Chapitre 1 : Pour la Famille

Par un beau soir orageux de mars 1986, un bébé vint au monde sans grande difficulté. Quelques contractions, trois poussées et Silas Magnus Beurk faisait son entrée dans ce grand monde, ses grands yeux bleus se posant sur une Belinda épuisée mais heureuse. Un premier né pour elle, un premier héritier mâle pour la famille Beurk. Angus E. Beurk ne pouvait pas être plus heureux. Sa femme avait fait honneur à la famille. Toute la haute société serait sûre de savoir que l’héritage Beurk ne disparaitrait pas comme de la Poudre de Cheminette. L’exigence des Beurk n’était pas inconnue et en grande partie due au père de Silas. Angus était un homme fier, bruyant, sombre et dur. Il avait beaucoup d’attentes envers lui-même qui s’étendaient à l’ensemble de sa famille. À son fils bien sûr, qui serait amené à prendre les rênes de ses affaires. À sa femme ensuite, jolie brune née Belinda Eden Parkinson, qu’il avait épousé par convenance et qui lui devait une descendance brillante. À son aînée Manon née du premier mariage d’Angus qui s’était soldée par le décès de son épouse, et à sa benjamine, Amalia, née quatre ans après Silas, qui avait héritée de la beauté de sa mère et de l’esprit de son père et pour laquelle il envisageait un grand avenir. Rien n’était en revanche attendue de sa cadette, Fiona. Née quelque peu déformée, elle fut reléguée au rang de meuble par un père qui ne voyait dans son monde aucune place pour la petite sorcière.

Cette famille vivait au rythme de la boutique Barjow & Beurk cogérée par Angus tout autant que les soirées mondaines auxquelles les dames Beurk faisaient toujours grand effet, sans Fiona évidemment « toujours occupée à des affaires au manoir de Warwick l’empêchant malencontreusement d’être présente ». Silas, lui, pouvait passer des journées entière dans la boutique mais n’appréciait que peu les grands évènements sociaux. Enfant timide, occulté par un père qui rayonnait, il tentait toujours de s’échapper à l’extérieur, dans la pénombre de la nuit. Il pouvait ainsi par les fenêtres, observer ces grands bals comme un scientifique le ferait de poissons emprisonnés dans leur aquarium. Il aimait raconter les histoires que pouvaient vivre ces marionnettes d’un théâtre d’un soir, tentant de décortiquer leurs mouvements pour inspirer ses récits.

De l’imagination, Silas en avait à n’en point douter. Mais un Beurk ne rêvait pas. Il s’occupait de faire fructifier ses actifs. Avant même de découvrir ses pouvoirs, Silas connaissait les rudiments de la gestion de patrimoine. Et bien vite, cette imagination ne servit plus qu’à raconter des histoires fantastiques à une petite Fiona, délaissée dans un coin du Manoir, au bon soin d’une nourrice. Silas appréciait beaucoup sa petite sœur, bien plus que la benjamine, qui gâtée par ses parents, se prédestinait à un rang de peste exécrable. Quant à Manon, bien plus âgée que lui, il ne la voyait qu’à quelques déjeuners avant qu’elle ne disparaisse un temps, écartée plusieurs mois de la famille sans qu’il n’en connaisse les raisons. Non Fiona était bien différente des autres Beurk, aussi bien dans son physique que dans ses pensées, et dans le monde artificiel de la famille Beurk, elle était une bouffée d’air.

Les pouvoirs de Silas apparurent à un âge moyen, sans grand éclat. Pour Angus, ce n’était qu’une formalité, son seul fils ne pouvant être autre chose qu’un sorcier. Et comme tout petit sorcier, il reçut sa lettre pour Poudlard. Il y entra en 1997, l’année même où les Mangemorts prenaient le contrôle de l’École de Sorcellerie, pour le plus grand bonheur de son père, fier comme un paon de voir son fils, Sang-Pur, ainsi intégrer Poudlard sous une direction avec laquelle il était en accord total.

