Août 1994. Tu as cinq ans. Tu n’es qu’un enfant, un môme presque incapable de se débrouiller seul. Et pourtant, tu comprends déjà que ta petite sœur Anjelica va bientôt prendre la décision la plus importante de sa vie, celle qui régira toute son existence. Elle est désormais assez grande pour faire son propre choix, le même que tu as eu à faire il y a quatre ans de cela, alors que tu n’étais encore qu’un bambin. Les traditions familiales des Zabini perdurent depuis des dizaines d’année. Chaque enfant naît en ne sachant pas quel destin se dessine à l’horizon de sa vie mais il créé sa propre chance et se forge sa propre destinée en choisissant la plume ou bien le poison. Te concernant, c’est le chemin vers la mafia qui s’est ouvert à toi lorsque d’une main sûre tu as attrapé la bouteille de potion empoisonnée. Tu semblais déjà savoir ce que tu voulais. On t’a toujours dit que la fierté s’était alors lue dans les yeux de ton paternel. Celui-ci était gonflé d’orgueil, un air suffisant sur le visage ; son premier fils allait exercer dans la branche mafieuse de la famille car il avait choisi le poison. Vers quel objet allait se diriger ta cadette ? Vous alliez bientôt le savoir. Elle allait bientôt être fixée.


Novembre 1999. Tu as dix ans. Plus les années passent et plus tu comprends les enjeux qu’il y a derrière votre nom de famille. Tu as grandi dans cette ambiance mafieuse où rien ne semble être plus important que votre réputation et où les erreurs d’un membre de la famille retombent sur tous les autres : se serrer les coudes, être solidaire ? C’est ce qui fait que votre famille perdure, c’est ce qui fait que le trafic continue. Dès ta plus tendre enfance on t’inculque ces valeurs familiales qui sont désormais ancrées en toi et qui semblent déjà diriger toute ta vie, peu importe le prix à payer. Abyssus abyssum invocat, c’est la devise de la famille. Celle qui veut tout dire. Tu n’es qu’un enfant mais tu n’es pas comme les autres et tu le sais déjà très bien. Tu es un des maillons qui devra bientôt reprendre les rênes de l’héritage familial.


Septembre 2003. Tu viens d’avoir quatorze ans. Cela fait déjà trois ans que tu as rejoint les rangs de BeauxBatôns, cette école française prestigieuse qui accueille en son sein des élèves dont le but est de les former à devenir quelqu’un. Mais toi, tu sais déjà que tu es déjà quelqu’un et que tu n’auras nul besoin de faire des études supérieures pour le devenir. Tu n’as pas choisi la plume, alors les études, la grande carrière, tu n’en as que faire. Tu es déjà un élève turbulent qui ne rentre pas dans le rang. Tu n’écoutes rien ni personne, excepté Anjelica (éventuellement). Sa présence dans le château est rassurante. En véritable tête brûlée, tu fonces à l’avant des bagarres, accro à l’adrénaline, accro à l’aventure et aux risques, rien ne semble avoir plus d’importance.



Juillet 2005. Tu as seize ans. Les mains pleines de cambouis, tu resserres avec force le dernier boulon de ta moto. Tu testes immédiatement les suspensions. Voilà ce qui te manque irrémédiablement lorsque tu es à l’école, ta putain de moto. Sentir le vent se fracasser sur ton visage, lancer le moteur à plein régime et s’élancer dans une course sans que personne ne puisse t’arrêter. Le parfum de la liberté t’habite et te hante à chaque minute et à chaque instant. Tu démarres le moteur qui s’emballe et tu fonces sur le chemin de terre à pleine balle. La sensation qui t’envahit se rappelle à toi, telle une drogue dont tu ne peux plus te passer. Tu appuies sur un bouton et la moto s’envole dans le ciel. Tu te sens libre, libre de toute contrainte, libre de faire ce qu’il te plaît. Libre de n’être qu’un adolescent et pas l’héritier d’une riche famille.  


