On peut dire que ma vie a mal commencé. Remarquez, il est vrai que je ne m’en souviens pas. Mais qui s’en souvient ? Des premiers jours, des premières semaines, des premiers mois ? Il n’y a pas grand-chose à dire sur la vie d’un bébé : dormir, manger, remplir les couches. Et on recommence. D’ailleurs, j’ai lu un jour que la mémoire d’un bébé était de quelques heures. Alors, comment voulez-vous vous souvenir de ce que vous avez vécu bébé, si vous l’avez oublié au bout de quelques heures ? Et bien voilà, c’est impossible.

Mais revenons-en à ce qui est important. Du moins, ce qui est important aujourd’hui. Et la première chose à savoir, c’est que ma date de naissance est peut-être, voire même certainement, fausse. Pas facile de connaître la date de naissance d’un bébé posé devant vos portes sans aucune information. Peut-être qu’en réalité, je suis née un mois plus tôt que ce qu’on dit. Peut-être que c’était un mois plus tard. Et qu’est-ce qu’un mois dans la vie d’un être humain ? Pour certains qui meurent tôt, c’est beaucoup. Mais pour moi, qui ai survécu jusque-là, ce n’est pas très important.

Ainsi, abandonnée à la naissance avec une pauvre couverture qui aurait pu être achetée n’importe où par n’importe qui, j’ai passé quelques mois dans une famille choisie sûrement un peu au hasard dans les volontaires, en attendant d’en trouver une qui voudrait de moi pour toujours – ou presque. Ça non plus, je ne m’en souviens plus. Encore une fois, j’étais bébé, tout juste un an. C’est un peu étrange de se dire que de mes deux premières familles, je n’en garde aucun souvenir. En même temps, elles n’ont pas été très importantes dans ma vie, si ? La famille la plus importante, c’est celle avec qui j’ai vécu le plus de temps.

Et la voici : deux mamans. Il paraît que j’ai eu de la chance de trouver une famille en seulement quelques mois, certains enfants attendent plusieurs années. D’autres n’en trouvent jamais – on dit même que passé un certain âge, on risque de ne jamais trouver de famille. Qui veut d’un enfant déjà grand, élevé par un.e inconnu.e ? En tout cas moi, j’ai vite été adoptée. Il faut dire que j’étais calme, sûrement déjà la tête dans les étoiles, une passion ne commence-t-elle pas dès tout petit ? Je ne sais pas ce qui leur a plu, à mes deux mamans, mais ça leur a plu.

À partir de là, à peu près, je peux vous décrire beaucoup de choses. Parce qu’après tout, j’y ai vécu une quinzaine d’années alors les souvenirs se sont ancrés.

Pour commencer, la maison. J’adorais cette maison, certes un peu perdue au milieu d’un grand terrain, mais tout de même située dans une petite ville à une heure de Londres, Watlington pour les fins connaisseurs, dans l’Oxfordshire pour ceux qui se sentent trop perdus. Des briques rouges, un toit foncé, des grandes fenêtres, une belle bibliothèque bien remplie et suffisamment d’espace dehors pour se coucher à même le sol et contempler le ciel avant Maman April.

C’est avec elle qu’on étudiait consciencieusement les formes des nuages et des étoiles, c’est avec elle que j’ai appris mes premières constellations et découverts les mystères du ciel. Tandis qu’avec maman Sidney, on était plus concentrées sur la cuisine – on en a fait des gâteaux, en quinze ans ! Quoi qu’il en soit, c’étaient des choses qu’on n’apprenait pas tellement à l’école primaire, même s’il faut bien admettre que ce qu’on y apprenait était presque tout aussi intéressant.

Après exactement quatre minutes à pied, j’y passais des journées entières vraiment incroyables. Mais je dois bien admettre que je préférais les livres aux paroles des adultes devant le tableau : avec un livre, on choisit notre rythme et on peut relire la même page plusieurs fois. Alors que les adultes n’apprécient pas beaucoup devoir se répéter. Et puis, on peut choisir le sujet des livres. On peut décider de se renseigner sur des choses qui n’existent pas, juste pour le plaisir de rêver un peu. On peut choisir de se concentrer sur les étoiles ou les animaux. Les adultes, eux, nous imposent ce qu’on doit étudier. Ceci dit, il est vrai qu’ils ont un programme à suivre…

Oh oui, vous l’aurez bien compris : à l’époque, je vivais chez les Moldus. En réalité, je n’étais même pas au courant qu’on s’appelait ainsi… Je ne l’ai appris que bien plus tard. Si j’aimais la Magie, du moins les livres qui parlaient de Magie, je savais – on m’avait dit – que la Magie n’existait pas. J’avais beau réclamer, enfant, de rencontrer une Licorne, de regarder un Dragon voler, ou de discuter avec un Lutin rigolo, on me répétait que ce ne serait jamais possible.

