La vie de Théodora est du genre tragique. Pas au sens triste, simplement cette notion d’opportunités manquées et d’un destin qui, quoi qu’on y fasse, amène à l’échec. Théodora Ekaterina Haig est née par une jolie soirée de décembre 1992. La neige recouvrait la ville écossaise d’Edimbourg, comme un drap de coton étalé pour la venue de la petite fille. Fille d’un père écossais, Tom Haig et d’une mère bulgare Ioana Vassilev, ses parents étaient aimants bien que peu fortunés. L’une, sorcière, s’occupait de leur progéniture et l’autre, moldu, enchainait les petits boulots. Ils n’avaient pas grand-chose mais c’était suffisant. Elle était belle, descendre d’une vélane aidant, et il était amoureux. Tant amoureux que malgré une dévotion aigue à la religion catholique, il avait mis de côté ses croyances pour la femme qu’il aimait. Les pouvoirs de Théodora se manifestèrent à ses cinq ans, lorsqu’elle fit bouger une poupée sans la toucher. Ioana fut ravie de voir le sang des Vassilev perdurer… Tom lui en fut plus troublé. Bien sûr il connaissait sa femme et cette étrange part d’elle-même… Mais pourrait-il l’accepter chez sa propre fille, la chair de sa chair ? Ô Théodora, ma chère Théodora, tout aurait été bien plus simple si tu avais été une simple humaine.

« Oh, Theodora
You can't ignore her
And the boys they want so badly to explore her »

Tout aurait pu ainsi se passer pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cependant la vie est bien loin des contes de fées. Dans un conte de fée, Ioana Vassilev ne serait pas retournée en Bulgarie sous la pression de sa famille en 1998 après la chute de Voldemort par peur de représailles. Les Vassilev, grande famille sorcière bulgare, ont soutenu le Mage Noir durant son retour. Ioana n’aurait pas eu à choisir entre sa famille et sa survie. Elle n’aurait pas eu à abandonner sa petite fille de cinq ans dans les bras de son père moldu anéanti par le départ de sa femme. Dans un conte de fée, Théodora n’aurait pas passé de longues nuits dans des couvertures miteuses dans la banlieue de la capitale écossaise alors que son père travaillait tard pour un maigre salaire.  Mais comme une prémonition, la devise du clan Haig définirait la vie de la petite Théodora : « Tyde what may ».

Son enfance fut relativement calme malgré l’absence de sa mère. Élevée parmi les moldus, elle s’adapta parfaitement. Souriante et rayonnante, elle arrivait toujours à attendrir les cœurs les plus aigris, surtout lorsqu’ils étaient masculins. Allant tous les dimanches à la messe accompagnée de son père très croyant, Théodora récitait avec entrain les paroles écrites sur les carnets de cantiques sans se soucier que parfois ils condamnaient ce qu’elle était. Cela rendait fier Tom et lui faisait espérer que sa fille ne descende pas de Satan lui-même. Les maigres ressources qu’ils avaient apprirent très tôt l’importance de l’argent à la jeune fille, mais attisèrent aussi son envie des belles choses.

Peu avant ses onze ans, en juillet 2003, la jeune Haig reçut sa lettre d’admission à Poudlard. Sa joie était aussi immense que l’horreur qu’éprouvait son père. Il y en avait d’autres de ces démons, tant d’autres, et une école les rassemblait de surcroît ! Une aide financière en gallions fut allouée à Théodora pour s’acheter tout le nécessaire du parfait petit écolier. Une aubaine pour la jeune fille qui fut sûre d’acheter tout ce que la liste demandait. Son père se délaissa alors totalement de sa progéniture.

Son caractère curieux, chaleureux et combatif l’envoya chez les Gryffondors. Elle fut ravie de représenter les fiers lions. Sa scolarité fut douce et ses résultats honnêtes. Elle aimait l’astronomie et l’arithmancie. La première pour se rappeler que l’univers était bien plus vaste que ses tracas et la seconde pour tenter de rendre rationnel l’univers et le destin. Comme beaucoup de petites filles, ses rêves changèrent au grès de ses passions. Un temps éleveuse d’hippogriffes, un temps modèle pour balais volants. En grandissant, Théodora découvrit le pouvoir qu’elle avait sur la gente masculine et s’en amusa énormément. En tant que petite-fille de vélane, elle semblait parfois pouvoir demander ce qu’elle voulait à n’importe quel homme qui soit.  En mars 2010, à quelques mois seulement d’être diplômée de Poudlard, de finir sa septième année, et de véritablement commencer sa vie, tout bascula. Ô Théodora, ma chère Théodora, tout aurait été bien plus simple si tu n’avais pas fait le mauvais choix.