Août 2006. Tu as dix-sept ans. Tu touches du doigt le pansement qui recouvre le tatouage de la Cosa Nostra. Tu es si fier de porter enfin la marque de La Famille, celle qui va faire de toi un véritable membre à part entière de la mafia. Tu as tellement attendu ta majorité ; mais maintenant que tu l’as atteinte, tu ne peux que te laisser submerger par toute cette pression, celle qui repose sur tes épaules en tant qu’héritier des Zabini. Si adolescent tu pouvais jouer de cette posture confortable, tu comprends mieux désormais les enjeux qui se cachent derrière ce nom célèbre mais aussi quelles sont les risques que tu encoures. Si l’image officielle de la famille fait rêver, ses dessous le sont moins. Tu as grandi en sachant que tu reprendrais l’entreprise familiale qui n’est que la couverture de trafics en tout genre et des courses illégales. Tu apprends. Chaque jour tu apprends. Mais le poids de l’héritage est déjà lourd à porter pour un jeune adulte qui sort à peine de l’enfance. Alors tu t’adonnes déjà à diverses activités de débauches : la quête des interdits ne te fait pas peur. Tu ne te refuses rien ; ni les fêtes, ni l’alcool, ni la drogue et encore moins les jeux de séduction, ni les conquêtes. La provocation est déjà ton quotidien, tu fais le coq, le mec sur de lui et indépendant. Tu joues la carte de l’homme inaccessible, de l’homme sûr de lui pour mieux dissimuler les fragilités que tu tentes d’effacer.



Mars 2012. Tu as vingt-trois ans.. Votre père est de plus en plus insistant, de plus en plus oppressant. Tu sens qu’il a d’autres projets pour toi. Il sait que tout repose sur toi. Tu sais maintenant gérer d’une main de fer une partie des affaires de ton père malgré ton jeune âge mais sa présence auprès de toi demeure rassurante, autant pour toi que pour les acheteurs ou les trafiquants. Tu n’es pas contre le fait d’être chaperonné, au contraire. Il te faut faire tes preuves. Tu as appris au fur et à mesure des années à mettre à distance les enjeux qui reposent sur tes épaules, en continuant les courses de moto, en mettant parfois ta vie en danger au détour d’un virage trop sinueux et trop serré. Et puis, il y a la boxe. Depuis des années, tu flirtes sans vergogne avec les abîmes, symbole de votre famille, et tu vis avec ; votre existence elle-même représente ces dangers. Et rien n’a plus d’importance que l’adrénaline et il t’en faut plus, toujours plus chaque jour. Quand ce n’est pas les courses, c’est la boxe qui t’octroie ta dose quotidienne. Tu grimpes sur le ring. Anjelica est en train d’enfiler ses gants. Tu lances quelques droites à un adversaire imaginaire le temps qu’elle termine de se préparer. « Tu es prête Anja ? » Vous pratiquez ensemble cette activité depuis votre adolescence. Cela te permet de devenir plus fort, toujours plus fort. Mais c’est aussi un exutoire, un moyen de relâcher la pression. Et s’il y avait bien une autre personne qui aimait relâcher la pression, c’est ta sœur. Grandir aux milieux de la mafia vous a offert une relation bien singulière. Vous n’êtes pas du genre à vous à faire des démonstrations d’amour. Les gants de boxe parlent mieux que vos cœurs. Certains pourraient avoir des scrupules à pratiquer la boxe avec leur sœur, mais pas toi. Anje sait se battre comme une lionne. Elle n’est plus cette ado à qui tu apprenais les bases. Elle est devenue une guerrière, une femme, une véritable combattante. Alors il faut se battre à armes égales. Poings contre poings, l’amour en plus. Mais sans jamais faiblir. Jamais.