Quoi qu’il en soit, je savais que j’étais chanceuse. Bien que les enfants de l’école manquaient parfois de logique et d’intelligence, ils n’étaient pas méchants. Et puis parfois, ils se montraient suffisamment intelligents pour me demander de l’aide à l’école, des explications sur un exercice que j’avais terminé bien avant. J’avais tout de même une préférence pour la compagnie des adultes – ou des livres, quand ma famille n’était pas disponible ou quand je voulais apprendre des choses qui n’intéressaient que moi.

Si Maman April ne travaillait pas, ce n’était pas le cas de Maman Sidney, qui était serveuse à un bar dans la ville. Au moins, elle pouvait y aller à pied. Mais forcément, elle avait moins de temps pour passer du temps avec moi. Heureusement, j’ai vite appris à être indépendante – peut-être un reste de ma première famille d’accueil. Parfois, pour avoir ce qu’on veut, il faut savoir se débrouiller et chercher par soi-même. D’où les livres.

J’aimais aussi la compagnie des animaux. D’aussi loin que je me souvienne, chiens, chats et lapins cohabitaient en harmonie dans la maison et dans le jardin. Il y avait bien quelques petites bagarres, mais à l’école aussi, et pourtant on était entre humains. Les animaux sont souvent plus agréables que tous ces gens bavards aux regards curieux : ils ne jugent pas, donnent de l’amour et ne demandent en retour qu’à être aimés et choyés. Et ça, ils l’étaient. C’était vraiment bien de s’occuper d’eux. Et c’était important : les animaux aussi font partie de la famille.

Ah oui, encore un petit détail que je n’ai pas précisé : j’ai toujours su que j’avais été adoptée. Tous les enfants se demandent un jour comment ils sont nés, n’est-ce pas ? Et bien, moi aussi. Alors forcément, mes mamans ont dû donner une explication. Et une des choses les plus importantes dans notre famille, c’est la vérité : pas de mensonges, même quand on fait une bêtise – ça, c’était surtout pour moi, car mes mamans n’ont jamais fait de bêtises. Alors oui, je le savais. Au moins, cela expliquait le comportement un peu étrange de Papy Tom, qui m’a longtemps semblé hésitant avec moi, comme s’il ne savait pas comment se comporter avec moi. À moins que ce ne soit parce que je posais beaucoup de questions sur tout et n’importe quoi ? Allez savoir.

C’est vrai que j’étais curieuse. Et il vient d’où le vent ? Et pourquoi on dit que le soleil se couche, alors qu’en réalité il ne bouge pas ? Et pourquoi une chaise s’appelle une chaise ? Est-ce que les Licornes existent ? Admettez que tout ceci est intrigant. Heureusement, j’ai grandi. Pas moins curieuse, mais sur des trucs qu’ils maîtrisaient plus. Ou sur des sujets moins variés. Car Papy Tom aussi, il adorait les étoiles, alors il a fini par s’habituer à moi et on s’est mis à énormément discuter quand il a pu utiliser des termes plus compliqués. Il m’a même dit une fois que son rêve d’enfant, c’était d’être astronaute. Bon, il est devenu menuisier. Mais vous savez ce qu’on dit des rêves…

On peut donc dire que jusque-là, tout se passait bien. Une vie normale, pour des Moldus qui ne se savaient pas Moldus. Des jeux d’enfants, des livres d’enfants mêlant histoires et documentaires, des animaux à chouchouter et avec qui discuter, même s’ils me répondaient à leur manière. Des histoires à inventer, des étoiles à observer, des choses à apprendre. Tous les enfants font ça, n’est-ce pas.

Et puis, petit à petit, il y eut des choses étranges quand j’étais là. Il y a eu ce livre qui a glissé tout seul jusqu’à moi sur le sol alors qu’il était de l’autre côté de ma chambre, puis ce crayon qui a roulé naturellement jusqu’au bord de la table avant de revenir vers moi comme si de rien n’était. Des petits détails me direz-vous. Mais de gros soupçons pour Maman April qui voyait ça. Et si au début Maman Sidney refusait d’y croire, elle a bien dû se rendre à l’évidence lorsque l’œuf que j’ai lâché dans le vide sans le vouloir a stoppé sa chute quelques centimètres au-dessus du sol au lieu de s’y écraser. Je ne savais pas comment j’avais fait, mais c’était définitif : c’était moi qui le faisais.