Chapitre 2 : Pour l’Amitié

Envoyé sans grande surprise à Serpentard, comme son père, et son grand-père avant lui, Silas fut reçu avec les égards dus à son sang. Toujours mal à l’aise avec cette position, il apprit bien vite à être reconnu mais perdu dans la foule. Sa première année fut particulièrement chaotique se terminant en mai 1998 lorsqu’il fut évacué avec le reste des élèves mineurs, avant la bataille de Poudlard. Cette année forte étrange, Silas n’en garde que peu de souvenir. Simplement l’incompréhension d’un enfant devant les avidités des adultes.

Les années suivantes furent plus douces mais les trahisons de nombreux Serpentards ne furent pas oubliées. De nombreux mages Noirs se firent discrets après la défaite de leur leader, ne laissant plus transparaître que leur statut de Sang-Pur. Ne fréquentant que peu les autres maisons, Silas se lia bien vite d’amitié avec le fils cadet des Barjow. Bien sûr ils se connaissaient depuis toujours, croisés ici et là dans les réunions de leurs familles, à la boutique ou aux diners mondains. Mais ce fut vraiment pendant Poudlard que les deux jeunes gens se découvrirent. D’abord connaissances, ils évoluèrent en amis, deux faces d’une même pièce, rendant chèvre certains de leurs professeurs. Après la mort de son grand frère, la fonction de premier né revint à Rory et Silas, bien que ne lui ayant jamais avoué, s’en félicita. Caïn, plus âgé et plus violent, ne laissait présager qu’une cohabitation difficile chez Barjow & Beurk. Une disparition salutaire en somme.

Ses années à Poudlard se passèrent avec douceur et le jeune homme en garde un souvenir joyeux. Très intéressé par l’Histoire de la Magie et la Botanique, il ne fut malgré tout jamais un élève excellent. Toujours passable, au plus grand dam de son père qui n’hésitait pas à lui faire savoir sa déception. Quant à ses sœurs, aucune surprise ne survit : Fiona resta une amie proche mais repoussée par beaucoup, Amalia poussa pour devenir une peste égocentrique et Manon continua d’être distante, la cible de rumeurs tenaces sur son honneur qu’Angus prit soit de tenir éloignée de son héritier masculin.

Ce ne fut pas non plus étonnant que l’allégeance, l’esprit et la vision du monde de Silas soit petit à petit modelé par son père et ses connaissances. Certes Voldemort n’était plus, mais les idéologies qu’il accompagnait, elles, attendaient paresseusement qu’un autre veuille bien les brandir à nouveau. Faire profil bas pour mieux revenir sur le devant de la scène. Silas fut docile et suivit les préceptes avec attention. Cela rendait facilement fier ses parents et lui rendait la vie plus douce.

Chapitre 3 : Pour le Commerce

En août 2004, ses ASPICS mention passable en poche, aucune surprise non plus ne vint de la suite de sa vie : il commença à travailler dès la rentrée suivante chez Barjow & Beurk, assistant la boutique et son père dans toutes les taches, surtout les plus ingrates, nécessaires selon le père Beurk à comprendre l’ensemble de son métier d’avenir. De nombreux conseils de ce genre furent inculqués au jeune Beurk qui se révéla plutôt talentueux pour les affaires. Il appréciait se retrouver derrière ce comptoir en bois foncé, s’intéresser à tous ces étranges artefacts, potions ou charmes qui rendaient sa vie un peu moins morose.

Après seulement quelques mois de travail, une jolie rousse entra un beau jour chez Barjow & Beurk. Ce fut Silas qui l’accueillit. Son sourire sembla illuminer la noirceur de la boutique et Silas en oublia presque comment avaler sa salive. Cette femme était Artémisia Madeline Bulstrode. Une des filles Bulstrode mais également sa fiancée par décision de leurs pères respectifs. Silas ne voulut pas reconnaître qu’il était tombé amoureux d’Artémisia à cette première seconde et continua de la traiter avec un certain détachement froid. Mais ils s’entendirent bien et pour un mariage arrangé, ce fut le mieux qu’il pouvait espérer.

