Février 2022
Le craquement du transplanage inattendu fit hennir Sleipnir qui battit des ailes. Les moutons, trop occupés à brouter, ne réagirent pas. À l’intérieur du petit chaume, véritable sémaphore, l’elfe de maison à la peau violacée et aux oreilles étirées de part et d’autre de sa tête comme des ailes d’avion jeta un œil par la fenêtre. Elle grommela et, d’un claquement de doigts, elle désactiva le nombre improbable de pièges de Madame avait posé. Une tâche en plus dont l’être magique se serait bien passé, en plus de devoir faire la babysitter avec Maîtresse.
Maîtresse qui, au fond du lit, s’étira longuement.
La nuit avait été difficile. Réveils nocturnes, maux de tête, nausées et vomissements. Harper m’avait soutenu comme elle l’avait pu, comme à chaque fois, mais je ne pouvais me résoudre à lui couper ses heures de sommeil, alors je l’avais incité à retourner dormir. Partie de bonne heure ce matin, moi, je me résolvais à garder le lit, un peu fiévreuse. Ce n’était pas rare que je tombe malade. Le directeur et mes élèves étaient habitués, et heureusement, aujourd’hui, je n’avais qu’une classe. L’avantage d’être enseignante d’une branche optionnelle.
Malgré mon état vaseux, emballée dans mes draps, je flottais dans un état de demi-sommeil, encore bercée par l’odeur résiduelle de mon épouse à mes côtés quelques instants auparavant. En serrant son oreiller contre moi, je me donnais l’illusion qu’elle était encore là, tout prêt. Pour faire durer l’instant quelques secondes de plus.
Mais, dans le silence habituel de la petite île, outre le grondement des vagues et le sifflement du vent, mes oreilles se redressèrent quand le cliquetis de la porte d’entrée, au rez, s’ouvrit. Harper était déjà rentrée ? Aurait-elle oublié quelque chose ? Je souris à la perspective de la retrouver déjà.
Aux trois coups donnés, la porte s’ouvrit sur une petite elfe de maison vêtue d’une longue toge rouge brodée de fil doré. Sur sa poitrine brillait de ce fil scintillant, le sceau de la maison MacFusty, un Noir des Hébrides aux ailes ramassées, le cou légèrement angulé. Peu amène, l’elfe de maison claqua sa langue dans sa bouche en regardant la sorcière droit dans les yeux.
— L’intruse peut-elle décliner son identité ?Autant dire que l’elfe de maison n’avait apparemment pas besoin de se plier aux exigences habituelles concernant le respect des sorciers.
Quand l’Auror déclina qui elle était, et la raison de sa venue, l’elfe la fixa encore un instant comme si elle essayait de savoir s’il s’agissait de la vérité ou non.
— Attendez ici. S’il vous plaît. Comme si la forme de politesse lui arracha la bouche, elle se détourna en repoussant la porte sans la fermer toutefois, permettant à Rose d’apercevoir uniquement le couloir. Elle pouvait deviner des chaussures éparpillées çà et là. Elle entendit les petits pieds de l’elfe monter apparemment un escalier en bois.
Pas sur l’escalier que j’entendais moi aussi. Ah… ce n’était pas la démarche d’Harper ça… Je me retournais dans ma couche pour tomber nez à nez avec Bonnie qui entra dans la chambre.
— Une auror pour vous. Miss Carte Vrayte, ou je ne sais pas quoi… D’un coup, je me redressais, subitement réveillée.
— Rose Cartwright ?!— Ah oui, Maîtresse le prononce bien mieux que moi. Je sautais du lit dans un grand mouvement de couette repoussée avec force.
— Putain de merde. — Devrais-je rappeler à Maîtresse qu’elle est fiévreuse et qu’elle doit y aller doucem…— Ta gueule Bonnie, fais la rentrer et s’installer, j’arrive. — Tss… si peu de politesse pour la si serviable Bonnie. — Vas-y !— Oui, oui ! Roh… L’elfe de maison redescendit et retourna à la porte d’entrée et ouvrit grand la porte sur l’Auror.
— Vous pouvez rentrer. Vous souhaitez boire quelque chose ? Manger quelque chose ? Bonnie allait faire des pancakes pour Maîtresse. Le couloir de l’entrée était jonché de chaussures, comme Rose avait pu le deviner. Des paires trop grandes pour que ce soit mes propres pieds, il s’agissait forcément du bordel d’Harper. Le couloir, court, donnait rapidement accès à une seule et unique pièce à vivre, grande, car élaborée par magie. À la voir de l’extérieur, jamais il n’était envisageable d’y deviner autant de place. Sur la gauche se situait la cuisine où se dirigea l’elfe de maison violette en indiquant à Rose de prendre place soit à la table à manger, soit carrément sur le canapé, à l’opposé de la cuisine, en face de la cheminée. Certains murs étaient cachés par des étagères qui pliaient sous le poids de certains livres. Des tableaux et des photographies magiques décoraient le tout. Sur la cheminée, une petite collection de baguettes trônait fièrement. Sous l’escalier qui menait à l’étage, derrière le canapé, se trouvait un piano droit. Enfin, deux portes fermées indiquaient l’accès à d’autres pièces.
