failles restent dans son cœur mais elle ose enfin s’avancer vers la vie.

Durmstrang est un environnement hostile au premier regard mais elle connaît l’hostilité. Elle a grandi dans une famille qui ne voulait pas d’elle et s’est finalement libérée du joug paternel, enfin elle en a été libérée. Elle rejoint le clan Blizzard où elle s’épanouit. Le sport est pour elle un exutoire à toute cette rage contenue en elle, cette rage que jamais elle ne laissera s’exprimer. Voler est pour elle la libération absolue mais elle n’ose pas pratiquer le Quidditch se contentant d’en rêver en silence. Bonne élève, elle ne se fait pas trop remarquer. C’est une période d’accalmie où elle se sent tout simplement bien. Elle grandit. Elle s’épanouit. Elle devient une jeune femme intelligente. Discrète, elle ne se fait que peu remarquer, gardant des cicatrices de ses premières années de vie. Mais elle ne courbe plus l’échine guidée par le vent de renouveau que son frère à distillé dans ses veines. Elle pensait que la vie continuerait de s’écouler tel un long fleuve tranquille.

La nouvelle tombe : Dimka part étudier en Angleterre. L’arrestation de ses parents ne l’ébranlent pas, que du contraire, elle s’en réjouit sentant que plus jamais, leur ombre néfaste ne planera sur elle. Mais le départ de son frère la dévaste intérieurement. Déprimée, elle a la sensation que son existence s’écoule sans qu’elle n’en fasse réellement partie. Elle perd le goût de beaucoup de choses alors que la solitude gangrène son cœur. Son oncle n’est pas violent avec elle mais les humiliations lui rappellent sa faiblesse d’antan. Elle ne parvient pas à se lier à sa cousine, elle ne le veut pas. Elle jalouse celle qui semble avoir plus de chance qu’elle. Elle ne prend pas part à cette « vie de famille » restant en retrait. C’est une période où elle se fane et s’éteint mais enfin l’espoir revient habiter son cœur. Ielena et elle feront leur entrée à Poudlard à la rentrée et elles peuvent partir cet été pour s’installer. Fébrile, elle ne peut s’empêcher de préparer ses affaires en sautillant de joie à l’idée de rejoindre Dimka.


Le porteloin l’emmène vers cette nouvelle vie. Elle ouvre les yeux avec émerveillement devant ce nouveau monde. Le sourire ne quitte ses lèvres tandis qu’elle vient serrer la main de Dimka. Ce monde nouveau s’ouvre à elle et le bonheur habite son cœur. Elle babille gaiement, devant même en être soûlante. Elle laisse éclater sa joie sans même tenter de la dissimuler. Elle s’autorise à être simplement elle-même empressée de tout découvrir. Elle s’émerveille telle une enfant de chaque bâtiment, de chaque fleur, de chaque nouveauté. Elle virevolte comme si elle volait faisant preuve d’une surexcitation constante. Elle est tellement enjouée que l’on peine à reconnaître la jeune fille effacée qu’elle a été pendant presque toute son existence. Elle ose finalement s’affirmer sans crainte que l’on ne lui reproche sa spontanéité. Des années de maltraitance n’ont pas su tuer cette flamme, cette soif de vivre. Sa rentrée vient clore le spectacle lui offrant la consécration de sa liberté reconquise. Elle ne doit plus se cacher et, bien que timide, elle se lie aux autres avec une facilité déconcertante. Attachante, elle ne parle presque jamais de sa famille. Elle se contente de mentionner sa fratrie : un frère absent mais qu’elle admire pour son courage. Il a osé s’affirmer et fuir cette famille de malade. Elle parle de celui qui est comme sa moitié et qui, petite, la laissait venir se réfugier dans son lit pour la consoler. Elle lui voue une telle adoration que son regard brille de milliers d’étoiles. Elle ne parle que brièvement de cet autre frère qu’elle avoue mépriser pour sa méchanceté et sa lâcheté. Il est celui qu’elle s’efforce d’éviter mais dont l’ombre plane sur son existence. Il est le seul obstacle à sa pleine jouissance de sa liberté nouvelle. Ana sait qu’elle a un monde à conquérir et aucun obstacle ne semble pouvoir l’arrêter même si, tel un enfant, ses premiers pas sont balbutiants et timides.

Elle voudrait croire que le monde est aussi merveilleux qu’elle le voit avec ses yeux d’enfant. Elle s’efforce de se concentrer sur les petits miracles au quotidien mais elle ne peut ignorer le murmure extérieur qui enfle. Elle pressent que la guerre sera bientôt plus proche et qu’elle ne pourra l’ignorer. Elle redoute de devoir opérer le choix d’un camp car sa famille attend d’elle une chose qu’elle ne peut assumer. Mais si Dimka suit la volonté patriarcale alors elle se ralliera non pas à un camp bien particulier mais à son camp à lui. Elle n’éprouve aucune haine pour les moldus mais elle commence à les craindre sachant qu’ils peuvent désormais les blesser. Elle rêve d’une existence où tout un chacun puisse vivre en paix mais elle ne peut ignorer ce qui se passe. Elle se force à porter des œillères mais elles commencent à se fissurer la forçant à faire face à une réalité douloureuse. Elle s’efforce de rester en retrait mais un jour, le choix ne sera plus une option mais une fatalité. Les temps sont sombres mais elle garde l’espoir comme seule ancre dans son existence. Elle garde la foi en le seul être qu’elle pense pouvoir la sauver d’une vie trop complexe : Dimka. Elle se berce de l’illusion qu’il la sauvera à nouveaux d’un choix trop douloureux, d’une guerre trop sanglante.