Londres était étincelante et chaude lorsque tu es né, ce trois août 2002. Elle a donné du fil à retordre aux dernières semaines de grossesse de ta mère, Tracey Rowe née Thornton, ayant célébré sa trente-troisième année il y a quelques semaines de cela. Une jolie célébration où elle s’était empiffrée de gâteau au chocolat et à la framboise, sous prétexte d’être enceinte et de devoir manger pour deux. Quand on te regarde, avec ton corps en spaghetti et ta masse musculaire proche de 0, on comprend très vite qui de vous deux a bénéficié le plus dudit gâteau… Tu as pourtant au moins hérité de son amour des framboises et de son visage charnu. Cet été-là s’était donc avéré très chaud et les multiples heures de travail n’avaient pas amélioré l’état de la pauvre Tracey qui, pourtant, ne boudait pas son bonheur. Car chaque année, elle te rappelait de vive voix ou par écrit qu’elle ne regrettait en rien de t’avoir eu car tu représentais – et représentes encore – un « miracle » pour elle. Que tu sois un garçon ou une fille n’y changeait rien, bien que ton père n’aurait certainement pas été du même avis. Tu ne t’es pas avéré être l’enfant qu’ils attendaient, mais un être plein de surprises qui venait chambouler leur vie à tout jamais. Une responsabilité que tu portes encore malgré toi.

Dès les premières années de ta vie, on te répéta encore et encore que tu étais un petit garçon fragile et malade, dont la sécurité ne dépendait que du lieu où tu te trouvais. Tu grandis donc entre les quatre murs de votre appartement londonien, dans cette prison dorée qui voyait grandir ton envie de liberté. On te fit l’école à la maison et tout ce que tu apprenais du monde se trouvait dans les livres, sur internet et à la télévision. Tu ne manquais pas d’intérêt pour la vie en dehors des murs de ce cocon familial mais la réponse de tes parents était catégorique. Tu avais interdiction de sortir et si tu obéis à ces mots si longtemps, ce fut parce qu’ils s’accompagnaient toujours d’un regard effrayé. Tu en avais conclu que la peur de ta mort les conduisait à agir ainsi avec toi, et rien de plus. Tes parents tentèrent malgré tout d’agrandir la famille avec un nouveau membre, dans l’espoir peut-être qu’il ou elle soit plus fort que tu ne l’étais, mais seul l’échec vint conclure leurs tentatives, si bien qu’ils finirent par y mettre un terme. Pendant longtemps, tu pensas vivre une enfance normale, jusqu’à voir les autres enfants parcourir les trottoirs de Londres en compagnie de leurs copains ou de leurs familles. Tu compris alors que tu n’avais rien de normal et que tu ne le serais jamais. Cette sensation de différence s’intensifia avec l’âge grandissant. Si ta mère t’apprit à contrôler tes émotions par des exercices de respiration, de la méditation et du yoga, ton père ne cessait de répéter de faire profil bas, un terme que tu ne saisissais pas trop à l’époque, mais qui devint vite évident : ne pas faire de vagues, rester dans les clous, se rendre inexistant. Il te fallut plusieurs années pour comprendre la raison du comportement de tes parents. La VRAIE raison. Après une nouvelle altercation avec ton père, tu t’enfermas dans la salle de bain pour constater avec surpris que du brun, tes cheveux étaient passés à un rouge flamboyant. Ton incompréhension s’imposa d’autant plus lorsque, la colère passée, ta couleur redevint naturelle. L’évidence te sauta alors aux yeux : cette maladie, peu importe son nom, poussait tes parents à te cacher au monde par peur de ce que l’on pourrait dire de toi. Tu ne remis pas nécessairement en question leur volonté de te protéger mais y distinguas néanmoins une raison égoïste. Tu étais un secret et ne le supportais pas.

