La soirée avait pourtant bien commencé. Animations, boissons et petits-fours, ambiance qui se voulait festive et optimiste, le conseil avait mis le paquet pour marquer le coup et les esprits pour son discours de nouvelle année. Tu y avais entraîné Elise, profitant de cette nouvelle opportunité pour passer un moment de plus avec elle. Vous aviez discuté de tous ces gens venus parader ou faire honneur à leur famille, à leur sang, évoquant certains de tes souvenirs personnels. Ha les fameuses soirées mondaines qui divisaient tant ceux qui y participaient que ceux qui n’y avaient jamais mis les pieds. Toi tu n’en avais jamais vraiment souffert. Aucune pression parentale ne pesait sur tes épaules quand tu t’y retrouvais. Ce n’était pas l’endroit le plus amusant pour un enfant, mais sans ces soirées tu ne te serais sans doute jamais lié d’amitié avec Dimka. Tu y avais appris à t’intégrer aux autres, c’était la principale leçon que ta mère avait voulu te transmettre avec ces réunions de sang-purs. Il est vrai que cette soirée des vœux n’était pas sans rappeler un peu ces dernières. Pourtant, avec Elise ce n’était vraiment pas pareil. Ton seul objectif était de lui faire passer une bonne soirée. La savoir heureuse était le plus important. Après le discours, tu l’avais entraînée vers la piste de danse. A ce moment-là tout était encore parfait. Le toit du cabaret où avait lieu la soirée s’était ouvert sur un feu d’artifice et bien sûr vous aviez échangé un baiser. Ces moments comme celui-là, tu avais l’impression que tu ne t’en lasserais jamais. Et puis sans préambule, elle t’avait demandé pour quitter la soirée. Son expression avait changé du tout au tout. Son sourire avait disparu de son visage et tu y avais lu de la peur. Ses précisions t’avaient laissé perplexe. Quelqu’un était présent à cette soirée, quelqu’un qui l’effrayait. Pourtant c’était le choix de ses mots qui t’avait déstabilisé. Elle n’avait pas eu peur qu’il la voie, mais qu’il la « sente ». Tu étais un loup-garou, tu ne pouvais pas comprendre autrement ce qu’elle avait dit. Pour confirmer tes doutes, tu avais poussé tes sens jusqu’à sentir la présence d’autres loups. Tu n’avais pas vraiment cherché à discuter sa demande. Rester sur place et la laisser dans l’angoisse de tomber sur celui qu’elle redoutait n’était pas dans tes plans, mais tu avais besoin d’explications. Qui l’effrayait comme ça et pourquoi ?

La porte de l’appartement où tu vivais avec ta mère vous faisait maintenant face. Après l’agitation et le brouhaha ambiant de la soirée, le silence du couloir de ton immeuble avait quelque chose d’agréable.Tu ouvris la porte et invitas Elise à entrer. Ta mère était absente. Elle avait esquivé la soirée du conseil, mais s’était arrangée pour être de mission cette nuit. C’était son truc, filer sur le terrain, prendre ce que les autres rechignaient à faire, pour qu’on ne lui pose ensuite aucun problème pour ses absences répétées. C’était sa technique pour exercer le travail qu’elle aimait, sans que personne ne se rende compte de ce qu’elle était. Tu guidas la jeune femme jusqu’au salon. La pièce était meublée avec simplicité, mais se voulait conviviale, tout comme le reste de l’appartement. Ta mère restait une grande solitaire et elle n’était pas vraiment branchée décoration. Si tu avais choisi cet endroit, c’est parce que tu savais qu’ici, vous pourriez discuter en toute confiance.

- Installe-toi, je vais te chercher un truc à boire…

Tu te rendis dans la cuisine et contrairement lors de la soirée, tu ne mis pas longtemps à trouver une bouteille de jus de fruits. Tandis que tu attrapais des verres dans le placard, les derniers instants de la soirée te revenaient à l’esprit. Qui avait-elle vu ce soir ? Qui pouvait à ce point la faire fuir ? Tu avais déjà vu Elise avoir peur. Tu l’avais vue avoir peur dans l’autre monde, tu l’avais même vue faire face à un épouvantard, tu l’avais aussi vue avoir peur de mal faire, mais tu avais à chaque fois pu la rassurer ou lui venir en aide. Là tout au fond de toi, tu avais compris que cette nouvelle peur ferait bien trop écho à ton propre secret. Pourtant tu avais besoin de comprendre, besoin de savoir ce qui lui arrivait. Tu ne pouvais pas l’aider et la soutenir en ignorant ce qui la tracassait. C’était ça être un couple. C’était être là l’un pour l’autre quoi qu’il arrive. Tant que tu ne saurais pas, ça t’obnubilerait. C’était comme ça, si elle n’allait pas bien, toi non plus. Tu revins vers le salon verres à la main et t’installas sur le canapé à ses côtés.

