Le Ministère de la Magie regorgeait de couloirs, de salles et de bureaux en tous genres. Tout profane débarquant ici sans un guide averti pouvait fort bien se perdre et se retrouver à errer pour de longs moments de solitude.   Je me souvenais avoir pris le temps de mémoriser ce que l’on trouvait à chaque étage, lors de mon arrivée ici, afin de pouvoir m’y retrouver de la façon la plus efficace qui puisse être. Et cela avait porté ses fruits.
Au fil des années, j’avais toujours continué à mémoriser des informations sur les collègues du Ministère, souvent les éléments de base : les nom et prénom, le poste, les faits connus et vérifiés à leur sujet...
Bref, je m’étais constitué une belle base de données sur l’ensemble du Ministère. J’estimais que c’était la moindre des choses de connaître un minimum mes collègues, qu’ils soient directs ou non.

Et comme tout le monde, il y avait des collègues que je préférais à d'autres. Ainsi, autant je pouvais passer des heures à mater Cho Chang et Hermione Granger ou passer du temps avec Febal Maguire... autant j'évitais Nemesys Scamander, la cheffe des aurors, cette garce qui ne cherchait qu'à me faire tomber pour une sordide histoire qu’elle ne pouvait pas prouver. D’ailleurs, dans le département des aurors, Nemesys n’était pas la seule personne qui ne m’appréciait pas énormément et à qui je le rendais bien.
Parmi les aurors, il y avait aussi un Lestrange pour qui je n’avais pas de sentiments de profonde affection... Sebastian, le petit frère de mes amis Rodolphus et Rabastan... il avait mon âge, d’ailleurs nous nous étions connus à Poudlard, à l’époque, et nous avions vite découvert que l’entente serait difficile entre lui et moi, à moins d’éviter certains sujets de conversation.

Cet après-midi, j’avais assisté à une réunion pour fixer des budgets avec quelques autres chefs de bureau. Très peu d’intérêt. Cela ne me disait rien de débattre pendant des heures pour savoir quelle somme accorder pour le stock de parchemins, quelle couleur pour la cire à cacheter et ce genre de détails pas très pertinents à mes yeux.
Il en fallait pour tous les goûts, certes, mais je n’avais pas besoin de perdre mon temps avec des conneries pareilles. Cela ne me mettait pas de fort bonne humeur, à vrai dire. Il y avait tellement de choses autrement plus épanouissantes à faire ! Je détestais les réunions qui ne servaient à rien… Et puis franchement, la couleur de la cire... qui en avait quelque chose à faire ?

Je pensais à ces imbécillités tout en redescendant vers le troisième étage lorsque je les vis. D’abord Lestrange, évidemment. Il avait cette stature haute qui faisait qu’on ne pouvait pas le louper... et puis il était accompagné par un garçon, sans doute un peu plus âgé que Marcus.

« Tiens donc, Sebastian... » Je le toisais durant quelques instants, sans prendre de ses nouvelles, bien sûr, à quoi bon ? Puis je posais les yeux sur le plus jeune. « Tu as une nouvelle recrue ? »

Vu le petit air de famille, il semblerait que Sebastian ait trouvé intelligent d’amener son rejeton sur son lieu de travail. Drôle d’idée, en soi... avec un gosse de cinq ans, je pouvais comprendre, mais là, il devait avoir au moins quatre fois cet âge et donc ne plus être dans le délire de l’admiration sans bornes pour le père... Enfin, en théorie... mais à première vue, le jeune garçon n’avait pas l’air d’avoir cinq ans d’âge mental.

« C’est ton père, je suppose ? » Bien sûr, Sebastian Lestrange ne pouvait pas être resté sans enfant. Dans les grandes familles de sang pur, cela ne se faisait pas. Il fallait qu’il y ait une descendance... et pour le coup, Rabastan s’était montré bien efficace, puisque mon meilleur ami avait dépassé le chiffre de deux descendants mâles, ce qui était assez exceptionnel pour les traditions.
Concernant le dernier né de la génération de Rodolphus et Rabastan, malgré le fait qu’il bosse au Ministère également, je devais avouer que je n’étais pas très au courant de la vie privée de Sebastian. Il était perçu comme un traître par ses frères... j’étais ami avec les frères en question. Autant dire que je n’avais pas un avis très objectif au départ... et puis, à l’époque de Poudlard, même si Sebastian et moi nous étions découvert quelques atomes crochus et des centres d’intérêt communs, j’avais choisi de privilégier la relation que j’avais avec ses frères plutôt qu’avec lui... chose que je n’avais jamais regrettée, d’ailleurs, vu que l’amitié était toujours bel et bien présente et que Rabastan s’avérait être un véritable ami, efficace quand il le fallait... tout comme j’avais toujours essayé d’être à la hauteur et de faire preuve d’efficacité pour lui quand cela s’était avéré nécessaire par le passé, mais je savais que je ferais encore les mêmes choix à l’heure actuelle. Rabastan était mon meilleur ami et cela voulait tout dire.

