Lettre à mon père
... qu'il ne lira probablement jamais

Enfant, tu étais pour moi un héros de film ou de roman. Maman, qui était une moldue romancière doublée d'une cinéphile, m'avait assomé avec tous ces films qu'elle adorait, et lorsque je demandais où tu étais et pourquoi je ne te voyais jamais, elle aimait te comparer à ce Indiana Jones, cet aventurier voyageur fascinant. Je m'amusais à t'imaginer au travers de tes mésaventures toujours accompagné d'une musique de générique entraînante, car c'est ainsi que les héros font leurs coups d'éclat : en musique.
D'où que tu ailles sur la carte, je recevais toujours une carte postale, où tu me racontais tes aventures, me disais que tu m'aimais, que tu avais hâte de rentrer, de serrer maman dans tes bras et d'enfin me voir. Malheureusement, ces fameuses retrouvailles étaient sans cesse repoussées. A l'époque, je pestais contre les circonstances.

La magie a toujours été précieuse à mes yeux : comme tu le sais, ma mère était une moldue, mais toi tu étais un sorcier. Maman ne me priva jamais de cette partie de moi qu'elle ne connaissait qu'à travers toi, l'homme qu'elle aimait. La magie, c'était ce qui me rapprochait le plus du voyageur que tu étais, c'était par conséquent quelque chose de très important pour moi.

Cela dit, il me semble impératif de clarifier quelque chose : malgré ton absence, je n'ai absolument pas eu une enfance malheureuse. Certes, tu n'as été, pendant des années, qu'une écriture un peu penchée sur des cartes postales, mais Axelle Ferogier était une mère aimante et attentionnée, et j'eus la chance, dès mon plus jeune âge, de vivre une de ces histoires d'amitié fusionnelle qu'on ne voit généralement que dans les livres. Elle s'appelle Deirdre, et c'est ma meilleure amie depuis maintenant 19 ans. Ce fut un coup de foudre amical dans la rue où nous habitions tous les deux, et où elle m'aida à retrouver Poupoule, ma Gerbille neuneu qui avait sauté de mes bras. Ce jour là, naquit D&D. Non, pas Donjon & Dragon, Deirdre & Devon. Depuis, je l'appelle ainsi, "Dee". Et elle aussi, d'ailleurs.

Notre séparation, avec Dee, lorsque j'eus 9 ans, fut assez brutale. Bien plus que nos faux adieux lorsque j'avais 8 ans et qu'elle débarqua un beau matin chez moi pour m'annoncer qu'elle partait. En fait, elle partit la journée, revint le surlendemain... Mais là, c'était différent, c'était pour de vrai : ma mère décida de déménager en France, loin de mon Irlande natale, sans que je ne sache même pourquoi. Elle ne me l'expliqua d'ailleurs jamais, et ce fut des années plus tard seulement que je compris que tu en étais la cause, Papa... Mais nous y reviendrons. A cet age là, la seule chose que je savais, c'était que ça me brisa le coeur de faire mes au revoirs à Dee. J'aurais voulu pouvoir t'en parler, te l'écrire même, mais si je recevais régulièrement des cartes de ta part, je n'avais aucune adresse à laquelle te répondre. Ce fut ma mère qui épancha mes chagrins.

Un an plus tard, je me retrouvai à démarrer ma scolarité magique à Beauxbâtons. La même année, ma mère m'offrit une chouette, un cadeau inestimable pour moi afin de poursuivre notre échange épistolaire intense avec Dee. La distance n'avait nullement entâché notre relation, mais le monde des sorciers préférant les feux de cheminée au téléphone... J'étais ravi d'avoir un moyen de garder contact avec ma meilleure amie.

