La vie de Sofiane a débuté dans la violence de la guerre syrienne. Sa mère a accouché sous les bombardements de la ville de Damas. On peut dire que l’enfant débutait mal son existence. Il a grandi dans une famille stressée et angoissée par les affrontements des gangs du coin, par les conflits internationaux et la guérilla locale. Il est le troisième d’une fratrie de cinq enfants. Pour autant, malgré l’ambiance alarmante dans laquelle il a grandi, ses parents ont fait au mieux et rien ne prédisposait Sofiane à devenir l’homme qu’il est devenu au fil des ans. Enfant, ses parents étaient présents mais peu sécurisants, eux-mêmes effrayés par les conflits territoriaux. Son père est parti, puis est revenu. Un de ses frères est décédé en prenant une balle perdue dans une rixe initié par des dévoyés dans un supermarché. Sa mère est partie, puis est revenue, puis est repartie. Son enfance, marquée de ruptures, a fait qu’il jouait souvent seul et qu’il n’avait peur de rien (ni des coups de feu, ni des balles, ni des bombes). Ainsi, en quelques tendances plus qu’inquiétantes, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.


Avec une enfance chaotique et marquée par la crainte, la séparation et l’angoisse, Sofiane est devenu un adolescent torturé, intolérant à la frustration, qui enchaînait bévue sur bévue et qu’on traitait de délinquant à chaque coin de rue ; ce qu’il était. Ce qu’il était vraiment. Pour autant, il avait cette volonté, cette volonté de s’en sortir, de sortir de la merde qu’il a toujours connu alors lorsqu’il a eu seize ans, il s’est inscrit sur le programme des jeunes recrues de l’armée de terre. Cette décision, prise sur un coup de tête, a été salvatrice. Pour un temps. Les premières années, la discipline, le cadre proposé, la manière dont dirigeaient les officiers ont permis à Sofiane de s’épanouir, de croire que tout était possible et qu’il pouvait recommencer une nouvelle vie. Ça, c’était avant qu’on lui mette une arme entre les mains et qu’il commence à tuer sur les premières missions. Ensuite, rien n’avait plus d’importance que d’appuyer sur la gâchette ; viser, tirer, tuer. Puis recommencer. Encore et encore. Après la soumission, est venue l’insubordination. Se conforter à une quelconque autorité était trop difficile, trop énergivore, impossible. Sofiane n’en faisait plus qu’à sa tête et ne trouvait de réconfort que dans le meurtre. Il n’y avait plus d’ennemis, plus d’assaillants, plus d’opposants ni d’adversaires ; il n’y avait que ‘’ceux d’en face’’ et il ne valait mieux pas que celui d’en face, ce soit vous. Parce que l’entraînement a fait de lui une machine à tuer, une machine qui vise plus rapidement que son ombre avec une précision hors du commun. Après deux avertissements, ce fut la mise à pied et la descente aux enfers débuta.



Sofiane enchaîne les petits boulots, les périodes de succès au  travail et les périodes de dégringolade sociale. Il ne parvient plus à s’accrocher à rien ni à maintenir une activité régulière. Il sombre dans la délinquance et commence à faire du trafic d’armes, touchant un peu à la drogue ça-et-là mais sans véritablement devenir accro. Sa dépendance, elle se situe ailleurs ; il la trouve dans la souffrance des gens, dans leur douleur quand il les blesse, quand il les tue. Sur un coup de tête, il déménage en Angleterre pour suivre une nana rencontrée en boîte de nuit, ils se séparent rapidement, le caractère de Sofiane ayant fait fuir la jeune demoiselle. Malgré la rupture, Sofiane décide de ne pas rentrer en Syrie, appréciant la sécurité que lui offre la vie londonienne. Plus de conflits, plus de guérillas, plus de massacre. Du moins… Plus de massacres qu’il ne peut pas lui-même initier. Il passe quelques années entre les murs d’une prison -même pas pour meurtre car il ne s’est jamais fait prendre pour cela-, plutôt pour injures et coups et blessures sur personne dépositaire de l’autorité publique ainsi que pour détention d’armes à feu non autorisées. Son casier judiciaire, jusqu’alors long comme le bras, a suffit pour l’envoyer cinq ans au mitard, donc un avec sursis. Il sortira au bout de trois ans et demi pour bonne conduite (il y a bien eu cet incident d’oreille mais le psychologue a parlé d’une crise de folie passagère).


Pendant ces quelques mois passés au sein de la prison, l’incarcération de Sofiane ne lui a pas permis de se calmer. Au contraire. Il a fait profil bas et a plutôt bien vécu la restriction de liberté. Ce qu’il n’a pas supporté, c’était les autres détenus. Sofiane dégage quelque chose, son charisme naturel et ses compétences de fin menteur lui sont utiles et servent sa cause. Quelle est-elle ? Il ne le sait même pas lui-même. Ce qu’il veut, c’est être aimé. Les relations avec les autres détenus révèlent sa dépendance à l’autre mais il n’est absolument pas conscient de tout cela, et encore moins de ce qui peut se jouer là. C’est lors de ce séjour en prison qu’il fait la connaissance d’Ambrose, qui sera son co-détenu pendant quelques temps. Ses mots, ses paroles, eurent pour effet de réveiller chez Sofiane un nouveau but, une nouvelle cause à défendre, un nouveau dessein. La cristallisation envers les sorciers lui a semblé naturel, comme si l’ennemi combattu en Syrie n’était finalement rien de plus qu’une étape dans son chemin de croix. En sortant de prison, il intègre rapidement le Blood Circle et est chargé des aspects peu reluisants de la cause ; la torture, l’assassinat, le nettoyage. Sans que cela ne lui choque lui-même, Sofiane se trouve plutôt bon dans cette nouvelle « activité » et s’évertue à donner le meilleur de lui-même. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quand se tiendra-t-il sur le fil du rasoir ?  


Après la sortie de prison et malgré l’entrée au Blood Circle, il a bien fallu tenter de se reconstruire. Le psychothérapeute et le contrôleur judiciaire au cul, Sofiane s’est concentré sur une seule chose : diminuer les séances et les rendez-vous imposés par le tribunal correctionnel. De rapides recherches sur le net ont suffi pour comprendre qu’il s’agissait dans un premier temps de prouver qu’il pouvait reprendre une vie quasiment normale : un métier normal, des hobbies normaux. Rien de plus simple d’ailleurs quand on y pense. Mais n’oublions pas le casier judiciaire de Sofiane, pas toujours évident dans ses conditions pour trouver un emploi. Il a alors commencé par se trouver une passion ordinaire, moins inquiétante que la torture, il en est bien conscient même si cela reste bien moins amusant. Sofiane a trouvé cet exutoire dans le sport, dans la pratique du parkour dans un premier temps puis dans le FreeRun. Cette sérénité acquise en grimpant là où il ne devrait pas, là où il ne faudrait pas, lui a appris qu’en réalité, ce qu’il recherchait dans cette activité, c’était le calme. Le calme avant la tempête, le calme avant l’explosion, le calme avant le grain de folie qui vient enrayer la belle machine.  Les paysages à perdre de vue qu’il a eu l’occasion d’admirer lui ont permis de se découvrir un autre passe-temps pour lequel il est payé : la photographie. Rien que des paysages ou pour des publicités. Pas d’êtres humains. C’est plus facile à gérer.