Avril 2016. Tu as vingt-six ans. Il fait nuit. Tu surplombes Rose. Tu la regardes dormir et te souviens encore des évènements qui ont conduit à votre rencontre fortuite. Fortuite, pas tellement, mais tu as tellement l’impression que c’est le destin qui l’a mise sur ta route. Depuis des mois, tu suivais de près les manigances et affaires d’une famille rivale à la vôtre, la Sera Sinistra. Tes indics t’avaient rapporté des choses louches depuis quelques jours. Un des hommes de mains de tes ennemis avait modifié ses habitudes et rien ne semblait plus étrange que cela dans la mafia. En filature depuis des jours, tes hommes avaient enfin découverts le pot-au-rose (vous comprenez le jeu de mot ?) et avez démasqué la jeune Auror ; c’était une taupe. À long terme, l’idée de pouvoir te servir d’elle pour les mauvaises raisons avait germé dans ton esprit sournois et tu avais continue à garder un œil à distance. Jusqu’au jour, où elle est tombée dans un guet-apens tendu par l’ennemi, ce qui était à prévoir, on ne résiste pas longtemps au sein de la mafia sans se trahir. La Sera Sinestra demeurait une famille forte, indépendante, solide et coriace. Le manque de préparation ? Une faiblesse de sa part ? Rose avait tout pour échouer et s’était frottée à plus fort qu’elle. Son amant en avait payé le prix de sa vie. Tu aurais pu le protéger lui aussi en intervenant plus tôt, mais quel en aurait été l’intérêt ? Un esprit fragilisé et malléable valait mieux qu’un couple soudé et infiltré. Voilà pourquoi tu l’as sauvé à l’origine. Et même si elle avait voulu mourir elle-même, le choix de la vengeance s’était imposé dans son esprit et la promesse des représailles avait pris le pas sur son chagrin. Tu te souviens qu’elle t’avait alors demandé :« Pourquoi ne pas les avoir laissé me tuer ? » avait-elle dit. Ce à quoi, tu avais répondu : « Le jour de ta vengeance, tu auras ta réponse. Et je suis la seule personne à pouvoir t'offrir les deux. »


Août 2016. Tu as vingt-sept ans. Les mois qui se sont écoulés ont été rudes, la chasse a été intense, les blessures nombreuses. Le sang n’avait eu de cesse que de se répandre que ce soit dans le camp des ennemis ou dans le tien. Les affaires étant ce qu’elles sont, tu as veillé sur Rose jusqu’à ce fameux coup de filet où les responsables de la mort de son fiancé ne soient plus que des cadavres refroidis par la mort. Le sang de tes ennemis a coulé et une idée te trotte dans la tête depuis. « Que comptes-tu faire maintenant ? » demandes-tu, tandis qu’elle t’annonce sans crier garde son départ pour l’Angleterre. « Recommencer, reprendre ma vie là où je l’ai laissée. » Là où elle l’avait laissée… Tu ne pouvais l’entendre de cette manière car rien ne sera plus comme elle l’avait laissé, c’était certain. Les quelques mois passés auprès de Rose ont modifié ce que tu pensais d’elle, ce que tu voulais d’elle surtout. Il n’est plus question de manipulation, il n’est plus question de l’utiliser. Le sang a été versé, le sang des ennemis. Les traditions de ta famille sont toujours valables, même pour quelqu’un comme elle.  « J'ai un cadeau à te remettre dans ce cas. Si tu l'acceptes. » Tu lui fais cette proposition tout en sachant qu’elle n’aura nullement le droit de refuser. « Bien sûr, tout ce qui viendra de toi m'ira droit au cœur. » Tes doigts virevoltent jusqu’à la marque indélébile dessinée sur ton avant-bras droit, la marque de la famille, la marque de la Cosa Nostra. La surprise de Rose te confirme que ce geste est probablement irréfléchi et stupide mais il lui prouve qu’elle a mérité sa place en son sein, sa place auprès de toi. Au bout de quelques instants, elle dénude son bras, résolue à accepter ta proposition. « Non. » exiges-tu d’une voix qui ne laisse guère de place à la discussion. Plusieurs heures plus tard, un tatouage orne fièrement le buste de la jeune femme, sous le cœur, sous sa poitrine. La discrétion est de mise pour Rose, nul ne devait savoir qu’elle faisait partie de La Famille. « Une rose pour une Rose. » lui murmures-tu.



