"Alors, on va où mon garçon ?"

D'un coup, je m’immobilisais, la petite mallette contenant l'intégralité de ma vie pendant mollement à mon bras. On va où ? La bonne question. Je restais de marbre une seconde de trop. Tellement heureux de sortir enfin de prison, de retrouver ma liberté que j'en avais oublié de songer à un nouveau point de départ. Et il n'en fallut pas plus pour que mon chauffeur saisisse le vif d'or au bond. Le vieux véhicule démarra au quart de tour, magie aidant, sans que je n'aie donné un semblant de destination ni même prononcé un seul mot.

"Installe-toi. Qu'est-ce qui amène un jeune homme comme toi dans un trou pareil ?"

Je restais silencieux. Je n'étais pas monté dans ce bus pour taper la discussion à un vieux chauffeur trop curieux. Je voulais juste rentrer chez m.. enfin... n'importe où, m'éloigner de cet endroit maudit. Il stoppa net le véhicule et je manquais de me manger le pare-brise.

"Tu préfères garder le silence Dagobert ? Alors terminus, tout le monde descend !"

Il ouvrit la porte et je sentis le siège se soulever, prêt à m'éjecter. Mais d'où il connaissait mon nom celui-là ? Et de quoi il se mêlait ?

"Ok, ok, referme la porte, je vais te dire..."

Je commençais à lui raconter ce que je faisais ici, dans une prison magique perdue quelque part sur le continent africain. Tout avait commencé un an plus tôt... Enfin bien plus tôt, mais je n'étais pas là pour raconter toute ma vie. A ces mots, je vis le chauffeur se tourner vers moi.

"Hé, regarde la route ! Je vais y venir, c'est bon !"

Je reprenais, sans m'attarder d'avantage sur mon enfance. Il n'avait pas à tout connaître de ma vie - rien, d'ailleurs, mais pour une partie je me sentais obligé-. Je fis ainsi l'impasse sur mes premières années de vie à Dijon, la naissance de Griffon, notre déménagement à Londres quand j'avais dix ans et mon entrée à Poudlard. Je ne lui parlais pas non plus de notre déménagement en Ecosse puis en Afrique du Sud, pour le travail de mon père. Inutile de mentionner les tensions entre mes parents qui se faisaient violentes et m'incitaient à passer mes vacances scolaires à Uagadou, même en dehors des cours. Et il n'avait pas besoin de savoir que j'avais lancé un trafic de recel d'ingrédients de potions et d'artefacts volés. C'était de l'histoire ancienne.

Je commençais donc là. Sur la fin de ma scolarité à Uagadou. Je venais de me trouver un petit boulot comme convoyeur de fonds pour l'antenne sud-africaine de la banque Gringotts. C'est mon frère, Caribert, qui m'avait amené là. Ce que j'ignorais, c'est ce qu'il avait en tête. A en voir le regard pétillant de mon chauffeur, il avait compris bien avant moi. Il faut dire qu'il avait été spoilé sur la fin de l'histoire. J'étais naïf et je pensais mon frère ravi de m'avoir à ses côtés. Pendant ce temps, lui, il planifiait le parfait braquage. Ah oui, mon père était mouillé dans l'affaire aussi. Un vrai travail de famille. Je n'en savais toujours rien lorsque nous sommes tombés dans l'embuscade, alors que je dirigeais le convoi. C'est lorsque je vis mon père et d'autres amis à lui nous encercler, lorsque je vis Cari s'en prendre à Isaac, mon ami et collègue de convoi que je compris. La décision fut rapide. Isaac se défendit et je n'eûs d'autre choix que de lui lancer sournoisement un sort. Ma décision était prise sans que je n'ai eu le choix. C'était ma famille. Des sorts jaillirent dans tous les sens. Heureusement que je n'étais pas trop mauvais en défense. Le convoi s'écrasa en pleine forêt. Les sortilèges supposés protéger l'argent en cas d'attaque volèrent les uns après les autres. De toute évidence, ils avaient préparé l'attaque depuis bien plus longtemps que moi. On me colla de l'argent dans les pattes, m'ordonna de transplaner jusqu'à une adresse donnée. Je m'exécutais, encore sous le choc. J'arrivais en un seul morceau, de justesse. Et puis tout se passa très vite. J'en confonds encore le cours des évènements. Ce que je sais, c'est que l'argent me fut arraché des mains. Que des visages inconnus firent irruption dans la pièce quelques minutes plus tard. Et que ce fut le soir où on me vola ma liberté.

Quelqu'un les avait trahis. Et je n'en connaissais pas encore les aboutissants. Si j'avais prêté attention à mon chauffeur à cet instant, j'aurais vu le sourire en coin sur les lèvres de ce dernier. Mais j'étais plongé dans mon histoire.

