Amber avait reçu un hibou de la part de son frère qui l’invitait clairement à le rejoindre au manoir le week-end suivant, pour discuter. La jeune sorcière savait que cette situation allait arriver à un moment ou à un autre, mais elle la redoutait tout de même. Ils n’avaient pas eu de vraies conversations depuis des mois et elle lui avait caché des choses. Trop de choses. À commencer par l’Imperium que son père lui avait lancé. Sans oublier les entraînements contre les impardonnables qu’elle suivait avec William, Raphaël qui était devenu son ami malgré le statut de son sang, le fait qu’elle ait tué quelqu’un lors de l’offensive et qu’elle ne ressente aucune culpabilité, l’histoire de Malefoy mêlé à d’étranges affaires… Il n’y avait plus rien qui allait et il était certain que son frère tomberait des nues en apprenant tout ce qu’elle lui avait caché pendant des mois. Peut-être lui en voudrait-il, mais ce serait un mal pour un bien. Elle se le devait. Elle ne pouvait pas se cacher éternellement et ne pas lui avouer ce qu’elle avait sur la conscience et sur le cœur. Ce comportement était lâche et ne lui ressemblait pas.

Alors, la demoiselle était rentrée au manoir un peu plus tôt dans la journée et elle avait attendu. Encore et encore. Les minutes passèrent, puis les heures. Rien. Pas de Tobias à l’horizon… Elle aurait dû s’en douter. Ils n’avaient jamais été très proches et il avait sa propre vie. Il avait dû l’oublier et il était sûrement resté au travail. Ou alors il traînait avec… Avec qui Tobias pouvait bien passer ses journées ? Elle n’avait aucune idée des loisirs qu’il pouvait avoir en dehors de son travail et des missions de l’Augurey. Ses sourcils se froncèrent un peu plus et elle se dit qu’ils avaient vraiment fini par devenir des étrangers, l’un pour l’autre.

Tant pis… Il ne serait pas là ce soir et elle était seule au manoir. Elle pourrait en profiter pour travailler sur son devoir de Défenses Contre les Forces du Mal. Elle devait écrire deux parchemins sur les Inferi. Ce n’était pas ce qui la passionnait le plus, parce qu’elle savait qu’il serait très rare qu’elle tombe sur l’un d’entre eux un jour. Des cadavres ensorcelés par de la magie noire, ce n’était pas très commun. Et elle aurait déjà entendu une de ses histoires par son père si cette pratique se faisait à Londres. Certes, ce n’était pas très commun, mais c’était assez glauque quand on y pensait.

Assise sur le fauteuil du salon, un petit fond de whisky pur feu à la main, elle feuilletait ses différents ouvrages à la recherche d’informations originales, qui pourraient la faire sortir un peu du lot. Elle n’aimait pas rendre un devoir banal et qui se fondait dans la masse. S’il le fallait, elle éplucherait tous les ouvrages de la bibliothèque. Lorsqu’elle trouva des informations intéressantes, elle glissa de petits post-it entre les pages, pour ne pas les perdre, et continua sa lecture.

Jusqu’à ce qu’elle entende du mouvement dans la maison. Son visage se redressa et elle jeta un coup d’œil à la pendule. 22H42… Il aurait pu arriver plus tard. Ses yeux s’assombrirent légèrement de déception et de colère, alors qu’elle se dirigea vers l’entrée de leur manoir. Il se moquait vraiment d’elle ou…

— Bordel. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Son frère était couvert de sang et cela ne présageait rien de bon. Elle lui vint en soutien, en passant son bras sous son épaule, et l’accompagna jusqu’à la salle de bain du rez-de-chaussée. Elle avait beau être remontée contre lui, son état l’inquiétait sérieusement et elle lui ordonna presque de retirer son haut. D’un geste vif et rapide, elle ouvrit les placards de la salle de bain, à la recherche de tout ce qui pourrait lui être utile. En quelques secondes, elle réunit tout le nécessaire pour le soigner.

Silencieuse et concentrée, Amber ouvrit le robinet et humidifia ce qu’il restait du tee-shirt de son frère, pour venir nettoyer sa plaie. Elle voulait mieux voir l’ampleur des dégâts. Son sang se figea littéralement à la vue de sa côte. Quelqu’un l’avait poignardé ? Qui ? Quand ? Pourquoi ? Elle se mit soudainement à paniquer, craignant de pas parvenir à le soigner correctement.

— Je ferai peut-être mieux de t’emmener à l’hôpital ? Si je m’y prends mal, j’ai peur que la plaie se réinfecte… souffla-t-elle entre ses lèvres, quelque peu nerveuse de réaliser une telle intervention sur son grand frère.

