Caractère
Il pense donc il est. Il a toujours été ainsi. Toujours vu les choses de cette manière. Ceux qui ne pensent pas, comme il l’entend, ne sont pas, à ses yeux. Tout simplement. Lui, il pense. Il est.
La pensée. Son culte. Voilà l’autel sur lequel il s’est construit. C’est pourquoi rares sont ceux qui décèlent sur ces traits immobiles des émotions courantes, telles que la joie, la colère ou la tristesse. Ils sont nombreux à sauter sur la conclusion la plus simple : cet homme n’éprouve rien. Alors que la vérité est toute autre : ses états d’âmes sont tellement entremêlés au cours de sa pensée, tellement endigués par le flux de sa réflexion, qu’il n’éprouve guère le besoin de les manifester autrement que par une poignée de micro-expressions qui ne bouleversent pas la froideur de ses yeux. C’est une perte d’énergie, de temps, et surtout, un risque non négligeable, car si le commun des mortels avaient accès à son ressenti, ils seraient nombreux à s’enfuir en courant. Alors, parfois, il daigne mettre un masque de courtoisie, un sourire froid et distant sur ses lèvres, jouant la politesse chaleureuse qui trompe la plupart de ses interlocuteurs.
La pensée. Sa maîtrise. Il la dirige avec un degré de précision tel qu’il en devient effrayant. Rares les cerveaux aussi bien ordonnés et minutieux que les siens. Les souvenirs, même les plus infimes, sont classés, triés, décryptés. Maniaque, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, il a construit un 'mind palace' labyrinthique où le fil d’Ariane se divise et se multiplie à l’infini. Il est difficile, presque impossible, de le trouver en défaut de mémoire. L’homme serait capable de retranscrire une conversation au mot près, qu’importe qu’elle ait eu lieu il y a plusieurs semaines. Il dispose d’une mémoire que les moldus qualifieraient de 'photographique' car la moindre modification dans son environnement lui fait lever un sourcil inquisiteur. Il n’oublie rien et parfois, cela le ralentit, car chaque souvenir prends un poids particulier sur son esprit et le force à revenir en arrière, constamment, régulièrement. Passé, pensée, une subtilité qu’il oublie parfois de noter.
La pensée. Son cours. Si la pensée des autres défie déjà à la course les plus rapides des pur-sang, la sienne est aussi vive que l’attaque d’un serpent. Elle glisse sans à coup, tranquille et régulière, s’adaptant sans effort, s’adonnant à la réflexion… jusqu’à ce que quelque chose l’interroge, la perturbe… alors elle se dresse, se replie et jaillit, sifflante, foudroyante. Les ignorants appellent cela des illuminations, des coups de sang. Mais lui sait que cette attaque subite n’est que le fruit d’un génie constant, tranquille, dont les éclats ne sont que détails, des pertes de contrôle aussi rapides qu’éphémères, nécessaires à son équilibre. Il est capable de prendre des décisions sur un coup de tête manifeste, mais, confiant, il considère cela comme l’aboutissement d’une réflexion, d’un calcul effectué à une telle vitesse qu’il n’a guère eu le temps de le suivre. Excès de confiance, il n’y croit pas. Ces élans brutaux ne l’effraient pas. La stabilité est son quotidien, l’impulsivité, un retour de flamme, un retour d’âme, car il en possède une, aussi difficile cela soit à croire.