Août 2017. Tu as vingt-huit ans. La confiance que t’accorde ton paternel est inébranlable. La Cosa Nostra se portant bien dans votre pays natal, l’envie d’étendre son influence ailleurs qu’en Italie vient de t’amener droit vers la belle ville de Londres. Si officiellement tu gères le Thestral Motor et son atelier, officieusement, le but est bel et bien d’accroître le pouvoir de La Famille au-delà des frontières italiennes. Dès les premiers mois, la tâche que l’on t’a confiée te semble bien lourde et repose entièrement sur tes épaules. Heureusement, il y a une personne sur qui tu peux compter. Jaeden. Cet homme est entré dans ta vie sans que tu ne saches bien comment, mais maintenant qu’il est là, tu ne sais pas comment tu faisais avant. Une amitié initiée par la course en moto et dont le temps a consolidé les contours. Un frère en plus d’un ami. Et puis, il y a Rose que tu as retrouvé en secret depuis ton arrivée en Italie. Tu te dis qu’avec eux deux à tes côtés, tu pourras tout traverser. Tu sens qu’avec eux, la fonction que l’on t’a attribué et les tâches qui en incombent te semblent tout à fait supportables.  


Décembre 2017. Tu repousses sans douceur le corps de la nana avec qui tu as passé la nuit. La vie nocturne londonienne a ses petits avantages. Tu joues avec un franc succès de ton accent italien et de ta beauté naturelle et tu t’adonnes avec plaisir aux joies du libertinage. Ces moments de répits deviennent de plus en plus importants à mesure que le temps passe. Tu as besoin de décompresser. Les affaires tournent à plein régime. Vous en gagnez de l’argent et de l’influence dans la mafia londonienne. Tu commences à bien cerner le milieu dans lequel évolue les familles rivales anglaises. Ta place, tu te la fais tranquillement, doucement. Ton impertinence, ta désinvolture et ta manière de prendre tout à la légère ne plaît guère aux ennemis, elle dissimule aussi sans mal ta crainte d’échouer. Mais tu ne laisses rien paraître. Tu sais fort bien qu’au moindre signe de faiblesse, au moindre relâchement, vos ennemis s’en serviront contre toi. Tu t’acclimates, t’accommodes au nouveau rôle qui t’est donné, non sans mal ; ce rôle, c’est celui de ta vie.


Février 2018. La gorge serrée, le visage fermé, l’angoisse te submerge tandis que tu cours dans les couloirs de l’hôpital où l’amour de ta vie, la raison même de ton existence est allongée sur un putain lit. Lorsque tu as appris la nouvelle, tu as pris le risque de transplaner de l’Angleterre jusqu’à l’Italie tout en sachant à quel point cela pouvait s’avérer dangereux, voire mortelle. Mais tu n’as pas pu te résoudre à atteindre l’autorisation du ministère d’utiliser un porte-loin. C’était trop difficile d’attendre sans savoir. Tu ouvres la porte de la chambre d’Anjelica et les larmes coulent silencieusement sur tes joues tandis que tu t’assoies sur le bord de son lit. Tu vois toute la surprise dans son regard. Elle ne devait pas s’attendre à ce que tu arrives si vite. « Putain Anja… » Tu attrapes sa main et s’approches d’elle un peu plus. Tu évalues ses blessures à l’œil nu et tu es rassuré. Mais si physiquement, elle survivra, tu vois dans ses yeux la couleur de la culpabilité. Tu n’as rien à lui dire, rien à lui reprocher. Tu veux juste être là, là pour elle. Tu te penches vers elle et la serres doucement dans tes bras. Un simple contact qui te rappelle à quel point tu as eu peur, peur de la perdre. Tu penses égoïstement qu’elle a eu de la chance alors que son meilleur ami y a laissé sa vie. « J’suis là pour toi. » Ce sont des mots simples, tellement surfaits, presque inutiles mais tu veux qu’elle le sache.