Elle devrait le recoudre, d’une manière ou d’une autre. Amber avait un minimum de connaissances pour savoir s’y prendre et ses cours de Soins aux Créatures Magiques lui seraient peut-être un peu utiles. Elle pourrait certainement allier toutes ces connaissances pour le soigner correctement… Par Merlin ! Pourquoi ses parents avaient décidé de partir avec leur elfe de maison ? Il aurait su quoi faire…

D’un geste incertain, elle nettoya le sang sur son torse. Les autres égratignures étaient superficielles à côté du coup qu’il avait reçu dans les côtes. Mais elle devait tout de même désinfecter tout ça. Sans le prévenir, elle versa de l’alcool en grande quantité sur sa plaie. Tobias était un grand garçon, il ne lui en voudrait pas de ne pas l’avoir prévenu ! Amber attrapa alors un fil et une aiguille, qu’elle prit soigneusement le temps de désinfecter. Elle ne voulait pas prendre de risque, mais s’arrêterait si Tobias estimait qu’il serait plus judicieux d’aller à l’hôpital St Mangouste. Lorsqu’elle commença à essayer de passer le fil dans le trou de l’aiguille, ses mains se mirent à trembloter et elle dut s’y prendre à plusieurs reprises avant d’y parvenir. Elle était si illogique parfois… Il y a quelques semaines, elle avait tué un homme de sang froid et aujourd’hui elle ne parvenait même pas à passer un satané fil dans un trou, seulement parce qu’elle paniquait devant un peu de sang ? Elle était stupide. Vraiment stupide. Elle devait respirer. Tout doucement...

Il était vrai qu’Amber avait été remontée contre son frère. Elle s’était une nouvelle fois abandonnée, alors qu’elle était prête à lui laisser une chance de lui prouver qu’il en valait la peine. Elle n’avait pas toujours été très serviable avec lui. Plutôt exécrable ! Elle savait qu’elle n’était pas facile à vivre et qu’elle l’avait constamment repoussé, mais les choses semblaient différentes depuis son retour. Tout d’abord, elle ne voyait plus son attitude pédante qu’elle entrevoyait quelques années auparavant. Elle se sentait bien moins comparée à lui de façon péjorative. Son père avait d’ailleurs arrêté de le faire depuis quelques temps et elle ignorait pourquoi. En vérité, sa mère ne lui avait pas encore dit ce que Tobias lui avait fait. Elle croyait toujours que Thorfinn avait fini défiguré à cause d’une mission qui avait mal tournée, pas à cause de son fils. Elle ne l’aurait certainement pas cru, mais le fait est qu’il avait arrêté de s’acharner sur elle depuis quelques temps.

Néanmoins, sa colère contre Tobias retomba brusquement quand elle vit son état. Elle n’y croyais pas… Ce Blood Circle… Comment avait-il réussi à s’en prendre à Tobias ? Il était pourtant bien pu rusé qu’eux de ce qu’elle avait entrevu lors de l’offensive. Elle repensa au sérum qu’ils avaient injecté à Helios et à son incapacité à utiliser de la magie pendant un long moment. Sa bouche s’entrouvrit légèrement et la seule chose qu’elle fut capable de lui demander était la suivante :

— Tu as reçu du sérum anti-magie ?

Amber n’espérait pas que ce soit le cas. C’était une sensation abominable. Mais moins que ce qu’il devait ressentir avec toutes ces plaies. Elle plissa du nez face à son état physique. Elle n’était pas sûre d’être en capacité de le soigner correctement, mais elle était prête à essayer.

— Tu sais que je suis en filière de Protection Magique. Nous n’avons aucune leçon sur comment soigner un grand frère qui ne s’amène que des emmerdes.

Elle lui offrit un doux sourire sarcastique qui cherchait plutôt à détendre l’atmosphère et à faire redescendre la pression. Elle ne chercha pourtant pas à aller plus loin et se contenta d’une petite leçon de moral, comme si elle était sa mère, alors que ce n’était pas le cas.

— Tu aurais dû filer à St Mangouste, qu’il y ait Lexi ou non. Parce que crois-moi quand tu seras de nouveau sur pied, je compte bien te botter le derrière pour ton retard et la frayeur que tu m’as faite. Ton amie aurait certainement été plus douce que moi.

Amber ne plaisantait qu’à moitié. Elle était terrorisée par le fait d’enfoncer cette aiguille dans la chair de son frère et de le recoudre. Elle n’était pas infirmière. Elle n’avait pas envie de faire de bêtise. Elle mit un moment à enfiler le fil dans son aiguille et tenta de se calmer un peu. Pour cela, elle avait besoin de son frère et de sa conversation.

— C’est qui cette Lexi ? Tu ne m’en as jamais parlé.

Elle expira lentement et enfonça l’aiguille dans la peau de son frère, commençant à le recoudre à vif. Il ne devait pas s’attendre à de bonnes conditions médicales. Elle n’avait pas d’anesthésiant et elle ne pouvait pas calmer sa douleur, si ce n’était avec des médicaments après son intervention. Quel crétin ! S’il avait été à l’heure, il n’aurait peut-être pas fini dans cet état. Amber était légèrement remontée contre lui et son incapacité à éviter les problèmes. À croire que c’était inné chez les Towsen. Elle se demandait d’ailleurs s’il n’était pas comme elle à Poudlard, s’il n’avait pas fait perdre des centaines de points à sa maison à cause de bêtises.

Évidemment, elle aurait pu déléguer cette tâche à leur elfe de maison, mais elle avait un doute en ses capacités. Il faisait le ménage et les corvées que personne ne voulait. Il ne savait peut-être pas recoudre. Et puis, Amber avait une totale confiance en ses capacités. Bien plus qu’elle en aurait donné à cette créature magique. La vie de son frère était entre ses mains et ça lui convenait plutôt bien. Elle n’accepterait pas une seule erreur et elle savait que son côté perfectionniste lui ferait éviter tout un tas de problèmes lors de l’intervention. Malgré tout, elle ne comptait pas en rester là.

— Tu te débrouilles pour ne pas croiser ton amie s’il le faut, mais demain, on va à l’hôpital pour vérifier que tout est bon et que tu ne risques pas une infection.

