Des cris. Elle hurlait. Andreï se réveilla en sursaut. Au creux de ses draps, le regard paniqué de l'enfant qu'il était alors tenta de s'habituer à l'obscurité qui l'enveloppait. Ses mains se crispèrent autour de sa couverture alors qu'un autre cri strident vint le transpercer. Il savait à qui appartenait cette voix. Ce qu'il ne comprenait pas c'est pourquoi elle semblait souffrir. Le cœur battant, Andreï quitta son lit d'enfant pour sortir de sa chambre. Ses pieds rencontrèrent le parquet qui grinça au rythme de ses pas. Il traversa un grand couloir. Son regard inquiet était à présent rivé sur la porte qui étouffait les cris. La chambre parentale. La porte de ses géniteurs était entrouverte laissant des ombres filer. Celle impressionnante et carrée de son père qui se penchait. Une autre moins visible. Au sol. Le palpitant de Andreï sembla s'arrêter. Au milieu de ce tumulte, les cris d’un bébé se mêlaient à cette terreur. Il poussa lentement la porte, anxieux de ce qu'il allait découvrir. Il avala difficilement sa salive quand son regard se porta sur le corps frêle de sa mère allongée à terre. Sa chevelure blonde cachait son visage mais cela ne suffisait pas à dissimuler le sang qui s'étendait lentement autour d'elle. « Maman ? Papa ? Qu'est-ce qui se passe ? » Ses yeux sombres passaient de sa mère à son père. Plongé entre peur et incompréhension. Sa mère avait à peine bougée en entendant sa voix. Andreï esquissa un pas vers elle, voulant s'assurer qu'elle allait bien mais il fut arrêter par son père. Sa voix sèche et tranchante prit le dessus sur les gémissements de douleur de madame Dimitrov. « Ta mère a été irrespectueuse de notre nom, fils. » Andreï regarda son père complètement perdu. Qu'est-ce que cela signifiait. « Alors maman est punie ? » Il regarda sa mère du coin de l’œil. Elle n'avait même plus la force de crier. Punir. Punir en cognant. Voila ce que faisait régulièrement le patriarche Dimitrov. Même avec sa mère ? Aussi... fort ? « Oui, maman est punie. Elle n'a plus le droit d'être une madame Dimitrov, elle n'a pas été assez... sage. » Andreï cligna des yeux observant la silhouette de son père tandis qu'il se tournait enfin vers lui. Il avait les mains en sang et se les étaient même éraflées d'avoir cogné trop fort. Cependant, ce qui inquiéta davantage l'enfant, ce ne fut pas l'état des phalanges de son père mais la dague qui s'y trouvait. « Papa ? » Sa petite voix était chevrotante. A peine assurée. Il vit alors son père se déplacer et observer avec mépris le berceau qui se trouvait dans les lieux.  « Une fille, qui n’est même pas de mon propre sang… » Youri enjamba le corps tremblant de sa femme afin de faire face à Andreï. Il souleva les cheveux de sa femme avec une douceur malsaine. Il fit lentement glisser la dague le long de sa joue laissant un sillon rouge s'écouler. Il arriva finalement au cou de l'ex future madame Dimitrov. Il tira fortement sur sa crinière de blé lui offrant une meilleure vue sur sa gorge déployée. « Je retire son titre à ta mère Andreï. » Andreï eut tout juste le temps de fermer les yeux alors que la lame transperça la veine principale de sa mère. Des larmes coulèrent le long de ses joues rebondies. Il entendit son père se relever et jeter la lame tranchante à terre pendant que l'ancienne madame Dimitrov se vidait lentement de son sang. « Je vais me doucher. » Il tapota sur l'épaule de son fils qui avait les yeux embués de larmes, laissant le liquide rubis imprégner son pyjama et quitta la salle sans plus de cérémonies. Andreï, lui, ne pouvait détacher son regard du cadavre de sa mère. Il s'approcha doucement et se laissa tomber à ses côtés d'elle. Il la secoua doucement espérant presque la réveiller. L'impulsion fit tomber son corps à la renverse. « Maman ? » Son regard semblait si loin. Que venait-il de se passer ? Ses doigts s'attardèrent sur la lame brillante qui avait ôté la vie de sa mère. Il plissa les yeux mécontents. « Maman, tu as vraiment dû faire une grosse bêtise. » Ses prunelles étaient rivées sur la dague. Il se releva gardant l'objet entre ses mains et s’approcha de celle qui ne serait qu’une bâtarde. Celle qui serait sa soeur aux yeux de tous. De sa petite main, il essuya quelques sillons de larmes sur les joues de ce bébé qui avait à peine quelques heures. Andreï venait de prendre une leçon. Une leçon de Dimitrov. Et inculquée par un bourreau cette leçon fera d'Andreï un être sans compassion et intolérant.