Mai 2018. Tu picoles comme un trou avec Jaeden à tes côtés. Cela fait longtemps que tu n’as pas pu faire une soirée comme celle-là accompagné de ton acolyte. Jaeden est devenu plus qu’un frère au fur et à mesure que les mois ont passé. Votre amitié est devenue sincère et indéfectible. Son passé n’a plus aucun secret pour toi, et au travers des parts d’ombres qu’il dissimulait parfois, tu as découvert un homme qui te ressemble. Rien n’a changé depuis que tu l’as appris. Rien ne changera jamais car cela t’importe peu, cela ne change pas celui qu’il est aujourd’hui. Tu as confiance en lui plus qu’en n’importe qui d’autres. Vous trinquez à cette soirée fabuleuse et tu fais signes à Anjelica qui danse au loin, parmi la foule grouillante. Cela fait quelques semaines qu’elle t’a rejoint à Londres, fuyant la mafia italienne, fuyant vos ennemis locaux, fuyant la mort de son meilleur ami. Ella a tout de suite pris ses aises dans l’atelier, refusant d’emblée le rôle de potiche dont votre père voulait l’affubler. Il n’a donc pas encore compris qu’Anja n’a d’autres maîtres qu’elle-même ? Et qu’elle préfère de loin la noirceur du cambouis, l’odeur de l’essence et le bruissement d’un moteur à la vie sans doute trépidante d’une simple vendeuse. Et tu ne pourras jamais lui en vouloir. « Alors mon pote, ça avance avec ma sœur ? » Si Jaeden est entré à une de ces vitesses dans ta vie, on ne peut en dire autant pour Anje. Cette petite effrontée ne l’apprécie guère et tu en as marre de voir ta sœurette et ton meilleur pote se tirer la bourre sans arrêt. Jaeden hausse les épaules et boit une autre gorgée en signe d’incompréhension. Tu secoues la tête en signe de protestation. Tu abandonnes Jae lorsque tu aperçois au loin des membres de la famille que tu t’empresses d’aller saluer. Même en soirée, les affaires restent les affaires. Tu discutes un bon petit bout de temps avec eux avant de partir à la recherche de ta famille que tu ne vois nulle part. Tu fronces les sourcils et fais le tour du bar plusieurs fois.

Mais c’est à l’extérieur que tu les retrouves dix minutes plus tard. « ! Che cazzo è successo?» hurles-tu en italien lorsque tu t’accroupis auprès de ta sœur, blessée, terrifiée. Horrifié, la colère monte en toi et une irrésistible envie de tuer t’envahit. C’est la deuxième fois en deux mois que ton cœur s’arrête de battre pour ensuite reprendre un rythme effréné. Tu le sens tambouriner dans ta poitrine et la douleur d’Anjelica t’atteint comme si c’était la tienne. « Merci mon frère. » murmures-tu à l’intention de Jaeden. Tu ne sais pas encore ce qu’il s’est passé exactement, mais le corps sans vie des assaillants et le poignard ensanglanté dans les mains de ton meilleur ami ne laisse guère la place à l’interprétation.


Le lendemain, tu as rassemblé tout le monde dans la salle de tatouage pour un rite de passage qui te tient encore plus à cœur aujourd’hui. La Famille est là pour assister à l’intronisation de Jaeden. « Jae mon pote tu me trouves une petite place ? » dis-tu, en ouvrant la bouche depuis la première fois depuis hier soir. Ce sont les seuls mots qui parviennent enfin à dépasser tes lèvres. Tu restes mortifié parce qu’il s’est passé la veille, blessé à l’âme comme si c’était toi qu’on avait meurtri dans ta chair et dans ton sang. Mais Anja ou toi, c’est du pareil au même ; sa douleur est ta douleur. Tu as alors demandé à Jaeden de te suivre et il a rapidement compris ce qui l’attendait. Un énième tatouage sur le corps déjà bien marqué de ton ami mais celle-ci à une valeur symbolique bien particulière : celui de la famille, ta famille. La Cosa Nostra. L’aiguille martèle sa peau à une vitesse folle mais avec une précision déconcertante et au bout de quelques heures, un tatouage en forme de rose enroulée d'un serpent orne désormais son bras. Une fois terminé, tu retires tes gants et lui dis : « Tu fais partie des nôtres maintenant Jaeden. Tu avais déjà ma confiance avant que tu sauves ma sœur hier. Tu as désormais toute ma reconnaissance. » Il est des vôtres, il est votre famille.