On ne savait pas comment c’était possible, pourtant c’était vrai. À moins d’être victimes toutes les trois d’une hallucination collective, c’était bien moi qui faisais ce qui ressemblait fortement à de la Magie. N’en parle pas, m’a-t-on dit à la maison, on trouvera une explication ensemble. Une explication ? Mais quelle explication ? La Magie, ça existe ou pas ? Admettez qu’il y avait de quoi être perdue. On passe dix ans à vous dire que les livres sont des livres, les légendes sont des légendes, et maintenant on voit le contraire ?

Et bien oui, voilà, l’explication finit par arriver. Un jour, une personne totalement inconnue et bien étrange vint nous rendre visite et éclaircir tous ces mystères qui habitaient notre maison depuis quelques temps. Une histoire de Sorciers, baguette magique, secret magique, école magique. Un nouveau monde soudainement dévoilé, tandis qu’on m’avait longtemps répété que ce ne serait jamais possible. S’il n’y avait pas eu de preuves, j’aurais pensé à une blague. Sauf que des preuves, il y en avait un paquet.

C’était donc les yeux ronds, entre stupéfaction, admiration et émerveillement, que j’écoutais l’inconnu nous expliquait tout ce qu’il jugeait important. Et mes Mamans, dans tout ça ? Les yeux ronds aussi, mais plutôt d’inquiétude. Une fois le Sorcier – car s’en était un – parti, mes Mamans se disputèrent fort. Je m’étais un peu cachée dans ma chambre, juste pour réfléchir : j’en avais bien besoin. Mes Mamans aussi. Mais au lieu de réfléchir dans leurs têtes, elles parlaient, et pas tout bas. « De tous les bébés qu’il y avait sans famille, on a choisit celle bizarre, celle magique ? Ça va forcément poser problème. »

Un coup de poignard dans le cœur, c’était ce que j’avais ressenti ce soir-là. Il fallait bien se douter qu’un jour, cela me retomberait dessus – l’abandon, l’adoption. Peut-être avait-ce été trop simple. Peut-être la chance finit-elle toujours par tourner. Quoi qu’il en soit, ce fut suffisant pour comprendre que ça ne leur plaisait pas. Habituellement si joyeuses et attentives, elles sont devenues étranges, distantes. Comme si tout avait changé du jour au lendemain. Pourtant, j’étais la même personne que la veille. Et que l’avant-veille. Mais j’ai beau tenter de les convaincre, elles n’ont pas changé d’avis : pour elles, j’étais différente. Un monstre.

Mais bon, c’était ainsi. Heureusement, rien ne se sut à l’école. Et rapidement, ce fut la fin de l’année, et en toute logique la fin du cycle là-bas. Après la dernière année à l’école commencerait la première année au collège. Tous les enfants savaient qu’ils se retrouveraient en Septembre. J’étais la seule à partir ailleurs. Et comment le leur expliquer ? En un demi-mensonge. Je pars en internat, dans un collège très loin pour étudier de nouvelles matières. Ils ont eu des questions, ont voulu savoir où, le nom, les matières. Mais ils me connaissaient aussi suffisamment pour ne pas se vexer lorsque je n’en disais pas plus. Parfois bavarde, parfois muette, c’est ainsi qu’on me voyait à l’école…

L’été fut long, avec deux Mamans qui ne voulaient pas entendre parler de Magie. Il y avait, tout d’un coup, deux nouvelles règles : ne pas parler de Magie, ne pas faire de la Magie. Rien de compliqué en soi… Sauf que moi, j’avais besoin d’en parler. Les animaux, eux, m’écoutaient, au moins j’avais l’impression d’être intéressante pour eux. Aux yeux de Luna, principalement. Chaton perdu il y a quelques années, on s’était toujours bien entendues et je suis certaine qu’elle adore m’écouter parler de Magie. Même si à l’époque, je ne savais pas grand-chose…

Préparer la rentrée seule, ce ne fut pas facile non plus. Quand bien même mes Mamans m’ont accompagnées sur place, elles n’y connaissaient rien et étaient venues principalement parce qu’on ne laisse pas une enfant toute seule dans la rue. Vous êtes déjà passé d’un monde à un autre, totalement différent, sans vraiment être aidé ? Un passage magique ouvert grâce à l’aide d’un Sorcier, et hop, nous étions dans un nouvel endroit. C’était tout de même très ingénieux : il fallait le savoir pour vouloir y entrer, aucun moyen de deviner que la Magie était derrière ce mur.

