Vers l'avenir et au-delà

Ces dernières semaines, Lilibeth multipliait les visites surprises, le parfum de la liberté la hissant sur un petit nuage, un havre de paix capable de lui faire oublier que même après le beau temps la pluie peut s’abattre sur votre tête sans crier gare. Elle avait fuit le manoir Barjow, mais la menace de Barjow senior ne s’efface pas pour autant. Quoiqu’il en soit, voguant sur la rivière du bonheur, rien ne pourrait altérer sa bonne humeur enorgueillie par une nouvelle journée de printemps. Faisait fi des tempêtes tant que celle-ci n’a pas pointé le bout de son nuage à l’horizon, c’est sur les rues pavées de Londres que Lilibeth fait claquer ses talons, la hanse de son sac menaçant de lui rompre le coude, téléphone portable porté en avant. Le GPS, c’est pratique, mais encore faut-il réussir à se repérer dessus, d’autant plus que la rue est pleine de moldue.
L’après-midi est bien avancé, le printemps tiédi l’atmosphère ambiante, laissant tomber les manteaux au profit des petites vestes. C’est que le rembourrage en polyester ne met pas vraiment vos atouts en valeur, voyez-vous ? Un perfecto est plus approprié pour dévoiler un décolleté et les décolletés, ça attire les bons partis à marier. Pour l’heure, ce n’est pas le prince charmant qu’elle recherche, bien qu’on pourrait hisser Leah au rang de princesse et qu’elle trône dans le cœur de Lilibeth depuis plusieurs années déjà. Par le biais de leurs frères, Leah et Lilibeth se sont rencontrées alors que la puberté ne faisait pas encore rage. Lorsque Papa relâchait sa vigilance et que son humeur n’était pas prompte à s’en prendre à sa fille, Lilibeth partait en vadrouille pour rejoindre son amie devenue maintenant musicienne. En parlant de musique, Lilibeth stop net sa marche effrénée, son regard d’attiré par une affiche collée au mur. On y reconnaît le profil de Leah qui devrait chanter ce soir pour une soirée spéciale. Et ben voilà, il suffisait de relever le nez ! S’élevant sur la pointe de ses escarpins, Lilibeth cherche dans la rue l’enseigne indiquée par l’affiche. Après avoir tourné en rond pendant une heure, Lilibeth mérite bien un verre pour se rafraîchir le gosier. C’est tête baissée qu’elle fonce dans le bar moldu, souriant à qui veut le voir, saluant qui veut l’entendre. C’est qu’elle est bélier, voyez-vous ?
« Excusez-moi, je cherche Leah O’Malley, savez-vous si elle est de service aujourd’hui ?
L’homme a qui elle venait de s’adresser la regarde avec surprise avant de lui répondre :
- Je ne travaille pas ici, mademoiselle, désolé.
S’excusant platement, Lilibeth se dirige vers le comptoir dans l’espoir d’intercepter un employé de l’établissement ou même mieux, Leah. Le spectacle de prévu ce soir, peut-être ne travaille-t-elle pas cet après-midi ? L’espace d’un instant, Lilibeth s’en veut de ne s’être pas renseignée avant plutôt que de tourner en rond comme une idiote pour finalement risquer de faire chou blanc.
- Excusez-moi mademoiselle, vous avez l’air préoccupé, mais, est-ce que je pourrais vous demander de nous prendre en photo, ma fiancée et moi ? Je viens de la demander en mariage !
Les sentiments de Lilibeth sont tiraillés entre la joie pour cette future épouse qui a mis le grappin sur un charmant jeune homme qui semble de bonne famille, et l’indignation que celui-ci est fait sa demande dans un bar, avec aucun public pour les applaudir, car effectivement, la salle est pour ainsi dire déserte.
- Bien sûr.
S’exécutant, elle le suit jusqu’à leur table où les deux amoureux s’enlacent, la fiancée mettant en avant son annulaire désormais orné d’or rose. Lilibeth déteste l’or rose, un peu comme si c’était une contre-façon où une manière, pour les originaux, de se démarquer du reste de la population, comme s’ils valaient mieux que les autres. Malgré l’aigreur qui tiraille son estomac, Lilibeth réclame aux futurs époux de sourire avant de prendre plusieurs clichés. Elle les félicite une dernière fois, les fiancés la remercient puis quittent le bar leurs doigts entrelacés. Une fois disparus dans la rue éclairée par le soleil, Lilibeth soupire bruyamment, envieuse et désespérée. Mais elle chasse bien vite cet air déprimé de sa figure parce que la déprime, ce n'est pas ça qui attire les bons partis. Les bars vides non plus d’ailleurs, mais où sont passés les clients ? Prenant la décision de patienter pour questionner un employé, Lilibeth se hisse sur un haut tabouret du bar, déposant son sac bien rempli sur le comptoir. Même avec des talons, ses pieds balancent dans le vide, elle scrute la salle du sol au plafond, nourrissant l’espoir d’obtenir plus d’information sur Leah.
Elle a tellement de choses à lui raconter.