Tes capacités magiques se manifestèrent plus fréquemment passé ce jour-là et, quelques semaines avant tes onze ans, tu reçus une lettre d’une école dont tu n’avais jamais entendu parler, même à la télévision. Tout l’Internet ne faisait pas mention d’une institution du nom de Poudlard et jamais auparavant tu n’avais reçu un courrier portant ton nom. Aux yeux du monde, tu n’existais pas. Lorsque ton regard rencontra ta nature sorcière, écrite à l’encre sur le bout de papier, une étrange sensation s’empara de toi et pour la première fois de ta vie, tu eus l’impression de connaître la vérité sur toi-même. Tes parents furent évidemment réfractaires à l’idée de partir dans cette école mais une discussion vous permit à tous de constater cette évidence : ta place résidait là-bas et non à Londres, enfermé entre quatre murs pour le reste de tes jours. Tu en vins même à te demander si, en fin de compte, ils savaient la vérité depuis le début mais qu’ils avaient décidé de ne pas la regarder en face.

En septembre 2013, tu pris le train voie 9 ¾ avec, comme tout le monde, tes petites affaires, ton chat mais, contrairement aux autres, tu emportais avec toi ta solitude et ta différence. Tes parents ne t’accompagnèrent pas et tu te convainquis que ce n’était pas plus mal, persuadé qu’ils ne pouvaient pas comprendre ce que tu traversais. Toi-même, tu te trouvais toujours confus par ce qui était en train de se produire, ces personnes qui passaient à travers un mur comme par magie. Et le fait que, toi aussi, tu en aies la capacité. Longtemps, tu inspectas chacun de ces enfants autour de toi et tous semblaient dans leur élément, malgré le stress qui marquait les traits de certains visages un peu plus jeunes. Tu te sentis aussitôt étranger et questionnas ta place dans ce monde sorcier qui t’avait appelé à le rejoindre. De toute évidence, tu ne parlais ni leur langage ni ne mangeait les mêmes sucreries, dont les noms te semblaient tous plus ridicules les uns que les autres. Rien de ce qui les passionnait ne t’interpellait particulièrement alors, lorsque tu pris place dans le train, ce fut seul. Tu passas une bonne partie du voyage le front contre la vitre, à regarder le paysage défiler à une vitesse incroyable, ton ouïe centrée sur les cliquetis des roues du train plutôt que sur les discussions des enfants autour de toi. Aucun d’eux ne te portait d’attention ou ne tenta de se lier à toi, le petit garçon chétif, visiblement de première année, qui ne disait mot. Tu appris même plus tard que beaucoup t’avaient cru muet ou sourd, et que ta différence les avait fait fuir. Le trajet jusqu’à l’école prit la même tournure. Tu passas une grande partie de ton temps à promener ton regard tout autour de toi, aussi curieux qu’impressionné par la vision de ces bâtiments et forêts gigantesques qui rendaient ta chambre d’appartement minuscule, en comparaison. Si tu ressentis une pointe de peur, elle se faisait vite submerger par l’excitation que chaque manifestation de magie provoqua en toi. Le plafond de la Grande Salle monopolisa longtemps ton attention, jusqu’à ce que ton petit groupe de jeunes élèves soit forcé de s’arrêter devant une grande tablée d’adultes, qui s’avérèrent être tes futurs professeurs. Tu n’écoutas qu’à peine les instructions mais ta concentration s’intensifia lors de l’épreuve du Choixpeau, qui annonçait la répartition dans l’une des quatre grandes maisons de Poudlard. Tu regardas tes camarades passer un à un devant toi et ton nom de famille étant ce qu’il était, tu te retrouvas parmi les derniers à devoir te soumettre à cette épreuve. Cela te permit d’évaluer le comportement de ce chapeau magique et de constater que ses décisions se faisaient plutôt rapidement selon la tête sur laquelle il se posait. Quand vint ton tour, tu pris une grande inspiration – comme ta mère te l’avait enseigné – pris place sur la chaise. Tes lèvres restèrent closes et ton regard fixe lorsque le Choixpeau se lança dans une discussion sur ton orientation. Une discussion où résidait une grande hésitation qui dura plusieurs minutes. Tu ne sus si, pour lui, tu n’appartenais à aucune maison ou si, au contraire, elles étaient toutes faites pour toi. Vint cependant le moment de sa décision finalement, une décision qui leva des murmures dans la salle. Incapable de les comprendre, tu te contentas d’aller rejoindre ta maison en te faisant aussi discret que possible car, à l’époque, tu pensais que ce serait la seule chose capable de te sauver la vie dans un monde qui, tu le compris bien vite, ne manquait pas de dangerosité.  