- Tu veux bien m’expliquer ce qu’il s’est passé à la soirée ? Qui craignais-tu de voir arriver comme ça et pourquoi… pourquoi tu as dit que tu ne voulais pas qu’il arrive à te sentir ?

Même si tu savais ce qu’elle sous-entendait par là, tu lui demandas ces précisions. Un type lambda se serait posé la question, ce n’était clairement pas le moment de relâcher ton attention à ce sujet. Tu n’osas pas ajouter qu’elle pouvait tout te dire, de ta part cela aurait été très franchement hypocrite. Tu lui tendis son verre et attendit qu’elle prenne la parole.

C’était incroyable comment les choses pouvaient basculer en un claquement de doigts. Tout pouvait parfaitement bien aller et la minute d’après, c’était l’angoisse. Cette fois, pourtant tu n’avais toujours pas identifié le danger, même une fois partis du cabaret, même une fois à l’abri dans ton appartement. Tu faisais confiance à Elise. Elle ne pouvait pas avoir peur sans raison, pas à une soirée où tout se passait bien et où les forces de l’ordre magiques veillaient au grain. Une fois dans ton salon, elle ne semblait toujours pas sereine et cela ne fit que te convaincre définitivement de démêler cette histoire avec elle. Tu revins de la cuisine avec de quoi se désaltérer et elle t’interrogea sur l’absence de ta mère.

- Non, elle est partie en fin d’après-midi en mission. Elle est Auror, je crois que je t’en avais déjà parlé. Au mieux elle reviendra demain dans la journée…

Au mieux oui, si elle était en filature ou autre mission d’infiltration, ça prendrait même plusieurs jours. Toi ça t’arrangeait dans un sens. Déjà parce que tu ne te voyais pas présenter Elise à ta mère dans cet état et ensuite parce qu’une fois que ce serait fait, tu aurais droit à l’interrogatoire le plus complet avec toutes les mises en garde possibles et inimaginables. Un calvaire… Tu n’avais pas besoin d’entendre de ta mère que tu étais en train de faire une belle erreur et qu’elle t’avait pourtant bien prévenu à ce sujet. Tu chassas ces scénarios de ta tête pour te concentrer à nouveau sur le problème d’Elise. Que s’était-il passé plus tôt ? De quoi avait-elle peur ? Elle prit alors la parole et tu voulus la rassurer, lui dire que tu ne la jugerais pas, mais la fin de sa phrase te bloqua net. Même si tu t’y attendais, tu dissimulas ton trouble en buvant une gorgée de ton propre verre. Alors oui c’est vrai que la jeune femme pouvait avoir de nombreuses peurs, mais de là à douter, ou à remettre en question son angoisse de ce soir, non ce n’était pas ton genre. Et maintenant qu’elle avait énoncé le sujet, oui tu étais plus que ravi qu’Isobel Fleming soit absente un bon moment. Par contre, là clairement, ce n’était pas vraiment le moment de dire à Elise qu’elle n’avait pas rencontré qu’un seul loup-garou dans sa vie. Ton secret ne pouvait pas peser plus lourd qu’en cet instant. Tu ne voyais pas comment tu pourrais lui expliquer un jour ce que tu étais. Tu n’avais pas envie qu’elle te regarde avec cette peur-là, ni de la voir partir à cause de ça.