« But cut the chatter
It doesn't matter
Though if you got the dough then maybe you can have her »

Cette rumeur existait, cette rumeur si rassurante qui rapportait que Poudlard serait toujours là pour qui en aurait besoin. Peut-être que Théodora ne montra pas suffisamment son attachement à l’école ? Ou que sa faute fut si grave qu’elle n’osa pas se remémorer ces ouïes-dires ? En mars 2010, Théodora décida d’aller vagabonder dans la Forêt Interdite. Pourquoi ? Et pourquoi pas ? La solitude lui pesant, elle avait demandé avec insistance à un élève de son année de l’accompagner. Contre sa venue, il pourrait ainsi passer du temps avec Théodora, seul à seul. Mais la soirée passa et seule Théodora revint. Le corps de l’adolescent fut retrouvé quelques jours plus tard par des centaures. Elle ne voulut jamais expliquer ce qui s’était passé derrière ces ombres. En l’absence d’explication, de témoins et de réponses, et sous la pression des parents du disparu, des comptes furent rendus. Et Théodora, malgré son caractère curieux et combatif mais dont la chaleur semblait avoir disparu, fut renvoyée de l’école. Peut-être que son joli minois attendrit les autorités et elle n’eut qu’une sanction : les portes de Poudlard se fermèrent définitivement pour elle.

Le monde des sorciers l’avait jeté hors de ses bras protecteurs qui la reliaient, par un fil ténu, à sa mère. Il ne lui restait que son père, la prière et son Dieu.  Un Dieu qui semblait bien sourd à ses supplications, car Théodora trouva porte close. Tom avait enfin compris et fait pénitence : il avait succombé à la perfidie d’une succube et avait enfanté un enfant du Démon. Il ne laisserait plus ce dernier en son foyer ou en son cœur. Ô Théodora, ma chère Théodora, tout aurait été bien plus simple si tu avais été une simple humaine.

« Out in the city
Looking so pretty
And she's feasting on your sense of futility »

C’était étrange comme on oubliait si vite la pauvreté lorsque le luxe de Poudlard vous entourait. Théodora connut de nouveau la faim, la pluie, le froid, la peur et la fatigue. Seule la magie la préservait et c’était vers elle qu’elle se tournait. Livrée à elle-même dans l’immensité du monde, elle ne put se décider à rester à Edimbourg, elle devait partir et trouver du travail pour survivre. Il n’y avait plus qu’elle, elle et une devise qu’elle ne cessait de se répéter pour se donner du courage « Tyde what may. ». Londres, capitale, s’imposa comme une évidence. Mais Londres est grande, affamée et ne laisse que peu de chance à une gamine isolée. Du haut de ses dix-sept ans, que pouvait-elle faire ? Dans une ruelle, pas si loin du Chemin de Traverse qu’elle avait tant aimé arpenter, alors qu’elle tentait d’obtenir d’un marchand ambulant quelque chose à manger, une figure sombre s’approcha. Elle la complimenta sur sa beauté, son élégance et son sourire. Ce sourire presque inhumain. Et elle lui proposa un travail, un toit et à manger. Quelque chose de simple, où elle n’aurait qu’à charmer et se laisser emporter. Quelque chose de si simple pour tant de récompenses, il ne fallait pas manquer cette aubaine… Pas vrai Théodora ?

Son entrée au bordel, fut presque une célébration pour les résidents. Après tout, peu de maisons closes pouvaient se targuer d’avoir une véritable Vélane dans ses murs, quitte à évidemment maquiller la vérité. Son travail commença. Théodora n’était pas innocente, elle connaissait les plaisirs de la chair mais… C’était différent. « Plaisirs » ne correspondaient plus vraiment à ces situations. Un voile de tristesse et de cynisme habillait à présent la jeune fille devenue femme. Elle priait chaque soir pour une autre vie, une nouvelle voie. Quelque chose cependant gardait intact sa curiosité, sa pointe d’audace et son sourire. Jaeden Evans. Ils étaient les plus jeunes des lieux. Un garçon empli de rage qui lui sauva la mise plusieurs fois. Deux naufragés dans un monde bien trop adulte pour eux.

