Une lumière dans le visage et un bruit de chaise tirée. Un homme est assis de l’autre côté de la table en métal.

« Soldat. Reprenons depuis le début. Nom, prénom, matricule. »

« Baring. Olivia. Expiré. »

Un long silence. Voilà ce que j’étais à présent aux yeux de l’armée : expirée.

L’Armée pour famille.

Olivia Viviane Baring est née le 12 juillet 1992 à la base militaire de la Royal Air Force de Waddington. Fille d’Arthur Nicolas Baring, alors ingénieur militaire âgé de 26 ans et de Lilian Nicole Baring, Flight Lieutenant, née Mackenson, de deux ans son ainée.
La famille Baring trouve ses origines dans l’aristocratie anglaise. Mais plus la Révolution Industrielle approcha, plus la difficulté de maintenir un château et un domaine se fit délicat. La Première Guerre Mondiale eut raison de la fortune familiale qui se dispersa entre les héritiers. Quant aux possessions terrestres, elles revinrent à la Reine. Le sang qui coule dans les veines de cette branche-ci des Baring est loin d’être une digne représentante de la pureté aristocratique. Quoique l’ajout à la lignée de Lilian Mackenson, mariée en 1988 avec le descendant Arthur Baring, eut pour effet notable de rallier à nouveaux les deux familles depuis longtemps amies.

En effet, Mackenson et Baring sont liés par leur arbre généalogique mais surtout par leurs croyances : les sorciers méritent de mourir tant ils sont une menace pour l’humanité. Simple et précis. Un moto plutôt facile à suivre, les Baring fournissant de nombreux guerriers pour continuer cette guerre invisible depuis le début.

L’armée est une institution chez les Baring. La mère, Lilian a gravi les échelons de la Royal Air Force jusqu’au grade de Air Commodore, malgré trois grossesses et un sexisme particulièrement développé. Le père, Arthur est quant à lui Ingénieur en Chef de la base de Waddington. Un grade important bien qu’il ait depuis longtemps abandonné le champ de bataille. Une particularité de cet homme réside dans sa fascination pour l’univers arthurien. Il n’est donc pas étonnant que ses trois enfants portent comme second prénom, Lancelot, Viviane et Gwen.

Le spectre militaire c’est également étendu chez les enfants : Timothy Lancelot Baring, Caporal de l’armée de terre britannique et Olivia Viviane Baring, qui elle rêvait encore alors de devenir Cheffe d’escadron (Squadron Chief) dans la Royal Air Force, suivant les pas de sa mère. Seule la petite dernière semblait avoir été épargnée par l’Armée. Peut-être était-ce pour correspondre à cette ancienne tradition qui, chez les familles aristocratiques d’un autre temps, désignait le futur de chacun par sa place dans la fratrie : l’héritier, le militaire et le curé. Ici ce dernier se manifesta dans les traits d’Emily Gwen Baring qui décida de suivre des études pour devenir Prêtresse anglicane.

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« Miss Baring. Comment en êtes-vous arrivé là ? D’après votre dossier vous étiez un formidable atout pour ce pays. »

« Ce pays m’a relégué au placard. Mais je continue quand même à le servir et à le protéger. »

Du berceau au cockpit.

L’enfance chez les Baring est difficile. Car les exigences demandées aux enfants étaient extrêmement élevées. Que ce soit au niveau sportif ou intellectuel, l’excellence n’était pas suffisante. Ainsi comme son frère et sa sœur, Olivia appris à se dépasser pour des choses et des valeurs en lesquelles elle croyait : sa famille et sa patrie.  En témoignait une tradition familiale. Elle consistait, à chaque anniversaire du bambin, en un combat contre la mère Baring. Cela commençait au onzième anniversaire. Ainsi, dans le jardin de la petite maison sur la base militaire, dès qu’Olivia atteignit sa onzième année, comme son frère avant elle et sa sœur par la suite, elle combattit à main nue sa mère. Cela allait de pair avec la révélation fatidique : le monde qu’elle connaissait n’était pas tout à fait complet. La magie était bien réelle mais extrêmement dangereuse. Tellement dangereuse qu’il fallait de courageux hommes et femmes pour tenter de la détruire avant qu’Elle ne détruise l’humanité. Évidemment c’était un secret qui devait être protégé au péril de sa propre vie. Mais cette vie n’était pas à donner facilement, à qui que ce soit.

