Tessa laissait son regard parcourir la pièce dans laquelle elle se trouvait, l’air ennuyée. Il faut dire que ce n’était pas la première fois qu’elle venait dans ce genre d’endroit et ce ne serait sans doute pas la dernière. Ses yeux se posèrent un instant sur la seule porte des lieux, puis sur la vitre sans teint placée sur sa gauche. Une salle d’interrogatoire de la police en règle. Comme dans les films. L’analogie avec toutes ces séries débiles que les pseudo-fans de polars adoraient lui fît lâcher un sourire désabusé. Sérieusement quand est-ce qu’elle allait sortir ? Quelle perte de temps ! Elle fit en sorte de se calmer, sachant pertinemment que dans tous les cas elle serait bientôt libre. Restait à attendre… Se calmer… Et ne pas aggraver sa situation. Un bruit la tira de sa demi-torpeur. La porte laissa entrer l’inspecteur qui l’avait coffré ainsi que ce qui devait être son équipier ou un autre pion de l’administration. « Miss Doe, je suis l’inspecteur Keneway », se présenta le premier avant de s’asseoir sur la chaise située en face d’elle. Il déposa un dossier sur la table entre eux deux pour en sortir quelques documents. « Miss Doe, vous devez savoir pourquoi vous êtes là ? ». La concernée haussa les épaules. « Au mauvais endroit au mauvais moment », dit-elle sans vraiment y mettre de conviction. Le policier dodelina de la tête tout en gardant un visage neutre. « Peut-être. Peut-être pas. Vous avez la fâcheuse tendance à vous trouver justement là où les problèmes surviennent ». Railleuse, la détective privée leva les mains de manière exagérée. Tout ça la barbait littéralement. « Alors quoi, la malchance est un délit maintenant ? ». L’inspecteur dénia tout en continuant de parcourir son dossier. De toute évidence il s’agissait d’un type consciencieux. C’était bien sa veine. « Pas du tout. Cependant je m’interroge voyez-vous… ». Il désigna du doigt les documents en face de lui. « Qu’un nom apparaisse une fois passe. Deux fois ? Pourquoi pas ? Mais il semblerait, si mes sources sont bonnes, que vous miss Doe, soyez citées dans pas moins d’une trentaine d’affaires pour le moins opaques. Sans compter vos antécédents lorsque vous étiez mineure ». Tessa se redressa sur son siège en soupirant. « Un scoop : je suis détective privée. Normal que je sois là où il y ait de l’action ; Et puis, si vos sources sont bonnes, vous constaterez qu’à chaque fois j’ai été mise hors de cause », appuya la jeune femme en jetant un œil au deuxième policier qui la regardait d’un sale œil. L’inspecteur confirma. « Il semblerait effectivement que vous avez une bonne étoile… Avec des appuis hauts placés ». Tessa haussa un sourcil circonspect. Ce flic était plutôt bon. Dommage que ça ne lui serve pas à grand-chose contre elle. « Dites-moi comment une jeune femme issue de l’assistance, fugueuse, condamnée pour quelques délits mineurs, puissent un beau jour réapparaître en tant que détective privé ? Je ne parle même pas des financements de votre petite entreprise mais aussi des avocats qui vous ont représenté à de nombreuses reprises qui figurent parmi les plus chers et côtés de ce pays ? Je doute que vos revenues puissent assurer de tels frais ». Il visait juste. « Vous avez sans doute votre petite idée mais dépêchez-vous car je ne serais pas ici encore très longtemps ». Le Blood Circle allait bientôt intervenir, elle le savait. Sa famille. Sa cause. L’homme de loi présenta des photos d’un homme affublé d’un costume pour le moins dépareillé qui gisait à terre, le visage vide. « Adam Smith. 52 ans. Célibataire, sans aucunes histoires. Retrouvé mort étranglé. La toxicologie a détecté un puissant anesthésiant dans ses systèmes sanguin… Il a été drogué ». Tessa gardait un visage de marbre tout en l’écoutant. Ils n’avaient aucunes preuves sinon elle serait déjà inculpé. « Qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? », brava-t-elle. « Vous avez été reconnue par un témoin avoir abordé monsieur Smith dans un bar de banlieue il y a de ça une semaine. Puis par une caméra de surveillance aux abord de son domicile entrain de prendre des photos de ce-même homme. Pourquoi ? ». Foutu pays de fachiste, maugréa-t-elle dans son esprit. A se demander où était passé notre foutue liberté individuelle. « Okay. J’ai été engagé pour le filer. Mon client voulait des infos sur lui car il le soupçonnait de coucher avec sa femme. Rien de bien nouveau ; Et non je ne peux pas vous donner