« Sérieux mec, tu vas la garder combien de temps ? Même moi je trouve ça malsain. » Le jeune homme qui tenait compagnie à Andreï, n’était autre que son cousin. Il tenait entre ses doigts une lame rouillée par le temps et son regard sombre revivait comme s’il l’avait vécu l’histoire de la défunte Dimitrov. L’arme blanche qui avait tué sa mère, il l’avait gardée. Tel un souvenir palpable qui lui restait de cette nuit qui semblait en tout point irréel. Dès le lendemain, elle n’existait plus. Madame Dimitrov avait disparu, emportée en mettant naissance à sa fille, sans que personne ne pose de question. Ce fut comme si elle n’avait jamais existé. Andreï avait grandit entre des murs sombres avec cette peur inconsciente, qu’un jour, son père le punisse comme il avait réprimander sa mère. Grandir en ayant peur de mourir. Andreï releva les yeux sur son cousin avant de lui prendre la dague des mains. Il observa le reflet de ses iris sur son tranchant. Un rire amère traversa ses lippes. « Mon père m’a dit que ça pouvait toujours servir… » Il adressa un regard éloquent à son cousin avant qu’un sourire en coin ne vienne s’afficher sur son visage. Étrangement, il n’avait jamais détesté son père, resté persuadé que sa mère était responsable de son sort. Elle avait déshonoré leur nom après tout.  D’un geste sec, il lança l’objet qui alla se planter dans le bois du mur afin de tenir compagnie aux nombreuses entailles qui le marquaient déjà.  Il avait grandi dans un monde d’hommes, un monde de brutes.  Là où les femmes n’avaient pas leur place, là où elles n’étaient considérées que comme des objets. Enfant, il avait été façonné à coup de sortilèges, de discours formatés. Un moule qui se faisait digne héritier du nom Dimitrov. Les seuls qui avaient grandit en sa compagnie ? Son cousin ainsi que sa fratrie et sa … soeur. L’un étant comme un frère de cœur. Une amitié renforcée par les liens du sang. Personne d’autre ne pouvait comprendre aussi bien ce que l’autre avait traversé. Une complicité destructrice. Les jeunes hommes étaient liés comme très peu mais étaient enroulés de cette malédiction Dimitrov qui au lieu de les tirer vers le haut, les trainait vers les bas fonds de cette déchéance. Andreï se plaça à la fenêtre de sa chambre pour observer l’étendue de la forêt qui bordait la demeure. Son regard se posa sur la tombe mal entretenue de sa mère. Personne ne s’y rendait jamais, pas plus lui que son père. Les seules fois où il s’y était rendu, c’était pour rattraper sa petite soeur…


Son regard perçant glissa une fois de plus vers la tombe de sa mère. Lorsqu'il aperçut la silhouette de sa soeur, ses mains se crispèrent sur le rebord de la fenêtre. Le sang qui parcourait ses veines sembla s’embraser. Si le secret n’avait jamais percé quant à sa naissance, Andreï se faisait un malin plaisir à lui rappeler sa condition de bâtarde. C'est silencieusement qu'il avant quitté sa chambre pour aller se glisser dans le dos de sa cadette alors qu'elle était penchée sur la tombe afin de retirer des feuilles mortes. « Tu sais dans le fond, on est qu’à moitié frère et soeur. » Sa voix avait glissé au creux de son oreille, murmure malsain et menaçant. Sa main glissa le long de son épaule jusqu’à rejoindre son poignet la forçant à se détourner pour qu’elle lui fasse enfin face. Son regard s’ancra dans celui de sa soeur. Sa silhouette écrasante l’obligea à reculer contre un arbre. Ses assassines coururent le long de sa gorge, se saisissant avec fermeté de son menton. Sa soeur le défia du regard, la fierté traversant tout son corps, ne cherchant pas à se débattre. Jamais lui montrer la terreur qu'il lui inspirait. Pourtant un frisson s'empara de son échine la faisant tressaillir alors que les lippes d'Andreï s'approchèrent des siennes. A peine frôlées. « Quel joli jouet tu serais à ajouter à ma collection. » Et alors qu'elle se préparait au pire, Andreï s'éloigna d'elle. Laissant au dessus de sa tête une menace planée. Jouer, comme un chat avec une souris... Quelques coups avant d'attaquer. Quelques coups avant de se lasser.


Si les années passent, tu as changé. Tu as eu plusieurs phases. L'avant et l'après Pandore. Bien sûr, il y a eu le pendant. Même avec ta soeur Ielena, cela semblait allait mieux. Cherchant à vous apprivoiser. Pourtant la menace paternelle a tout détruit. Ton coeur est devenu une pierre. Insensible. Destructeur. Tes vieux démons t'habitent à nouveau. Tu t'évertue à te défouler en faisant du sport. Course, abdos, pompes. Te battre aussi fait parfois partis de tes passes temps. C'est toujours plus sain que lorsque tu sombres dans l'alcool. Ielena en pâti. C'est ta soeur. Ton petit chat. Elle t'appartient. Comme Pandore. Et si toi tu ne peux pas les avoir auprès de toi. Alors personne ne les aura. Dans ces instants sombres, la présence de Dimka te permets de ne pas couler.