L'histoire de mon nom est bien plus longue que je veux bien l'admettre. Les Taira sont une très ancienne famille de guerriers de l'ère médiévale de Kamakura, ayant pendant un temps récupéré le pouvoir. Comme toutes les grosses familles de cette époque, il s'agissait ni plus ni moins de sorciers; la magie à cette période, au Japon tout du moins, était connue de tous mais reléguée à un rang secondaire. Ce n'est pas la volonté de conserver un sang pur qui a fait que les familles se mariaient et se reproduisaient entre elles, plutôt celle de ne pas mélanger les castes. Les nobles restaient avec les nobles, les guerriers avec les guerriers...et les petites gens, dépourvus de pouvoirs magiques, ne pouvaient que rester au bas de l'échelle malgré leur volonté implacable de récupérer une part du gâteau. Ainsi était composée la société du temps de mes ancêtres, avec ses batailles, ses prises de pouvoir et ses changements politiques. Les Taira ont fini très vite par être dépassés par une autre famille importante de ces années-là, les Minamoto, et on n'entendit presque plus parler d'eux. Caché parmi la populace dans le sud du pays, ils continuèrent à faire perdurer leurs traditions et moeurs ainsi que de se marier uniquement avec des familles de la même caste; tous sorciers en l'occurrence. Ainsi perdura le sang pur des Taira. Du moins...jusqu'au plus grand changement qu'ait connu le Japon: l'arrivée des occidentaux, et la constitution de l'ère Meiji.

Il faut savoir que contrairement aux asiatiques jusque là, les occidentaux n'avaient pas un très bon rapport avec la magie. Ils la craignaient, et faisaient en sorte de la réprimer et de l'exterminer. L'histoire ne se souvient que du massacre des samouraïs par les occidentaux et les forces de l'empereur; nous, les sorciers, nous rappelons surtout d'une purge de la magie, semblable aux procès de Salem enseignés à l'école pour faire une parallèle avec l'histoire occidentale. Les grandes familles se sont cachées un temps, se mêlant aux moldus en changeant au passage d'identité. Certains ont conservé leur nom, d'où mon existence actuelle, et se sont simplement coupés du monde extérieur en s'installant dans le nord, en Hokkaido, ou sur les îles d'Okinawa au sud. Ainsi se termina l'histoire officielle des Taira.

Je ne peux pas dire que j'ai un sang pur, car nous ne conservons aucune réelle généalogie dans ma famille. Je sais seulement que nous n'avons pas bougé de nos nouvelles racines, en Hokkaido. Nous sommes une famille traditionnelle, c'est à dire que nous ne nous éloignons pas de nos aïeux et continuons à vivre en communauté, au point de former quelques villages familiaux cachés dans les montagnes. Nous vivons en autarcie la plupart du temps, ce qui ne nous empêche pas d'avoir quelques cousins travaillant au ministère de la magie ou autres institutions publiques sur l'île principale, Honshu. Nous nous mélangeons donc ponctuellement avec les moldus, mais nous ne les connaissons finalement que très peu. Eux ignorent totalement notre existence; les manuels d'histoire et l'oubli général se sont occupés d'effacer toute trace de notre existence, la censure opérée pendant la grande guerre des moldus en 1937-1945 a achevé le travail entamé par les sorciers. Notre secret est sauf, et nous faisons tout pour le garder...secret.

Je suis donc né dans cette famille avec son histoire, son passé pas forcément glorieux et ses ancêtres parfois totalement inconnus. J'ai été choyé, adoré par toute cette communauté de tantes, oncles, cousins, grand-mères et grand-pères qui s'entraidaient et n'osaient quitter le village familial tant qu'ils n'y étaient pas obligés; l'école restait un passage à ne pas ignorer, le ministère était très pointilleux sur ce sujet. On pense qu'en Angleterre il s'agit presque d'une dictature, que le ministère contrôle absolument tout, mais c'est véritablement à des années-lumières de ce que vit la communauté magique japonaise. C'est le ministère en lui-même qui fait tourner toutes les institutions, de l'école à l'hôpital, et qui nous autorise de façon clémente à vivre entre nous tant que nous n'intervenons pas dans les histoires des moldus. Ca, je ne l'ai appris que tard dans ma scolarité; on évite en général de monter les jeunes sorciers contre l'autorité suprême, n'est-ce pas?

A Mahoutokoro, l'école de magie située entre la mer des Phillippines et l'océan pacifique, la loyauté envers le ministère est indubitable. Dès mes sept ans, j'ai été envoyé là-bas afin d'apprendre à contrôler ma magie un peu instable; ce qui est normal, étant donné mon âge, même si ma famille avait déjà essayé de m'apprendre un minimum à la maison. Nous apprenions plus à faire de la lumière qu'à jeter de véritables sorts, étant donné notre jeune âge, mais c'était tout de même amusant. Nous avions aussi un mini terrain de quidditch pour faire comme les grands, sur des balais miniatures qui permettaient de ne pas dépasser un mètre au-dessus du sol. J'ai découvert ma passion pour ce sport à ce moment-là, d'ailleurs. Ce qui était moins amusant, cependant, étaient ces cours de morale empruntés aux moldus, où nous apprenions les lois magiques ainsi que le fonctionnement du ministère, ses acteurs et ses départements. J'ai toujours trouvé ça barbant, je l'avoue aujourd'hui...mais comme un bon petit japonais, à cette époque, je me pliais en quatre face à l'autorité.