Tu ne dis rien, l’écoutant te raconter ce que ce loup-garou lui voulait et ce qu’il lui faisait subir. Il la traquait, il la suivait pour la harceler, au point de la terroriser. Pourquoi ? Pourquoi ce type lui faisait subir ça ? Pour lui demander des choses ? La cause n’avait pas d’importance ? Bien sûr que si ça en avait ! Pour quelle raison, on pouvait en venir à faire ça ? Ton sang ne fit qu’un tour lorsqu’elle te parla des violences physiques. Non elle avait raison, la cause n’avait plus d’importance. Il n’y avait aucune bonne raison de lui faire subir ces choses-là. Tu essayas de comprendre ce qu’elle t’expliquait sur sa peur, le fait qu’elle ne pouvait pas lui résister, que parfois elle pensait pouvoir avoir le dessus, mais qu’il trouvait toujours le moyen de la remettre à sa place. Tu le savais que tous les loups n’étaient pas comme ta mère et toi, qu’il y en avait pour profiter de leurs avantages lupins pour s’imposer aux autres. Tu le savais que certains étaient tellement barbares qu’on ne les distinguait même plus de la bête en eux même sous leur forme humaine. Sans eux, peut-être que les choses évolueraient plus vite ? Que vous ne seriez pas tous relégués au rang de monstre ?

Lorsqu’elle s’excusa pour son comportement de ce soir, tu écarquillas les yeux, stupéfait. Elle s’excusait ? Et pourquoi te posait-elle cette question ? Bien sûr qu’il y aurait d’autres soirées et pourquoi ne l’aurais-tu pas crue ? Tu reposas ton verre sur la table basse, lui retiras également le sien avant de lui prendre les mains et de plonger ton regard dans le sien.

- Elise, pour quelles raisons je ne te croirais pas ?

Quelle intérêt aurait-elle à inventer toute cette histoire ? Tu ne voyais vraiment pas. D’autant que la présence de loups à cette soirée, tu l'avais sentie avant de partir. Tu ne pouvais que la croire, même si tu ne pouvais pas lui parler de ça. Tu la rassuras alors.

- Oui il y aura d’autres soirées, bien sûr ! Ne t’excuse pas parce que tu as eu peur, d’accord ?

Elle ne se débarrasserait pas de toi comme ça. Parce que si c’était son but, elle avait vraiment une manière particulière de le faire. Ha franchement le coup du loup-garou pour rompre avec Aidan, non ce serait pas terrible xD Quant à s’excuser ? Ha non, ça c’était inutile. Elle ne t’avait rien fait de mal et tu lui en aurais plutôt voulu qu’elle fasse comme si de rien n’était, alors qu’elle n’était pas bien.

- Je n’ai jamais douté de toi, je te crois et tu peux tout m’expliquer.

Parce que son histoire te rendait malade, tu avais besoin qu’elle te raconte tout depuis le début. Tu savais que tu allais devoir prendre beaucoup sur toi pour entendre cette histoire. Il t’en fallait beaucoup pour perdre le contrôle de tes émotions, mais quand celle que tu aimais t’avouait du jour au lendemain qu’un loup-garou l’avait prise pour cible, c’était une autre histoire.

- Depuis combien de temps ce type te harcèle ? Et ces entrevues, c’est arrivé souvent ? Qu’est-ce qu’il te veut ?

Depuis combien de temps tout ce cirque durait-il ? Tu avais un peu peur de connaître la réponse. Si cela durait depuis un certain temps et que tu ne t’en étais jamais rendu compte ? Tu avais encore tout un flot de questions que tu retenais pour ne pas l’assommer et la perdre en chemin. Du peu qu’elle t’avait déjà raconté, tu avais compris que ce qu’elle vivait était déjà bien éprouvant. Tu ne pouvais pas la laisser comme ça avec cette menace qui lui pesait dessus. Tu allais trouver une solution, il y avait forcément une solution pour la sortir de cette situation.

Cette conversation que vous aviez, c’était clairement marcher sur des œufs pour toi. Ha, le sujet loup-garou était le sujet numéro un à éviter de placer dans une conversation de ton point de vue, et c’était même sûrement pire avec Elise. Cette fois tu n’avais pas pu l’éviter, parce que tu tenais bien trop à elle pour faire comme si de rien n’était. Il ne s’agissait pas seulement de faire attention à ne rien divulguer de ton secret par erreur. Ça c’était ton lot quotidien. Réfléchir à tout ce que tu disais pour ne pas te trahir, tu le faisais et bien sûr que là c’était encore plus difficile que d’habitude. Non tu avais aussi peur de ce qu’elle pourrait dire sur les loups-garous, que certaines choses sortent et te blessent, de ce qu’elle pouvait penser. C’était une chose de savoir que beaucoup haïssait ton espèce, ou la redoutait et la rejetait, mais Elise tu n’avais pas envie de savoir. Tu préférais rester dans l’ignorance de ce qu’elle pensait, le peu que tu en savais te suffisait. Était-ce de la surprise que tu avais lu dans son regard alors que tu cherchais à la rassurer ? Quelle pensée lui avait traversé l’esprit ? Ha vaut mieux pas qu’il sache en fait xD

- Hum… pas forcément. De ce que je comprends, ce type est peut-être juste un psychopathe. Il se sert simplement de ce qu’il est pour s’en prendre à toi.

