Au fil des années de cavale, ta mère t’a formé à te défendre autant qu’elle l’a pu, profitant du moindre répit, tant du côté de l’attention portée à ton environnement que du combat. Armes blanches, arts martiaux… elle t’a entraîné pendant dix ans pour que tu saches te débarrasser d’un adversaire le plus rapidement possible avec un minimum de dégâts pour toi – de façon pas toujours propre ou honorable, mais dans votre situation l’efficacité primait sur l’esthétique. Krav-maga, MMA, couteau, elle t’en a enseigné les subtilités, t’a implicitement appris comment tuer en t’apprenant à retenir tes coups, les différentes manières de frapper, le contrôle que tu devais avoir sur chacun de tes gestes pour ne jamais te laisser dépasser. Des heures et des heures, jusqu’à ce que les mouvements deviennent des réflexes, que tu as continué d’exercer à Poudlard. Des compétences qui te seraient encore plus utiles maintenant, si ta phobie du contact ne te gâchait pas à ce point l'existence – oh tu peux toujours te débarrasser d'un adversaire qui t'approche trop près et laisser ton corps parler pour toi, mais ce sera loin du contrôle et de l'efficacité dont tu es normalement capable et bien plus proche de ruades désespérées. Des compétences que tu t’emploies aussi à dissimuler dans une certaine mesure. Les cours de corps-à-corps à Poudlard ont été l’occasion d’admettre que tu avais pratiqué les arts martiaux, sans que tu t’étendes sur lesquels ni, surtout, sur l’intensité de ta pratique. Tu as bien conscience que tes capacités vont bien au-delà de ce qu’on pourrait attendre d’un étudiant lambda – tu l’as déjà en partie montré lors de tes stages chez les Aurors, en devant jongler entre ta couverture et le fait que tu voulais prouver que tu étais réellement capable de t’en sortir, que tu étais au niveau. Lorsqu’il t’a mis la main dessus l’année dernière, Sean n’a d’ailleurs pas été long à faire le rapprochement ; tes talents n’avaient pas grand-chose à voir avec la chance du débutant.
Le seul domaine où ta mère n’a jamais pu te former, c’est celui des armes à feu. Trop compliqué de se fournir des munitions en nombre sans se faire repérer, difficile d’entraîner un enfant en toute discrétion. Elle t’a fait pratiquer quelquefois pour que tu connaisses les sensations, que tu sois à même de tirer si la situation dégénérait et qu’elle ne pouvait plus te protéger. Elle t’a surtout habitué à les manipuler, à les nettoyer, à les charger et les décharger, à les toucher toujours en toute sécurité, déjà par simple prudence, mais aussi pour te familiariser avec. Cela fait longtemps que tu n’en as pas touché une, effleuré le métal froid d’une crosse, mais tu as l’impression de ne pas avoir oublié. Et bien sûr, il y a toutes les fois où tu as entendu siffler les balles, que ce soit ces derniers mois depuis que tu as rejoint l’Ordre et affronté le Blood Circle sur le terrain, mais aussi dans ton enfance, les quelques fois où les hommes de ton père vous ont retrouvés. Tu portes encore les marques des balles qui t’ont à peine frôlé, et ces nuits-là sont gravées en toi, les souvenirs de ces moments passés roulé en boule dans un fossé ou coincé dans l’espace entre les sièges avant et la banquette arrière de la voiture.
Ta mère n’a jamais pu t’apprendre à tirer et il est temps que cela change. La menace du Blood Circle ne diminue pas, bien au contraire, l’élection frauduleuse de l’Augurey te met également en danger du côté sorcier à cause de ton sang et tu ne peux pas te permettre de laisser le moindre adversaire venir au contact. Certes, tu es plus que bon en sortilèges, mais avoir un avantage en plus, un domaine où les sorciers ne t’attendront pas, n’est pas à négliger. Ça fait quatorze ans que tu survis et tu as bien l’intention de continuer.
Et ce sera aussi une façon de te reprendre pour digérer ton échec aux examens, de te relancer en te concentrant sur quelque chose de concret et d’utile au lieu de ruminer.

Même si ça implique des situations que tu aurais préféré éviter, à savoir approcher un médicomage pour lui demander de l’aide. Azrael t’est tout de suite apparu comme la seule personne parmi les sorciers à même de t’apprendre à tirer. Son expérience parle pour lui à où trop souvent les sorciers dédaignent les armes moldues et refusent de s’en servir, comme si elles risquaient de les contaminer. Toi, tu ne veux plus prendre aucun risque. Et ta pratique des sortilèges sur cible lors de tes stages chez les Aurors et de tes propres entraînements à Poudlard devrait t’être bien utile ici : tu sais viser, même si ce n’est pas tout à fait la même chose entre une baguette et un pistolet.
Une fois ta décision prise, tu es parti en quête d’Azrael que tu as fini par dénicher dans la cuisine du Square Grimmaurd. Et sa réaction lorsque tu t’es adressé à lui a été plus que parlante : il a regardé sur le côté comme s’il s’attendait à trouver une autre personne. Tu as grimacé intérieurement, tu ne pensais pas que ta distance avec lui était aussi… évidente. Tu l’es avec pas mal de monde, mais clairement les médicomages… tu as vaguement pensé à t’excuser sans trop savoir comment formuler les choses pour ne pas aggraver la situation. Te taire et revenir au sujet de ta présence t’a paru plus prudent.
Heureusement, ta demande lui a plu et il t’a donné rendez-vous au QG de l’Ordre que tu rejoins rapidement. Le stand de tir a été installé au sous-sol, dans une pièce plus longue que large. Tu t’arrêtes un instant sur le seuil. Les lieux sont très différents du stand installé chez ton père, mais tu ne peux pas t’empêcher d’y penser. Tu le revois tirer, enchaîner les balles, trouer les cibles en leur centre – ou là où il le voulait. Il sait très bien où tirer pour arrêter et non tuer, pour torturer et faire durer le plaisir. Tu n’avais que six ans et tu t’exerçais déjà à manipuler des armes adaptées à ta taille, tu en connaissais les risques et les enjeux. Et à l’époque, ça te paraissait parfaitement normal.
Tu détailles le stand, t’arrêtes sur les silhouettes humaines, assez proches de celles utilisées par les Aurors – et une façon de se rappeler à quoi exactement tu t’entraînes.
Azrael a remarqué ton arrivée et tu reportes ton attention sur les armes posées devant lui, tu en reconnais quelques-unes, plus ou moins discrètes selon la taille. Le médicomage te salue chaleureusement et tu lui souris.

— Bonjour, Azrael ! Je suis paré et je suis curieux de voir ce que tu as prévu.

Ton ton reste sérieux, tu as bien conscience de ne pas être là pour t’amuser et tu ne veux pas lui donner l’impression de prendre le maniement des armes à feu à la légère.

— C’est impressionnant, tu ajoutes en revenant aux armes. Même face au Blood Circle, je n’ai jamais vraiment eu d’occasion d’en manipuler.

Tu te demandes ce que tu ressentiras quand tu poseras la main dessus – ce que tu devras cacher, parce qu’il ne doit pas se douter de ce que tu connais déjà.