« Putain di merda! Bordello ! » Tu hausses les sourcils, ne comprenant pas sa réaction excessive lorsque qu’elle comprend que Jaeden fait désormais partie de la Cosa Nostra. Elle te hurle dessus comme une gamine écervelée et tu n’apprécies pas qu’elle remette en cause ta décision. Elle est là depuis quoi ? Deux mois ? Et elle veut déjà tout décider ? Tu n’es pas d’accord, surtout lorsque cela concerne La Famille et sa protection. Tu attrapes son poignet pour la maîtriser. « Tu as encore failli mourir Anje ! Et ce type, que tu l'exècres ou non, il t'a sauvé la vie. Il a fait coulé le sang des ennemis ! C'est la loi. Il est des nôtres maintenant. » Sans lui tu serais morte. penses-tu sans avoir le courage de le dire ni même d’y penser. Anjelica sort de la pièce telle la furie qu’elle est et tu t’assois doucement à la place qu’elle occupait il y a encore quelques instants. Tu sais qu’elle a perçu les secrets que Jae cache et que c’est probablement la raison pour laquelle elle est si suspicieuse. Tu soupires. Tes mains tremblent. Tu fouilles dans ta poche et en sors un petit paquet transparent où s’accumule un peu de poudre blanche. Tu en renverses un peu sur la table et à l’aide d’un bout de papier qui trainait par-là, tu alignes la coke et te penches pour sniffer ta ligne. Cela arrive de plus en plus souvent. Depuis qu’Anje est arrivé en Angleterre, tu ne sais plus comment faire pour la protéger. Tu pensais qu’en l’éloignant de l’Italie, tu éloignerais vos ennemis. Mais vous en aviez partout, des ennemis. Abyssus abyssum invocat, la devise de votre famille résonne comme un mantra. Et les abymes ne t’ont jamais paru aussi proches, ni aussi réelles.


Décembre 2018. Tu as vingt-neuf ans. Le souffle coupé par les coups de ton adversaire, tu sens qu’une de tes côtes est sinon cassée, au moins fêlée. Mais tu n’arrives même pas à ressentir la moindre douleur. « MAIS NE LA TOUCHE PAS, ESPÈCE DE CONNARD ! » Cette fameuse désinvolture, celle dont tu étais si fier, vient de t’être renvoyé à la figure comme un Boomerang. Tout allait si bien, tout semblait si facile, tu maîtrisais, tu gérais la pression en fumant, en buvant, en t’amusant. Mais les menaces avaient continué de tomber et lorsqu’à votre tour, vous étiez tombés dans leurs filets, tu n’avais rien vu venir. « JE VAIS TE BUTER ! » Tu te débats comme un forcené, comme un cinglé, tu cherches à défaire tes liens. La rage au ventre, l’envie de tuer ces salops. Tu te fiches de ce qu’ils sont en train de te faire, la souffrance, tu la connais, tu peux la maîtriser. Mais voir Anjelica se faire torturer vient de faire disparaître toute moralité. Ton esprit s’est déconnecté de ton corps, tu ne penses plus qu’à la vengeance tandis que les cris de ta sœur atteignent tes oreilles. La souffrance est telle que tu en perds la raison. Le sang coule, mais pour une fois, ce n’est pas celui des tes ennemis et c’est là toute la différence. Un des hommes t’assigne un coup de couteau dans le ventre et malgré la douleur, tu ne regardes qu’Anje. L’autre homme vient de faire glisser sa lame le long de son dos et l’hémoglobine se répand sur ses vêtements. Tu n’arrives même pas à pleurer tellement tu es sous le choc. C’est à cause de toi que vous êtes dans ce merdier. « JE VOUS TUERAI TOUS, TOUS ! » Tu n’as pas su la protéger, tu n’as pas su la protéger de vos ennemis. Cette sombre pensée ne te quitte pas une seule seconde. Et même lorsque les membres de la famille sont parvenus à éliminer vos agresseurs, elle résonne dans ta tête comme une formule consacrée. Et là tu sais que c’est le début de la décadence.


Mars 2019. « Rien ne changera jamais à que je vois. » dit Rose d’un ton légèrement réprobateur, alors que tu traverses son appartement nu comme un ver, après une soirée bien trop arrosée et où la raison t’a quitté. Tu as beaucoup trop abusé de la drogue ce soir, beaucoup trop. « Parce que tu voudrais que ça change ? » demandes-tu d’un ton sec et froid, qui ne te ressemble pas. Enfin si, mais pas avec Rose. Tu attrapes ton pantalon et l’enfiles rapidement avant de te servir un verre de Stotch sans lui demander la permission. La nuit n’a pas été facile, tu sais que tu as failli y passer. La dose que tu as prise hier était trop importante. Te réfugier chez Rose pour ensuite faire une semi-overdose chez elle a du la faire flipper. Et même si tu n’en es pas totalement conscience, tu sens qu’elle a tout fait pour t’aider. « Je suis pas sûr de pouvoir m’en sortir Rose. » Se sortir de la drogue, se sortir de ce merdier, se sortir de tout cela. De la noirceur.