Ainsi les entrainements commencèrent. Combat à mains nues, parcours du combattant, arme à feu et armes blanches. Les enfants Baring auraient pu être acceptés dans les forces armées à 15 ans à peine, si ce n’avait été une question de maturité aussi bien psychologique qu’émotionnelle ou physique.

Bien que sauver le monde ne quittait pas leurs esprits, ils purent tous jouir d’une enfance relativement normale, avec des hauts et des bas. Olivia tomba quelque fois amoureuse de beaux soldats dans leur uniforme et eut même quelques explorations des corps adolescents. Ce fut une enfance et une adolescence douce sur lesquelles la jeune femme garde des souvenirs tendres. ET puis, les rares idiots qui tentèrent de lui voler son goûter durent porter une attelle pendant deux mois.

Avoir deux parents dans l’armée rendait leurs absences fréquentes. Très tôt Timothy et elle durent se débrouiller seuls, se serrer les coudes et surveiller Emily. La vie était plutôt facile sur la base militaire, surtout qu’ils étaient relativement bien intégrés, que ce soient par les exploits de leurs parents ou leurs talents à eux. Vivre entourés d’avions donna naturellement à Olivia l’envie de découvrir le monde et surtout de voler. Elle se mit très tôt au pilotage, tout d’abord en simulateur mais aussi dans les petits modèles civils, les ULM, qu’elle arrivait à emprunter, sous la surveillance d’un des pilotes ou même de sa mère. Cette sensation de s’élever dans les cieux la rendait extatique alors qu’une infime dose d’adrénaline était relâchée dans son sang.

Le jour de ses 18 ans, elle s’enrôla chez les Cadets de la Royal Air Force, sous l’œil fier des parents. Son frère, s’était aussi enrôlé à sa majorité trois ans auparavant, mais avait plutôt choisi la voie de la terre, aimant les bolides blindés que cette branche de l’Armée pouvait lui offrir. Ayant déjà une connaissance excellente du monde militaire, elle dût ouvrir son horizon à celui plus civil pour des questions pratiques. Une chose étrange lorsque l’on est née dans l’Armée et que ce dernière ne nous a jamais quittée.

L’année 2010 marqua également un tournant dans la vie des Baring. Timothy, lors de son combat maternel annuel, triompha enfin de Lilian. Cette dernière, à terre, n’aurait pu être plus fière de son ainé. Il était prêt à conquérir le monde et tous les Baring le savaient.

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« Vous avez soif Miss Baring ? Un peu d’eau peut-être ? »

« Non. J’ai l’habitude de la soif. »

Per Ardua ad Astra.

Le sexisme dont l’avait averti à de nombreuses reprises sa mère, lui arriva en pleine face lors de sa formation. Une dizaine de filles pour l’ensemble de la promotion, cela rendait difficile la parité et la pensée qui allait avec. S’éloignant de sa famille et de ces histoires de sorciers, Olivia en trouva une nouvelle avec les autres cadets et plus tard avec son escadron. D’un caractère affirmé, elle eut tôt fait de se faire accepter et, après quelques tentatives infructueuses, les garçons de la promotion comprirent qu’elle n’était pas là pour jouer un vulgaire trophée qu’ils pourraient s’arracher. La solidarité féminine était également une nécessité. Alicia Newton fut son amie pendant toute leur formation. Elles firent les quatre cent coups ensemble. Cependant, un rapprochement, un soir, un baiser, eut tôt fait de rendre leur relation particulièrement étrange, l’une et l’autre ne sachant pas vraiment comment gérer cette situation. Elles s’éloignèrent petit à petit, la boule au ventre et le cœur meurtri, prenant des chemins différents. Alice voulait finalement rester au sol et guider ceux qui, comme Olivia, n’aspirait qu’à voler.

Lors de son premier vol en solo, seule dans son appareil, Olivia sut qu’elle avait fait le bon choix. À la fin de sa formation, elle fut affectée à l’Escadron 6 dont la devise était simple : Oculi Exercitus. Ils étaient les yeux de l’armée. Leur blason, un aigle, ailes dressés, attaquant un serpent, était leur signe d’appartenance. Ce pour quoi ils se battaient. Olivia partit sur le terrain pour la première fois en 2015. Toute sa vie l’avait menée en cet instant, en ce lieu pour défendre son pays et servir le Royaume-Unis.

