On a les vices que son

train de vie permet

“L’idée de passer deux mois avec mes cinglées de soeurs ne m’enchante pas, je n’arrive pas à croire que je vais dire ça mais Poudlard va me manquer.”

Azalea esquisse un sourire mi peiné, mi amusé, Abraxas est assurément parti pour subir ses grandes vacances dans l’immense, macabre et sombre manoir que fut celui d’Adelbert Stinkwood. Si elle devait dépeindre un tableau de l’enfer, nul doute qu’il ressemblerait à passer deux mois avec ses cousines, sa frapadingue de tante et son mou du bulbe d’oncle Benjaman. Bien qu’Azalea ne puisse pas voir le visage d’Abraxas, en raison de leur discussion au travers d’un parchemin ensorcelé, elle le devine blanc comme un linge. La jeune sorcière l’aurait aidé si seulement elle avait pu, son cousin est de loin la seule personne qu’elle tolère suffisamment pour envisager de l’inviter à Liverpool, malheureusement leur relation doit demeurer secrète jusqu’à ce que leur grand-père ne puisse plus y mettre son grain de sel. Tout ce qu’elle peut faire pour le moment, c’est l’écouter ou plutôt le lire et l’aider à supporter la charge de son séjour à Abbeyfeale.
De son côté, retrouver Liverpool la réjouit, ne serait-ce que pour enfin pouvoir laisser de côté son habit de sorcière et endosser celui anonyme de Moldue. L’image des Stinkwoods est diamétralement différente d’un monde à l’autre : chez les non-magiques elle n’est que la descendante d’une famille bourgeoise, affiliée à une lignée nordique, une lycéenne discrète quoi qu’un peu hautaine relativement appréciée. C’est une réputation plus facilement supportable que “bâtarde de sang mêlé instable poursuivie par son grand-père psychopathe”. Azalea sait par conséquent que ses vacances lui feront du bien, retirer le masque que lui impose son statut ne peut qu’être bénéfique. Elle se garde cependant de le dire à Abraxas, on étale pas son bonheur devant un condamné à mort.

“Si tu en tue une je ne t’en tiendrait pas rigueur, à ta place je serais très certainement déjà à Azkaban, peut-être qu’un jour le magenmagot te décernera une médaille pour ta patience admirable,écrit la jeune femme avec une ironie à peine masquée.”

L’encre s’efface, quelques longues secondes s’écoulent pendant lesquelles Azalea devine la réflexion intense de son cousin. Si son sarcasme est palpable, celui du blondinet l’égale sans le moindre problème. Voilà pourquoi, lorsqu’une nouvelle phrase apparaît sur le papier immaculé, elle ne peut s’empêcher d’éclater de rire.

“Bien sûr, tout le monde sait que le sang froid est un trait de caractère prédominant chez les Stinkwoods…”

La porte du compartiment s’ouvre subitement, trop vite pour que la jeune femme ait le temps de faire disparaître son sourire. Voilà qui est fâcheux. Azalea plante son regard agacé dans celui un peu trop familier d’Helios Carrow. L’espace de quelques secondes, l’assurance laisse place à la gêne. La dernière fois qu’ils se sont vus, elle quittait ses draps encore humides sans un mot, si alcoolisée qu’elle se demande encore comment elle a pu rejoindre son dortoir sans vomir sur le chemin. D’ordinaire Azalea assume pleinement ses parties de jambe en l’air, surtout que malgré ses 18 ans, elle peut se vanter d’avoir pas mal d’expérience dans ce domaine. Néanmoins ce soir-là ne mérite franchement pas de faire partie d’un palmarès. Merlin, elle qui pensait pouvoir profiter du voyage pour se détendre, c’est râté. L’héritière Stinkwood referme son parchemin d’un coup de baguette tout en se parant de son attitude la plus impassible et forte de son éducation, fait signe au jeune homme de s’asseoir. Son excuse aussi fausse que sa propre attitude lui arrache un haussement de sourcil désabusé clamant un “tu te fiches de moi là ?”. Helios s’installe et Azalea en profite pour l’analyser mieux qu’elle ne l’a fait quelques semaines auparavant. Il paraît beaucoup plus humain sans son uniforme, tout comme elle très certainement, elle doit bien admettre qu’il n’est pas déplaisant à regarder. Ils partagent la même couleur de cheveux blond platine, ses traits sont fins, sa peau claire, son regard profond et charmeur… Ceci explique au moins pourquoi elle a passé une nuit avec lui. Azalea elle-même est loin d’être laide, vêtue d’une jupe mi cuisses noire cintrée surmontée d’un haut blanc à bretelle lâche, de bottes hautes assortis à sa tenue et d’un manteau en feutre fauve, elle ne fait assurément pas ses 18 ans. Bien sûr, si elle prend autant soin de son apparence, c’est aussi parce que son image lui offre un moyen de défense non négligeable face à ses détracteurs. Il est bien plus difficile de s’en prendre à une femme pleine d’assurance qu’à une adolescente fébrile. Par ailleurs, l’attitude faisant également beaucoup, Azalea réalise que son comportement avec Helios cette fameuse nuit ne lui rend vraiment pas service. Elle prend donc sur elle de se corriger.

“Il me semble que je te dois des excuses, déclare t-elle plus froidement que son entreprise l’aurait voulue. J’ai été lâche cette fameuse nuit où nous…”

Elle s’interrompt, tout un tas de mots lui passent par la tête mais elle n’en estime aucun d’adéquat.

