C’est autant l’amour que leur système de valeur qui a uni tes parents, Maxwell et Eleanor Lancaster. Ils appartiennent à des familles influentes du Blood Circle ; ta tante, sœur de ta mère, a même épousé George Kane. Ils sont de redoutables traqueurs de sorciers sous leurs dehors respectables – ils travaillent comme consultants, quoi que ce mot recouvre. Tout ce que tu sais, c’est qu’ils avaient de l’argent, assez pour posséder un hôtel particulier en plein cœur de Londres, entouré d’un grand jardin.
Tu es né trois ans après ton frère aîné, Victor. Nathan Matthew Lancaster, tel est ton nom complet à l’époque. Si ta vie commence comme celle de n’importe quel enfant moldu, tes parents t’apprennent vite la vérité. Les sorciers et la magie des contes existent, ils sont mauvais, il faut les anéantir. Un mantra avec lequel tu passes tes premières années. Ton père, surtout, ne mâche pas ses mots. « Monstres, engeance du diable, pourritures », tout y passe et tu finis par imaginer que les sorciers ressemblent à des ogres capables de prendre l’apparence des humains pour les piéger. Et tu es bien décidé à protéger l'humanité. C’est à ça que tu joues là où d’autres enfants s’amusent avec les super-héros. Tes personnages sont des membres du Blood Circle qui combattent les méchants sorciers – et qui gagnent.
Tu sais déjà tromper ton monde. Deux grands yeux verts, des cheveux bouclés que ta mère et ton frère aiment ébouriffer, un sourire rendu malicieux par un grain de beauté au coin de la lèvre, on te donnerait le bon dieu sans confession, et tu mets les adultes dans ta poche.
L’entraînement sérieux ne tarde pas à commencer. Ton père veut vous familiariser au plus vite avec le fonctionnement des armes ainsi qu'aux arts martiaux. Victor en profite du haut de ses trois ans de plus que toi, c’est souvent lui qui l’emporte et il ne te fait aucun cadeau. Mais cela t’oblige à travailler tes stratégies pour lui rendre la monnaie de sa pièce – et tu y consacres tous tes efforts. Ton père a la main leste, le perdant est souvent puni et les gifles de Maxwell laissent toujours leur marque. Ta mère est tout aussi sévère, mais elle ne lève pas la main sur vous. Des heures passées à répéter chaque mouvement jusqu’à atteindre force et fluidité, souplesse et précision.
Tu as six ans lorsque les choses prennent mauvaise tournure. En courant, tu dérapes sur le parquet et heurtes un guéridon sur lequel se trouve un – horrible – vase offert à ton père par une tante auquel il tient. Le vase s’éclate au sol. Tu t’es fait mal, mais ça n’a pas d’importance. Tu penses à la raclée que va te donner ton père, aux excuses qui ne suffiront pas. Par réflexe, tu attrapes un des morceaux. Alors que tu essaies de calmer ta panique, le morceau de verre t’échappe pour se recoller à ses voisins. Dans un tourbillon multicolore et un tintement cristallin qui te fait sursauter, le vase se reconstitue. Le cœur battant, tu vérifies que tu es toujours seul avant de l’attraper du bout des doigts. Pourvu qu’il ne se recasse pas ! Mais non. Tu le poses à sa place avec mille précautions avant de t’enfuir dans ta chambre. Tu t’écroules sur ton lit. Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que c’est… toi, parce que tu l’as voulu ? Mais les humains normaux ne peuvent pas faire ça, ça ressemble à… de la magie. Tu repousses le mot de toutes tes forces. Non. Tu n’es pas un monstre, tu n’es pas un sorcier et tu feras tout pour que ça ne se reproduise pas.
Mais ta promesse ne tient pas longtemps. Quelques semaines plus tard, c'est Robin qui est témoin d'une nouvelle manifestation magique. Lui aussi comprend tout de suite ce qu'il se passe. Paniqué, tu crains qu'il n'en parle, mais il promet de ne rien dire. Et il s'y tient. Cela te laisse du temps pour trouver comment te débarrasser de ces pouvoirs maudits.

« Alerte enlèvement – On est toujours sans nouvelles de Nathan Lancaster. Âgé de six ans, il est brun avec des cheveux bouclés, des yeux… »
Ta mère cherche une autre station.