Vers l'avenir et au-delà

Les avant-bras étallés sur le comptoir, Lilibeth balançait ses pieds dans le vide, comme une enfant attendant patiemment que quelqu'un vienne la chercher. Perdu dans ses pensées, elle commençait à croire que l'idée de surprendre Leah sur son lieu de travail n'était pas si brillante que cela. Une once de déception la traverça. Peut-être devait-elle tout bonnement rebrousser chemin... soudain, un verre déposé sous ses yeux provoqua un sursaut. L'instant de surprise fut bref. Si tôt le visage familier de Leah de reconnu, le teint clair de Lilibeth s'illumina, faisant briller son regard bleu.
— Leah ! S'exclama-t-elle, ravie que sa quête ait atteint son but. Je craignais ne pas te croiser. Je voulais te faire une surprise, pardis !
Leah contourna le comptoir pour venir serrer Lilibeth dans ses bras. Une accolade à laquelle Lilibeth répondit avec toute la force de son petit coeur.
— Je suis tellement contente de te revoir, déclara-t-elle tandis que Leah prenait place à ses côtés. Je veux bien un soda sans sucre, s'il te plait. Je fais attention à ma ligne, précisa-t-elle, comme si cela était nécessaire.
Joignant le geste à la parole, elle plaqua ses petites mains sur son tour de hanche menu avant d'enchaîner :
— J'ai un milliard de choses à te raconter !
Son enthousiasme atteignant son apogée, les un milliards de choses à ranconter se bousculaient dans son esprit. Par où commencer ? Le roman ? les châtons ? La peur saisissante qui l'avait motivée à s'enfuire ? Les mauvaises rencontres ? La discussion de Barjow Senior et de son conseiller financier ? Lilibeth secoua la tête et déclara, haut et fort, si bien que toute la salle put l'entendre :
— Je me suis enfuit !
Fort heureusement, les clients à cette heure-ci étaient rare, et le collègue de Leah absorbé dans son travail, bien que la voix claironnante de Lilibeth détourna un temps soit peu son attention. Cette déclaration lui faisant un bien fou, Lilibeth ne pu s'empêcher d'éclater de rire.
— J'ai quitté le manoir, reprit-elle d'un timbre de voix plus modéré, de manière à ce que seule Leah puisse l'entendre et comme si « je me suis enfuit » n'avait pas suffit à Leah pour comprendre que Lilibeth avait délibéremment quitté le foyer des Barjow sans le consentement de dieu son père. Je suis désormais libre comme l'air.
Bien que les sbires d'Henri Barjow pouvaient lui tomber dessus d'un instant à l'autre. Cet état des faits, Lilibeth l'oubliait parfois, enthousiasmée par le moment présent. Des étoiles brillaient littéralement dans ses yeux azurés, le parfum de la liberté lui donnait des ailes.
— J'ai un travail, précisa-t-elle fièrement, et Rory m'héberge en tant que grand frère surprotecteur qui craint que le ciel ne me tombe sur la tête.
Son rire moqueur résonna dans la salle de bar. Elle porta le verre de soda à ses lèvres pour en boire une longue gorgée. Cette épopée dans la rue à la recherche de Leah avait été fatale pour son gosier. Mais cela vallait la peine de maintenir ses efforts pour surprendre son amie avec cette agréable sensation d'avoir désormais une vie normale.
— Comment vas-tu ? Finit-elle par demander. Et comment va ta famille ? Sean est toujours grand, baraqué et canon ?
L'époque où Lilibeth s'échappait du manoir pour aller à la rencontre de Leah, l'une de ses rares amies, lui semblait si lointaine.