Devenir la cible d’un loup-garou, ne voulait pas forcément dire être condamné à en devenir un. Les lycans qui entretenaient votre réputation de monstre et de prédateur, se servaient de leurs avantages lupins pour terroriser les autres, mais n’avaient pas souvent pour objectif de les transformer. Déjà parce que c’était aussi donner à sa victime les mêmes armes et avantages que les siens. Non, les loups-garous n’avaient pas pour but de transformer d’autres sorciers en loup. Tu la regardas avec un sourire. Elle ne méritait pas en tout cas de finir condamnée comme toi. C’était bien une malédiction que tu ne souhaitais à personne.

- Je t’arrête tout de suite, tu n’as rien gâché du tout. Si quelqu’un a gâché quelque chose, c’est ce type.

Elle n’avait vraiment pas à se blâmer pour ça. Pour toi, elle avait fait ce qu’il fallait et puis maintenant tu pouvais savoir ce qui se passait. Tu l’aiderais, ça c’était une certitude. Cette histoire ne pourrait pas continuer. Ce n’était pas normal de vivre avec la peur qu’on lui tombe dessus, ce n’était pas normal de subir ce qu’elle subissait sans que personne ne puisse y faire quelque chose. Sauf que pour savoir quoi faire, tu avais besoin de détails supplémentaires. Tu ne devais pourtant pas la presser de questions, alors petit à petit tu essayais d’en savoir plus, de la pousser à se confier à toi. Depuis quand d’abord, pour être en mesure de comprendre à quel point cette peur avait pris racine. Sa réponse te fit l’effet d’une claque. Plus d’un an ! Cela faisait plus d’un an qu’elle endurait ça ? Ce n’était pas possible tu avais mal compris la date. Cette idée te rendait malade. Alors que toi tu luttais contre ta seconde nature, que tu faisais tout pour la cacher, quelqu’un d’autre se servait de la sienne pour traumatiser ta copine. Tu ne pus masquer ton incrédulité bien longtemps en l’entendant s’exprimer sur le sujet. Elle l’avait sous-estimé disait-elle...Oh ça tu aurais pu très bien lui expliquer de quoi un loup-garou était capable sous forme humaine et encore, tu n’avais jamais poussé tes capacités au maximum. Tu n’avais pas besoin d’étudier ton espèce pour savoir qu’il pouvait la pister aisément, ce que tu ne t’étais jamais autorisé à faire avec quiconque. Toi tu t’étais toujours servi de tes sens accrus pour t’éviter les ennuis, jamais pour les chercher. Tu serras les dents en l’entendant parler du nombre de fois où il avait pu la rencontrer. Depuis un an, mensuellement, Elise se faisait harceler ? Ce n’était pas possible, pourquoi cela durait-il encore ? Ha mais ce n’était pas fini, en fait. Tu voulais des détails, tu allais en avoir. Et plus elle avançait, plus tu sentais différentes émotions t’envahir. La stupéfaction, la colère, la douleur, la honte aussi pour n’avoir jamais rien su de tout ça jusqu’à aujourd’hui.

- Elise, est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? Bien sûr que si c’est un problème qu’il te fasse du mal !

Tu inspiras pour ne pas t’emporter. Elise n’était pas responsable de ce qui lui arrivait et surtout tu ne voulais pas qu’elle arrête de se confier. Tu ne pouvais pas ne pas réagir, tu ne pouvais pas seulement être quelqu’un pour écouter ses problèmes. Tu manquas plusieurs battements à l’évocation d’un éventuel viol. Il ne te semblait jamais avoir ressenti une telle colère, à part peut-être celle du loup à la pleine lune que tu empêchais de se repaître de proies humaines. Tu avais lâché ses mains, pour qu’elle ne sente pas ta rage qui se diffusait dans ton corps. Et tu te rendais compte à cet instant qu’il y avait pire sujet de conversation que les loups-garous pour toi. Entendre ce qu’Elise pouvait subir physiquement et moralement d’un dingue, sans exploser devenait là un défi bien difficile à relever. Garder la face et l’écouter évoquer des termes que tu ne voulais même pas penser qu’elle subirait un jour. Tu gardas le silence, régulant ta respiration. Tu comprenais bien là ce qu’elle te disait concernant ses proches. Tu n’avais clairement pas envie de poursuivre ta vie en fermant les yeux sur ce qu’elle vivait. Tes émotions à peu près contenues, tu lui demandas simplement.