Alors qu’elle était en opération au Moyen-Orient, elle reçut des nouvelles de sa famille. Dans son cocon militaire, entourée de dunes, elle en avait presque oublié les collines verdoyantes et la famille Baring. Cela n’arriverait plus. Ce fut son père Arthur qui lui annonça la mort de son frère ainée. Il avait comme tant d’autres soldats avant lui été pris dans une embuscade, un peu plus loin de son stationnement à elle. Peut-être même était-elle en train de jouer au football avec son escadron lorsqu’il avait rendu son dernier souffle. Cette perte la secoua énormément. Timothy était son grand frère, invincible et son meilleur ami. Et elle ne le reverrait plus jamais. Du jour au lendemain il n’était plus dans sa vie.

Olivia obtint une permission exceptionnelle pour les obsèques. Revenir en Angleterre dans ces circonstances et revoir sa famille la secouèrent encore davantage. Se parents avaient les traits tirés et de nombreuses rides, ils n’étaient plus aussi imposants qu’avant. Eux non plus n’étaient pas invincibles. Sa sœur, Emily, était entrée dans les ordres, délaissant sa vie d’humaine avant même d’avoir pu véritablement y goûter. Ce fut elle qui assista le prêtre lors des dernières paroles.

En cette soirée de fin septembre, suivant la mise en terre avec tous les honneurs de Timothy, Olivia trouva sa mère dans le jardin. Cette femme si forte, qui commandait des armées, n’était en cet instant qu’une mère éplorée. Jetant un regard à Olivia, enlevant ses chaussures à talons, elle lui ordonna de venir combattre. Olivia se plia à l’ordre. Ce fut la première fois qu’elle fut capable de battre sa mère, dans ce petit carré de jardin qui en avaient vu bon nombre des confrontations. Elle avait 23 ans. Timothy n’était plus l’héritier des Baring. Olivia Viviane Baring avait pris cette place contrainte et forcée par le destin. Lilian ne fit que lui tapoter l’épaule en signe de reconnaissance. Elles savaient toutes les deux les circonstances qui avaient menée Olivia à ce rang.

Olivia ne se remit jamais vraiment de la perte de son frère. Son moyen de combattre la peine fut de combattre davantage tout simplement. Elle eut des résultats assez exceptionnels et continua de gravir les échelons militaires. Comme sa mère avant elle. Son parcours militaire était exemplaire. Une fierté pour elle et tous les Baring. Elle le raconta à son frère, visitant sa tombe à chaque permission : le diner de famille et le cimetière, voilà les arrêts familiaux qui lui semblaient indispensables.

Et puis cette carrière fulgurante, qu’elle vivait pour elle et son frère prit fin violemment. Aussi rapidement qu’il faut à un avion pour décrocher et s’écraser au sol.

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« Un accident je lis… Chienne de vie pas vrai ? Il y avait pas mal d’autres voies que celle que vous avez emprunté Miss Baring.. »

« … »

Continuer de voler même avec les pieds vissés au sol.

Presque huit ans dans l’armée ça vous change une vie. Blessée après que son avion ait été abattu et que le système défaillant d’éjection lui ait sauvé la vie mais mis fin à sa carrière. Plusieurs organes touchés, quelques bouts métalliques à vie dans sa chair, des maux de tête réguliers et une réformation. Voilà ce que lui avait apporté son accident. En discutant avec les autres pilotes, elle fut présentée comme « chanceuse », on n’arrêta pas de le lui répéter. Mais plus jamais elle ne volerait avec l’Escadron 6 dont elle ne serait jamais le leader. Comment pouvait-elle être « chanceuse » ?

Après avoir récupérée de ses blessures, il lui fut proposé un poste administratif pour quelques temps, un emploi placard. De la paperasse, l’Armée montrant qu’on ne laissait personne derrière. On lui proposa même une promotion… Mais aucune n’incluait de revoler, pas même pour le civil. Quelques résidus de stress post traumatiques maculaient également son esprit, ce qui n’arrangeait pas les choses. Olivia ne le supporta pas et claqua la porte à sa famille militaire.

Son creux de la vague fut les temps qui suivirent. Ses parents la reprise chez eux. Maintenant dans des positions élevées, ils restaient plus longtemps sur la base ou du moins en Angleterre. Ce fut pendant ce temps qu’elle retrouva cette part sombre de l’histoire des Baring, celle qui sauvait le monde des atrocités sorcières. Comme en mars 2018 après une attaque particulièrement sanglante de Mangemorts. Plus la Magie semblait se révéler, plus Olivia sentait le besoin de reprendre les armes pour son pays. Encouragée par ses parents, elle rencontra Erebe Mackenson. Un homme imposant. Major Général, il connaissait bien l’armée mais encore plus la traque des sorciers. Olivia ne sut jamais vraiment ce qu’il avait vu en elle, probablement une pilote brisée par la vie qui cherchait pas tous les moyens un but. Quoi qu’il en soit, il le lui accorda un.