Mai 2019. Tu es devenu accro. Tu ne sais pas comment c’est arrivé, mais c’est un fait. Ta dernière conversation avec Rose t’a ouvert les yeux. Tu ne peux plus t’en passer et tu as l’impression que tu en as besoin un peu plus à chaque fois. La pression est trop grande, les enjeux trop importants, et tout repose sur tes épaules. Vos ennemis se feraient tellement une joie de te voir sombrer mais tu tiens bon, tu tiens pour la famille mais ce n’est pas si simple d’allier la vie comme gérant d’atelier et de concilier le trafic sous-marin de la famille. Le plus dur et de continuer à faire semblant pour Jaeden, pour Anjelica. Ils sont là auprès de toi et eux aussi se défoncent mais sans savoir que pour toi, cela est devenu bien plus qu’un moyen de tenir. Anja t’a déjà questionné sur ta consommation mais tu as fait mine de tout gérer. Elle te fait confiance, comme toujours. Une confiance indéfectible et tu as tellement honte de lui mentir. Tout en sachant que tu auras du mal à l’encaisser, tu l’avales les pilules qu’Anje te donne et tentes de profiter de la soirée. Mais tu sais que tu vas vriller, tu le sais, tu le sens. Le canabis, la coke, les pilules, l’alcool. Le tout dans un cocktail explosif et dangereux.  




Février 2020. Tu as tout plaqué. Tout. L’Angleterre, la Cosa Nostra. Tout. Pendant des mois. Tu as ressenti le besoin de faire le vide. De comprendre comment tu as pu en arriver là. L’égoïsme dont tu as fait preuve en laissant Anjelica s’occuper de tout. La culpabilité qui te rongeait et qui te ronge toujours. Plusieurs mois ont passé, tu te sens mieux. Cela fait quelques semaines que tu reprends doucement les affaires avec ton père. Tout est passé sous silence en Angleterre ; ton père a demandé à Anje de dire qu’il avait besoin de toi en renfort en Italie. En Italie, personne n’a vraiment su que tu étais là les premiers mois. Tu as beaucoup voyagé, tu as beaucoup marché, tu as fait le vide. Tu t’es abandonné dans le sport, dans la boxe, dans la musculation, dans l’alcool aussi. Des addictions légèrement plus acceptables aux yeux du monde. Physiquement, tu es plus en forme que tu ne l’as jamais été. Tu as pris beaucoup de muscle, tu es devenu plus fort. Psychiquement, maintenant que tu as (presque) soigné ton corps, tout se rappelle à toi désormais, la charge qui t’incombe, les moyens pour y arriver, la faiblesse qui ne faudra plus jamais laisser paraître. Être faible, c’est mettre les gens que tu aimes en danger.


Avril 2020. Tu n’as presque pas donné de nouvelles. Quelques lettres écrites à Jaeden en disant que tu allais bien. Mais c’est tout. Rien de plus. Anje te manque mais tu as honte de lui écrire, honte d’avoir faibli, honte d’avoir échoué. Tu voulais faire le mort jusqu’à ton retour en Angleterre qui s’amorce doucement, en concertation avec ton père. Mais un courrier d’Anje est venu tout chambouler. Elle demande audience. Ce n'est pas écrit comme ça sur sa lettre, mais cela y ressemble grandement. Jaeden sera de la partie. Tu te doutais déjà qu’il se passait des choses entre eux avant même ton départ, mais le fait qu’il se déplace avec ta sœur en disait long ; loin d’être mécontent de cette relation, au contraire. Jaeden est déjà un frère à tes yeux. Ils arriveront dans quelques jours. Tu attends, tu as hâte, tu espères. Une nouvelle vie, un nouveau départ (peut-être). Sans la drogue (ou presque).