« …avec sa mère Eleanor Lancaster… en possession d’une arme et pourrait se montrer dangereuse. Si vous les apercevez ou si vous détenez la moindre information, ne tentez en aucun cas d’intervenir, mais alertez la police. »
Une autre.
« Désespéré, le père de Nathan adresse un message à sa femme pour qu’elle ramène l'enfant… »
Depuis une semaine, le même message tourne sur toutes les stations. Tu as aussi vu ta photo dans les journaux et à la télé. Machinalement, tu glisses une main dans tes cheveux. Ta mère les a teints en blond et tu portes des fausses lunettes. Tu ne t’appelles plus Nathan non plus, maintenant c’est James.
Vous avez déjà changé trois fois d’hôtel et même de voiture. Celle de ta mère était trop connue du Blood Circle. Ils ne pardonneront pas sa trahison. Le cœur gros, tu te mords les lèvres pour retenir tes larmes. Tu dois être à la hauteur de ce qu’elle fait pour toi et tu espères qu’elle ne le regrettera pas. Dans l’absolu de ton cœur d’enfant, tu te promets de ne pas lui faire davantage de peine. Parce que tu n’oublieras jamais qu’elle a abandonné sa vie pour toi.
Un froissement sourd. Tu es réveillé avant même que la main de ta mère se pose sur toi. En silence, tu enfiles tes chaussures, attrapes ton manteau et ton sac à dos jamais défait. Moins d’une minute s’est écoulée et tu es prêt à partir.
Ils vous ont retrouvés. Un craquement te parvient. Ils remontent le couloir. Sans bruit, ta mère ouvre fenêtre et volet. Heureusement qu’elle a demandé à loger au rez-de-chaussée de la petite pension – cela fait déjà quatre mois que vous fuyez. Le vent de l’hiver te balaie le visage. Tu sautes dans le jardin. Ta mère te suit lorsque la porte s’ouvre.
— Stop !
— Cours !
Tu t’élances vers le bois voisin. Un coup de feu éclate. Des bruits de course. Certains étaient restés devant la maison. Tu forces sur tes jambes. Tu espérerais presque que le monstre en toi t'aide même si ça ne fera qu’empirer la haine qu’ils te portent.
Vous plongez dans les sous-bois, les traqueurs du Blood Circle sur vos traces. Ne pas ralentir, ne surtout pas regarder derrière, ignorer ton cœur qui cogne comme un fou. Courir.
Coups de feu.
Brûlure sur ton bras.
Une deuxième sur ton flanc.
Un cri t’échappe. « On l’a eu ! » Tu trébuches, te redresses aussitôt pour plonger sur le côté. Creux au pied d’un arbre. Tu t’y roules en boule, une main sur la bouche pour étouffer le bruit de ta respiration.
Une masse sombre passe, le rayon de la torche te frôle, mais ne s’attarde pas. Le monstre en toi reste tapi, sa noirceur tourne dans ta tête, tu serres les dents.
Enfin, les lampes disparaissent au milieu d’exclamations rageuses. Ils pensent t’avoir raté finalement. Tu attends encore, puis tu te redresses. Tes blessures brûlent. Ton pyjama s’est collé dessus.
Mais tu tiens debout.
Tu rejoins la voiture garée à distance prudente pour qu’ils ne puissent la mettre hors d’usage. Tu émerges des bois avec précaution, ta mère surgit. Tu refuses qu’elle t’examine. La fatigue te brouille l’esprit, tu ne sens plus vraiment la douleur, ça ne doit pas être bien grave.
Les monstres, c’est dur à tuer.
Ce n’est que quelques dizaines de kilomètres plus loin qu’elle s’arrête. Tu grimaces quand l’eau tiède coule sur ton pyjama. Le saignement reprend dès que le vêtement cesse de faire pansement. Ta mère te bande le bras et le flanc. Tu as eu de la chance. Tu garderas quand même des cicatrices.
La France. Après des mois de fuite, c’est là que vous avez atterri. Maintenant, tu t’appelles Antoine. Le nom sonne étranger, tu t’efforces de te couler dans cette existence, comme si tout était normal – mais rien ne l’est. Ta mère cumule les petits jobs, tôt le matin ou tard le soir, pour être avec toi la journée. Elle te fait travailler comme à l’école, te récupère des livres quand elle peut. Livres d’histoire, de sciences, tu veux tout savoir. Elle t’entraîne aussi. Combats à mains nues, avec une lame… c’est un peu de la vie d’avant que tu retrouves alors – même si cette fois c’est pour te protéger des tiens, non les aider. Tu gagnes encore en souplesse et en force, travailles même quand tu es seul – ta rapidité et ton agilité peuvent faire la différence entre la vie et la mort. Il n’y a qu’aux armes à feu qu’elle ne peut pas te préparer.