Des secondes fiançailles eurent lieu  quelques mois seulement après : Rory  Barjow et Amalia Beurk, la petite sœur de Silas. L’ami de ce dernier avait déjà mis fin à ses premières avec fracas, histoire que Silas trouvait fortement drôle quoiqu’un peu triste pour sa vision idéalisée de l’amour. Savoir que sa peste de petite sœur allait être liée pour la vie à son meilleur ami, il en était véritablement désolé pour ce dernier. Heureusement, Rory savait faire les choses biens et un mois seulement avant le mariage de Silas et Artémisia, celui de Rory et Amalia parti en fumée devant l’ensemble de la famille Beurk réuni en diner. Ce soir-là, Silas sortit sa meilleure bouteille pour fêter la séparation.

Fiona quant à elle s’émancipa rapidement de la famille. Elle fut invitée au mariage après que Silas se soit violemment imposé, mais elle fut tout de même tenue à l’écart des festivités qui suivirent les vœux. Elle partit étudier et voyager dès qu’elle le put. Silas fut toujours impressionnée par sa petite sœur et par son caractère si affirmé. Il se demanda d’ailleurs souvent s’il n’en serait jamais capable lui-même.

Chapitre 4 : Pour l’Amour

Les premières années de mariage avec Artémisia furent formidables. Silas était en adoration devant cette femme, Sang-Pure, issue d’une famille bien placée mais dont le tempérament détonnait fortement avec toutes celles qu’il avait rencontrées. Elle n’était pas aussi stoïque, silencieuse et effacée que toutes les autres demoiselles auxquelles Silas étaient habituées. Cette rousse le regardait comme un homme formidable, que lui-même ne discernait pas dans un miroir. Ce fut elle qui commença à venir secouer la vision préconçue de Silas sur le monde. Et il accepta de s’ouvrir.

Mais dans tout ciel bleu vient les nuages. Sans vraiment s’annoncer, le soleil commença à briller avec moins d‘intensité, sous un voile presque invisible mais qui n’était qu’annonciateur d’orage. D’abord l’exaspération d’Artémisia devant la lente prise en compte du monde de Silas et puis par l’amertume de ce dernier. Amertume de son corps passé, de ses capacités physiques oubliées. Le 5 décembre 2008, Silas fermait la boutique, pour une fois seul. Dans l’Allée des Embrumes, peu sont les gens recommandables qui se promènent à la nuit tombée. De jeunes gens, probablement alcoolisés, débouchèrent chez Barjow & Beurk. D’abord agaçants, ils en devinrent menaçants en se rendant compte dans quelle boutique si particulière ils se trouvaient. « Sale mage noir », « Vendu de Voldemort », ne furent que des exemples des insultes proférées. Alors que Silas leur demandait de sortir avec une froide colère, les choses dégénérèrent. Il se retrouva ainsi blessé, blessure de laquelle il ne guérit jamais vraiment. Obligé de se déplacer avec une canne, il ne fut plus jamais véritablement le même. Plus encore lorsqu’il apprit qu’en conséquence, devenir père serait un titre auquel il ne pourrait que difficilement prétendre.

Après quelques années de mariage, les seuls moments que les deux époux pouvaient finalement partager sans trop d’éclats de voix furent ceux emplis de coups de pinceaux sur de grandes toiles blanches. Tous deux aimaient peindre. L’odeur de graisse si caractéristique de la peinture à huile emplissait régulièrement leur lieu d’habitation,  pour quelques instants habité de rire et de création. Des portraits de l’un et de l’autre, des paysages croqués dans leurs jardins, des natures mortes improvisées sur le coin d’une table. Tout était matière à peindre. Peindre pour rester connectés, peindre pour ne pas voir leur lien se déliter.