À son passage, Rose put observer que certains objets magiques s’agitèrent… surtout les plantes. Dont une, a l’air peu sympa, qui, entre des pétales, ouvrit une gueule ornée d’une impressionnante rangée de dents.
— Ne touchez pas aux plantes, indiqua Bonnie alors qu’elle claquait des doigts pour cuisiner et sortir assiettes et tasses.
Le reste, vous pouvez. Si elle décidait d’explorer les lieux de manière plus attentive, Rose pouvait apercevoir une photo de notre mariage, à Harper et moi, animée et qui renvoyait à ce jour dont elle fut l’une des invitées. À côté, le cliché de moi, visiblement bien plus jeune, dans les bras d’un jeune homme à la coupe de cheveux broussailleuse. L’air de famille était évident.
Un tableau accroché à côté de la cheminée s’activa. Un Noir des Hébrides atterrit lourdement sur un monticule rocheux et cracha un torrent de flamme en direction de l’Auror. Dans une bibliothèque, le livre sur les chevaux ailés, écrit par sa mère, qu’elle m’avait elle-même confiée, était soigneusement rangé parmi d’autres ouvrages traitant des chevaux magiques.
À l’étage, la sorcière pouvait entendre une certaine agitation.
À la hâte, j’enfilais un jean noir, un chemisier bleu marine boutonné de travers et des chaussettes de couleur différentes, apparemment non assorties. Après m’être passé le visage sous l’eau, je me coiffais rapidement, laissant quelques mèches rebelles défier les lois de la gravité. Sans prendre la peine de me regarder dans le miroir, car je préférais ignorer mes nombreuses cicatrices dû à ma mauvaise rencontre à la pleine lune de juin passé, je sortais de la salle de bain. Après de derniers détails pour me préparer, je déboulais dans le couloir et descendais les escaliers en trombe.
Une fois arrivée en bas, la vue de Rose m’arracha un sourire malgré mes yeux qui trahissaient la surprise de la voir présente. Dans mon salon. Ce petit temps de pause suffit pour me rappeler à l’ordre. Un vertige m’agressa et un frisson me secoua de la tête aux pieds. Mes jambes se dérobèrent et je tombais assise sur la dernière marche, le teint tout à coup aussi blanc que celui d’un mort. En voyant mon état, Bonnie me rejoignit tranquillement non sans s’exclamer.
— Ahlala, j’avais bien dit à Maîtresse d’y aller doucement ! Quand est-ce que Maîtresse écoutera Bonnie ? Hein ? Franchement, j’ai l’impression de vous materner depuis plus de trente ans. Décidément, l’elfe jouissait de certains prestiges et droits que d’autres ne pouvaient se permettre. Pour autant, elle me tendit la main, que je prenais volontiers. Dans un sourire pâle et rempli d’excuses, je me redressais en m’accrochant à la rambarde de l’escalier. Je restais toutefois sur la marche.
— Bonjour Rose. Comment allez-vous ? Instant de pause.
Pardonnez-moi pour cet accueil peu hospitalier, je n’attendais pas votre visite… et comme vous le voyez, je ne suis pas au mieux de ma forme. La moue qui accompagnait mes dernières paroles démontrait malgré tout ma bonne humeur et que sa présence ne me dérangeait pas.
Je jetais un coup d’œil à une chaise de la table à manger, mais la sensation dure sur mes fesses ne me séduisit pas. J’invitais donc Rose à prendre place sur le canapé. Moins formel, mais tellement plus agréable. Prudente, en m’aidant un peu des meubles sur mon chemin, je la rejoignis et m’assis avec prudence non loin d’elle, sans me défaire de mon sourire.
— Votre visite est un plaisir. Que puis-je faire pour vous ? Jamais je n’oubliais de chercher à rendre service, même à quelqu’un que je connaissais peu comme Rose. Pour autant, je l’appréciais sincèrement et elle m’avait elle-même beaucoup aidé par le passé. Ce n’était pas son genre de venir sans s’annoncer, alors j’imaginais que la raison de sa visite était de nature urgente. Aussi, je fis de mon mieux pour rassembler mes idées éparpillées çà et là, encore mal réveillée et trop malade pour être aussi vive que d’ordinaire.