Laissez-moi vous dire que c’était un peu la pagaille : il y avait trop de choses nouvelles pour en profiter. Une baguette magique, des plumes et du parchemin – ils écrivent vraiment avec ça ? Trop bizarre. Mais la liste était précise, alors je la suivais point par point, accompagnées de mes Mamans qui de leur côté essayaient surtout de ne pas perdre de vue le passage qui nous permettrait de rentrer à la maison, sûrement par peur de rester coincées ici pour toujours. La valise pour partir était bien pleine avec tous ces manuels… L’avantage, c’est que j’avais pu commencer à me mettre à niveau avant la rentrée.

Je dois bien l’admettre : j’avais peur. Je n’aime pas trop avouer ce genre de choses, mais ce n’est pas comme si vous alliez le répéter à qui que ce soit. Je ne faisais pas la fière, à traverser un mur en pierre, à prendre le train pour la première fois toute seule, à entendre les autres autour de moi parler de Magie si facilement. Je me demandais si j’étais la seule comme moi, ou s’il y en avait d’autres. Mais je n’ai pas osé poser de questions, habituellement assez sociable, c’était un cas extrême. Je me contentais de regarder dehors, les oreilles concentrées sur les conversations des autres, c’était intéressant comme premier voyage.

Puis, comme tous les autres jours de rentrée, tout s’est enchaîné assez vite. Mais différemment des rentrées à l’école primaire… Des barques, un lac, un château immense – vraiment immense – puis un chapeau qui vous parle dans votre tête puis qui crie un mot bizarre. Une maison de ce que j’avais compris, sauf que cette maison est en fait un ensemble d’élèves allant de petits comme moi à vraiment très grands, tous réunis autour d’une immense table rectangulaire. Curieuse façon de voir les maisons.

M’adapter à ce nouveau monde, cette nouvelle vie, fut loin d’être facile. Habituellement bonne élève, j’avais toujours eu des facilités à l’école : je comprenais vite, j’apprenais vite. Mais entre les matières inhabituelles et ce bazar de choses inconnues, je me suis sentie très vite perdue. Toute la science que j’avais apprise au fil de mes années non-magiques se voyait bousculée par un bout de bois et des sortilèges, par un chaudron et des ingrédients. La seule facilité qu’il me restait, c’était l’Astronomie : le ciel est le même pour tous les êtres vivants de la Terre…

Et puis il y avait toutes ces nouvelles personnes à rencontrer. Des élèves de mon âge et des plus grands. On était loin de la petite cinquantaine d’élèves de mon école… Et puis il y avait le parc. Une cour de récréation immense et très verte. Le château aussi. Drôle d’école, non ? Ah, les escaliers qui dansaient. Un mélange de merveille et d’horreur – pas facile de se repérer dans une école dont les escaliers passent leur temps à se réorienter… Bref, c’étaient des sacrées nouveautés.

Et aussi, mes mamans me manquaient. Les règles étaient claires, et moi j’étais obéissante, peut-être un peu trop. Elles n’ont jamais rien su de l’école, des matières, de la Magie. Elles ne voulaient pas. Ne voulaient pas savoir comment je m’en sortais. En même temps, qui s’intéresserait à un monstre ? Mais ici, à Poudlard, je n’étais pas un monstre. Juste une Sorcière, comme les autres. Et je rattrapais rapidement le niveau de celles et ceux qui avaient toujours connu la Magie. Bon, sauf quand il s’agissait de faire de la Magie avec ma baguette, mais ça viendrait plus tard j’en étais sûre.

La première année se termina rapidement, et je rentrais à la maison avec deux idées principales en tête : la première, bien relire mes manuels tous l’été pour ne rien perdre, et la deuxième – la plus dur : amener Luna avec moi à Poudlard. Si la première serait facile, la deuxième serait bien plus dure. En réalité, elle s’avéra même être impossible, car la seule réponse que je pus obtenir de mes Mamans fut « On n’emmène pas d’animaux à l’école voyons. » Chez les Moldus, certes. « Mais tous les autres en ont un ! » Je ne sais pas si c’était vraiment le cas de tous élèves, mais j’avais la nette impression d’être la seule qui ne partageait pas quotidiennement la vie d’une boule de poils. « Non, c’est non. » Il fut un temps où nous aurions cherché un compromis, mais ce temps-là était révolu. Alors je laissais tomber l’idée, après tout je n'avais pas le choix, tout de même grandement déçue. Au moins, je pouvais m’en occuper à plein temps durant les vacances, Luna était un vrai pot de colle dès que j’étais là.