L’arrivée officielle de Rory comme associé en août 2010 permit d’améliorer considérablement le caractère de Silas devenu taciturne. Les deux gérants et amis, complémentaires, réussirent rapidement à trouver une manière de travailler qui leur convenait à tous les deux. Rory s’occupait de développer tous les nouveaux produits quand Silas faisait tourner la boutique dans l’ombre. Le bruit régulier du pas de Silas, dont sa canne en donnait une résonnance particulière, pouvait être entendu à toute heure du jour et de la nuit. Cependant, poussée par sa sœur, baroudeuse émérite, et par une Artémisia de plus en plus fatiguée de sa présence, Silas s’octroya quelques voyages à l’étranger, toujours pour le travail, recherchant d’éventuels artefacts et autres étrangetés dignes de figurer dans la vitrine de Burjow & Burke.

L’orage de son mariage éclata pour de bon en août 2015, lorsqu’Artémisia lui indiqua vouloir divorcer. Le sol sembla se dérober sous les pieds de Silas mais il accepta, par amour pour sa belle. L’information fit hurler les patriarches concernés. Après tout cela, après dix années sans héritier, ils osaient tirer un trait sur leur relation ?! Pour la première fois peut-être, Silas s’éleva contre son père en défendant le choix d’Artémisia. Une prise de position noble et valeureuse ? À moins que ce ne fut qu’un moyen d’espérer reconquérir le cœur de son épouse ? Le 9 septembre de la même année, Silas invita Artémisia à leur ancienne demeure commune pour ratifier les modalités de leur séparation. Ce fut également lors de cette soirée-ci que Silas la regarda s’étouffer, impuissant, avec un poison contenu dans le verre qu’il lui avait servi. Personne ne fit de remous, que ce fut chez les Beurk ou les Bulstrode. Le décès tragique était préférable aux opprobres d’un divorce, ce qui mit Silas dans une colère noire mais contenue. Chacun lui présenta ses condoléances et Artémisia fut vite enterrée sans trop poser trop de question, tragique combinaison disait-on de gélules magiques, de folie, nom communément utilisé pour décrire des femmes fortes de leurs opinions, et d’étranges et tragiques complications d’une potentielle grossesse tant attendue. Les rumeurs allèrent en effet bon train sur sa disparition mais Silas n’en fit jamais aucun commentaire. Se murant dans un silence acharné, il n’eut plus qu’un vernis d’amabilité feinte sur une froideur distante pour les quelques clients osant lui poser des questions sur le sujet.

Chapitre 5 : Pour Moi

Aujourd’hui, Silas est un sorcier accompli. La boutique qu’il gère avec Rory Barjow est florissante. Il continue de voyager régulièrement aux quatre coins du monde pour dénicher les meilleures ventes possibles tout en passant le reste de son temps à la boutique, délaissant avec application son propre manoir à Londres, cadeau de son père pour son mariage. Il n’a pas beaucoup d’amis mais beaucoup de connaissances autour desquelles il gravite, plus par intérêt que par véritable envie. De par son métier, il est amené à croiser toute sorte de personnes. Nombreuses sont celles à pousser la porte de son commerce, trop souvent pour de nombreux problèmes qu’ils se sentent obligés de déverser sur son comptoir. Silas ne voudrait rien en avoir à faire et le plus souvent il n’hésite pas à exploiter ces failles pour vendre. Mais parfois, quelques-uns résonnent avec sa propre douleur et alors les cheveux roux d’Artémisia et son parfum de menthe poivrée qui camoufle l’odeur de la peinture lui reviennent en mémoire et il se maudit de sa faiblesse. Non, il ne suivra plus jamais les demandes de qui que ce soit. Il ne fera plus rien par devoir ou par amour, par gentillesse ou par honneur. Toutes ces choses ne sont que des constructions ridicules du monde pour justifier des comportements humains égoïstes. Alors Silas a décidé de l’être égoïste, devenant de ce fait peut-être, l’homme le plus honnête qui soit.