Ma scolarité là-bas fut... compliquée. Entre ceux qui méprisaient les sorciers issus du monde moldu comme moi et ceux qui me prenaient en pitié d'avoir vécu dans un environnement non magique, je mis du temps à trouver mes marques et à me lier d'amitié avec mes camarades. Rapidement, sans doute un peu vexé par les commentaires qu'on avait pu m'adresser, je me mis en tête de prouver à tout un chacun qu'un fils de moldus pouvait les surpasser en magie. Je voulais qu'ils me considèrent comme leur égal, mieux, qu'ils m'admirent, peut être même qu'ils me jalousent. Je voulais devenir celui que l'on voulait fréquenter, avec qui on voulait être vu, et pas le pauvre petit garçon que l'on regarde avec compassion. J'y appris à développer mon esprit stratégique, à construire mon réseau, à sculpter mon image. J'aurais voulu que tu m'y vois, que tu sois fier de moi. Ma mère l'était, pour sûr, mais j'avais ce sentiment que quoique je fasse, elle aurait cette admiration pour moi. C'était comme un peu trop facile.
Des coups de mous, j'en eus pour sûr. Dans ces moments là, j'écrivais à Dee. Seule elle avait le droit de voir cet aspect de moi. Pour les autres, j'étais un roc, quelqu'un prêt à tout endurer, tout affronter. Pour elle, j'étais encore le petit garçon un peu fragile qui avait perdu sa gerbille. Peut être le serais-je toujours.

Papa, notre vie à tous les deux prit nécessairement un tournant alors que j'avais 15 ans et que ma mère mourut. Elle fut tuée par des extrêmistes moldus chasseurs de sorciers qui voulurent lui faire payer sa relation avec toi. Je fus l'heureux élu qui retrouva son cadavre au milieu d'une scène cauchemardesque (CF Pensine), et crois-moi, ce n'était pas un tableau pour un gamin de 15 ans.

La suite fut compliquée. Ma mère n’avait plus de famille, donc je n’avais plus de famille, mais ça tu devais déjà le savoir. Quand on me posa des questions sur toi, sur mon père, je leur racontai tout ce que je savais, soit… pas grand chose d’utile. Je n'avais aucune idée d'où tu pouvais être, encore moins que tu n'étais en fait pas si loin, pour moi, tu étais probablement à l'autre bout du monde. Je fus envoyé au domicile d’un auror pour éviter que je reste sur les lieux du crime, le temps que l’administration puisse traiter mon cas. J’avais peur de ce que j’allais devenir. J’avais 15 ans, j’étais trop jeune pour vivre seul. Qu’allait-on faire de moi ? Allais-je aller dans un quelconque foyer ? Je n’avais, à ma connaissance, pas de parrain ou de marraine qui pourrait me prendre en charge.

Imagine ma tête lorsque, quelques jours plus tard, un auror anglais vint m'annoncer que j'allais dorénavant vivre avec mon père. Pardon ? On parlait bien du Indiana Jones Sorcier qui vagabondait aux quatre coins du monde à la recherche d'artefacts magiques et de créatures fantastiques ? Je ne prétendais pas être un génie de l'éducation des enfants, mais n'était-ce pas généralement déconseillé de trimballer un môme dans ce genre d'aventures ? Je crois bien avoir ri à la face du pauvre auror qui m'annonçait celà. Je ne pouvais naturellement pas deviner ce qui allait m'attendre. L'univers avait décidé que la mort de ma mère n'était pas assez traumatique, et qu'il fallait ajouter 15 ans de mensonge sur la pile des chocs psychologiques.

La pilule fut difficile à avaler, je ne te le cache pas. La balance entre le soulagement de ne pas être seul au monde et la colère de voir que tout ce qu'on m'avait dit sur toi n'était que mensonge était.... disons, bencale. A l'époque, j'en voulus un peu à ma mère, je dois l'admettre, mais aussi beaucoup à toi car, j'allais rapidement l'apprendre, vous étiez deux à monter cette arnaque de toute pièce.

15 ans, c'est l'age auquel j'ai véritablement découvert qui tu étais.
Certes, tu t'appelais Darren, comme ma mère me l'avait dit, mais absolument pas Ferogier. Leroy, c'était ton nom de famille. Et tu étais à des années lumières d'être un aventurier des temps modernes façon Indiana Jones : non toi, tu étais assis dans un magnifique fauteuil en cuir dont le prix avoisinait sans doute celui de la vieille carcasse qui servait de voiture à ma mère, à zieuter les comptes bancaires de ton entreprise du haut de ton bureau panoramique au sommet d'un gratte-ciel. Comme on me l'apprit par la suite,  tu créas en 2000 l’entreprise Hoosh, devenue leader sur le marché dans la fabrication de balais de course personnalisables de qualité supérieure. Une entreprise florissante venue concurrencer le leader du marché, la société des Balais de Course Nimbus. Depuis sa création Hoosh avait gagné en parts de marché en visant notamment l’élite des sorciers en quête de balais de course uniques. Tu avais fait fortune dans le domaine et figurais aujourd’hui parmi les Grandes Fortunes du monde sorcier et dans le top des Sorciers d'influence. Chapeau bas. Si je n'étais pas écoeuré d'avoir été bercé de mensonges tant d'années, je serais sûrement fier de ta réussite.

