Fin Août 2021
Mon soupir fut si grand que les parchemins vibrèrent devant moi alors que je me pressais l’arête du nez. Au revoir voyage de noces idyllique, bonjour retour à la réalité et coucou responsabilités qui se sont entassées durant mes deux mois d’absence. Les rapports des Veilleurs des Hébrides n’avaient aucun sens, les informations se contredisaient, les noms des dragons étaient mal orthographiés… de vrais enfants. Certaine que mon père n’avait pas rencontré autant de bulles, je devinais que c’était à moi d’imposer ma nouvelle autorité aux dragonologistes qui travaillaient pour nous. Puisque j’étais petite et timide, il ne faisait aucun doute que les sorciers pensaient profiter de la situation pour bâcler le travail sans que je n’ose rien leur faire remarquer.
Ils ne s’étaient jamais autant fourvoyés.
Je perdais un temps inimaginable à trier leur merdier. Un temps précieux qui m’éloignait de mon épouse et me ralentissait dans mon travail de directrice à Poudlard. Un temps que je ne pouvais pas perdre davantage, surtout dans un futur proche.
Je donnerai cher pour retourner sous les cocotiers avec Harper et n’avoir comme soucis que notre repas du soir. Hélas, les battements qui me vrillaient la nuque et me forçaient à fermer les paupières ralentissaient également mon travail. Mes lèvres se déformèrent en une grimace quand ma mère entra dans le bureau et me fixa comme si elle était surprise de me voir à la place que mon père avait occupée pendant des années. Elle avait du mal à s’y faire apparemment, tout comme moi.
— Tout va bien ? Demandait-elle après avoir repris contenance et remarqué que je me massais la nuque. Un geste devenu inconscient.
— Oui, oui. Tu sais où est papa ?— Il n’est pas encore rentré du Ministère. Il y a des complications ? La voix si douce et si angélique de ma mère avait toujours eu un effet apaisant sur moi. Ainsi, ma main retrouva la matière rugueuse du papier plutôt que celle, devenue montagneuse, de ma nuque.
— Oui, plusieurs. Je ne comprends rien aux rapports, il y a une multitude d’incohérences et je perds un temps fou, j’ai l’impression d’être devant un puzzle… Par exemple… Est-ce que tu sais si Alice a œuf trois ou six œufs ?— Elle en a eu quatre. Les bras m’en tombaient. Je me frottais le front dans un râle.
— De mieux en mieux… Je vais devoir les convoquer pour tirer tout ça au clair… comme si j’avais que ça à foutre…— Ton langage. Je jetais un regard noir à ma mère qui me sourit avec cette autorité maternelle dont elle avait le secret. L’apparence d’un ange au caractère bien trempé. Je n’avais jamais connu une femme avec autant de charme et de prestance qu’elle, et ce n’était pas uniquement parce qu’elle était ma mère. Son attention fut attirée à l’extérieur et elle s’approcha de la fenêtre en suggérant.
— Demande-leur de réécrire leur rapport. Je marmonnais, peu confiante des prochaines informations écrites dans les missives.
— Je préfère aller voir par moi-même. — Qu’est-ce que tu as dit ? Ma mère avait écarté le rideau pour regarder ce qui l’intriguait. Voyant que je n’avais plus son attention, je m’adossais complètement à la chaise.
— Non rien. Qu’est-ce que tu fais ?— Il y a un renard dans le jardin. — Et ?— Il est très proche. Les renards n’étaient pas rares dans les Hébrides, la présence de l’un d’entre eux par ici ne me surprit guère. Pourtant, jamais ils ne venaient aussi proche des demeures. Se pourrait-il que… ?
Je me redressais subitement et rejoignis ma mère. En découvrant l’animal, je fronçais les sourcils et rabattis le rideau d’un geste sec.
— Qu’est-ce qui te prend ? — Je vais prendre l’air. Je reviens tout à l’heure. Ma mère me regarda ouvrir la porte du bureau avec fracas.
—Euh, d’accord…À la hâte, je me précipitais dehors en ignorant le vent frais qui secouait mes cheveux. Sans me préoccuper d’être vue, j’adoptais ma forme canine et, la truffe en l’air, partis en quête d’une odeur. Son odeur. Cette odeur, que je n’avais pas reniflée depuis le début de l’été. Depuis cette fameuse nuit. Heureusement pour moi, je connaissais ses effluves humains, mais aussi celles du renard et tombais sur sa piste très rapidement. Habituée à pister les molécules d’odeur, car c’était l’un de mes passe-temps favoris depuis que j’étais animagus, je talonnais le renard jusqu’à l’apercevoir dans les fines hautes herbes des plaines des Hébrides. Le sang bouillonnait dans mes tempes et mon cœur frappait ma poitrine alors que j’accélérais le pas. Peinant à évacuer la chaleur sous cette forme, j’ouvris la gueule et fis pendre ma langue, laissant échapper quelques grognements rauques.
Pourquoi fuyait-il ? Pourquoi était-il ici ? Pourquoi n’était-il pas venu me voir directement ? À moins que je ne me trompais ?
Fort heureusement pour moi, cette île m’avait vue grandir et je connaissais chaque recoin, chaque brin d’herbe, chaque rocher. Et je savais que le renard allait être confronté à un obstacle qui allait le forcer à virer à l’Est. Un changement de direction que j’anticipais pour le rattraper.
Il fallut qu’un court instant de plus pour que nous tombions truffe à truffe. La cicatrice à sa patte me confirmait ce que j’avais supposé. C’était bien lui.
En signe d’apaisement, je m’allongeais instantanément, aplatissant mes grandes oreilles sur les côtés de ma tête, cette dernière, entre mes pattes antérieures. Un petit couinement m’échappa, puis, je repris forme humaine. Là, je restais allongée dans l’herbe, appuyée sur des coudes aux sinueuses cicatrices. S’il décidait de s’en aller, fort bien. Pour autant, je n’irai plus à sa rencontre ni à sa recherche. Il savait que je respecterais son silence, dussè-je en souffrir, comme je l’avais toujours fait.
Alors, les yeux implorants, je fixais le petit renard, tous les muscles tendus par le stress de le voir faire volte-face et me fuir. Sans émettre le moindre son, je remuais les lèvres, faisant trembler la balafre qui barrait ma joue. J’espérais qu’il déchiffrerait mon message sans mal.
— Tu m’as manqué.