Tête de William pour la réunion:

Charte du MAMA:

Mon regard était tombé sur ce parchemin un peu par hasard, au détour d’un bar. Oui, j’étais allé prendre un verre avec un charmant jeune homme, pour changer, et j’avais empoché ce document sans plus attendre.
Des métamorphomages anonymes…
Étrangement, ça me parlait. Il s’agissait, d’après les informations couchées sur le parchemin, d’une sorte de groupe de parole, à l’initiative d’une quelconque ASBL soucieuse du bien-être physique et moral de chacun.
L’endroit idéal pour recruter de nouveaux éléments… ou pour s’amuser, tout simplement.

Une fois chez moi, je n’en avais pas parlé, évidemment. Ma femme m’aurait encore une fois demandé ce qui me passait par la tête pour vouloir aller me mêler à des cas sociaux ayant un besoin maladif de se plaindre – au fond, j’espérais tout de même que je n’allais pas me retrouver dans un groupuscule du genre, auquel cas, ce serait évidemment ma seule et unique visite parmi eux.

Sur le parchemin, il était précisé qu’il ne fallait pas qu’on puisse être reconnu. Ce que je pouvais tout à fait comprendre, dans l’optique de l’anonymat, ça me semblait même carrément logique. Je me changeai donc, pour enfiler des vêtements neutres. Sombres, bien sûr, mais neutres, pour qu’aucun élément ne pouvant trahir mon identité ne puisse être repéré sur moi. J’avais le souci du détail, aussi allai-je même jusqu’à porter des sous-vêtements unis, noirs. Quant à mon visage… j’optai pour le style « crâne d’œuf » : visage allongé, glabre, des yeux gris acier, des sourcils noirs tout minces… Dans le miroir, je me trouvai un air de croque-mort. Ou de tueur à gages (Hitman), je ne savais pas trop. Heureusement que je n’avais pas mis de chemise blanche, en fait.

Je transplanai alors à une centaine de mètres du lieu de rendez-vous. Je n’étais pas coutumier du quartier, mais j’étais suffisamment avisé pour ne pas me tromper de chemin comme un vulgaire moldu pourrait le faire. Et puis, de toute manière, il n’y avait que des sorciers qui étaient métamorphomages, n’est-ce pas ?
Rien de suspect, donc.

Une fois entré dans le bâtiment où tout me semblait d’une neutralité étonnante, je repérai une porte où une charte était accrochée, reprenant quelques règles basiques à respecter pour le bon déroulement du groupe de parole.
Je restai quelques instants devant l’affiche, hésitant encore à pousser la porte.

Et si je tombais sur des cas sociaux ? ou dans un piège du Blood Circle ? ou dans un traquenard de ces enfoirés de cracmols ?
Bien sûr, j’étais capable de me défendre et ma baguette n’était jamais très loin de ma main, mais on ne savait jamais, je préférais rester relativement méfiant et sur mes gardes.

J’entrouvris la porte, puis je finis par entrer.

Il y avait plusieurs chaises, disposées en cercle, où étaient déjà assises trois autres personnes, au visage tout aussi neutre que celui que j’arborai pour le moment. Les hommes avaient tous opté pour la même coupe de cheveux que moi, ce qui était plutôt bon signe, mais l’un avait les sourcils blonds, l’autre plutôt châtain. La troisième personne était une femme rondelette, aux traits bouffis qui ne donnait pas du tout envie de la regarder.

« Bonsoir. » On me répondit poliment, sans la moindre émotion.
Je m’installai près de la femme, ce qui me laissai tout le loisir d’éviter que mon regard ne tombât sur elle par hasard. Place stratégique, pour ainsi dire.

Dans un silence parfait, nous attendions d’autres personnes. Je ne savais pas encore dans quoi je m’étais embarqué, mais une chose était sûre : ce n’était pas un groupe de parole où j’allais pouvoir rencontrer une bombe sexuelle. A moins que miss bourrelets soit très douée pour se métamorphoser.

Tête de William pour la réunion:

Avec mon crâne d’œuf et mon faciès de blanc-bec, je m’étais installé dans le cercle, sans prêter de véritable attention aux personnes présentes. Nous étions tous ici sous les traits de personnes irréelles, pour bien respecter le principe de la rencontre, alors, à quoi bon être attentif à des détails ? Et comme les gens présents étaient tous aussi insipides à regarder que je l’étais, je n’avais aucune bonne raison de mater qui que ce soit en particulier.