Lorsque Jaeden eut 18 ans, il se décida à quitter le bordel. Hors de question de se retrouver encore seule, entourée de ces tentures, de ces draps, de ces dentelles et de ces plumes qui la ramenaient encore et toujours face à ses choix désastreux. Théodora le supplia de l’emmener avec lui. A deux ils avaient survécu, ils continueraient de survivre. Et il accepta. Oh Dieu, il accepta. Ils se retrouvèrent à enchainer les petits boulots. Pour Théodora, serveuse, vendeuse, mannequin, plonge… Tout y passa mais rien qui leur permettait de vivre correctement. La vie continuait d’être difficile, elle se retrouvait comme deux ans auparavant, sans argent et sans espoir. Jaeden, lui aussi, enchaîna les petits boulots. Il se rapprocha du monde des courses de motos. Théodora continuait de le voir régulièrement mais il semblait se lier d’amitié avec d’autres personnes, des gens que la jeune femme ne trouvait pas vraiment fréquentable : la Cosa Nostra.

Pour Théodora tout changea un soir, alors qu’elle servait des bières, après un an de petits boulots cumulés. Elle croisa un vieux sorcier comptable, Hector Hightonbourg. Un homme affable, quelconque, qui avait cependant entre ses mains un pouvoir immense. Ayant toujours eu une affection pour les chiffres,  elle l’écouta alors qu’il commençait à lui montrer les ficelles du métier, un soir par semaine, entre deux bières. Et plus elle en découvrait, plus elle en redemandait. Pendant quatre ans, elle apprit de cet homme, qui ne semblait pas si important, des formules aussi bien magiques que mathématiques. Et finalement, Théodora put quitter ses petits boulots mal payés pour un poste d’assistante comptable que lui trouva Hector. Et alors, elle trouva une certaine stabilité et une envie de s’améliorer. De boulot en boulot, Théodora acquis des connaissances et retrouva peu à peu foi dans le lendemain. Mais ses capacités couplées à son manque de diplôme l’entrainèrent sur des sentiers moins légaux que ceux auxquels elle aurait pu prétendre autrement.

Jaeden rejoignit la Cosa Nostra en 2018. Théodora, avec ses places de comptable pour des branches plus ou moins légales de la société sorcière,  connaissait de nom cette organisation qu’elle considérait comme mafieuse – à juste titre. Jaeden lui avait assuré que c’était la meilleure chose à faire mais elle ne l’avait pas suivi dans cette voix. Du moins pas immédiatement.

« Under the moonlight
She's a satellite
Orbiting your animalistic appetite »

Tout changea une nuit en mai 2019, alors qu’elle rentrait d’un bar, accompagnée de Jaeden, après avoir oublié juste un soir cette vie pourrie qu’elle traînait comme un boulet. Et puis il y avait eu ces gars qu’elle ne connaissait pas. Ils prirent à parti Evans et tout se passa vite. Trop vite. Jaeden était sanguin et il en tua là, sous ses yeux. Et il intima à Théodora de mentir. Ainsi, elle aussi serait protégée par la Cosa Nostra. Tout cela semblait flou à la jeune femme, stupide, dangereux mais elle accepta. Elle accepta devant le regard sûr de Jaeden, devant la peur de la faim, du froid et de devoir à nouveau laisser des inconnus effleurer sa peau. Ô Théodora, ma chère Théodora, tout aurait été bien plus simple si tu n’avais pas fait le mauvais choix.

Et alors, en un claquement de doigt, une nouvelle vie s’offrit à elle. De par ses connaissances et son meurtre pour la Cosa Nostra, elle eut la possibilité de rejoindre la famille. Elle hésita, elle hésita pendant de longues nuits mais la perspective monétaire de cette position et la présence de Jaeden en son sein eut raison de ses réticences. Théodora Haig était à présent un membre à part entière de l’organisation. De la honte et une sensation d’imposture accompagnèrent le tatouage qu’elle reçut du dirigeant de l’organisation, Luca Zabini. Ainsi son bras s’orna d’une rose entourée d’un serpent. A ces sentiments s’ajoutèrent l’inutilité qu’elle se sentait être pour la Cosa Nostra et le monde en général. Après tout, dès qu’elle était face à des choix, elle choisissait toujours le mauvais. Et depuis un an, elle est là, à jongler avec les chiffres pour la mafia, pour le garage et le bar. Cela voudrait-il dire qu’elle a enfin trouvé sa place ? Elle ne prie plus tous les soirs aujourd’hui… Mais elle ne peut s’empêcher de le faire quelques fois, priant Dieu de la guider dans le droit chemin, elle qui a toujours la malédiction de foncer dans le mur. Ô Théodora, ma chère Théodora, que te réserve l’avenir ?

« She'll bring you down
Down to your knees
She'll have you calling, asking, begging, baby, please»