Les années se sont enchaînées, j’étais plutôt contente finalement d’être une Sorcière malgré le fait de devoir faire semblant pendant deux mois chaque été. Mais si au début je devais faire semblant à cause du secret magique dont avait parlé l’inconnu, les raisons finirent par changer : les Moldus, finalement, découvrirent la Magie. Et si j’étais, certes, un peu effrayée par la Magie au début, j’en étais plutôt contente. Sauf que ce ne fut pas le cas de tous les Moldus. Et ça, j’aurais pu m’en douter vu la réaction de mes deux Mamans…

Les problèmes entre Sorciers et Moldus, vous les connaissez. Le problème avec les humains, c’est que soit ils veulent ce qu’ils n’ont pas, soit ils veulent disparaître ce qu’ils n’ont pas car ils savent qu’ils ne peuvent pas l’avoir. C’est ainsi que je vois tous ces gens sans Magie, qui essaient de la faire disparaître. Comment vivre dans un monde dont les habitants, s’ils le savaient, vous enlèverait vos pouvoirs ? Dès l’année 2019, les étés devinrent encore plus difficiles.

Je me posais beaucoup de questions : et si on me posait des questions sur mon école ? Si je n’arrivais pas à mentir ? Pire : si on ne me croyait pas, et qu’on devinait que j’étais une Sorcière ? Et si mes Mamans le disaient ? Je ne savais pas comment ça se passait, quand je n’étais pas là : elles n’en parlaient pas. Leur posait-on des questions ? Avait-on des soupçons ? Peut-être même risquaient-elles quelque chose, en m’ayant comme fille. Peut-être, au final, était-ce cela qui les effrayait réellement.

Quoi qu’il en soit, dès le lendemain de mon retour pour l’été 2020, on a eu une bien horrible conversation avec mes deux Mamans. Je crois bien que c’est le genre de conversation que l’on n’oublie jamais… « Tu dois partir » m’avait dit maman Sidney, « C’est trop dangereux que tu continues de vivre avec nous. » Peut-être suis-je trop gentille, mais je les ai comprises. Au final, si je restais, on risquait toutes les trois d’être arrêtées – elles pour m’avoir cachée, moi pour être une Sorcière. « Et si tu restes, on devra parler de toi. » C’était la menace ultime, la fin de tout.

Une deuxième famille qui m’abandonne. Devais-je en comprendre quelque chose ? Était-ce un signe, un message caché ? Je n’ai jamais su pourquoi ma première famille m’avait posé là, seule devant une porte, tout bébé. Je n’y avais pas beaucoup réfléchi, satisfaite malgré cela de mes Mamans. Mais maintenant qu’elles aussi m’abandonnaient… Je me posais la question. Étais-je aussi un monstre pour ces adultes que je n’ai jamais connu ? Certainement.

J’avais comme la sensation de ne pas mériter d’exister. Si les seules personnes qui ont voulu de moi ne veulent plus de moi aujourd’hui, qu’allais-je devenir ? J’avais l’été pour trouver une solution : à la prochaine rentrée, je devais avoir complètement disparu pour mes Mamans. Et, d’ailleurs, pouvais-je réellement dire d’elles qu’elles étaient mes Mamans ? Elles n’en n’avaient clairement pas envie. Mais peut-être, encore une fois, avais-je de la chance. Je n’étais peut-être pas la seule Sorcière née-moldue qui faisait face à un tel problème, puisqu’on eu la visite d’un de ces Sorciers au métier étrange – je n’y connaissais pas grand-chose en métier magique – qui voulait voir comment ça se passait à la maison. Curieuse idée, non ?

Peut-être pas tant que ça. Car la conclusion, c’est que ça se passait mal, mais aussi que ça menaçait de s’empirer très rapidement. Et si mes Mamans m’avaient très clairement dit qu’elles voulaient que je parte, sans pour autant me dire comment faire, j’allais finalement avoir un peu d’aide. Je n’étais pas particulièrement contente de partir de la maison, mais j’avais bien compris que je n’avais pas le choix. C’était sûrement la meilleure option…

C’est ainsi que je passais l’été dans une autre famille, chez des inconnus magiques. Certes très gentils, mais inconnus. Au moins, j’avais Luna – elle est infernale quand tu n’es pas là, m’avaient dit mes Mamans, alors emmène-la avec toi. Manifestement, le bonheur d’un chat était à leurs yeux plus intéressant le mien, même si elles avaient dû laisser partir Luna pour qu’elle soit vraiment contente. À moins que le chaton, plus si chaton que ça d’ailleurs, ne se soit montré vraiment pas gentil avec elles. Ça arrive, parfois.