“La nuit que nous avons passé ensemble, se reprend-t-elle. Ce n’est pas dans mes habitudes de m’enfuir. J’ai jugé qu’étant donné nos situations respectives, il était inutile d’échanger quoi que ce soit d’autre que ce que nous avions déjà partagé.”

Il ne faut pas oublier qu’Helios est un sang pur, en tous cas de ce qu’elle en sait, qui plus est très attaché à ce statut. Qu’est-ce qu’il aurait bien pu partager avec une sang-mêlé à la réputation plus que douteuse chez les grandes familles de sorciers ? Est-ce qu’Azalea en avait honte ? Absolument pas, néanmoins elle savait en le trouvant allongé près d’elle qu’il était inutile d’espérer une entente. Maintenant que les choses lui paraissent plus claires, l’héritière Stinkwood pioche un livre de première année de droit magique. C’est au moins la quinzième fois qu’elle le lit mais il lui permet de mettre une distance entre elle et Helios. Si tant est que ce soit possible...

On a les vices que son

train de vie permet

Azalea pensait sincèrement qu’ouvrir un livre lui permettrait de mettre une distance entre elle et Hélios mais visiblement, elle sous-estimait l’enthousiasme de son aventure d’un soir. Il tend une main vers elle, enclin à des présentations incommodantes pour la jeune fille qui, loin d’être idiote, comprend qu’il n’a pas la moindre idée de qui elle est. Si tel est le cas, elle réalise qu’il n’est certainement pas au courant de la qualité de son sang et encore moins de son statut dans le monde ô combien castrateur qu’est celui des sangs-purs. Azalea baisse les yeux sur la paume d’Hélios hésitante, sachant qu’ils doivent passer plusieurs heures en tête à tête, il lui serait fort déplaisant d’installer un climat de défiance. Soyons lucide, il y a très peu de chances pour qu’il accepte avoir couché avec une sang-mêlé, d’autant plus considérée comme traître à sa famille. Jambes croisées sous sa jupe, Azalea referme son livre avec délicatesse et le pose sur son genou. Il est évident qu’Hélios connaît son histoire, la majorité des sorciers s’y est intéressé de près ou de loin alors un Carrow… Quelques interminables secondes s’écoulent pendant lesquelles la jeune femme fixe les yeux bleus de l’étudiant avec une froideur que seuls les sangs-purs savent soutenir. Consciente qu’elle ne pourra pas y échapper quoi qu’elle fasse, Azalea finit par abdiquer dans un soupir désabusé. Elle secoue la tête, lèvres pincées.

“Tu ne devrais pas me le demander crois moi, tu n’aimeras pas ma réponse… Déclare-t-elle."

Contrainte, elle glisse ses doigts fins le long de la paume d’Hélios avec la délicatesse caractéristique des femmes de son rang et lui serre la main.

“Azalea Stinkwood, lâche-t-elle avec fierté.”

Fierté là pour compenser la charge psychologique que son nom sous-entend. La Serpentard se laisse retomber contre le dossier de la banquette où elle est installée en croisant les bras sur sa poitrine. Elle se met en garde automatiquement, elle n’est pas à l’abri d’une mauvaise réaction, ce ne serait pas la première fois qu’un sang-pur pète une durite en se retrouvant dans la même pièce qu’elle. Azalea sait par expérience qu’il n’y a pas plus imprévisible que les aristocrates qui se targuent de favoriser la bienséance. Fraîchement majeur, il n’est pourtant plus question pour elle d’envoyer un imbécile à sainte mangouste sans en subir les conséquences, quand bien même elle fasse partie d’une famille très puissante. Liverpool n’étant pas Londres et encore moins l’Ecosse, Azalea est parfaitement consciente qu’être une Stinkwood ne lui sera d’aucune aide dans ces circonstances. Elle soutient le regard d’Hélios fermement, à la recherche du moindre indice d’animosité. La première de toutes les règles que lui a enseigné William : la vigilance. Être surentraîné ne dispense pas d’observer et d’agir en conséquence, la quasi-totalité de son entraînement repose sur la bonne analyse d’une situation.

“Je vais mettre ton amnésie proprement insultante sur le compte de l’alcool,continue-t-elle sur un ton détaché. On ne m’a pas encore fait l’affront d’oublier mon nom après une nuit passée en ma compagnie, quoique l’inverse soit arrivé plus souvent que je n’oserais l’admettre.”

Des bribes de discussions houleuses avec des garçons lui reviennent en mémoire, il est clair qu’elle-même ne prête pas toujours beaucoup d’attention à ses aventures néanmoins, Azalea se considère assez importante pour qu’on la garde en mémoire. Elle finit par ranger son livre dans le sac Buttonwood à ses pieds, il ne l’intéresse pas beaucoup de toute façon.

“En règle générale, j'évite de boire autant et de coucher avec le premier jeune homme séduisant que je rencontre, admet-elle en se redressant. On peut dire que tu es une incartade à mes principes.”

Parce qu’il faut bien l’admettre, Hélios est un bel homme. Dans d’autres circonstances, si il n’était pas un Carrow à l’avis tranché sur la question de la pureté du sang et si elle-même n’était pas qui elle est, Azalea aurait certainement pris plaisir à le revoir. La vie est parfois injuste, il faut savoir l’accepter...