Difficile de savoir si j’étais le plus âgé ici, puisque, évidemment, j’avais opté pour un physique me rajeunissant un peu… et la plupart des membres du Meeting semblaient avoir choisi ces mêmes tranches d’âge : la trentaine ou la quarantaine.
J’avais changé de taille, moi qui avais une stature assez haute, je m’étais rapetissé d’une bonne quinzaine de centimètres, je m’étais fait plus fin, aussi, car même si je n’étais pas le genre d’homme à être taillé comme un athlète de marbre, je n’étais pas dépourvu d’une musculature certaine, qui me donnait une carrure assez large en temps normal. Pour le coup, ici, je faisais plutôt gringalet.

La porte s’ouvrit sur deux sorcières, d’une banalité à faire pâlir un fantôme. L’une des deux parla à l’oreille de l’autre et je me demandais si elles étaient venues ensemble, en bonnes amies de longue date… si elles étaient toutes les deux des femmes, aussi… C’était ma première fois dans ce groupe et je ne savais pas trop si cette femme un peu exubérante était quelqu’un de remarquable et de remarqué au sein du groupe. En tout cas, elle semblait prendre une certaine place, mais bien moins que ma large voisine. L’exubérante vint prendre place à ma gauche et je m’attendais à ce que sa comparse vienne s’asseoir à côté d’elle, mais cette dernière posa un autre choix.
L’autre femme, plus discrète, vint prendre place sur une chaise située en face du chauve aux sourcils blonds, ce qui la mettait dans mon champ de vision également. Elle eut un sourire en lâchant une phrase qu’elle devait trouver drôle. Je tâchai de ne pas réagir, car, en réalité, je ne voyais pas cela comme une bonne raison de sourire. Certes, nous étions plusieurs à avoir choisi le même genre de visage, mais, à vrai dire, cela ne signifiait pas grand-chose, hormis que nous avions pu observer au fil du temps qu’un crâne chauve était moins facile à décrire qu’une tête chevelue. C’était parfait pour des filatures et des missions d’espionnage.

Bientôt, un type fit son entrée, se présentant comme notre MAR, et il invita qui le souhaitait à prendre la parole avant de commencer.
Il y eut un silence de quelques secondes puis ma voisine de gauche leva la main.

« J’aimerais savoir si nous ferons un concours, cette année. L’an dernier, j’avais adoré les épreuves, c’était vraiment un super moment… et c’est grâce à cela que j’ai décidé de venir aujourd’hui, je n’allais pas laisser passer une occasion de m’amuser avec vous tous ! »

Les bras croisés sur ma poitrine, j’eus un instant de compassion pour notre MAR. Si cette bonne femme était déjà aussi chiante l’an dernier, il devait avoir redouté sa présence aujourd’hui. Pauvre type… Il devait en voir passer, des boulets du genre… Pour le bien de la communauté métamorphomage, ce genre de personne devrait être poussée à se suicider. Evidemment, je m’abstins de faire un commentaire, bien conscient que mes idées, parfois un peu trop arrêtées, pourraient donner des indices sur qui j’étais.
Et puis, le MAR lui répondit.

"Tout cela avait été organisé pour un anniversaire un peu spécial du groupe. Il y a parmi vous des habitués et des nouveaux. Avant de penser aux animations qui, je vous rassure, Mary, auront bien lieu aujourd’hui, je vais demander à chacun de se présenter brièvement en répondant à trois questions. 1 : sous quel prénom voulez-vous qu’on vous appelle ici ? 2 : quel est votre meilleur souvenir en tant que métamorphomage ? et 3 : qu’attendez-vous de ce lieu d’échange ?"

Il invita, dans la foulée, sourcils blonds à répondre. Il fallait l’appeler John, il avait rencontré sa femme grâce à son don et il espérait qu’on puisse s’échanger des trucs et astuces… Puis vint miss Bourrelets, « Jane », qui adorait pouvoir changer de coupe de cheveux sans avoir à passer chez un coiffeur : elle voulait surtout qu’on l’aide à se familiariser avec certains changements de son corps.
Je fus le troisième à devoir me présenter. Je fis comme tout le monde, c’est-à-dire que je pris un prénom court et très courant pour pseudonyme.