- Et tu trouves ça normal de vivre en te sacrifiant continuellement pour tes proches ? Ils sont au courant ? Quelqu’un d’autre est au courant de ça ?

Ha non ça tu en doutais que son frère soit au courant. Jamais de la vie il ne l’aurait laissée faire ça. Et elle pensait tenir encore combien de temps comme ça ? Sans craquer, sans devenir folle ? Dans ton esprit, c’était acté. Tout cela allait cesser, tu ne savais pas encore comment, mais tu trouverais. Il voulait des informations, mais avait d’autres moyens de les obtenir. Donc il jouait avec l’Aiglonne, il jouait avec ses nerfs. Pour quel plaisir ? Celui de se sentir plus fort ? Un sadique ? S’il le fallait tu étais prêt à prendre sa place dans la partie qui se jouait entre elle et ce type. Visiblement, elle n’était pas de cet avis comment t’essaies de couper l’herbe sous le pied de Pupuce là xD et te demandait déjà de ne pas te mettre en danger. Oui et bien le choix était vite fait.

- Tu sais il y avait du monde à cette soirée… Du coup ça doit être plus dur avec toutes les odeurs qui se mélangent de repérer quelqu’un… On est partis vite, on a transplané, franchement même s’il est doué, il y a peu de chance qu’il nous suive jusqu’ici.

Voilà c’est ce que tu disais par avoir l’impression de marcher sur des œufs. Faire des suppositions avec ce que tu savais très bien. C’était impossible de percevoir par hasard l’odeur de quelqu’un dans une foule pareille sans être vraiment proche d’elle, même pour quelqu’un qui exerçait ses sens depuis longtemps. Non il fallait vraiment qu’il soit venu pour elle, qu’il l’ait vue et qu’il t’ait repéré, pour ensuite venir jusqu’ici. C’était quand même beaucoup se donner de mal pour persécuter quelqu’un.

- Si ça peut te rassurer, je resterais prudent, il ne m’arrivera rien.

Oui alors autant pour la première partie, ça c’était certain puisque c’était dans ton caractère, autant pour la deuxième tu t’avançais quand même beaucoup. Est-ce que tu ignorais complètement sa demande de ne pas remonter jusqu’à lui ? Ha complètement, là elle te demandait la lune sans jouer avec les mots. Et puis, savait-elle jusqu’à quand il jugerait qu’elle lui serait utile ? Toi non plus tu n’avais pas envie de la perdre. Avait-elle la moindre idée de ce que c’était de vivre avec la culpabilité d’être resté sans rien faire ? Tu avais besoin d’un nom, tu ne pouvais pas aller toquer à la porte de tous les loups-garous de Londres.

- Est-ce que je peux au moins savoir de qui je dois me méfier ?

Voilà de te méfier et non pas à qui tu dois aller demander des comptes. Tu ne savais pas vraiment si tu allais lui arracher l’identité du type, mais tu tentais le tout pour le tout, jouant comme d’habitude sur les mots, même s'il était difficile d'être bien subtil.