Et ce n'était, évidemment, que le point culminant et visible de l'iceberg qu'était cette vaste tromperie. Maman avait toujours parlé de toi comme si vous étiez encore en couple, malgré la distance, comme si nous étions une famille : il s'est avéré que ta famille n'était ni elle, ni moi. Ta famille était ta femme, Phèdre Leroy, et tes trois filles, Amaranthe, Brienne et Cloee. Maman et moi, on faisait partie de ton passé, un passé que tu n'imaginais sans doute pas débarquer du jour au lendemain dans ta vie bien rangée. Il semblerait que tu ais sincèrement aimé maman, tu ne pouvais juste pas vivre ta vie avec elle. Il semblerait aussi qu'elle l'ait accepté. Elle ne t'avait pas demandé grand chose en échange de s'éloigner de toi pour te laisser mener la vie dont tu rêvais : juste des cartes postales magiques envoyées tous les mois. Tu as cru bon d'y rajouter quelques versements d'argent, pour l'aider à m'élever. Que tu es grand seigneur.... Tu ne m'en voudras pas si je ne me fonds pas en remerciements.

Alors voilà : mon père n'était pas un aventurier, juste un homme avec une vie déjà bien remplie et rangée et peu de place pour quelqu'un comme moi ou comme ma mère. Apparemment, tu décidas à l'époque de me reconnaitre comme ton fils. Ma mère étant morte, tu es devenu mon tuteur légal. Et ainsi commença notre vie ensemble. J'avais 15 ans, et je rencontrais pour la première fois mon père. Ca peut paraître surréaliste. Pas autant que ce qui était arrivé à ma mère cela dit, et au milieu de tout ce chaos, de tous ces bouleversements, il fallait en plus ramasser les morceaux de mon coeur, broyé par la perte de ma mère. Elle me manquait atrocement, et sans arrêt. Au début, il n'y eut pas une minute passée sans que je ne pense à elle. Avec le temps, les moments de peine ou de nostalgie s'espacèrent, la vie reprit son cours, mais jamais elle ne serait semblable, car toujours son absence me pèserait.

Phèdre et ses filles, mes belle-soeurs, puisqu'il faut que je les appelle ainsi, ne m'aimaient pas beaucoup. Il ne fallait pas sortir de la classe d'élite de Poudlard pour comprendre pourquoi : je représentais à leurs yeux l'amour tendre et passionnel que tu avais eu pour maman et que tu n'auras probablement jamais pour ta femme. J'étais le garçon dont tu avais toujours rêvé pour continuer à porter le nom et l'héritage des Leroy, ce que tes filles ne pouvaient t'apporter. Ma place dans cette famille fut difficile à conquérir, encore aujourd'hui je me sens parfois de trop. Tu ne m'as pas vraiment aidé, papa : si parfois tu laissais ton affection, honnête et véritable, s'exprimer à mon égard, la plupart du temps, tu me rappelais à ce que j'étais vraiment : une pièce rapportée, un "bâtard". Ca fait un peu tâche dans une famille renommée comme la tienne -comme la nôtre- que l'unique garçon soit issu d'une amourette avec une moldue. Tu fréquentes beaucoup de sangs purs aux idées très tranchées sur le sujet, et tu ne peux pour sûr pas prétendre que je suis un héritier légitime : l'enfant ainé qui sort du chapeau à 15 ans, c'est nécessairement louche.