« Vous pouvez m’appeler Bob. » Un prénom qui n’avait aucun lien avec moi, avec ma vie ou avec mon histoire, c’était parfait. « Mon meilleur souvenir… J’espère qu’il n’y a personne de trop prude parmi nous… C’est lorsque j’ai pris l’apparence du mari d’une amie de ma compagne pour lui faire une petite surprise au lit. J’avais envie de coucher avec elle depuis un moment, eh bien, je n’avais pas tort de vouloir ça : j’en ai gardé un excellent souvenir. » J’avais préféré cette anecdote plutôt que la fois où j’avais pris l’apparence d’une femme pour des raisons tout aussi coquines. « Je suis ici pour la première fois et je ne sais franchement pas à quoi m’attendre. Alors, des idées, des astuces, ça peut être sympa… »

Au fond, il valait mieux que je passe pour un mec qui profitait juste de ce don pour draguer. Cela me rendrait inintéressant aux yeux des femmes et si les hommes décidaient de venir me parler, ce serait sans doute pour avoir des conseils. J’avais veillé à ne pas dire que j’étais marié, préférant parler de ma compagne plutôt que de ma femme, et je me félicitais intérieurement de cette idée de me faire passer pour un connard. Dans le meilleur des cas, cela me permettrait d’observer sans être un centre d’intérêt, ce qui me convenait fort bien.

Ce fut ensuite le tour du moulin à paroles de se présenter. Je me demandais déjà ce qu’elle allait nous servir comme bêtises… et surtout combien de temps elle allait tenir le crachoir, car elle m’avait tout l’air d’être le genre de bonne femme à pouvoir s’écouter parler pendant des heures sans se lasser et à rire de ses propres blagues, qu’elles soient drôles ou pas. En somme, typiquement le genre de personne tout à fait détestable.

Moi qui m’attendais à une réunion qui serait agréable et légère, je comprenais, au fur et à mesure, que cette réunion serait surtout ce que l’on déciderait d’en faire.
Entre l’autre pie bavarde qui s’écoutait parler et le chef des opérations qui était aux commandes, si on restait sur cette ligne de conduite, soit nous allions vite tourner en rond, soit nous allions tous nous endormir.
Donc, cette « Suzie » m’apparut, une fois encore, comme un véritable boulet. Même la femme avec qui elle était arrivée avait l’air d’en avoir assez de devoir écouter cette pimbêche déblatérer sur un tas de choses toutes plus inintéressantes les unes que les autres. Je retins un bâillement. C’était d’un ennui terriblement soporifique.
Cette femme possédait un don merveilleux et s’en servait pour des conneries. C’était une aberration totale. Comment pouvait-on gaspiller un tel talent ? Cette Suzie méritait d’être disséquée par nos chercheurs pour des expériences concernant les dons particuliers… Un jour, peut-être, on arriverait à découvrir comment offrir une telle opportunité à de bons sorciers, ayant des idéaux à défendre et pouvant faire un usage raisonné d’un tel talent…

Je restai silencieux tandis qu’elle finissait de se présenter, même si je n’en pensais pas moins. Mais ce fut alors le tour de celle qui accompagnait Suzie de se présenter. Une certaine Mary. Enfin, c’était le pseudonyme qu’elle avait choisi. Elle me sembla plus posée et moins chiante que sa comparse.
Son expérience de se faire passer pour plusieurs personnes lors de rendez-vous divers m’arracha un sourire. C’était exactement le genre de choses que j’aurais très bien pu faire, moi aussi. Changer de visage et de vêtements entre deux rendez-vous, pour doubler les possibilités de conclure positivement…
Elle avait quelque chose d’intéressant, cette fille, du coup. Contrairement aux autres personnes présentes, en tout cas.

J’étais assez discret pour ne pas m’emballer, mais il était clair que je ne voulais pas faire de petits jeux de rôles avec cette Suzie. Même si elle était sans doute capable de se rendre sexy, sa voix m’horripilait et je n’aurais pas pu, simplement.

Et, comme de juste, notre cher MAR nous présenta la suite des « festivités ». Bon sang, ça avait l’air d’un ennui… J’allais m’emmerder comme un rat mort, j’en étais sûr. Ce genre d’activités ne servaient à rien d’autre qu’à faire parler, faire résonner des mots comme des tonneaux vides…
Je pris un petit parchemin à mon tour. “L’usage de la métamorphomagie est-il éthique ?” … je ne savais pas trop si je devais être heureux ou non d’avoir tiré un tel sujet. L’éthique, la morale… cela dépendait d’une personne à l’autre, non ?

Je rejoignis la table ronde destinée à cette conversation. Nous étions par trois et nous devions débattre. Je ne savais pas trop si c’était une bonne chose ou non. A ma table se trouvait « Mary ». Je pris place en face d’elle.