Tes premières années à Poudlard ne furent pourtant pas si difficiles. Intégrer un système scolaire fait de professeurs et de devoirs te demanda beaucoup d’ajustement et les premiers mois furent les plus éprouvants, couplés à la solitude qui semblait te coller à la peau. Mais bientôt, tu parvins à te faire des amis, que ce soit d’autres maisons ou de la tienne. La plupart possédaient la même nature que toi, celle de né-moldu et, pour la première fois de ta vie, tu fus parcouru par la sensation d’appartenir à un groupe. Un groupe qui ne manquait pas d’obstacles à franchir tellement votre sang faisait honte à ceux qui, tu l’appris plus tard, se faisaient appeler purs. Tu ne te montras ni excellent ni mauvais dans les cours que l’on t’enseigna, tout en développant cependant un intérêt particulier pour les sortilèges et les défenses contre les forces du mal. Tu appris à maîtriser ce dont qui était le tien et dont tu appris bien vite le nom en forgeant ton caractère. Malheureusement, il fallu te rendre à l’évidence qu’il représentait un travail de chaque instant et que tu n’étais pas au bout de tes peines. Ces années à Poudlard furent celles pendant lesquelles ton caractère se métabolisa et se renforça à son paroxysme. De l’enfant discret, tu passas à l’adolescent à l’esprit vif et aux paroles piquantes, dont l’énergie parfois presque excessive faisait compétition à l’imprudence. Ton mépris du règlement te valu de nombreuses sommations ou corrections qui te poussèrent à affirmer ta ruse. Ce fut grâce à cela que tu appris que ton frêle physique pouvait aisément être compensé par un esprit parfaitement affuté, plus coupant qu’un rasoir. Bien vite, tu ne te cachas plus dans l’ombre de tes camarades et on chercha ton amitié ainsi que ta protection.

Poudlard devint ta maison mais tu te faisais un point d’honneur à rentrer chez toi, à Londres, pour revoir ces parents qui ne comprenaient rien au jeune adulte qui se dressait maintenant devant eux, mais qu’ils aimaient quand même. Lorsque tu étais chez eux, vous ne parliez jamais de la sorcellerie ou de ce que tu faisais à Poudlard. Tu te montrais calme, la plupart du temps, ne leur faisant pas automatiquement voir le garçon qui tu étais devenu et qui n’avait plus rien de l’enfant qu’on enfermait dans sa chambre pour le protéger de lui-même. Les derniers événements avec le Blood Circle, cependant, te poussèrent à te poser la question de tes visites chez tes parents. Malgré le fossé qui se creusait entre vous chaque année un peu plus, tu craignais pour la vie de tes parents dans ce conflit qui ne laissait aucune bonne place aux familles comme la tienne. Un né-moldu et ses parents n’avaient certainement pas le bon rôle dans une guerre qui opposait deux mondes. Deux mondes auquel tu appartiens mais qui ne cherchent pas réellement à te reconnaître comme un être à part entière qu’il est bon de respecter et de chérir. Chaque fois tu sors de Poudlard, tu redoutes de tomber dans un piège qui pourrait t’être fatale. Tu ne t’amuses donc pas à pratiquer ton don de métamorphage au grand jour, à la barbe et au nez du premier venu qui passe – sauf lorsque tu te sens d’humeur un peu aventureuse ou que tu as un coup dans le nez et que tes capacités de discernement sont à un stade larvaire. Ou, parfois, quand plus rien ne te semble logique dans la vie et que tu te dis why not ? Que gagne-t-on à vivre dans la peur ?