Amber ne le questionnait pas. C’était un ordre. Pur et simple. Elle refusait qu’il mette sa santé en danger. Ce n’était qu’un petit rendez-vous à St Mangouste, rien de grave. Et si elles pouvaient être deux à lui botter le derrière, elle ne cracherait pas dessus.

Amber était extrêmement inquiète pour son grand frère. Jamais elle n’avait imaginé le voir arriver dans une telle posture au manoir. Elle aurait préféré s’énerver contre lui plutôt que de le recoudre sur le canapé. Cela aurait été beaucoup plus simple de le détester et de lui en vouloir comme elle l’avait fait de longues années. Elle avait fini par être très douée pour ça… Mais à la place, elle s’inquiétait en voyant l’étendue de ses blessures. Ces moldus n’y avaient pas été de mains mortes. Heureusement, il n’avait reçu aucun sérum anti-magie, mais cela ne changeait rien à son état. Il était sacrément amoché. Les sourcils froncés, elle planta son regard émeraude dans le sien.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est l’Augurey qui t’a envoyé en mission ?

Sa jeune sœur voulait avoir quelqu’un à blâmer, quelqu’un sur qui déverser sa colère. Elle savait que son frère contournerait sa question, mais elle ne le laisserait pas faire. C’était elle qui tenait l’aiguille et elle pouvait encore choisir son niveau de délicatesse dans ses mouvements. Il finirait par parler. Il n’avait pas le choix. Et s’il gardait la bouche fermée, il finirait par regretter de ne pas être allé voir Lexi.

— Non, mais nous avons eu un cours sur comment aider les crétins qui savent s’apporter que des problèmes.

Elle lui offrit un immense sourire empli de sarcasme. Il n’y avait rien de drôle à sa situation et elle commençait sérieusement à se demander comment il avait pu finir dans une telle situation. Si elle retrouvait les personnes qui lui avaient fait ça… Nul doute qu’elle n’aurait pas été douce avec eux.

— C’était des membres du Blood Circle ? Ils sont où ?

Peut-être qu’elle s’occupait de son frère, mais elle était prête à envoyer quelqu’un régler leurs comptes. Ils ne pouvaient pas s’en sortir aussi facilement. Pas après avoir fait du mal à son seul allié dans cette maison. D’un geste précis et souple, elle enfonça l’aiguille dans sa peau et commença à resserrer sa chair, de façon à optimiser la cicatrisation. Elle n’aimait vraiment pas prodiguer des soins. La filière de protection magique lui convenait beaucoup plus que celle des soins. Elle n’était pas faite pour ça. Elle le ressentait à chacun de ses mouvements. Rien qu’à voir la façon dont elle l’avait recousue, elle commençait à se demander à quel point sa cicatrice serait terriblement moche.

Pendant ce temps, elle décida de lui parler de Lexi pour lui changer les idées et éviter qu’il ait mal. Enfin… Plutôt pour qu’il pense à autre chose. Elle s’attendait à des détails croustillants, imaginant que son frère s’était trouvé une charmante femme pour partager sa vie. Mais ce n’était pas le cas. Il s’agissait de sa meilleure amie et elle était un poil déçu qu’il n’y ait pas un aspect plus excitant à cette révélation. Malgré tout, elle fut touchée que son frère lui fasse suffisamment confiance pour la lui présenter. Elle connaissait évidemment Darius, qui avait passé une bonne partie de son temps au manoir, mais pas Lexi. Il fallait dire qu’elle lui avait laissé dormir dans la chambre de Tobias, quelques fois, lorsqu’il était en voyage d’affaire aux Etats-Unis. Darius n’avait pas de domicile à l’époque et elle n’avait pas voulu le laisser dormir dans la rue. Ces moments remontaient il y a quelques années maintenant, mais elle en gardait encore un très net souvenir. Tobias était-il au courant, d’ailleurs ? Elle l’ignorait. Peut-être qu’il n’aurait pas apprécié savoir que son meilleur ami avait dormi dans son lit en son absence. Amber ne savait plus trop comment appréhender ses réactions. Ils avaient pris leurs distances et c’était réellement dommage. Elle aurait aimé pouvoir anticiper chacun des comportements de son frère. Tant de choses avait changé entre eux…

— Tu auras qu’à lui dire que tu m’as énervée et que je n’ai pas dosé ma colère.

Elle lui sourit doucement et haussa les épaules. Bon, son idée était terrible. Jamais elle ne pourrait blesser Tobias. Elle n’imaginait même pas une seule situation qui pourrait tourner de cette manière. Elle tenait bien trop à lui pour vouloir lui faire du mal. Malgré tout, elle ne lui avouerait jamais et préférait mille fois conserver cette image de sœur distante et indépendante, au risque d’être de nouveau blessée. Tobias avait toujours occupé une place importante dans ce manoir. Thorfinn l’avait toujours mis sur un pied d’escale, quitte à rabaisser sa sœur et elle ne l‘avait toujours pas digéré. Il avait contribué à construire sa confiance en elle, autant qu’à la détruire. Et elle savait qu’il était la personne qui avait le plus de pouvoir sur sa vie. Il pourrait la détruire en quelques mots, parce qu’il la connaissait mieux que n’importe qui. Il pouvait l’aider autant qu’il pouvait la détruire. Tout ne dépendait que de lui, au final.

— C’est terminé.

