Pumpkin juice
Amadeus & Jaeden
Il y avait toujours de l'ambiance au chaudron baveur. Ce n'était pas le genre d'ambiance qu'on trouvait dans un pub comme les Trois Balais, mais il était rare que l'établissement soit vide de clients. C'était un lieu de passage, transition entre Londres et le Chemin de Traverse, entre le monde moldu et le monde sorcier, à mi-chemin entre les deux. Un peu comme l'était Amadeus...
Ni vraiment sorcier, ni vraiment moldu. Cracmol. Une absurdité. Une hérésie. Une erreur de la nature. Un être indigne d'être né, indigne d'exister et qui, pourtant, était là. Le regard d'Amadeus était plongé dans son verre de jus de citrouille, pensif. Ses oreilles étaient grandes ouvertes, captant les murmures, raclements de chaise et conversations de piliers de bar.
Rien de bien intéressant aujourd'hui. Pas de discussion d'un possible complot. Pas de conspiration. Pas de secrets de la plus haute importance. Juste... des conversations. Certaines étaient tout bonnement incohérentes, les babillements d'hommes et femmes rongés par l'ivresse qui risquaient probablement la désartibulation s'ils s'aventuraient à transplaner pour rentrer chez eux. D'autres étaient juste... ennuyeuses. Bêtes. Indignes d'attention.
Pourtant, Amadeus n'avait pas envie de rentrer. Pas tout de suite. Il n'était pas là pour le simple plaisir d'y être, mais cela n'empêchait pas la situation d'être autrement plus agréable que la montagne de corvées qui l'attendait à domicile. Ca et tout le reste. Ce monde qu'il effleurait sans jamais en faire partie. Cette famille qui n'était pas vraiment la sienne, mais qu'il servirait loyalement jusqu'à la fin de ses jours. La solitude. Les ténèbres. La peur.
Amadeus prit une gorgée de son verre, continuant malgré le manque d'intérêt à prêter attention aux conversations autour de lui. Les gens oubliaient vite sa présence, aussi insignifiante que peu mémorable. Ils parlaient à tort et à travers, comme s'il ne pouvait pas les entendre ou les comprendre. C'était une grave erreur. Enfin, ça serait une grave erreur si les clients actuels se lançaient dans une discussion un peu plus pertinente que leur rupture amoureuse ou leur vie de famille agaçante...
Le raclement de chaise qui parvint subitement à ses oreilles était proche, très proche. Amadeus releva la tête, tournant son regard vers l'origine de ce bruit. Une expression étrange prit place sur son visage, entre soulagement, contrariété et curiosité. Il connaissait cette personne. Il la connaissait même très bien, d'une façon que d'autres ne pouvaient probablement pas imaginer.
Amadeus ne pouvait s'en empêcher, probablement parce qu'il menait une vie aussi chaste, parce qu'il n'avait jamais été autorisé à éprouver le moindre désir ou à agir selon ses sentiments, mais dès qu'il venait à la rencontre de Jaeden pour ses commissions diverses, les premières images qui lui venaient à l'esprit étaient celles des instants de luxure qu'il avait surpris malgré lui.
Des images vives, ardentes, qui lui avaient fait un drôle d'effet à l'époque, mais auxquelles il s'était progressivement désensibilisé, pour la simple et bonne raison que ce monde-là aussi lui était inaccessible... Il restait toujours une légère rougeur, tout juste perceptible, qui se dissipait rapidement sitôt les images ayant fini de traverser son esprit.
Les doigts d'Amadeus se resserrèrent nerveusement autour de son verre. Il n'était pas doué pour ce genre d'interactions, en-dehors des conventions, en-dehors des règles, en-dehors du Jeu social auquel il devait prendre part et pour lequel sa famille était si douée. Il étira un sourire poli, figé, forcé sur ses lèvres, levant la tête vers Jaeden :
"Mr Evans. Que me vaut ce... plaisir ?"
Il avait hésité sur ce dernier mot, comme s'il n'était pas sûr de l'expression à employer pour désigner le sentiment qu'il éprouvait vis-à-vis de la présence du jeune homme. Amadeus fit raper le bout de ses chaussures sur le plancher du bar, sa petite taille lui permettant à peine de toucher le sol, perché sur son tabouret. Il n'était pas à l'aise et ça se voyait. Il était venu ici pour jouer les espions, pas pour faire la conversation. Et en particulier avec son mécanicien.
"Avez-vous bientôt fini de traiter ma dernière commande ? Mon frère est impatient, si je puis dire..."
Impatient était un mot faible. Le cadet Lestrange avait été furieux de voir son frère/serviteur revenir les mains vides. Le corps d'Amadeus portait encore les traces de sa colère, sous le tissu sombre de ses vêtements.
"Il est prêt à payer double pour que vous passiez sa commande en priorité. Est-ce que vos autres clients sont en mesure de faire ça ?"
Il y avait ce ton légèrement méprisant, celui d'un homme habitué à ce que l'on proclame la grandeur et la richesse de sa famille, malgré leur sombre histoire. De cette grandeur et de cette richesse, il n'en voyait jamais la couleur. Mais cela ne l'empêchait pas d'être fier. Fier de cette famille qui le haïssait, le rabaissait et le traitait comme l'insecte qu'il était. Une fierté forcée, née de la maltraitance et de l'humiliation...