« L’éthique… C’est vaste… » J’avais fait une petite boulette avec mon morceau de parchemin et je la triturais sans cesse. « C’est une question de point de vue, surtout, vous ne trouvez pas ?»

La morale, cela dépendait des valeurs qu’on nous avait inculquées depuis notre petite enfance. Qu’est-ce qui est conforme au bien ? Qu’est-ce qui est mal ? Autant se poser des questions existentielles et chercher des réponses dans la vie quotidienne…
Il y avait une autre femme avec nous et ce n’était, heureusement, pas la fameuse Suzie. Juste une sorcière d’une trentaine d’années apparemment, les cheveux châtain, coupe au carré, des petites lunettes à fine monture. Elle s’était présentée comme s’appelant Emma.
Emma, Mary et Bob. Cela faisait un beau trio. Une brune, une blonde et un chauve. Devais-je faire preuve de galanterie et laisser ces dames parler d’abord ? Ou fallait-il que je sois du genre à prendre les choses en main ? Je décidai d’opter pour la seconde option, afin de lancer la discussion.

« Avant de se poser la question de l’éthique, je trouve important qu’on puisse d’abord souligner le côté très pratique de notre don. Ce serait tellement dommage de ne pas s’en servir alors que nous avons cette chance inouïe. »

Ethique ou pas, il était clair que la métamorphomagie était avant tout super pratique dans la vie de tous les jours et dans des situations moins habituelles également. J’avais tellement l’habitude d’utiliser mon talent de métamorphomage pour tout un tas de contextes, qu’ils soient liés à ma vie professionnelle, à ma vie privée ou même à la défense de mes idéaux. « Est-ce qu’on doit considérer que la fin justifie les moyens ou faut-il prendre en compte que nous agissons tous, par moments, par égoïsme ? »

Fondamentalement, l’être humain est égoïste, c’est bien connu. On a tous tendance à penser d’abord à sa propre gueule qu’à celle des autres… quoique… depuis que j’étais père, je devais reconnaître que je pensais à mes gosses avant même de penser à moi. Et si j’utilisais mon don pour protéger mes enfants, n’était-ce pas plus éthique que si je l’utilisais pour mon propre bien ?

Sur la table, il y avait des feuilles de parchemin et une plume, sans doute allait-il falloir désigner un secrétaire parmi nous, puis quelqu’un devrait se proposer comme porte-parole du groupe. Je prenais les parchemins et la plume.

« L’une de vous souhaite faire la secrétaire du groupe ? » Je pouvais suffisamment modifier mon écriture pour qu’on ne reconnaisse pas la patte du chef des oubliators, mais on ne savait jamais. Cela m’arrangerait assez bien que l’une d’entre elles écrive. Peut-être la brune, tiens… Elle avait sans doute une écriture assez ronde, purement féminine, le genre à faire de petits ronds à la place du point sur les i…

« J’ai un peu l’impression d’être de retour sur les bancs de l’école, là… pas vous ?» Au fond, on était très sages, là, à obéir au MAR comme si tout ce qu’il disait était parole d’Évangile… personne ne s’était opposé ni n’avait cherché à faire autre chose que ces petits groupes de discussion…
Ça me rappelait vraiment les tables de conversation en langues étrangères que l’on faisait en Norvège, quand j’étais petit. On avait un sujet de base et on devait se parler. Cela partait toujours en vrille puisqu’on n’avait pas très envie de parler de ce que le professeur nous imposait… C’était tellement plus drôle de parler de tout et de rien, en norvégien plutôt qu’en anglais… A l’époque, je n’avais aucune idée de ce choix que je ferais ensuite de venir vivre en Angleterre.

Je jetai un rapide coup d’œil aux autres tablées. Soit nous étions coincés tous les trois, soit les autres avaient reçu des sujets autrement plus marrants que nous.
Suzie riait à gorge déployée, comme si on venait de lui raconter la meilleure blague de tous les temps, à côté d’elle, le chauve à sourcils blonds rigolait aussi… J’avais vraiment l’impression que nous n’avions pas eu beaucoup de chance au tirage au sort.
Je ne connaissais pas de bonne blague sur le sujet de l’éthique. Ou c’était de l’humour tellement noir que je serais passé pour un dévié ou un pervers.

Le MAR passait entre les tables, s’arrêtant çà et là pour écouter les réponses des gens, relançant parfois le débat par une petite remarque… Il terminerait son tour par notre table, assurément… d’ici là, je n’avais aucune idée du nombre de lignes que nous aurions écrites.