Tu as appris à guetter les moindres bruits anormaux, à distinguer les pas des voisins, à repérer les issues de secours. Toute ta vie tient dans un sac à dos que tu ne défais jamais, prêt à repartir à la moindre alerte. Tu dois être prêt, le jour où ils te retrouveront.
Après deux déménagements supplémentaires et un nouveau changement d’identité, ta mère t’inscrit à l’école. Tu attendais ce moment tout en le redoutant. Et si le monstre dans ta tête ressort pour attaquer les autres ? Ta mère a essayé de te parler du monde de la magie, mais tu refuses de l’écouter, tu ne veux pas nourrir l’ogre en toi. C’est un combat de tous les jours de le garder sous contrôle, de l’empêcher de te dévorer. Monstre, monstre, monstre. La mélodie inlassable ne te lâche pas, te poursuit dans tes cauchemars, te réveille la nuit. Tu as peur de t’endormir, de te transformer, de devenir affreux comme dans les récits de ton père et de ton frère. Tu ne veux pas être un sorcier.
Tu aimes apprendre, les autres enfants t’invitent dans leurs jeux. D’un autre côté, dès le premier jour, tu as fait le tour de l’école, repéré la sortie de service, et par chance on t’a assis près de la fenêtre d’où tu peux surveiller la cour. Remplacer ton sac à dos par un cartable te laisse étrangement vulnérable.
Évidemment, essayer d’agir comme si tu n’étais pas une erreur de la nature était voué à l’échec.
La première fois, ça fait presque illusion. Les autres élèves jouent au basket et tu te joins à eux, mais les grands t’empêchent de marquer. Jusqu’à ce que tu sautes, pratiquement sans élan, jusqu’au niveau du panier. Les notes entraînantes, que toi seul entends, signent le passage à l’acte. Tu as beau te défendre, les autres t’accusent d’avoir triché.
La deuxième fois, les grands te poursuivent et tu n’arrives pas à leur échapper. Ta vitesse les prend au dépourvu, mais ils sont plus nombreux et te contournent pour te prendre à revers. Le monstre veut sortir et tu luttes pour l’en empêcher. Jusqu’à ce que l’ogre noir et violet sorte dans son grondement de grosse caisse, bouscule deux de tes poursuivants et te propulse sur le toit du préau. Les grands hurlent que tu les as blessés, prennent des photos, disent que tu t’es envolé.
Avertie par la directrice, ta mère vient te chercher. Vous quittez la ville.
— Maman, est-ce qu’on peut arrêter d’être un monstre ?
Elle s’est retournée, mais tu n’arrives pas à la regarder. Tu fixes le sol, un vieux lino taché, troué. Ton sac sur tes genoux, écrasé de fatigue, tu ne sais plus quoi faire. Ton père aurait dû te tuer, ça aurait été plus simple.
Ta mère s’agenouille à ta hauteur, referme ses mains sur les tiennes. Elle est chaude là où tu es glacé.
— Tu n’es pas un monstre.
— Mais si ! Je fais du mal aux gens ! J’ai… des pouvoirs. Je fais tout pour ne pas les utiliser, mais ils sortent quand même.
Tu lui décris le monstre, la pression permanente, ta peur de faire du mal aux autres. Les couleurs un peu bizarres et la musique qui les accompagne. Quand tu te tais, elle te serre contre elle
— Tu n’es pas un monstre, chaton, je ne veux plus jamais que tu le penses. Est-ce qu’un monstre se soucierait du mal qu’il pourrait infliger aux autres ? Tu n’as blessé personne. Tu es un sorcier, ça ne fait pas de toi une personne mauvaise.
— Mais…
— Écoute-moi. Ton père et moi pensions beaucoup de choses, mais elles sont fausses. Les sorciers ne sont pas plus mauvais que n’importe qui d’autre, ils ont seulement un pouvoir en plus… et une responsabilité dans la manière dont ils l’utilisent. Tu peux choisir de faire le bien avec, tu comprends ?
Timidement, l’espoir renaît.
— Mais je ne contrôle rien !
