Je ne me souviens pas d’une époque où j’ai ressenti quoi que ce soit. Je sais qu’elle a existé, mais je ne me pose plus de questions à ce sujet. Qu’importe quand et si j’ai ressenti les choses comme un être humaine normal. Cette époque est révolue depuis longtemps. Je ne vis plus que dans le silence de mon coeur et la cacophonie de ma tête. Je ne vis plus que dans la solitude, perdue dans la foule. Même ma famille n’est plus là pour moi. Ma faute, je foire toujours tout. Je n’ai pas besoin d’eux de toute façon. Leur présence ne saurait pas m’aider. Rien ne peut plus, sauf une solution définitive.

Je n’ai jamais été enfant unique. Ma soeur avait déjà deux ans à ma naissance. Je crois que je l’aimais bien, à l’époque. Je me souviens que l’on jouait ensemble. Je revois ses éclats de rire, ses sourires qui grimpent haut sur son visage. Je n’arrive pas à me souvenir de mes propres humeurs. Lorsque je l’imagine, je suis toujours impassible. Je joue parce que c’est ce que font les jeunes enfants, par mimétisme face à ma soeur. Je sais que ce n’est pas vrai. Je sais que mon souvenir est teinté par mon incapacité à me souvenir de ce qu’est ressentir. Mais ça ne rend pas les choses plus concrète.

La première sensation dont je me souvienne est la douleur. L’une des seules que je sache ressentir. C’est de mon bras qu’elle part mais elle longe tout mon corps. Il y a des cris et des pleurs autour de nous. Des hommes masqués nous attaquent, baguettes au poing et sorts en tout genre partant de droite à gauche. Des mangemorts, apprendrais-je plus tard. De mangemorts qui s’attaquent à un groupe de moldus simplement venus faire leurs courses de Noël. Ils ne sont pas là pour massacrer, à mon plus grand malheur. Sinon, je ne serais plus de ce monde et tout serait plus simple. A la place, mon père m’a lâchée ou balancée, qui sait quelle est la version correcte, et je me suis retrouvée assez hors de portée pour ne pas mourir des cinq ou six sorts qui ont convergé vers nous à ce moment-là. Pas assez loin cependant pour ne pas en souffrir. Mon bras a été touché, j’en porte encore l’affreuse marque aujourd’hui. Une cicatrice causée par la plaie ouverte que la chute, les explosions et les sorts ont causés. Mon père était étendu pas loin de moi, déjà sans vie. Ma mère a juste eu le temps de m’attraper et de s’enfuir avec ma soeur et moi. Aucun autre sort ne nous toucha. La chance, ou peut-être mes pouvoirs qui se réveillaient. Qui sait. Je n’avais plus peur. Je n’étais pas triste de la perte de mon père. Je n’étais pas soulagée d’être en sécurité. Je ne pleurais même pas. Je ne ressentais juste rien.

Apprendre que j’étais une sorcière fut une étape difficile, s’il faut en nommer une. Ma soeur n’était pas sorcière, une simple moldue qui avait commencé ses années de collège. Comme il est coutume, un sorcier vint nous parler de Poudlard. Nous avions remarqué que des choses étranges se passaient en ma présence, bien sur, mais nous mettions cela sur ce que j’avais subi enfant. Apprendre que j’étais une sorcière, une de ces personnes qui nous avaient attaquées… L’opinion de ma mère et de ma soeur changea après cela. C’était encore frais dans nos mémoires, après tout. Quelques années seulement. J’étais déjà une enfant étrange, mais maintenant ma propre famille était mal à l’aise en ma présence. Elles m’aimaient encore, mais c’était comme si elles devaient me subir. Je leur en donnais souvent raison. Toujours je parlais de l’école, des autres élèves, de la maison de Serdaigle dans laquelle j’ai étudié. Je me fichais que tout ça leur faisait peur, ramenait de mauvais souvenir. Je me fichais de leur sentiment, parce qu’au moins elles les avaient là où ce n’était pas mon cas.

J’étais une vraie connasse. C’est pas très élégants à dire, mais à ce point-là c’est limite le terme scientifique. Alors que je me spécialisais dans les potions à Poudlard puis dans mes études, je jouais avec les sentiments des autres gens. Une revanche en quelques sortes. Le nombre de type, et même quelques filles, qui avaient eu des sentiments pour moi et que j’avais utilisé pour assouvir mes besoins sexuels. Ouais, j’étais cette nana qui sortait avec les gens pour coucher avec. Je le fais encore, mais maintenant je mets les points sur les i avant. Mais à l’époque, j’avais des hormones en trop et aucun sentiment dans lequel les déverser, alors tout passer dans mon attitude. J’avais un vrai manque de sentiments. Je ne les espérais plus mais je les enviais, alors je tentais de les recréer. Sexe au possible pour le plaisir, et puis pas mal de mutilations. Ca m’aidait à me sentir en vie, parce que plus le temps passait et plus je me voyais comme un cadavre. La petite voix dans ma tête, celle de la négativité, m’y encourageait. J’ai fait du mal à pas mal de monde. J’ai même couché avec celui qui deviendrait le mari de ma soeur, à une époque où ils sortaient déjà ensemble. J’ai fini par me calmer.

Vivre dans les excès et la méchanceté ne m’avaient pas apporté plus de sentiment que vivre dans la gentillesse. Alors je décidais de vivre plutôt dans la solitude. Les gens ne me sont pas essentiels, ils n’arrivent à rien m’apporter. Je reste sur les coups d’un soir pour satisfaire mes instincts. Et j’ai laissé les bras ensanglanté pour des cigarettes allumées. Quitte à détruire son propre corps, autant faire ça proprement. Je sais désormais que je vivrais ma vie comme ça. Je continue à chercher activement une solution. Il doit bien y en avoir une, toute malédiction a ses contre-sorts. Moi je m’en fous. Mais qui sait, ça va peut-être toucher quelqu’un d’autre un jour. Pas que j’en ai réellement un truc à faire. Mais laisser une trace positive de soi dans le monde, il parait que c’est ce que les gens bien font. J’aimerai beaucoup être une bonne personne. J’aimerai beaucoup être une personne. Et dieu sait si je le serai jamais.