Vers l'avenir et au-delà

— Ca n'a pas été compliqué, assura Lilibeth, fière d'avoir joué les Sherlock Holms. Les affiches de ton concert sont placardées sur les panneaux d'affichage, au beau milieu de tous les autres, certes...
Mais lorsqu'il s'agissait d'investiguer sur les soirées qui pourraient rassembler toute une panoplie de beaux célibataires, Lilibeth s'avérait patiente. Très patiente. Parce que la patience, ça paie. Ni une ni deux, elle se lança dans son récit pour déballer à Leah l'essentiel des nouveautés que composaient sa vie désormais. Elle se souvenait du temps jadis où elle partait en escapade chez les O'Malley. Déambuler dans ce cercle familial auprès de son amie, c'était comme respirer une grande bouffée d'air frais. Le temps des malheurs, des pleurs et des humiliations s'arrêtait, pour laisser place à une bulle de fraîcheur dans laquelle elle pouvait se requinquer. Hormis les visites de Malakhai et la présence de son frère, ces instants précieux en compagnie de Leah composaient ces rares moments où elle était capable d'oublier son pathétique quotidien. Même si elle n'oublierait jamais l'accueille qu'on lui réservait, aujourd'hui Lilibeth se félicitait de n'avoir plus besoin de tout ça pour vivre en paix, bien que la paix soit une notion tout à fait relative en portant le nom de Barjow.
Tandis qu'elle dépeint le nouveau tableau de sa vie, Leah semblait à la fois ravie et inquiète. Flottant sur son nuage de bonheur, Lilibeth pensait naïvement que c'était à tort.
— Je suis serveuse dans une auberge qui accueuille les moldus et les sorciers. Mes patrons sont adorables. J'ai surpris une discussion entre mon père et son conseiller financier et j'ai soudain craint pour ma vie...
Il lui en aura fallu du temps...
— ... Mon père ne sait pas où je suis, il ne doit pas le savoir, et j'ai bon espoir qu'il se sente débarasser du fardeau que j'étais pour ne pas intenter d'envoyer ses sbires à mes trousses.
Elle inspira profondément, ne démontrant aucune inquiétude quant aux propos qu'elle venait de tenir. Le regard dans le vague, elle but une longue gorgée de soda tout en écoutant Leah lui parler de sa mère. Ce qu'elle aimerait que Barjow Senior espère d'elle un petit enfant... Si Lilibeth nourrissait l'espoir tenace de fonder une famille, elle avait abandonné depuis longtemps l'idée que ses enfants connaissent leur grand-père. La curiosité de Lilibeth d'attisée, elle remua sur son tabouret avant de demander, un sourcil levé :
— Qui sont « Jonas et Raphaël » ?
Elle se souvenait parfaitement du grand et beau Sean, Aurore de métier, un bon parti à marier, si vous voulez son avis. Mais Lilibeth le connaissait depuis bien trop longtemps pour nourir l'espoir de refermer son filet sur le frère O'Malley.
— Je suis partie depuis le début du mois de février. Si tu savais comme la vie chez les moldus est délicieuse !
Elle bascula sa tête en arrière.
— Je ne me sens pas différente ni mise de côté parce que je fais absolument tout avec mes mains. Je me sens à ma place, même si, tu le sais bien, j'aurai préféré avoir la capacité d'user d'une baguette.
Elle avait prononcé ces dernières paroles à voix basse. Lilibeth  n'avait jamais avoué à Leah sa condition de cracmole alors que son amie, elle-même, en était une. Comme tous les autres, Leah avait reçu comme version que Lilibeth était atteinte d'une maladie incurable qui usait de toute son énergie si toutefois elle en venait à utiliser sa magie. Une maladie rare qui existait bien. Barjow Senior avait monté ce mensonge de toute pièce pour sauver la face de la famille. Ayant grandit sur ce mensonge, Lilibeth peinait à se détâcher de la vérité, bien que son imprudence l'avait conduite à avouer la vérité au Docteur Fawley lors d'une consultation à Sainte Mangouste.
— Ce que j'aimerais pouvoir donner des concerts ! Finit-elle par dire, passant du coq à l'âne, sans transition. Être sur le devant de la scène doit être prodigieux. J'aimerais vraiment t'entendre jouer, un de ces soirs, tu as tellement de chance de posséder ce talent.
Si Leah était née dépourvue de magie, son talent pour la musique surpassait ce handicap que la vie lui avait prodiguée en tant que fille de sorciers. A côté de ça, Lilibeth, maladroite de ces dix doigts et de tout le reste, ce sentait bien en reste, et cette idée lui donna l'envie folle furieuse de dépenser tout ce qu'elle avait et ce qu'elle n'avait pas en produit de beauté.