— Tu es trop jeune, tu auras une baguette pour t’aider. Mais tu ne dois pas lutter contre tes pouvoirs. Ils font partie de toi, tu ne peux pas les détruire.
C’est même l’inverse. Le Blood Circle a découvert que les jeunes sorciers pouvaient perdre le contrôle de leur don et devenir des créatures de ténèbres incontrôlables.
Ce n’est qu’à Poudlard, des années plus tard, que tu comprendras le sens de ses mots, à quel point tu es passé près de devenir un Obscurus. Mais pour l’heure, ses paroles te rassurent. Tu n’es pas un monstre, tu as le droit de vivre, et tu peux être un gentil sorcier.
Bien sûr, tout ne se règle pas en un soir, il te faut des mois pour faire la paix avec ta magie, comprendre les couleurs et la musique – le violet malsain du monstre s’estompe, il y a le bleu qui te protège, le jaune qui se manifeste dans tes rares moments de joie ; les notes sont douces ou fortes, menaçantes ou rassurantes, calées sur tes émotions et sur ce que la magie véhicule.
Ta mère avait raison : une fois apaisé ton lien avec la magie, le monstre ne revient plus.

*

La fin de la sixième année arrive. Sac au dos, tu quittes la gare, guettes ta mère. C’est votre petit rituel, ces retrouvailles, même si tu lui as déjà dit que tu étais trop grand – mais tu aimes ça, tu ne le nies pas.
Cette fois, elle n’est pas là. Un empêchement ? Son patron modifie parfois ses horaires au dernier moment et, forcément, ton téléphone ne fonctionne pas à Poudlard. Nox, le hibou qu’elle t’a offert pour tes quatorze ans, a voyagé avec toi.
Malgré tout, c’est l’inquiétude au ventre que tu quittes la gare, en t’assurant qu’on ne te suit pas. Tu prends un chemin détourné, observes l’immeuble sans rien détecter de particulier. Personne n’attend dans les voitures garées, les gens circulent normalement… Tu te décides à rejoindre le bâtiment, mais tu connais trop bien le frisson électrique qui court entre tes épaules.
Tu dédaignes l’ascenseur pour l’escalier de service, montes sans bruit. Tu gagnes votre appartement, t’arrêtes pour écouter. Tu regrettes de ne pas pouvoir utiliser la magie. Deux mois encore avant ton anniversaire, avant tes 17 ans, avant ta majorité sorcière. Tu finis par sortir tes clefs. Au moment où tu ouvres la porte, celle du voisin s’entrebâille. Le petit vieux toujours à l’affût d'un ragot, qui essaie de savoir pourquoi tu es en internat.
— De retour pour les vacances ?
— Oui.
— Ta mère m’a dit qu’elle rentrerait plus tard, elle ne devrait plus tarder.
Tu abrèges la conversation aussi vite que possible sans lui claquer ta porte au nez. L’instinct acquis en dix ans – le chiffre te frappe au ventre d’un coup – ne se tait pas.
Sans ôter ton sac ni ton manteau, tu fais rapidement le tour de l’appartement. Il ne manque que le manteau et le sac à main de ta mère. Elle n’est vraiment pas rentrée. Tu rejoins la fenêtre, observes la circulation. Un fourgon noir se gare au pied de l’immeuble, trois hommes en tenue de combat en sortent. D’accord. Impossible de passer par l’escalier de secours sans qu’ils te voient.
Tu ressors sur le palier en maudissant le voisin, rejoins l’escalier de service. Aucun bruit. Ils ont dû prendre l’ascenseur. Malgré toi et la pointe dans ton ventre, tu attends, la porte entrebâillée sur un demi-centimètre. Tintement de l’ascenseur. Ils sortent, armes à la main. Tu n’attends pas qu’ils se rendent compte de ta disparition pour dévaler l’escalier. Pause en bas, le temps de t’assurer qu’ils n’ont laissé personne en sentinelle, puis tu files par l’entrée de service.
La nuit tombe lorsque tu t’arrêtes pour faire le point. Ils ont capturé ta mère. Un bloc de glace te tord l’estomac. Qu’est-ce qu’ils vont lui faire ? Qu’est-ce que ton père et ton oncle vont lui infliger pour s’être moquée d’eux aussi longtemps, surtout quand ils sauront que tu t’en es sorti ? Est-ce qu’ils… Non, ils ne peuvent pas la tuer.
N’est-ce pas ?