Elle coupa le fil et déposa le reste des objets sur la table basse. Son attention se tourna vers son frère et elle resta de longues secondes silencieuses. Elle ne savait pas comment aborder la suite avec lui. Comment lui parler de ce mariage arrangé qui la terrifiait ? Comment lui dire qu’elle avait tué un homme lors de l’offensive ? Comment lui avouer qu’elle s’entraînait avec William depuis des mois ? Que son père avait utilisé un impardonnable contre elle, l’été dernier ? Elle n’avait aucune idée de la manière d’aborder ces sujets. Sa vie était tellement difficile,c es derniers temps. Elle ignorait comment aborder tout cela avec lui. Elle ignorait comment il allait réagir. Elle devait également lui parler de son enfance. William avait laissé échapper que leur père avait utilisé un sortilège d’oubli sur son frère. Il n’avait pas voulu donner davantage de détails et l’avait encouragé à en parler directement avec lui. Mais plusieurs mois étaient passés et il lui semblait tellement compliqué de savoir par quoi commencer. Elle devait classer toutes ces mésaventures dans un ordre précis, mais lesquels ? Amber resta silencieuse et l’observa, la bouche entrouverte, sans laisser le moindre son en sortir.

Amber s’inquiétait pour son grand frère. Ces derniers temps, il n’était pratiquement plus au manoir. Depuis des mois, il enchaînait les missions et son travail au Ministère de la Magie. Preuve à l’appui : elle n’avait pas pu lui parler de tout un tas de choses et cela depuis son enlèvement en novembre dernier. Elle savait qu’ils n’avaient jamais eu une relation fusionnelle et qu’un simple regard ne leur permettait pas de deviner à coup sûr ce à quoi l’autre était en train de penser. Ils n’étaient pas ce genre de fratrie et, pourtant, elle aurait aimé que ce soit le cas. Au contraire, son père avait nourri son animosité envers Tobias depuis des années. Il lui avait fait comprendre qu’elle était moins bien que lui et elle avait fini par le détester de l’avoir jeté de leur famille par son comportement irréprochable. Finalement, avec du recul, elle se rendait compte du jeu sournois auquel avait joué son père. Tobias ne l’avait pas jeté de la famille. Elle n’en avait jamais fait partie et il en était mieux ainsi. Elle avait également compris que Thorfinn n’avait pas spécialement voulu avoir une fille. Forcément, l’héritage des Towsen serait entre les mains de son frère. Jamais Amber pourrait faire perdurer leur nom. Pour l’ensemble de ses raisons, elle ne s’était jamais sentie à sa place dans ce manoir. Elle se contentait d’y être que de passage le week-end, même si ce n’était que pour y dormir. Prendre ses distances avec ses parents était la meilleure chose qui puisse lui arriver.

Malgré tout, il restait Tobias et avec le temps, elle ne pouvait ignorer le fait qu’elle l’aimait plutôt bien, ce grand frère un peu trop absent de sa vie. Se grattant l’arrière de la nuque, elle ne chercha pas à lui poser davantage de questions. Sa plaisanterie sur ces moldus lui faisait très clairement comprendre qu’il ne lui en raconterait pas plus. Elle avait l’habitude. Elle avait toujours été isolée de tout échange professionnel dans cette maison. Personne ne lui parlait tellement des mangemorts, peut-être parce que la majorité avait compris où allait son cœur et son allégeance. Son père savait qu’elle ne rentrerait jamais dans les rangs, mais il persistait. Avec le temps, il avait tout de même cessé de parler affaire devant elle. Peut-être craignait-il qu’elle aille tout raconter à l’Ordre du Phénix ? Elle l’ignorait.

— Une petite fille ?

Amber arqua un sourcil dans sa direction, un sourire amusé aux lèvres. Cette appellation ne lui ressemblait pas le moins du monde. La jeune femme avait dû apprendre à grandir bien rapidement pour faire face aux difficultés de la vie. Elle avait passé l’âge d’être une petite fille depuis bien longtemps. Alors, pour provoquer son frère, elle s’empara de son index et le tordit juste assez pour que ce soit douloureux et pas dangereux. Elle ne voulait pas lui briser le doigt pour couronner le tout. Quand elle vit sur son visage qu’il commençait à avoir mal, elle relâcha la pression avec un sourire narquois.

— Une petite fille ne ferait pas ça.

Elle lui tira légèrement la langue, même si cela était en parfaite contradiction avec ses derniers propos. Tobias finit par la remercier et elle lui sourit tendrement, avant de plonger dans un long silence. L’heure était venue pour eux de discuter, de déballer tout ce qu’ils gardaient enfoui depuis des mois, des années. Cette conversation promettait d’être longue et douloureuse. Amber ne savait même pas par quoi commencer et ignorait la façon dont allait réagir son frère. Elle avait tant de choses à lui dire et elle ignorait comment il allait réagir.

Amber prit une profonde inspiration et finit par s’asseoir en tailleur, sur le tapis du salon, à côté de son frère qui était encore allongé sur le canapé. Par quoi commencer ? Elle ne savait pas vraiment. Fermant ses yeux émeraude, elle prit quelques secondes pour se détendre et chercher la meilleure façon d’aborder la chose. Elle en vint à une seule et même conclusion : elle ne trouverait jamais la réplique idéale. La Serdaigle ne pouvait que suivre son instinct ce coup-là. Elle verrait bien comment Tobias réagirait.