Je ne peux pas dire que tu ais été un mauvais père : tu as subvenu à tous mes besoins et même plus encore, tu as essayé d'apaiser les tensions avec ta tripotée de harpies à la maison. Tu as fait jouer tes relations pour me transférer à Poudlard, où je serais plus proche de toi, et avec mes soeurs. Tu ne m'as pas caché, tu aurais pu le faire. Au contraire, tu as essaté de militer pour ma cause, pour essayer de m'intégrer dans ton cercle d'influence. Encore aujourd'hui, je sens des résistances, les gens que tu fréquentes, les grands de ce monde, du monde sorcier, n'aiment pas trop voir un sang-mêlé, bâtard qui plus est, se mêler à leur univers.

Poudlard ne fut pas très différent de Beauxbâtons : là aussi, c'était jeux de pouvoir et de connections, magouilles en tout genre, masques et faux semblants. J'avais fait mes armes en France, j'étais paré pour cette nouvelle aventure, cette fois-ci dans la cour des grands. La principale difficulté résidait dans le fait que les luttes entre sang purs et sang mêlés étaient nettement plus rudes maintenant que j'étais un Leroy. Un Ferogier, tout le monde se contrefiche de son statut, mais le fils du miliardaire Leroy, père de Hoosh, était forcément dans le giron de plus d'un rejeton sorcier. Encore une fois, je traversai cette période rude avec l'appui inconditionnel de Dee. Bien que nous soyons toujours à distance, et que l'accueillir chez moi pendant l'été allait s'avérer plus difficile avec ma nouvelle famille, nous étions toujours aussi proches. Pas une semaine ne passait sans que je ne lui écrive une lettre. Elle eut droit, bien évidemment, aux moindres détails de mon changement de vie.

Lorsque je terminai mes études à Poudlard, la question de mon avenir se posa. Je savais qu'en travaillant assidument, je pourrais poursuivre et réussir de grandes études supérieures. Tu m'avais déjà touché un mot sur le sujet, envisageant pour ma carrière la politique ou l'économie. J'aurais sans doute pu m'en sortir dans un de ces deux domaines, j'aurais pu faire un effort pour coller à tes attentes... Mais je n'en avais pas envie. Je comprenais l'idée de se battre pour obtenir ce qu'on voulait, de se démener pour mener à bien un projet, vraiment, j'avais fait ça toute ma vie, pour me créer une place et une image... Mais à quoi bon se battre si on peut atteindre le même résultat sans la sueur et l'effort ? Je n'étais pas exactement partisan du moindre effort, mais j'étais pour sûr persuadé que s'esquinter sur un chemin escarpé pour obtenir le même aboutissement qu'en passant par la grande route goudronnée était profondément stupide.

Alors voilà : j'ai utilisé tes relations pour me trouver un boulot qui ne soit pas trop compliqué pour moi et qui en même temps m'assurait un revenu confortable. C'est ainsi que je suis devenu mannequin pour Hoosh. Top modèle pour balais de course de luxe, ce n'est sans doute pas ce dont tu as rêvé pour ton grand héritier, mais dans cette vie, on met tous de l'eau dans son vin : moi, on m'avait promis un père Indiana Jones, j'ai eu un gestionnaire. Loin de moi l'idée de jouer les ingrats, mais je sais rester lucide sur ce que je te dois, et ce que je dois à moi-même.

Est-ce que la vie est belle aujourd'hui ?
Honnêtement, elle n'est pas si mal. Il faut voir le côté positif des choses : j'ai une famille, et même si ma belle-mère et mes trois belle-soeurs ne sont pas de grandes fans de moi, les réunions de famille ne se passent pas si mal. A défaut de m'aimer sincèrement ou d'être réellement fier de moi, je sens que tu n'as pas encore baissé les bras me concernant. Ton sujet du moment, c'est le mariage. Comme pour tout le reste, tu es loin de me mettre une pression monumentale sur le sujet, tu n'arrêtes d'ailleurs pas de m'encourager à profiter de la vie maintenant, car le mariage d'intérêt me pend au nez. Oh, tu ne me forceras pas, j'en suis à peu près convaincu, mais le temps passé à tes côtés m'a très clairement fait comprendre que si je voulais garder mon statut social et tous les avantages qui vont avec, je devais faire un mariage "intelligent", stratégique. Comme quoi, les années de l'école avaient beau être loin maintenant, rien n'avait vraiment changé : c'était encore jeux de pouvoir et de connexions, masques et faux semblants. Inlassablement...