La vérité, c’est que tu n’en sais rien.
Stop. Pour l’heure, tu ne peux rien pour elle. Tu dois d’abord t’organiser. Tu as 16 ans, et tu es seul dans une capitale, sans abri et quasi sans argent. Les quelques pièces de monnaie sorcière ne te mèneront pas loin. Pas plus que la petite centaine de livres que tu as sur toi.
La peur au ventre, tu traînes dans les rues de Londres, craignant à chaque instant qu’un membre du Blood Circle te reconnaisse. Tu finis par trouver une maison abandonnée. Forcer la serrure ne représente aucune difficulté. Au moins, tu seras au sec.
Tu n’arrives pas à fermer l’œil. Le moindre craquement te donne l’impression que quelqu’un vient d’entrer.
Dans les quinze jours qui suivent, tu t’organises, cherchant des petits boulots qui te permettront de manger à la fin de la journée, et quelque chose sur le plus long terme. Tu reviens rôder chez vous, tout en sachant que c’est de la dernière stupidité. De loin, tu aperçois des hommes qui ont l’air d’être en armes, et tu fais demi-tour aussitôt. Tu repasses devant la demeure de ton enfance, malgré les risques, sans apercevoir aucune trace de ta mère.
Tu ne dors jamais deux nuits de suite au même endroit, restes en mouvement autant que possible. Un moment, tu envisages de quitter Londres, mais pour aller où ? Ici ou ailleurs, le Blood Circle ne te lâchera pas.  Toutes vos précautions n'auront pas suffi.
Ne pas pleurer. Tenir droit. Vous saviez que ça pouvait arriver.


TW : viol (description non détaillée)

Ce que tu n’avais pas prévu, c’est de tomber malade. À force d’enchaîner les nuits froides sans dormir, les boulots, de ne pas manger tous les jours, la pluie londonienne, l’angoisse qui ne te quitte plus, ton corps flanche, mais tu ne t’en rends vraiment compte que ce matin d’août, une dizaine de jours avant la rentrée, où tu te réveilles brûlant de fièvre et glacé, tremblant de tout ton corps.
La journée passe dans un brouillard opaque. Les quintes de toux te déchirent la gorge. Dès que tu tentes de te lever, les vertiges te renvoient à terre. Rien ne te réchauffe, ton front reste brûlant. Ce n’est que le soir que tu parviens à émerger assez pour sortir. La tête te tourne, tu trébuches, mais tu dois… trouver un médecin, une pharmacie, de quoi manger ou simplement un peu de chaleur. Alors que tu remontes une rue étroite, ton instinct se réveille – juste à temps pour apercevoir la bande qui te cerne et en veut à tes affaires. Tu essaies de fuir, mais tu es trop faible pour les distancer. Ils te coincent rapidement ; tu ne te rendras pas sans combattre.
Un coup de poing dans le ventre te coupe le souffle, un genou t’envoie au sol. Tu te débats, cramponné au sac qu’ils tentent de t’arracher.
— Eh, vous, arrêtez !
Des chocs sourds. Lorsque tu redresses la tête, un homme se tient là, souriant.
— Eh bien, qu’est-ce que tu trimballes là-dedans, gamin ? La couronne d’Angleterre ?
Tu resserres ta prise quand il se penche vers toi, mais il affiche seulement une mine inquiète. Tu le reconnais, tu l’as déjà aperçu dans le quartier, avec une expression qui t’a toujours mis mal à l’aise et a fait hurler ton radar à ennuis. Tu l’as évité avec soin.
Quand tu te redresses, tu manques de t’écrouler. L’homme te rattrape au vol.
— Viens. Tu as besoin de te réchauffer.
Sa main est ferme sur toi. Il ne te laisse pas aller quand tu tentes de te dégager, mais tu n’es pas sûr de tenir debout seul. Et s’il ne s’agit que d’un café…
Tu te retrouves assis sur une banquette, un mouchoir sur le visage pour éponger le sang, l’autre main serrée sur ton sac, les pensées brumeuses, incapable de réfléchir.
Un thé atterrit sous ton nez. Dans un réflexe, tes doigts se referment dessus, la chaleur remonte dans ton corps et achève de t’engourdir. Ton corps se partage entre l’envie de fuir cette gentillesse suspecte et celle de reprendre des forces. Cette dernière finit par l’emporter.
Sans plus réfléchir, tu bois.