— J’ai commencé à suivre un entraînement avec William, il y a quelques mois, souffla-t-elle entre ses lèvres, ouvrant à nouveau ses yeux. Et je sais à quoi tu penses, mais ce n’est pas le genre de formation que tu as pu recevoir de sa part.

Amber se dandina légèrement sur place. Elle ne savait pas comment lui annoncer la suite. Elle serait définitivement pas plaisante à dire et à entendre.

— Il m’aide à maîtriser les effets de l’imperium.

Nerveusement, elle s’enfonça les ongles dans sa peau, jusqu’à former des demi-lunes. Elle avait ce tic nerveux depuis des années et ce n’était pas forcément le plus approprié. Elle savait qu’elle devrait évacuer son stress d’une autre manière, mais ça lui évitait de faire exploser tout ce qui l’entourait.

— Je lui ai demandé de m’entraîner parce que notre père s’en ait servi contre moi, l’été dernier. Il… Il m’a obligée à lancer un Doloris sur un lièvre dans notre jardin.

Elle baissa les yeux en direction du tapis . Elle n’osait même pas affronter le regard de Tobias. Elle avait terriblement honte d’avoir été aussi faible. Elle s’était sentie totalement impuissante cet été-là et elle ne voulait plus ressentir la même chose. Plus jamais.

— William m’a aussi dit qu’on t’avait effacé la mémoire, mais il a refusé de m’en dire davantage. C’est vrai ?

Si leur père avait été capable d’une telle chose, elle n’osait imaginer l’étendue de ses bêtises. Il s’agissait d’un acte abominable et dépourvu de sentiments. Comment un père pouvait faire subir de tels sortilèges à ses enfants ? Elle ne le comprendrait jamais. Mais à cet instant, Amber n’avait pas envie de se faire plaindre. Elle voulait simplement faire comprendre à son frère que s’il avait besoin, elle était là pour lui.

— Si tu as envie d’en parler, tu sais que je suis là, Tobias.

Amber savait que son frère pouvait être imprudent des fois et, à cet instant, elle avait autant envie de le frapper que de le serrer dans ses bras. C’était étrange comment leur relation avait évolué ces derniers mois. Autrefois, ils s’ignoraient et s’adressaient à peine la parole. Elle n’aurait jamais imaginé le recoudre dans leur salon avec autant de bienveillance qu’elle pouvait avoir en cet instant. Elle n’avait pas porté Tobias dans son cœur pendant un long moment. Elle le voyait comme quelqu’un qui suivait son père et qui acceptait toutes les décisions qui prenaient pour lui. Elle lui en avait longtemps voulu d’avoir été un fils aussi parfait et de laisser leur père l’humilier à chaque repas de famille en disant qu’elle était une véritable honte à ses yeux. Elle aurait aimé que Tobias s’affirme davantage à l’époque. Elle aurait aimé sentir un grand frère protecteur et non pas un nouveau mangemort qui se fichait des sentiments de sa sœur pourvue qu’elle rejoigne la Cause.

Finalement, les années avaient passé et depuis son retour aux États-Unis, elle le trouvait changé. Ils avaient fini par se rapprocher bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Même si les rancœurs passées avaient du mal à se dissiper du côté d’Amber, elle essayait de faire des efforts pour paraître plus agréable. Leurs rapprochements avaient commencé en novembre, peu de temps après son enlèvement, et s’était poursuivie ensuite. Malgré tout, il y avait encore un tas de secrets entre eux et elle avait besoin de lui en parler. Il y avait des choses qu’elle ne parvenait plus à lui cacher, des affaires de familles qu’il était le seul à pouvoir entendre et comprendre. Amber s’était sentie seule dans ce monde, parce qu’elle savait qu’elle ne pourrait jamais parler de ce qui se passait dans ce manoir. Petit à petit, sa langue s’était déliée et elle avait compris que Tobias pouvait savoir mieux que personne ce qu’elle vivait. William lui avait permis d’ouvrir les yeux là-dessus.

— Je suis contente que William ait laissé fuiter ses informations. J’espère que tu ne lui en voudras pas. Mais je pense qu’on aurait continué à se mentir l’un et l’autre encore un long moment.

La famille Towsen n’était pas connue pour leur long discours émouvant et empli d’amour. Aucun d’entre eux n’était véritablement honnête. Amber avait l’impression que tout le monde jouait sans cesse la comédie. Thorfinn était exécrable au possible. Sa mère n’osait pas devenir elle-même. Tobias lui avait caché un fait important concernant leur père. Quant à elle, elle n’avait jamais osé dire à personne ce qu’elle ressentait dans cette famille et à l’idée de rejoindre les mangemorts. À présent, elle se rendait compte que Tobias était peut-être son seul et véritable allié dans cette famille.

Quand il se releva brusquement, dans une grimace de douleur, elle attrapa son avant-bras pour l’empêcher d’être plus brutal. Il allait se rouvrir la plaie s’il continuait ainsi. Ce qui appartenait au passé ne pouvait être changé. Ils n’avaient pas d’autres choix que d’être honnête, l’un envers l’autre, s’ils ne voulaient pas continuer dans cette même lignée. Quand il finit par lui avouer que Thorfinn lui avait fait subir des Doloris à répétitions, suivi d’un sortilège d’oubli, un frisson lui parcourut l’échine. Leur père était abominable et inhumain. Comment pouvaient-ils espérer apprendre à aimer avec une telle figure paternelle ? Pas étonnant qu’ils aient du mal à accorder leur confiance et à montrer leurs sentiments. Ils avaient eu le pire exemple possible.