Je lui racontais la prison, même si je soupçonnais à son manque de questions pour relancer l'histoire que ça l'intéressait bien moins. Hé, on n'allait pas me supprimer mon exutoire maintenant. Je lui parlais de l'attentat, bien sûr, qui m'avait coûté de grosses cicatrices dans le dos. Les longues heures sous les débris, à essayer de rassembler mes forces pour jeter un sort et soulever le béton qui me plaquait au sol et me sciait le dos. Du chaos total, interminable, avant que l'on intervienne pour nous libérer de là. Et nous jeter dans d'autres geoles. Je ne lui parlais pas de Leandra, dont le souvenir réveillait encore des aigreurs d'estomac. Je préférais garder certaines choses pour moi.

Et je concluais, sans même prêter attention à notre destination. Voilà ce qui m'avait conduit ici. Mais d'ailleurs, c'était où, ici ?

"Tu étais du côté de Tlemcen, en Algérie. Donc tu habitais chez tes parents, avant ça ? C'est là bas que tu te rends ?"

Je le sommais à nouveau de regarder la route, alors qu'on manquait de se prendre un arbre. Bien sûr que non, je ne retournerais pas chez mes parents. J'avais de sérieuses discussions à avoir avec mon père et mon frère mais il me faudrait du temps pour m'y préparer. Et croyez-le ou non, huit mois de tôle n'avaient pas suffi. Je voyais l'homme sourire en l'entendant.

"De toute façon, ils ont sûrement déménagé à l'heure qu'il est ..."

Il accéléra, m'obligeant à me cramponner à mon siège.

"Oh non, toujours la même adresse..."

Je me tournais vers cet homme, le dévisageant. C'était qui ce type ? Il accéléra encore.

"Vous pouvez arrêter ? C'est mon père qui vous a envoyé, c'est ça ?"

Il se mit à rire, sans lâcher l'accélérateur.

"Sûrement pas !"

Ce type voulait ma peau ? Il n'avait pas trouvé plus simple pour me buter ? Je plissais des yeux en le regardant, comme si ça allait m'apporter la vérité absolue. A part le voir flou, je n'y gagnais pas grand chose. Je commençais à prendre peur. Allongeant discrètement le bras, j'essayais d'attraper ma petite malette. Il était temps de transplaner discrètement d'ici...

Ma tête heurta violemment le toit du véhicule et je me cognais au siège. Il riait à nouveau. J'avais envie de le baillonner. Evidemment, il avait mis une protection magique pour m'empêcher de partir. Qu'est-ce qu'il me voulait à la fin ?

"Vous le connaissez. Clothaire. Mon père."

A ce stade, c'était une certitude. Il ne démentit pas mais lâcha un peu l'accélérateur.

"Vous étiez du braquage ?"

Il accéléra à nouveau. A cet instant, je le haïssais de tout mon être.

"Oh non, sûrement pas !"

D'accord. Ça allait durer longtemps, comme ça, le jeu de devinettes ? Pas de réponse. Ca allait durer longtemps, donc. Il allait falloir que je lui arrache les vers du nez un par un. Ca tuerait le temps, me répondit-il encore, comme s'il trouvait ça amusant.

Je finis par comprendre qu'il était directement responsable de mon arrestation. Il avait fait partie de ceux qui avaient contré les plans de mon père. Je voulus sortir à nouveau du véhicule mais il m'en dissuada en accélérant brusquement. Il m'expliqua que mon père faisait partie d'un rassemblement de mangemorts. Je réfutais en bloc. Ils n'existaient plus, ces gens là. Et puis ça ne collait pas du tout avec ses convictions, il travaillait pour le ministère, quel intérêt aurait-il à ça ? Et...
Je me rattachais à des arguments. Il les démontait un par un. L'argent devait servir à des fins politiques. Je n'en avalais pas un mot. Que ça explique ses absences à outrance lorsque j'étais plus jeune ? Ses disputes avec ma mère ? Nos déménagements répétés ? L'éloignement soudain de Cari ? Non, il y avait forcément d'autres explications. Et puis qu'est-ce qu'il venait faire là dedans, lui ?

"Je m'appelle Clovis Rosier."

Je le regardais, assassin. Je connaissais bien ce nom. Clovis, le frère de mon père. Celui qui était mort avant ma naissance, un bête accident de balai m'avait-on toujours raconté. Les paysages défilaient sous mes yeux et je me demandais dans quel bousier je m'étais enfoncé. J'aurais vraiment mieux fait de transplaner. Je décidais de rester silencieux. La nuit était tombée depuis longtemps. Je finis par m'endormir, bercé par la route.