Tu ne te souviendras jamais de cette nuit autrement que par des flashs. Son corps lourd sur le tien, ses mains partout sur ta peau, dans tes cheveux, ses lèvres sur les tiennes. Ses mots qui te disent que tu es mignon, juste assez jeune. L’horreur, le dégoût, ton incapacité à te défendre. Le goût atroce dans ta bouche le lendemain, le réveil à moitié nu, les spasmes qui te secouent au-dessus des toilettes, mais tu n’as rien à rendre. La chambre déjà vide.
Tes gestes mécaniques. L’envie de fuir. La douche, à te frotter la peau jusqu’au sang pour enlever toute trace de son contact, en vain. Tes vêtements – pas ceux que tu portais, ceux-là tu les abandonnes.
Pour toute trace de l’autre, un billet sur la table de chevet. La honte et le dégoût te submergent. Le prendre, ne pas le déchirer te demande toutes tes forces. Si tu ne le prends pas, tu vas crever. Et Merlin sait à quel point tu en as envie ! C’est ta mère qui te retient. Tu ne peux pas ruiner les dix ans qu’elle a sacrifiés pour toi.
Tu fuis.
Achètes médicaments et nourriture.
Ne remets plus les pieds dans le quartier.
Les dix jours jusqu’à la rentrée passent dans une brume dont tu ne te rappelles rien. La seule chose sûre, c’est que tu es toujours vivant le 1er septembre. Enfin, vivant… Tu marches, tu parles, tu manges, mais quelque chose s’est éteint en toi, la seule idée de te retrouver dans un dortoir te donne envie de vomir.
Chaque jour est un combat épuisant que tu remportes, avant de devoir recommencer le lendemain. Tu ne supportes plus le moindre contact ; manger te répugne.
Au fil des mois, tu arrives à redresser la barre, à aller non pas un peu mieux mais un peu moins mal. Le retour de l’été te tord le ventre, mais tu es majeur, tu as le droit d’utiliser la magie, tu ne laisseras plus jamais personne te toucher.

Tu t'inscris à l'université. Tu n’as aucune idée de quoi faire de ta vie, mais au moins tu auras un toit et à manger dix mois sur douze. Entre les Mangemorts qui veulent tuer les nés moldus et le Blood Circle qui te traque, tu ignores comment tu vas t’en sortir. Ou plutôt si : l’un des camps finira par te mettre la main dessus et se débarrasser de toi. Tu auras passé ta vie à fuir. Malgré l’envie de renoncer, malgré la perte de sens, ta volonté de vivre ne t’abandonne pas complètement.
La plus grande liberté donnée aux élèves de l’université te permet de travailler en plus des cours, le soir ou le week-end, tu en profites pour économiser.
La fin de ta première année d’université voit pourtant la situation s’aggraver, comme un cauchemar de plus qui devient réalité. Ton oncle devient le premier ministre moldu. La nouvelle te glace. Sans parler de qui tu es. Si jamais les sorciers découvrent ta réelle identité… tu ignores ce qu’ils te feront. Est-ce qu’ils pourront croire que tu n’es pas de son côté, que tu n’es pas un espion infiltré ?
L’été qui suit, tu cherches encore des traces de ta mère, retrouves celle de ton cousin, Robin, aperçois des bribes de sa vie parfaite – avec sa famille, son beau métier, comme le reflet de ce que tu aurais pu être. Tu regretterais presque que le sérum anti-magie n’ait pas été inventé plus tôt – mais tu sais aussi que tes pouvoirs font partie de toi, que t’en priver serait comme t’amputer d’une partie de ton âme. Tu n’oses pas approcher Robin, trop incertain de ce qu’il est devenu, mais tu passes régulièrement devant son cabinet, comme hypnotisé.
Seul tu ne t’en sortiras pas. Seul l’Ordre peut te donner une chance et peut-être un sens à ta vie. Sentiment renforcé lorsque tu te fais capturer au mois d’octobre, bêtement, par hasard, par chance par des Blood Circle qui ne sont pas assez proches des tiens pour te reconnaître immédiatement, même si des lueurs de doute s’allument quand ils te voient de près. L’intervention de l’Ordre du Phénix et des Mangemorts, quelques heures après, te sauve, même si après ça, tu es sûr que tu as été identifié.
Qu’à cela ne tienne, tu ne resteras plus sur le côté dans le conflit qui commence.