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« C’est du matériel de qualité que vous avez là. Un fusil à pompe hein ? Et de jolies menottes ?»

« J’aime me sentir en sécurité. Londres n’est plus ce qu’elle était Monsieur l’Agent. »

L’adrénaline de la chasse.

Son passif aussi bien familial que militaire, lui facilita la vie concernant l’entrainement. Cependant l’ennemi qu’elle devait à présent combattre était bien différent de tout ce qu’elle avait pu jusqu’alors rencontrer. Gilets anti-magie, menotte et collier, elle se fit bien vite à ce nouvel équipement. Éliminer des sorciers fut plus délicat. Dans son avion, elle n’était jamais directement en face à face avec son adversaire. Bien sûr elle avait déjà tué. Mais regarder dans le blanc des yeux sa victime, c’était tout autre chose. Les méthodes parfois de guérillas utilisées par le Blood Circkle la mirent de plus plusieurs fois mal à l’aise. Ce type de combat avaient longtemps été celui des ennemis lorsqu’elle était stationnée au Moyen-Orient. L’attentat de février 2019 fut sa première mission. Elle n’en garda pas un bon souvenir mais cela eut au moins le mérite de montrer au monde la menace qu’était les sorciers. Voir arriver un Kane comme Premier Ministre empli le cœur d’Olivia d’un nouvel espoir. Peut-être arriverait-il à un accord, comme un renoncement des sorciers à utiliser leurs pouvoirs ou les voir exilés quelque part ?

Mais les ripostes incessantes lui firent bien vite oublier cette possibilité. Lorsque l’ennemi ne voulait pas parlementer, c’était à ce moment-là qu’on faisait appel à des gens comme elle. Elle ne fut pas présente à la prise de l’université mais elle y fit quelques incursions par la suite pour mater deux trois sorciers un peu récalcitrants. À chaque fois, elle ne put s’empêcher de ne voir que des ados, des gamins qui n’avaient pas choisi ces pouvoirs. Ils étaient simplement nés avec. Plusieurs de ses collègues du BC se moquèrent d’elle et son cœur trop tendre. Un coup de poing dans le nez pour l’un et un coup de pieds dans les parties pour l’autre leur apprirent à ne pas trop la chercher.

Aujourd’hui, elle vit dans un petit appartement à Londres, gracieusement loué par les Mackenson à un prix dérisoire comparé aux exubérances habituelles de la capitale britannique. Erebe lui avait demandé de se trouver un travail de « couverture », de quoi subvenir à ses besoins primaires tout en lui donnant une identité autre qu’une ancienne militaire au chômage. Cela était moins étrange en cas de contrôle par les forces de l’ordre. Grâce à ses anciennes connexions, elle réussit à se faire embaucher à mi-temps au Musée de la Royal Air Force de Londres. Qui est plus à même de présenter la RAF que quelqu’un en ayant fait partie ? Il va sans dire qu’elle est quelque peu chamboulée par tout cela : revoir de vieux engins et des noms de soldats tombés au combat, il y a de quoi ressasser le passé. Les cauchemars sont récurrents et parfois des pertes de mémoire. Mais qu’importe, elle est un soldat avec une mission en territoire ennemi. Elle n’a pas le temps pour autre chose et puis ces quelques cachets qu’elle prend régulièrement lui permettent de parfois dormir un peu. Et le fusil à pompe, son arme de prédilection, caché sous le lit. Ainsi que son couteau de combat dans sa botte gauche. Oui, elle arrive à un peu dormir parfois.

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« Miss Baring ne dites plus un mot.»

« Mais qui êtes-vous ? Tom qui a laissé entrer ces avocats ? »

« Nous sommes les avocats de Miss Baring ici présente. Si vous n’avez rien contre elle, nous vous prions de la laisser partir. »

« Mais… »

« Laisse tomber Simon, eux c’est de la grosse pointure… Ça semble venir d’en haut… De tout en haut… »

Ses affaires rendues et à nouveau la liberté. Olivia salua les deux avocats qui venaient de la sortir de cette entrevue ridicule avec la police.  Elle s’était faite prendre comme une débutante, cela ne se reproduirait plus. Et elle devait une fière chandelle aux Kane. Encore.