son nom sans injonction ». « Que nous aurons », fit-il sûr de lui. Sans doute l’aura-t-il mais son alibi était déjà prêt. Avec le soutien du Cercle elle ne craignait rien mais ce n’était pas une raison pour devenir négligente. « Dans ce cas toute la vérité éclatera au grand jour », assura-t-elle avec un sourire. Alors qu’il allait répliquer, on toqua à la porte, l’interrompant. Un homme pénétra dans la pièce, costume impeccable sur lui. « Je suis l’avocat de miss Doe. Tous les éléments ont été transmis à vos supérieurs. Ma cliente est reconnue innocente et libre de ses mouvements », dit-il en donnant un document officiel à l’inspecteur. Ce dernier le prit et confirma. « Il semblerait que votre… Bonne étoile a de nouveau œuvré », lâcha-t-il en serrant les dents. Bonne journée miss Doe ». Sans plus de cérémonie, on la débarrassa des menottes qui l’entravaient et elle suivit l’avocat qu’elle commençait à bien connaître. Ils traversèrent le commissariat sans rien ajouter puis débouchèrent enfin sur la rue principale. « On t’attends », lui signifia-t-il en désignant une limousine qui était stationnée à quelques pas. Elle hocha la tête pour tout remerciement et s’engouffra dedans lorsque le chauffeur lui ouvrit la porte. Tessa se renfonça dans son siège, faisant face à son supérieur. « Alors ? », lui demanda l’homme qui portait en temps normal un uniforme militaire. « Smith en était un. J’ai dû agir rapidement. Trop sans doute, mais il allait s’échapper ». Le gradé serra les lèvres, en acquiesçant. « Je te fais assez confiance pour te croire sur parole. Ces monstres sont partout. En débusquer un prend du temps. Je comprends que l’idée de le perdre après tout ce travail pousse à… Passer à l’action. Mais fais attention. Notre heure n’est pas venue. Le Cercle a besoin d’hommes et de femmes loyales et aptes à prendre les bonnes décisions au bon moment ». Il lui tendit un porte-document. « Tu changes de région, adieu l’Ecosse et dis bonjour à Londres. Le nom de ta nouvelle cible figure sur la dernière page. Procédure habituelle : surveillance et renseignement uniquement. Le Blood Circle t’a d’ores et déjà loué un local discret proche centre-ville pour ton activité de détective. Un agent de liaison viendra te briefer à ton arrivée ». Tessa accepta sans broncher. Sa vie était ainsi : parcourir le pays, et parfois même d’autres, à traquer les sorciers pour le compte du Cercle. Elle l’acceptait. Le Cercle était tout pour elle. Ses parents l’avaient abandonné à la naissance. Sa vie sociale était en vrille… Rien ne la retenait. Elle le devait bien au Cercle. C’était un honneur de protéger les citoyens de ces créatures qui se croyaient au-dessus des lois dictées par les hommes. C’était l’œuvre de sa vie. Alors qu’elle s’apprêtait à partir elle ne put s’empêcher de demander, la voix incertaine : « comment elle va ? ». L’homme se contenta de lui répondre, désormais souriant : « Bien. Ta fille va bien. Cependant elle semble entamer des recherches... Inutile de te dire que ce n'est pas le bon moment pour des retrouvailles si tenté que tu sois intéressées. Concentre-toi sur ta mission Tessa ». La concernée le remercia d’un petit geste de tête sans rien ajouter. Cet homme, Georges Spencer, l'un des bras-droits du patriarche Mackenson, était l’un des rares à savoir de qui elle parlait : non moins que sa propre fille, que la jeune femme avait aussi abandonné lorsqu’elle était venue au monde. Que pouvait-elle faire d’autre ? A l’époque elle n’était qu’une fille paumée en cloque d’un mec rencontré une nuit de débauche dans un bar. Alors que le monde entier lui tournait le dos, Georges et  sa femme lui avaient donné une chance de faire quelque chose de son existence ; D’appartenir à une cause plus grande qu’elle. Non content de l’avoir sauvé ce fameux jour où elle avait été enlevée par un sorcier maléfique, il l’avait prit sous son aile et donné les moyens de grandir. Lorsqu’elle avait accouché, il s’était occupé de tous les papiers et s’était assuré que l’enfant ait un avenir. Tessa savait qu’elle avait fait le bon choix… Malgré tout la jeune femme ne pouvait s’empêcher de penser à elle, désormais une adolescente, et ce qui aurait été sa vie si elle l’avait gardé. Peu importe. C’était ainsi, inutile de ruminer.

La détective dû prendre le bus pour rallier son bureau, sa fidèle moto restée sur place lorsque la police était venue la cueillir. Il était temps de faire ses bagages.