C'est lorsque j'ai atteint l'âge de onze ans que les choses se sont gâtées. Il faut savoir que je suis le genre de gamin bon vivant, c'est à dire que je mange beaucoup; et prends du poids en conséquence, résultant en une silhouette rondouillarde qui ne manquait pas de faire railler quelques camarades sans que ça n'aille plus loin que ça. Ayant peur que je manque de confiance en moi à cause de cela et n'ayant pas le courage de mettre son enfant si jeune au régime, ma mère me disait toujours que je n'étais pas gros; j'étais pochi, un qualificatif presque mignon pour désigner les enfants bouboules mais mignons. Malheureusement, ça ne semblait pas convenir à Li Chang et sa bande d'imbéciles.

Li Chang était un élève d'origine chinoise dans ma classe, qui m'a pris en grippe dès la première semaine de cours. Il ne cessait de me harceler, de m'insulter au détour d'un couloir, allant même jusqu'à me bloquer dans un coin du château pour me martyriser. Je n'en parlais pas, gardant toujours tout pour moi comme d'habitude; cette situation me bouffait, mais que pouvais-je dire? J'ai fini plus d'une fois à l'infirmerie, parfois dans un état réellement critique, sans que de grosses sanctions soient prises à leur encontre. C'est dès ma deuxième année que j'ai décidé d'apprendre à me battre, aussi ai-je placé tous mes efforts dans les cours de défense contre les forces du mal et de sortilèges, tout en m'entraînant dur chaque soir afin d'être un jour à même de vaincre Chang. Je déplorais l'inexistance des clubs de duel, mais le ministère refusait de nous laisser nous battre les uns contre les autres; de peur, certainement, qu'une coalition se crée à l'école, malgré la menace de la robe blanche - pour ceux qui ne connaissent pas, nos robes de sorcier étaient ensorcelées de sorte qu'elles reflètent nos progrès, mais viraient au blanc en cas d'usage inapproprié de la magie - qui pouvait nous mener tout droit à la prison.

Ma scolarité n'a pas été toute noire, heureusement. Ce qui me permettait de m'en sortir, en-dehors des cours, était le quidditch. Je faisais partie de l'équipe, et j'avais pour une fois réellement l'impression d'être utile, d'avoir trouvé ma place. A cette époque, je souhaitais sincèrement devenir joueur professionnel; un rêve de gamin, n'est-ce pas? Ca ne plaisait pas tant que ça à ma famille qui me poussait vers une voie plus traditionnelle, mais je commençais déjà à m'en détacher. Ils ne me comprenaient plus, ne se comportaient que comme un boulet à mes pieds au lieu de m'encourager sur la voie que je souhaitais emprunter. J'ai commencé à me rebeller, comme un ado normal en soi. Mais ce n'est pas avisé de se tourner contre un village entier de Taira...j'ai failli être renié à cette époque, ce qui aurait été la goutte de trop en plus de Chang. J'ai simplement pris mes distances pour me resourcer, et suis revenu plus serein au sein des miens. Pourtant, je n'étais définitivement plus le même.

J'ai fini ma scolarité avec de bonnes notes. Chang a disparu de mon radar à mon grand soulagement, mais j'avais au passage perdu toute la confiance en moi que j'aurais dû construire durant ces longues années. Je ne voulais plus rester au Japon. Je ne voulais plus faire partie de ce système qui me mettait de côté, jugeant ma lignée déchue ainsi que mon apparence comme n'étant pas dignes d'un sorcier d'élite. J'ai travaillé dur pendant quatre longues années, enchaînant les petits boulots et terminant à la librairie principale de Kyoto, du côté du monde des sorciers. Je n'avais plus qu'une chose en tête: m'éloigner le plus possible de cet endroit, trouver un moyen d'étudier ailleurs, de ne plus être contrôlé par le ministère ou ma famille devenue étouffante. C'est à ce moment que l'Angleterre est apparue comme une évidence. Un pays européen, à l'autre bout de la terre, qui avait déjà un système d'échange avec mon propre pays tout en étant radicalement différent...j'ai tout de suite cherché à obtenir une place, quand bien même la langue me donnait encore quelques fils à retordre.

Je n'ai pas d'appartement hors de l'université Poudlard. Je suis arrivé un mois avant la rentrée après avoir tout organisé de loin, et ai vécu ainsi au Chaudron Baveur, une espèce de bar - auberge pas très chère qui m'a permis de m'acclimater à l'Angleterre si différente de mon Japon natal. Je manque toujours de confiance en moi, mais j'y travaille. J'ai perdu beaucoup de poids depuis ma scolarité, même si je reste "pochi"...sincèrement cette fois, ce n'est pas une façon de camoufler un sérieux embonpoint! Ici, je compte tout recommencer depuis le début. Je n'ai laissé aucun ami proche derrière moi, seulement ma famille à qui je compte tout de même écrire de temps en temps. Ils sont heureux de savoir que j'ai choisi un cursus sérieux dans cette faculté étrangère; un peu moins heureux quand je leur ai appris que j'avais trouvé un petit ami, le seul asiatique du coin, mais malheureusement à moitié chinois. Oh, je n'ai rien en particulier contre eux hein...mais disons que nos histoires personnelles nous séparent drastiquement en général. Alors oui, ça a fait tiquer ma famille au départ, plus que de savoir qu'il s'agissait d'un garçon. En prime, je vais devoir le leur présenter...ah. J'imaginais nos retrouvailles autrement, j'avoue.