Vers l'avenir et au-delà

— Tout ! Répondit Lilibeth du tac au tac, sa voix forçant presque dans les aigus tant cette réaction sortait du coeur. J'effectue chacune des tâches sur un pied d'égalité avec le monde qui m'entoure. Aucun risque de perdre l'étendue de mes forces avec un usage impromptu de magie.
Lilibeth se râcla la gorge. Un mensonge, encore un mensonge. Toute sa vie tournait autour. A cet instant, elle aurait hurler la vérité. Qu'elle était une cracmole, qu'elle en souffrait énormément ; jamais au grand jamais elle n'avait été malade. Ce n'était qu'une supercherie du vieux Barjow pour sauver les apparences. Son apparence. Car l'apparence de Lilibeth, elle, nageait en eaux troubles. Plus que jamais, Lilibeth souhaitait avouer la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Comment réagirait Leah face à des années et des années de mensonges ? Est-ce que l'influence de son paternel importait ? Leah jugerait-elle que Lilibeth ait pu, dans un murmure perdu, une once de courage, déballer la vérité, plutôt que de faire perdurer cette supercherie ? Une vague de regret submergea Lilibeth, qu'elle tenta de masquer en terminer son verre de soda light. Aux regrets, s'ajoutait la culpabilité. Les yeux dans le vague, un débat s'insinua dans son esprit, son mince courage tentant de convaincre sa forte peur de lever le voile sur la vérité.
Lilibeth ne s'en sentait pas capable. Elle n'en avait parlé à personne. Pas même à ses patrons. Finalement, à travers le vent de la liberté, elle se sentait bien seule. Implacablement, la solitude était sa meilleure ennemie. La variable indétrônable pour rythmer sa vie.
Mais peut-être, peut-être pourrait-elle y arriver. Si ce n'était pas aujourd'hui, peut-être qu'avec un peu de préparation mentale, elle parviendrait à se lancer.
— Est-ce que tu aimes les expériences culinaires ? Demanda-t-elle soudain.
Inspectant l'heure sur sa montre, Lilibeth songeait à rentrer. Si ce départ l'aidait à repousser l'échéance, elle portait à coeur d'organiser, un jour prochain, une confrontation avec Leah où elle pourra lui conter son histoire, en espérant que celle-ci ne termina pas sur la fin de leur amitié.
— Je connais un établissement très particulier dans lequel nous pourrions nous retrouver, toute les deux, afin de fêter ma liberté. Pour le déjeuner ou le dîner, si tu préfères. Qu'en dis-tu ?
Lilibeth s'approcha de Leah pour se presser contre son amie, dans une accolade chaleureuse d'aurevoir.
— Je dois rentrer, Esméralda a rendez-vous chez le vétérinaire. Apparemment, il est obligatoire chez les moldus...
Elle s'intérompit, consciente d'avoir parlé à voix haute, mais forte heureusement personne ne tranaît dans les environs.
— Apparemment, poursuivit-elle, il est obligatoire de stériliser son chat pour éviter les abandons et la prolifération dans les rues. Je dois laisser mon gros bébé pour la nuit, l'opération à lieu demain. J'insiste pour que nous nous revoyons bientôt, Leah. J'ai...
Elle abaissa la voix.
— ...j'ai quelque chose à te dire. Un secret. Mais pas ici.
En cas de mauvaises réactions ou d'oreilles indiscrètes. Elle précisa immédiatement :
— Pas maintenant.
Maintenant, elle n'en avait pas le courage.
— Bientôt !
Elle déposa un baiser sur sa joue et s'en fut. Les dés étaient jeté. A moins de se débiner en évitant un bobard plus gros qu'elle (elle en avait déjà fait l'expérience avec le Docteur Fawley et franchement, ce fut un échec plus honteux que cuisant), lors de leur prochaine rencontre, Lilibeth sera obligée de dire la vérité. La jeune femme quitta le London Bar d'un pas léger, bien que son coeur demeurait lourd.