D’un geste délicat et bienveillant, elle prit son frère dans ses bras. Amber n’était pas le genre de fille à se montrer aussi expressive en temps habituel, mais elle en avait besoin. Elle était contente que Tobias ait été honnête avec elle. Elle le comprenait un peu mieux après tout ça, mais elle restait effrayée de la suite de ses propos. Amber ne voulait pas le regarder quand elle prendrait la parole. Ses yeux lui brûlaient et elle sentait les larmes monter, chose qui était assez rare chez elle. Elle maîtrisait constamment ses sentiments et elle détestait perdre pied comme elle le faisait actuellement.

Mais ses nerfs étaient à bout et elle ressentait un tel soulagement de pouvoir tout avouer à quelqu’un. À quelqu’un qui ne lui voudrait jamais de mal. Les bras autour de sa taille, elle le serra un peu plus fort au moment où elle reprit la parole.

— Je n’ai pas envie d’épouser ce gamin avec qui père m’a fiancée. J’ai tué un membre du Blood Circle lors de l’offensive. J’ai sympathisé avec un moldu. Et je n’ai pas envie de devenir une mangemort. Cette idée me terrifie.

Amber avait parlé d’une traite. Elle n’avait presque pas pris de respiration entre chacune de ses phrases, comme si elle avait peur de ne plus avoir l’audace d’avouer autant de choses. La jeune femme venait de lui avouer tant de choses qui n’étaient pas anodines et elle avait peur que Tobias le rejette avec violence. Elle savait qu’il n’appréciait pas particulièrement les moldus et que leur famille s’était toujours battue pour cette Cause. Quelle que soit le continent. Elle ne savait pas comment il allait accueillir la nouvelle. Il allait peut-être la repousser violemment en lui disant qu’elle ne mérite pas de porter le nom de Towsen. Elle s’y préparait, parce qu’elle avait toujours eu l’impression d’être incomprise au fond. Elle avait la sensation de ne pas pouvoir aimer et être aimée en retour. Pour l’ensemble de ces explications, elle était persuadée que son grand frère ne la comprendrait pas.

Peut-être pouvait-elle être étonnée ? Elle l’ignorait. Tout ce qu’elle savait c’était qu’elle venait de se libérer d’un énorme poids sur sa conscience. Elle n’avait jamais dit à personne qu’elle ne voulait pas rejoindre les rangs de l’Augurey. Au fond, il s’en doutait peut-être. Elle n’avait jamais été très enthousiaste lors des repas et des échanges autour de ce sujet. Mais elle avait toujours bien maintenu son rôle en public, lors des dîners d’affaires. Malgré tout, Amber était à bout de force.

Amber se rendait compte au fil des années que Tobias n’était peut-être pas aussi mauvais. Elle se rendait compte que malgré la distance et les tensions, il veillait toujours sur elle. Elle ne l’aurait jamais cru. Depuis des années, ils ne se parlaient que quand il le fallait et échangeaient seulement quelques convenances. Ils ne plaisantaient plus, ne riaient plus et se contentaient de manger en silence à table, quand leur père ne parlait pas d’une nouvelle affaire au sein des mangemorts. Au fil du temps, Amber avait fini par se demander comment il avait réussi à se faire une place dans ce groupe. Il était lâche et totalement ridicule. Il se donnait une image de dur à cuire, mais il ne faisait pas le poids contre un sorcier moins expérimenté que lui. D’ailleurs, à âge à peu près égal, elle était persuadée que William le mettrait à terre facilement, sans trop se fouler. Pourtant, ils avaient les mêmes compétences en sorcellerie. Ils avaient suivi les mêmes cours. Seulement Thorfinn était faible aux yeux de sa fille. Elle était persuadée qu’avec un peu de volonté, elle pouvait le mettre en échec. Il avait beau la sermonner sur ses performances à Poudlard et ses notes qui frôlaient pourtant l’excellence, il n’avait jamais connu la même scolarité qu’elle. Amber ne lui avait jamais demandé, mais elle n’aurait pas été surprise qu’il ait des « Décevant » ou des « Troll » en notation, lorsqu’il était plus jeune. Du moins, elle s’était toujours encouragée à nourrir cette vision. Cela lui avait permis de ne pas laisser Thorfinn briser sa confiance en elle. Elle gardait la tête haute, peu importe la situation, et même si cela la faisait passer pour une enfant ingrate ou rebelle. Depuis des années, sa haine envers son paternel était nourri et grandissait à chaque épreuve. Elle lui en voulait tellement de lui avoir offert une enfance dépourvue de sympathie et d’amour ; de l’avoir forcé à devenir adulte bien trop vite alors que les adolescents de son âge vivaient leurs premières fois dans tant de domaines. Les samedis soirs, elle les passait en dîner d’affaire et avait loupé bien des soirées avec ses camarades. Peut-être que cela expliquait son manque d’intégration à Poudlard ? Il fallait dire qu’elle ne parlait quasiment à personne en cours et en dehors des cours.

