Ϟ Année 1999 - 4 ans
Elle se souvenait des iris embuées de Sarah. Elle y était habituée de toute manière, autant qu’elle était habituée à la tristesse qui se terrait dans les oscillations de sa voix. Il fallait partir. Bianca avait beau retourner ces mots dans sa tête, les arranger différemment, les développer ou, au contraire, les laisser tels quels ; elle ne comprenait pas la grimace qui déformait les traits de sa figure maternelle. La fillette était âgée de quatre ans ; trop jeune pour savoir compter jusqu’à cent, trop petite pour choisir seule ses vêtements, pas assez grande pour déchiffrer l’urgence qui se cachait derrière le choix de ses parents. Les valises préparées à la hâte et les pupilles fuyantes de Luis affirmaient que cette décision n’en était peut-être pas une, et que cette nouvelle vie en Angleterre était loin d’être empreinte de bonheur. Avait-il fait quelque chose de mal ? Ses doigts minuscules exercèrent une pression sur les épaules larges de son paternel. Depuis qu’il les avait réunis autour de cette table, trois jours plus tôt, il ne souriait plus. Tout comme Sarah, Diego ou Soledad. Bianca, qui était trop jeune pour comprendre le sens de leur échange, avait toutefois senti cette tristesse prendre l'ensemble de ses proches à la gorge. Elle n'aurait su la décrire, mais cette sensation avait peu à peu gagné son petit muscle cardiaque, l'entraînant dans une course prématurée et oppressant sa cage thoracique. Le ton de Luis avait été ferme et autoritaire. Quitter Juarez pour Oxford n'était pas une option. C'était un ordre. Le sorcier déposa la fillette sur l'asphalte, l'observant se diriger  vers son aînée dont la voix s’éleva à quelques mètres, faible et implorante. « ¿ Abuela, Porqué no vienes con nosotros ? » Bianca ne se rappelait pas du visage de cette femme à qui s'adressait Soledad. Elle ne gardait en mémoire que son timbre éraillé, son parfum subtil, aux notes agréables, douces et vanillées. Elle savait à quel point la vieille dame comptait pour les siens et combien il serait difficile de la laisser. N'en témoigne les larmes de Soledad, qui roulaient sur ses joues safranées. « ¿ Por qué estás triste Sol ? » Ses iris mordorées fixèrent les yeux rougis de sa grande sœur. « A Velinda no le gusta cuando lloras. » Velinda, c'était cette poupée de chiffon dont elle refusait de se séparer et qui communiquait ses émotions au monde entier. Elle la pressait contre son cœur [...]