Voilà, on y était. Les mots sortaient et ne t’épargnaient pas. Tu ne pouvais même pas lui en vouloir. Sa haine était légitime vu ce qu’elle subissait. Comment aurait-elle pu penser du bien des loups quand l’un d’entre eux la traumatisait et se servait de ce qu’il était pour le faire ? Elle ne voulait pas en côtoyer ? Tu le savais qu’elle n’aimait pas les loups depuis quasiment le début. Tu aurais dû renoncer à elle rien que pour ça et tu avais finalement ignoré ce problème, te disant que tu trouverais une solution. L’envie d’être avec elle avait été plus forte et maintenant plus que jamais tu sentais le poids de ton secret s’alourdir. Tu n’avais pas envie de la quitter et tu n’avais pas envie qu’elle sache. Les deux étaient pourtant bien incompatibles. Tu ne pourrais pas vivre dans le mensonge éternellement avec la personne que tu aimais. Tu l’écoutas, sans rien dire. Tu n’avais même pas envie d’essayer de la convaincre que les loups n’étaient pas tous pareils, que tu n’étais pas comme ça. De toute façon, ce n’était pas ce soir que tu la ferais changer d’avis et tu ne voyais même pas quels arguments pourraient la convaincre que les loups n’étaient pas tous des monstres. Tu vivais tellement dans cette peur du rejet que tu n’avais jamais cherché à te construire un plaidoyer pour ça. Alors non, tu la rassurais juste, accusant ce loup que tu ne connaissais pas, lui rejetant la faute. A cause de lui, Elise n’était pas bien, elle souffrait régulièrement. A cause de lui, ta seconde nature étaient détestée de l’Aiglonne et votre soirée prenait une tournure que tu n’avais pas imaginée.

Tu l’avais écoutée, apprenant ce qu’elle avait vécu depuis tout ce temps à cause de ce type. Tu étais du genre calme et tu ne t’emportais pas pour un rien. Tu faisais toujours passer la réflexion avant l’action, mais là tu avais du mal à rester imperturbable. Tu ne pouvais pas supporter l’idée qu’Elise souffre ou subisse cet harcèlement et tu prenais sur toi pour ne pas exploser. Malgré tous tes efforts, tu avais du mal à te contenir et l’entendre dire que le fait qu’on lui fasse mal n’était pas un problème te faisait bondir intérieurement. Tu ne pouvais pas la laisser dire ça. Pourtant ta remarque sortie, tu t’empêchas de laisser ta colère se déverser. Elle n’y était pour rien, elle avouait juste ce qu’elle vivait. Le problème c’était que tu l’aimais et tu n’arrivais pas à rester juste une oreille attentive. Tes mots tu ne les pesais pas avant de les prononcer, et même si tu te contenais, c’était bien assez pour heurter Elise. Elle voulait porter cet énorme poids toute seule et elle avait forcément bien du mal à le faire. Elle en souffrait parce qu’elle avait peur de perdre tout ce qu’elle avait, parce qu’elle ne voulait pas être responsable de la mort de ses proches ?

- Je suis désolé, je ne voulais pas te vexer… lâchas-tu alors.

Non tu ne voulais pas la disputer comme une gamine ou lui dire que ce qu’elle faisait n’était pas la bonne chose à faire. C’était facile de dire ce qu’il fallait faire, mais la réalité ce n’était pas comme sur le papier. Elise n’avait pas à souffrir oui, mais elle était prise dans un engrenage et elle avait sûrement déjà bien étudié la question pour trouver comment se sortir de là. Plus d’un an qu’elle vivait ça, et tu devais bien admettre que les solutions à sa situation n’étaient pas si évidentes à trouver ou à mettre en place. La colère redescendit rapidement lorsque tu la vis s’énerver.

- Eh, Elise, je ne voulais pas te juger, d’accord ? Je sais bien que tu fais ce que tu peux, mais oui j’encaisse ce que tu me dis et bien sûr que ça me rend fou de savoir qu’un type te fait du mal.

C’est ça, tu avais la réaction normale de quelqu’un qui tenait à elle, la réaction qu’aurait son frère ou ses parents, oui voilà. Elle avait fait son choix depuis longtemps, elle ou les autres et tu savais bien qu’elle était tout sauf égoïste. C’était une de ces choses que tu avais découvert d’elle en vous retrouvant à sauver des inconnus dans l’autre monde. Thalia était au courant, mais elle non plus n’avait visiblement pas trouvé de solution pour aider Elise. Tu n’avais rien non plus pour le moment, mais ça ne durerait pas. Tu ferais n’importe quoi pour elle, et tu l’avais déjà fait d’ailleurs en entraînant ton meilleur ami à la recherche d’un remède à ta condition.

- Ce n’est pas à moi de parler à Amaury de ce que tu subis, je ne lui dirais rien, rassure-toi.