Il y avait dans cette famille un peu plus de monde qu’à la maison : une dame et ses deux grands enfants, dont une musicienne sans Magie. Je dois bien l’admettre, c’était assez impressionnant d’arriver comme ça chez des gens, je ne savais pas trop comment me comporter, ni quoi dire. Avais-je ressenti la même chose, quand j’étais toute petite, en arrivant dans ma première famille d’accueil puis chez mes Mamans ? Je ne sais plus. Mais j’étais sûrement trop petite pour réfléchir ainsi… En tout cas, je finis par m’habituer. Et s’il m’avait fallu un moment pour retenir leur nom, je l’ai toujours en mémoire aujourd’hui : O’Malley.

Mais au final, je ne suis pas restée bien longtemps chez eux : les vacances d’été passent vite, et le reste du temps j’étais à l’école, c’est bien le grand avantage de l’internat. Ce fut là que je compris en quoi les maisons étaient des Maisons : malgré les changements, Poudlard restait un point de repère, et moi, j’y tenais beaucoup à mes points de repères. Rien n’avait changé là-bas, à part le niveau : forcément, à chaque rentrée de Septembre, je monte d’une année scolaire. Mais sinon, tout était à sa place. C’était plutôt rassurant, surtout qu’il s’agissait de l’année d’examens très importants, les Buses, alors il fallait que je reste très sérieuse.

Pourtant, parfois, je n’en avais pas trop envie. Bien qu’elles semblaient me détester, ou avoir peur de moi, je ne sais pas exactement, mes Mamans me manquaient encore plus. Et Luna, qui avait pu venir avec moi, me rappelait la maison. Était-ce toujours la maison ? Y retournerais-je un jour ? Tant de questions, si peu de réponses. Au moins, et bien, je pouvais apprendre des choses. C’était un bon compromis. Ainsi, forcément, je réussis tous mes examens. Comment en aurait-il pu être autrement.

À l’été suivant, je dû changer de famille d’accueil. La première était temporaire, le temps que d’autres personnes se proposent, alors je déménageais encore. Je ne savais pas trop qu’en penser, j’avais cette impression de n’être attachée nulle part. Comme un bateau dont on a oublié de jeter l’ancre, et qui part ainsi à la dérive. La sensation n’était pas très agréable, voire même un peu effrayante. Et si, finalement, personne ne voulait de moi ? Et si on se disait que j’étais trop embêtante ? Peut-être accueillir une personne inconnue chez soi n’était pas une si bonne idée que ça.

Ma nouvelle famille d’accueil habitait sur une île, cette fois, et il y avait deux dames. Comme mes Mamans. Au moins, je les avais déjà eues en cours, je les connaissais un peu. Je me promis de ne jamais déranger, et de garder Luna calme, ce qui n’était pas compliqué : elle adorait regarder le ciel avec moi, ou m’écouter lui raconter des histoires. Si on devenait presque invisible toutes les deux, peut-être aurions-nous le droit de rester plus longtemps ? En plus ici, il y avait plein d’animaux – et j’adore les animaux. Ça me rappelait encore plus la maison. Vraiment, ça me manquait. La vie normale, mes habitudes, mes points de repères là-bas.

Plus le temps passait, plus je me posais des questions. Mes Mamans étaient-elles plus heureuses sans moi ? Soulagées de mon départ, de mon absence ? Je ne leur manquais donc pas du tout ? Comment était-ce possible de ne plus aimer quelqu’un à cause d’une nouveauté inattendue ? Ce n’était pas juste. J’aimais avoir une famille, une vraie. Et ça n’arriverait plus jamais, c’était sûr.

La rentrée arriva rapidement, et je commençais donc ma sixième année. C’est là que j’en suis, aujourd’hui. Toujours élève sérieuse, toujours à me poser des questions, toujours à aimer lever la tête vers le ciel pour me déconnecter de la réalité. Je serais mieux là-haut, dans les étoiles. Elles sont à la fois seule, à leur place, et toutes ensembles. Peut-être aurais-je dû être étoile : on ne peut pas les détester…