ωωωω

Voilà. C'est grâce à lui que je suis rentré dans l'Ordre du Phénix, pratiquement douze ans plus tard. Grâce à cette rencontre. Et à Clovis. Je n'étais resté que quelques semaines chez lui. Le temps de retomber sur mes pattes, de rassembler de l'argent, de comprendre un peu mieux aussi. A l'époque, Clovis faisait juste partie d'un petit groupe qui tentait d'empêcher les mangemorts de se reconstituer. Ainsi, mon père en faisait partie. J'appris que ma mère l'avait quitté et avait changé d'identité pour qu'il ne la retrouve pas. Et Cari avait suivi mon père.

Je décidais de ne pas retourner en Afrique du Sud. C'était trop risqué, si mon père apprenait ce que Clovis m'avait dit. Et puis je n'avais pas grand chose d'autre qui m'attendait là bas. Je n'allais pas retrouver mon frère ni Cari. Mérovée, mon frère aîné, était parti aux Etats Unis. Et Griffon, le plus jeune, avait suivi ma mère, je ne sais où. Quant à la seule autre personne que j'aurais voulu retrouver...Elle était officiellement morte. J'étais persuadé du contraire. Mais il était certain que si elle se terrait, ce n'était pas dans la patrie qui la considérait comme une assassin.

Je décidais de partir pour l'Europe, avec Gomatrude, la fille de Clovis. J'avais en tête de retrouver tout ce petit monde. Mais aussi de voyager. Gagnant ma vie comme je le pouvais. La prison ne m'avait pas ôté ma manie de piquer tout ce qui traîne. Au contraire, là bas j'avais amassé dans ma cellule des brosses à dent, des produits de toilette, des cigarettes de contrebande, de l'alcool, tout ce qui traînait de légal et de moins légal. Alors une fois à l'air libre, vous pensez bien que je ne me fis pas prier.

Avec Go, nous avons traversé le Portugal et l'Espagne. Et puis je la perdis de vue et continuais ma route seul, décidant de retrouver Mérovée pour espérer avoir des nouvelles de ma mère. Je dois dire que je ne m'attendais pas à un accueil si glacial. Je n'y restais que quelques jours et repartis sans la moindre piste.
Je retournais en France, sur les traces de la famille de ma mère, les Delacour. L'accueil ne fut pas plus chaleureux. Mais j'appris qu'eux aussi étaient sans nouvelles. Une impasse à nouveau. C'est finalement en Angleterre que mes pas me ramenèrent. Entre temps, j'avais été serveur, postier, garde du corps, livreur, vendeur de balais. Me laissant porter par les rencontres et les opportunités, tant du côté sorcier que moldu, sans jamais parvenir à m'attacher nulle part. Une fois mes réticences envolées, j'éprouvais même un certain soulagement à vivre au milieu d'eux, laissant de côté les vieilles histoires qui déchiraient le monde sorcier. Mais j'y revenais toujours. Entre temps, j'avais revu mon père, aussi. Si jusqu'alors je préférais laisser planer un doute concernant ses allégeances, il n'en subsista aucun lorsque je repartis. Mais je préfère ne pas en parler.
Je me mis à faire du recel de baguettes. Me faisant une spécialité de subtiliser les baguettes des mangemorts pour les revendre au plus offrant.

Je ne sais comment Clovis en a eu vent. Mais il a vu une opportunité. Un de ses amis faisait partie de l'ordre du Phénix, récemment remis sur pied. Et il cherchait des gens pour lui prêter main forte. Je négociais. Je n'avais aucun intérêt à entrer dans un truc pareil s'il n'y avait pas de rémunération. Je n'avais pas la vocation d'un justicier. Il essaya de me motiver, me rappelant les horreurs que mon père commettait au nom de cette guerre qu'il voulait amener. Je tentais d'avoir l'air indifférent, de prétendre que le souvenir de mon père ne me glaçait pas le sang. Mais il remit de lui-même des arguments financiers sur la table lorsqu'il sentit que le courage me manquait, à l'évocation de mon père. Ce qui l'intéressait, c'était ma capacité à me battre, mes sorts de protection. Et surtout ma tendance à subtiliser des trucs. Mettre des bâtons dans les roues des Mangemorts en faisant disparaître les baguettes de leurs mains ? Ça me semble être une parfaite façon de mal agir mais pour la bonne cause. Que demander de plus ? Ah oui, de l'argent. Et un petit appartement, que l'on me mit à disposition pour dépanner.

Oh, il faut que je vous dise aussi, je n'y vis pas seul. Il y a deux ans et demi j'ai adopté Leandra. Pas celle qui a disparu, non. Elle, je continue à la traquer et je commence à avoir de sérieuses pistes. Leandra, mon niffleur. Comme animal totem, y'avait pas mieux. Mais surtout, c'est une excellente diversion. Sa réputation la précédant, les regards sont braqués sur elle et pendant qu'elle s'en prend à ce qui brille, je m''occupe du reste. J'ai toujours su que Leandra et moi, on formerait une équipe de choc. Juste... pas tout à fait celle à laquelle je m'attendais.