Dans toute famille, il existait des personnes que l’on pouvait qualifier de moutons noirs. C’étaient des erreurs de la nature, des gens qui n’auraient jamais dû voir le jour et qui auraient mérité très tôt d’être stérilisés. Ma petite cousine était de ces gens-là. Et chez les Lestrange, eh bien, il y avait Sebastian. La différence, c’était que cet imbécile s’était reproduit, polluant ainsi la lignée de mon meilleur ami en y adjoignant la lie du monde sorcier. Quand on avait la chance d’avoir le sang pur et d’appartenir à une famille renommée, il y avait un devoir de réserve auquel se plier... chose que Sebastian n’avait pas faite.
Déjà, un Lestrange qui avait choisi de devenir auror, cela n’avait pas vraiment plu. Il était clair que Corvus Lestrange se serait retourné dans sa tombe en apprenant une telle horreur sur l’un de ses descendants. Je supposais, aussi, que ni Rabastan ni Rodolphus n’avaient dû être vraiment ravis de ce drôle de choix de carrière de leur petit frère... Cependant, c’était prévisible.
Pour avoir connu Sebastian à Poudlard, il avait tout de suite semble évident qu’il n’avait rien à voir avec ses frères. Là où Rab et Rod étaient de très bons exemples de la tradition et de l’excellence dues à leur nom, le dernier né des Lestrange était un bien piètre sang pur. Il ignorait la tradition... quant à l’excellence, il était loin d’en faire son apanage.

Depuis que Sebastian était revenu dans la région, je me montrais méfiant. Dans une autre vie, s’il avait été un peu plus comme ses frères, nous aurions peut-être pu être amis. Le goût pour les livres, l’intérêt pour la culture, la curiosité intellectuelle... nous avions des choses en commun. Mais c’était un traitre à son sang et c’était donc avec ses deux frères, plus âgés que lui et donc, par la force des choses, plus âgés que moi aussi, que j’avais une véritable amitié. Rabastan était d’ailleurs mon meilleur ami et je gardais pour lui des choses très personnelles qu’on ne confiait pas à n’importe qui. Il m’avait même choisi pour être le parrain de son plus jeune fils, moi, un sang mêlé... la confiance entre nous était bien réelle et presque palpable.

Forcément, tenant compte de tout cela, il était clair que les propos de Sebastian Lestrange n’avaient aucun effet sur ma personne. J’appliquais, en effet, mon habituel leitmotiv : n’accorder à ce genre de choses que l’importance que je décidais d’y accorder. C’était également valable pour les personnes, même si un traitre à son sang ne méritait plus vraiment d’être considéré comme une personne à part entière, mais c’était là un autre débat.

« Encore des tentatives d’humour ? » L’humour était censé être drôle. Or... les propos qu’il me servait n’auraient pas arraché un seul petit sourire à quiconque. Savait-il seulement que le sarcasme devait être un minimum recherché ? Bon sang, j’avais l’impression d’être face à un gosse. Sebastian Lestrange sonnait aussi creux qu’un chaudron vide.

Il n’avait pas vraiment conscience, me semblait-il, qu’en tant que membre du Conseil d’Administration, il m’était tout à fait possible d’obtenir une mise à pied pour lui. Cela ne m’aurait d’ailleurs demandé aucun effort puisqu’il commettait une faute professionnelle en amenant son rejeton sur son lieu de travail en période de crise. Il pouvait être appelé n’importe quand pour une intervention musclée contre le Blood Circle. Qu’adviendrait-il de son gamin durant ce temps ? Et s’il devait arriver quelque chose à Sebastian lors d’une mission ?
Pour cela, il aurait un blâme, c’était la moindre des choses. Et je serais assez sournois pour lui arranger cela dans quelque temps, quand il aurait oublié les détails d’aujourd’hui. Un incident était si vite arrivé, après tout…

J’ignorais les propos de l’adulte, il était bien trop fier de ce qu’il pensait être des piques et j’avais la décence de ne pas surenchérir devant son fils. Cela n’aurait pas été très intelligent d’étouffer dans l’œuf une possibilité de laisser à ce jeune homme l’opportunité de faire preuve d’un minimum de courtoisie. Il se présenta donc, me servant son prénom et son nom comme si je n’avais jamais eu vent de son existence et allant jusqu’à me demander qui j’étais. Je lui serrai la main, tout en le jaugeant. « William Ombrage. De même. »

Il était étonnant qu’il ne me reconnaisse pas, mais je n’allais pas en faire toute une histoire. Certains sorciers ne prêtaient aucune attention aux actualités, après tout. Ils laissaient se faire la politique comme si cela ne les concernait pas. Et ce n’était pas plus mal, au fond, parce qu’il y avait déjà assez de gens incompétents comme cela pour se mêler des choses qui leur échappait totalement.
D’ailleurs, en parlant de gens incompétents… « Sebastian, nous allons lancer une offensive contre nos ennemis. Ta présence à la réunion de préparation est vivement souhaitée. » On ne pourrait pas dire que je ne l’avais pas prévenu.
Puisque c’était l’un des plus vieux aurors du service – la plupart se réorientaient professionnellement une fois la cinquantaine atteinte – il lui fallait être là, sans quoi, il serait sans doute mal perçu par ses collègues qui le verraient comme un lâche. En soi, je ne gagnais rien à le prévenir, à part le fait de le faire dégager de ma vue, mais ce n’était pas un mauvais homme de terrain et, face aux moldus du Blood Circle, il nous fallait des personnes de son genre. Rien de plus que de la chair sacrifiable, au final, mais cela, je me gardais bien de le dire, évidemment.
Un regard à ma montre pour vérifier l’heure et j’ajoutai : « La réunion commence dans trois minutes. Tu as reçu l’information sur ton bureau ce matin, à la première heure… Ce serait dommage de rater cela. »

Je n’avais aucune raison de lui mentir alors qu’il allait devoir partir pour accomplir une mission que nous avions décidée au sein du Conseil d’Administration. J’aimais beaucoup cette sensation de pouvoir que me procurait ma place au sein du Conseil. Cela avait des inconvénients, évidemment, mais les avantages n’étaient pas négligeables pour autant. Et ceci était un avantage certain.
Je regardais alors son fils. « Tu as de quoi t’occuper ? Il y en aura sans doute pour une bonne heure, au bas mot. »