Son « extraversion » était relativement récente. Partir fréquemment dans le Londres moldu pour échapper à son père lui avait permis de faire bien des rencontres. La plupart était étonnante. Elle ne se serait jamais vu tourner dans un court-métrage ou bien jouer à « Action ou Vérité » avec un homme rencontré dans un bar. Thorfinn comme Tobias auraient fait un infarctus en l’apprenant. Il fallait dire qu’elle savait de plus en plus s’amuser, même si cela n’était pas dans les coutumes familiales et que leur père voulait une image soignée et gracieuse pour leurs enfants. Mais Amber n’avait jamais tellement respecté ses règles : elle échappait aux couvre-feus à Poudlard, se rendait dans la Forêt Interdite, insulter les élèves qui se moquaient d’elle et se venger trois fois plus fort. La petite fille « sage » en apparence, lors des dîners d’affaire, était en vérité un petit démon quand elle s’y mettait. La haine qui sommeillait en elle depuis sa tendre enfance avait besoin de s’échapper. Peu importe la manière qu’elle employait.

Nichée dans les bras de son frère, elle le laissa s’éloigner et répondre un à un à ses propos. Il n’était pas autant énervé qu’elle l’imaginait. Enfin… Amber avait en tête qu’il l’aurait sermonné pour vouloir quitter les mangemorts. Ce n’était pas le cas. Il était étonnamment compréhensif et elle se sentit immédiatement plus proche de lui.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’en parler à père… Si tu finis par repartir, je resterai seule avec lui. Et tu sais que Margaret n’interviendra jamais dans ses affaires.

Amber n’était pas ignare. Si Tobias sermonnait leur père, il risquait de se braquer et de lui faire regretter d’avoir ouvert sa bouche pour aller tout rapporter à son frère. Elle n’avait pas envie de subir un nouvel impardonnable, même si elle s’entraînait durement avec William. Lutter contre ses effets demandait énormément d’énergie… Elle finissait par faire une sieste après chaque entraînement.

— Tu ne peux pas t’en vouloir pour ça. Tu n’as pas un troisième œil et tu ne peux pas tout contrôler.

La jeune Towsen haussa les épaules. Tobias n’aurait pas pu devenir et il ne pouvait certainement rien y faire. Son attention était adorable, mais lorsqu’il parla du meurtre, elle ne put s’empêcher de se dandiner, d’un pied sur l’autre. Devait-elle lui dire la vérité ? Il allait sûrement s’affoler pour rien… En même temps, elle était allée trop loin pour faire marche arrière.

— Je ne m’en veux pas de l’avoir tué. Je… Je m’en veux de ne rien ressentir par rapport à ça.

Elle se gratta nerveusement l’arrière de la nuque et n’osa même pas affronter le regard de son frère. Il allait sûrement être déçu d’apprendre que sa sœur ne culpabilisait pas le moins du monde d’avoir tué un homme. En vérité, elle culpabilisait de ne pas culpabiliser. C’était encore plus saugrenu.

— Thorfinn nous a élevé pour rejoindre la Cause. Si ça se trouve, on ne peut rien n’y faire et on a été programmé pour ne rien ressentir…

Amber avait vraiment la sensation d’être incapable d’aimer. D’être une sorte de robot qui est arrivé dans ce monde pour rejoindre une Cause et ne pas broncher. Même si elle était effrayée de rejoindre les mangemorts, elle n’était pas sûre de pouvoir échapper à ce destin. Quelque part, elle luttait contre cette noirceur en elle et avait la terrible impression que peu importe ce qu’elle ferait, elle était faite pour devenir une mage noire, se marier à un homme qu’elle n‘aime pas et vivre une vie tournée vers l’Augurey. Même avec toute la volonté du monde, elle ne parvenait pas à imaginer une autre issue pour elle, si ce n’était la mort… C’était terrible.

Quant au mariage… Elle ne préférait même pas en parler. Elle n’avait aucunement envie d’être marié à un gosse et de devoir attendre sa majorité. Certes, il n’était pas méchant, mais c’était un gosse. Amber ne pouvait s’enlever cette image de la tête. Un frisson désagréable lui parcourut l’échine et elle ne préféra même pas répondre à son frère à ce sujet. Il devait comprendre à travers son regard émeraude qu’elle n’avait pas envie de l’épouser. Ni même de poser le moindre doigt sur lui.

Le sujet dévia sur Raphaël et elle se dit que ce n’était peut-être pas une bonne idée de lui avouer qu’elle en avait parlé à William. Il s’énerverait et finirait par ouvrir à nouveau sa plaie. Et puis elle n’avait pas envie que Tobias parte menacer la moitié de l’univers. Il y avait déjà Thorfinn et son fiancé dans la conversation. Inutile d’impliquer davantage de personne. À la place, elle se contenta de savourer l’instant d’affection qu’ils avaient. Tobias et Amber ne se seraient pratiquement jamais dans les bras. Mais elle devait bien avouer qu’elle trouvait un certain apaisement dans ses bras.

Amber et Tobias formaient une drôle de fratrie. Personne ne pouvait le nier. Ils passaient leur temps à se méfier l’un de l’autre, à se cacher des choses ou à s’éviter pour ne pas avoir à le faire. Ils devaient apprendre à communiquer, mais cette notion n’avait jamais été le point fort de la famille Towsen. La faute à Thorfinn… De toute manière, Amber avait tendance à toujours voir les choses de cette façon. Si elle était incapable de montrer ses sentiments et d’aimer, c’était également à cause de lui. Elle en était intimement persuadée.