Non, tu n’aurais pas à le faire, puisque cette situation tu comptais y mettre un terme. Il n’y aurait donc plus besoin d’en parler à qui que ce soit si ça devenait de l’histoire ancienne, non ?
La jeune femme s’inquiétait de l’avoir amené dans ta vie. En vrai, ça t’aurait arrangé, tu n’aurais ainsi pas eu à le chercher, tu te contentas donc de rassurer l’Aiglonne en lui démontrant que ce serait quand même très fort s’il vous avait suivis jusqu’ici. Après lui avoir assuré que tu resterais prudent, tu tentas d’en apprendre plus sur son bourreau. Tu la regardas perplexe lorsqu’elle te suggéra d’éviter tous les loups. Sauf que toi ça ne t’aidait pas du tout pour identifier ce type.

- Alors je veux bien, mais je ne crois pas qu’on ait déjà inventé un détecteur à loups-garous…

Quoi ? Oui bien sûr que tu n’avais pas besoin de détecteur puisque tu étais biologiquement capable de repérer tes congénères. En revanche, tu n’allais pas interroger tous les loups que tu croiserais au cours des prochaines semaines, tu avais besoin de le retrouver plus vite que ça. Un nom, tu n’avais besoin que de ça, mais elle ne te le donna pas. Tu cachas ta déception, tu trouverais un moyen pour l’obtenir.

- Comment ça il t’a possiblement sauvé la vie ?

Elle avait vraiment le don de se retrouver dans les situations les plus dingues qui soient. Tu t’étais d’abord dit qu’avec le Blood Circle, la vie était forcément devenue plus dangereuse, mais Elise collectionnait vraiment les ennuis. Par contre tu notais ce détail. S’il lui avait sauvé la vie, alors qu’il pouvait très bien obtenir ce qu’il voulait sans elle, c’était qu’il n’était pas totalement inhumain. Tu pouvais espérer négocier et obtenir quelque chose.

- Attends, tu as quoi ? Mais qu’est-ce qu’il a fait après ça ?

Oui parce que tu avais bien compris qu’elle n’avait pas dû le blesser au point de lui passer l’envie de poursuivre son harcèlement avec l’Aiglonne, sinon vous ne seriez pas là en train de discuter de tout ça. Est-ce qu’il s’était vengé ? Est-ce qu’il s’était mis en colère ? Tu avais besoin de comprendre comment il fonctionnait, comment il réagissait pour tes plans futurs et si ces nouvelles informations te rendaient perplexes, elles t’aideraient peut-être.

C’était déjà trop tard… Tes déboires avec les loups avaient commencé très jeune et ça s’était mal fini. Toi ce que tu te demandais, c’était comment elle réagirait en apprenant que tu étais un loup ? Que ta mère en était également un ? Tu avais un peu peur de connaître la réponse. Au fond même, tu te doutais que ça ne pourrait pas bien se passer. Au moins comprenait-elle que ses révélations étaient plutôt difficiles à avaler pour toi. Pour n’importe qui en fait qui tenait un tant soit peu à elle. Oui son frère aussi, mais tu ne la trahirais pas. Ce n’était pas ton rôle, c’était le sien et elle ne changerait pas d’avis visiblement. Peu importe, elle n’aurait bientôt plus besoin de se demander à qui en parler. Oui sans doute qu’Amaury aurait foncé droit vers le danger. Toi aussi tu irais droit vers le danger, mais tu avais peut-être quelque chose de plus à offrir de par ta nature. Tu avais envie de penser que pour cette fois, elle pourrait t’être avantageuse. Est-ce que tu allais empirer les choses ? C’est vrai que depuis le début tu te disais naturellement que c’était la chose à faire, mais s’il refusait de t’écouter et s’il allait lui faire payer ? Tu ne pouvais pas la surveiller tout le temps et t’assurer qu’elle allait bien. Et pourtant, tu ne pouvais pas non plus rester les bras croisés et la laisser subir ces rencontres qu’elle redoutait, par peur d’agir. Tu serais prudent et tu t’assurerais qu’il n’y ait pas de retombées négatives pour elle, voilà tout.

En attendant, elle ne te facilitait pas la tâche dans ta recherche d’informations sur ce fameux loup. Étais-tu au moins un peu subtil dans tes questions ? Avec quelqu’un d’autre, tu ne te serais pas posé la question. Avec Elise, ce n’était pas pareil. Si tu ne faisais pas gaffe, elle allait percuter et tu aurais du mal à mettre ton plan en place. Par contre, tu pouvais lui faire remarquer que tu aurais bien du mal à repérer des loups si tu en croisais. Malgré tout, tu n’aurais visiblement pas les informations que tu cherchais. Ce qu’elle te donnait n’était pas assez, mais tu ne te voyais pas insister sans risquer d’éveiller ses soupçons. Tu l’écoutas te faire d’autres révélations, te conseiller de fuir face à son bourreau, chose que tu ne comptais évidemment pas faire.  Et si dans l’immédiat tu ne pouvais pas avoir son nom, tu pouvais en apprendre plus sur son mode de fonctionnement. Ça t’aiderait peut-être sur la façon de l’aborder ou quelles réactions adopter face à lui.