Quoi qu’il en soit, la famille avait toujours été une question compliquée pour Amber. Elle ne s’était jamais sentie comme un membre de cette entité. Elle avait toujours eu la sensation d’être à part, d’être spectatrice de ce qu’il s’y passait sans vraiment y être liée. Cela lui avait toujours convenu, jusqu’à ce jour… Elle comprenait l’importance de la communication au sein de son foyer. Elle avait tant menti à son frère et se rendait compte, désormais, du nombre d’années qu’ils avaient perdu à se comporter de cette manière. Quels idiots ils étaient parfois…

— Hum… souffla-t-elle entre ses lèvres, fixant le sol du salon. Cela ne m’étonne pas vraiment.

Leur mère… Une toute autre affaire. Amber regrettait de ne jamais l’avoir vu s’imposer face à son mari, de ne jamais avoir fait valoir sa voix et ses idées. Elle restait muette comme une carpe sauf quand l’on s’en prenait à Thorfinn ou à ses enfants. Mais ceux-ci avaient beaucoup moins de poids dans ses décisions. L’ « homme de la maison » passait avant tout le reste, sinon, à quoi rimerait sa vie ? Qui pourrait bien lui donner des tâches à accomplir ? Amber détestait ce côté de sa mère. Ils ne vivaient plus dans les années 50. Elle avait le droit de faire sa vie sans son mari. Elle continuerait à exister malgré un divorce. Il suffisait de voir William Ombrage. Malgré la séparation avec sa femme, tout deux poursuivaient son petit bout de chemin. Pourquoi la famille Towsen ne pouvait-elle pas être normale, une famille moderne ? Même leur idéologie sur les moldus étaient encore arrêtées… Sans oublier leur opinion sur les familles impurs… C’était étonnant que William ait une place aussi importante aux yeux de Thorfinn. Peut-être lui trouvait-il un intérêt tout particulier, lui qui était un ignoble personnage ?

Plus le temps passait, plus cette famille la dégoûtait et plus elle trouvait un véritable lien de confiance auprès de Tobias. Qui l’aurait cru ? Lentement et tendrement, elle resserra son étreinte autour de sa taille et déposa sa tête dans le creux de son épaule. Elle avait l’impression de redécouvrir son odeur corporelle qui se voulait rassurante. Son grand-frère lui avait manqué toutes ses années. En vérité, il lui manquait à partir du moment où il avait décidé d’entamer sa formation de mangemort. Amber trouvait qu’il plongeait de plus en plus dans la noirceur, commençant à ignorer sa jeune sœur qui ne demandait qu’à passer du temps avec lui.

Les temps avaient changé. Ils commençaient petit à petit à s’ouvrir et à se dire les choses telles qu’elle étaient. Cette conversation avait permis de dissiper quelques non-dits, au grand plaisir d’Amber qui sentait un poids sur ses épaules disparaître. Elle ne savait pas que Tobias était si doué avec les mots, mais il lui fit comprendre qu’elle n’était pas un monstre. Ses paroles la réconfortèrent et elle serra un peu plus son étreinte.

Elle ne sut exactement combien de temps elle resta comme ça, mais elle finit par se reculer et poser une de ses mains sur la joue de son frère. Amber n’était pas quelqu’un de tactile, mais ce geste lui avait semblé si naturel, si évident. Elle avait envie de faire comprendre à Tobias à quel point il avait eu une influence positive sur elle.

— Merci, Tobias. J’avais besoin d’entendre ça.

Amber avait eu l’impression pendant des années que son destin était scellé et qu’elle ne pourrait rien fait pour l’arranger, mais suite à cet échange, elle avait l’impression qu’elle pouvait revenir en arrière. Tobias lui avait ouvert un champ des possibles et elle s’en retrouvait presque toute dépourvue. Son coeur rata un battement quand elle constata à quel point ils avaient pu se perdre toutes ces années, sans aucune raison valable. Elle avait envie de changer cela. La jeune Towsen avait envie d’apprendre à connaître son frère, l’homme qu’il était devenu après tout ce temps.

— J’espère sincèrement que nous serons plus honnêtes l’un envers l’autre à l’avenir. Nous avons tant de choses à nous apporter, ce serait dommage de gâcher notre temps à éviter de le faire.

Un doux sourire s’étira sur les lèvres d’Amber. Elle espérait que Tobias ait la même vision qu’elle, qu’il se confie davantage à l’avenir, même pour des choses anodines. Même s’il lui demandait quelle couleur de chemise adopter pour la journée, elle serait la plus heureuse des sœurs. Elle avait envie de retrouver leur confiance d’antan, celle qu’ils avaient à l’âge de l’insouciance.

— Files donc te reposer. Tu as une sale tête. Même Peeves ferait mieux dans ses pires jours.

Elle lui tira la langue, reprenant un air amusé et moins empli de tristesse ou de culpabilité. S’éloignant de Tobias, elle s’agenouilla vers la table basse et réunit les produits qu’elle avait utilisé pour le soigner. Elle ne savait pas où était ce fichu elfe de maison, mais elle ne lui faisait pas spécialement confiance. Elle n’avait pas envie que Thorfinn tombe sur ces désinfectants en rentrant ou que leur elfe de maison aille tout lui raconter. Ce qu’il s’était passé cette nuit-là devait rester entre eux, pour leur bien à tous les deux.

— Bonne nuit, Tobias.

Elle s’éloigna de lui et se rendit dans la salle de bain, prenant soin de remettre chaque flacon à sa place. Amber était exténuée et manquait de s’écrouler au sol après tant d’heures de révisions et d’émotions fortes. Que lui réserverait l’avenir après ce soir-là ?