Si tu en doutais, maintenant tu en étais certain. Elise était un aimant à ennuis en tout genre et même si elle ne manquait pas de courage, elle ne pouvait évidemment pas tout affronter toute seule. Non elle n’avait pas besoin d’entrer dans les détails, et non tu n’avais pas du tout envie de l’imaginer en train de subir une agression de cette nature. Elle te raconta comment à sa manière il l’avait tirée de cette mésaventure. Elle ne comprenait pas sa réaction. Pourquoi l’avait-il sauvée ? Elle l’avait dit, il n’avait pas forcément besoin d’elle pour les services qu’il lui demandait, alors pourquoi la sortir de ce mauvais pas ? Un prédateur n’aimait pas qu’un autre joue avec sa proie. Peut-être que lui ça ne le dérangeait pas de la malmener, de la blesser, mais que si un autre s’y mettait ça ne lui plaisait pas ? Une simple histoire de possessivité malsaine ? Ou alors… Peut-être n’était-il pas totalement monstrueux ? Qu’il l’avait vraiment sauvée pour lui venir en aide et pas par intérêt ou n’importe quel motif détestable que ce soit ? Même si tu avais envie de haïr ce type pour ce qu’il faisait subir à ta copine depuis plus d’un an, cette deuxième hypothèse pourrait t’arranger. Tu avais plus de chance d’obtenir quelque chose d’un type qui avait encore un peu d’humanité en lui.

- C’est… bizarre oui, mais au moins tu as échappé au pire ce soir-là, enfin... J’espère qu’il ne t’a pas sauvée pour te faire pire ensuite…

Elle ne donnait pas l’impression que ça avait été le cas, mais tu préférais t’en assurer, même si tu ne changerais pas le passé. Ce qu’elle t’avait avoué ensuite t’avait surpris. Comment poussée à bout, elle en était venue à cet extrême. Elle se justifiait, pourtant là encore tu ne la jugeais pas. Tu t’étais douté qu’il s’agissait là de légitime défense.

- La violence ne résout peut-être rien, mais tu as le droit de te défendre tu sais.

Elle te raconta alors l’étrange comportement qu’il avait eu avec elle. Il ne s’était pas mis en colère ou vengé. Elise avait réalisé ce soir-là qu’elle n’était pas capable de tuer quelqu’un, sans doute l’avait-il compris avant elle ? C’est vrai que tu ne pouvais pas l’imaginer passer à l’acte. Il fallait tellement de haine, ne plus avoir le choix, en être à ce dilemme de « c’est moi ou lui » pour en arriver là pour des gens comme vous. Ce que tu comprenais, c’était effectivement qu’il jouait un jeu avec elle, mais qu’il ne semblait pas avoir l’intention de la tuer. Par contre, pour toi il n’était pas illuminé, il était bien aussi dangereux qu’elle le disait. De un, il n’avait pas de scrupules à éliminer les gens, il l’avait déjà fait. C’était clairement ce qu’il avait sous-entendu en proposant à Elise de lui montrer comment faire. Et de deux, pour tenir la douleur comme ça sans broncher, il avait dû la croiser très souvent dans sa vie.

- Moi je sais une chose, dis-tu en te rapprochant d’elle et en lui souriant, c’est que tu as beaucoup de cran pour affronter tout ce que tu affrontes dans ta vie.

Tu passas ton bras derrière son dos et posas ta main sur son épaule pour l’attirer contre toi et l’enlacer.

- Ça va aller, et ne t’en fais pas pour moi, d’accord ? Il n’y a aucune raison pour que je me retrouve en danger.

Voilà comment dès le début de l’année tu ajoutais un nouveau mensonge à ta collection pré-existante. Le tout c’était qu’elle ne l’apprenne jamais, mais surtout que plus jamais elle n’ait à s’inquiéter d’avoir affaire à ce loup.