La pensée. Ses distractions. Il en a peu, hélas. Son métier et son rôle de Mangemort lui prennent déjà ses jours et ses nuits. Mais il se ménage un certain espace de liberté, laissant parfois son esprit vagabonder à des occupations plus triviales. Il apprécie la cuisine, aussi étrange cela puisse paraître pour un homme tel que lui. Rien de plus satisfaisant pour lui de s’oublier devant les fourneaux, affiner les produits, découvrir de nouvelles saveurs, toujours plus délicates. Dans un autre registre, il est un joueur d'échecs émérites, réservant ses rares performances à des adversaires dignes de ce nom : jouer avec des amateurs deviendrait une corvée. Féru de musique classique, le summum de la satisfaction pour lui consiste certainement à savourer un verre de vin tout en écoutant un concerto de Rachmaninov. Il a fait plusieurs années de piano et regrette de ne pouvoir davantage pratiquer. Mais après tout, il faut bien se consacrer à la Cause…
La pensée. Son jugement. Il n’a jamais dérogé à ses convictions. Elles ont été forgées et figées il y a longtemps. Élevé comme un Sang-Pur malgré son sang de demi, il a lui-même adhéré librement à la plus extrême des doctrines : celle des Mangemorts. Le monde moldu est une souillure, leur sang, une aberration. Ils menacent et grignotent un peu plus leur monde chaque jour alors même que leur pouvoir et leurs connaissances n’égaleront jamais le leur. Ceux qui savent doivent régner, ceux qui ignorent, plier. Il en a la conviction absolue. Si les choses continuent ainsi, les lois des sangs de Bourbe prendront le dessus sur les traditions immémoriales et le nom de « sorcier » ne signifiera plus rien. Disciple machiavélien sans le savoir, il adhère sans mesure à l’adage « la fin justifie les moyens ». Terriblement détaché, capable d’atrocités lorsqu’elles sont nécessaires, il n’hésite pas à se montrer cruel voire sanguinaire : ce n’est pas de la cruauté, mais une simple indifférence – c’est ce qu’il affirme en tout cas. Rares sont les personnes qu’il estime : à ceux-là seuls il accordera une part de son souci et de sa sympathie. Loyauté est peut-être un mot fort car si sa vie est menacée pour un motif futile, son esprit rationnel le poussera à trahir et dissimuler. Il a été à Serpentard pour une bonne raison. Sa seule et véritable allégeance va à ses convictions profondes, pas à des gens. Car les gens sont faillibles. Il est bien placé pour le savoir.
La pensée. Son arme. Chez les autres, elle est si prévisible. Peut-on véritablement même parler de 'pensée' quand la majorité des décisions est prise sur des coups de tête ou des états d’âme ? Souvent, il n’a besoin que d’un coup d’œil pour déterminer si oui ou non un être est sensible à un discours, quelles sont ses intentions, ses priorités. Il n’est pas spécialement un beau parleur, mais excellent manipulateur : car quelques paroles et des actes réfléchis suffisent habituellement à ce qu’il obtienne ce qu’il désire. A vrai dire, il est beau être sans doute l’un des Legilimens les plus doué de sa génération, son don ne lui sert qu’à de rares reprises tant les motivations de ses interlocuteurs lui sont évidentes. Il peut certes se tromper et quelques fois son ego lui a fait commettre des erreurs ; il le reconnaît sans trop de honte : après tout, un ego solide, rares sont ceux qui peuvent se vanter d’en avoir un, non ?
La pensée. Ses faiblesses. Car 'ego solide', cela se discute. Certes, l’homme est d’une redoutable intelligence, ce qui lui permet souvent d’éviter les écueils des passions mal placées. Mais, même s’il efforce de les dissimuler au plus profond de son labyrinthique esprit, quitte à les renier, il a ses points faibles. Notamment la nature de son sang : malgré ses ascendants Selwyn, il demeure le membre d’une famille au sang-mêlé sur plusieurs générations maudites, à sa grande honte. Il hait qu’on le lui rappelle, même s’il prétend que cela lui indiffère à qui le lui demande. La pureté de son sang est un sujet sensible et qui s’est déjà amusé à l’humilier sur le sujet subira certainement les affres d’une vengeance immédiate en bonne et due forme. Rancunier, le sorcier ? Si peu… L’évocation de sa cousine lointaine, Dolores Ombrage, lui est aussi particulièrement désagréable : ses agissements ont fait honte non seulement à la famille, mais aussi à la subtilité, au bon goût et à l’intelligence.
La pensée. Ses noirceurs. Mais il a beau prétendre n’avoir aucun point commun avec cet infâme petite femme aux goûts douteux, il en a au moins un : un certain goût pour le sang… Fascination liée à son complexe d’infériorité, cruauté de sociopathe, ou déviance sexuelle, les théories seraient bien obscures. Mais le fait est là. Son acolyte Malefoy a beau le charrier sur son manque d’activité sensuelle et sentimentale, le soupçonnant d’avoir un balai logé dans le fondement, le manque d’intérêt de l’homme pour ces trivialités a des raisons bien plus obscures. Ou plutôt écarlates. … S’il fait couler le sang des impurs, qui le lui reprochera ?
Après tout, il pense donc il est. Il pense et lit les pensées. L’esprit des autres, médiocre, est en son entier pouvoir. Les inférieurs ne sont pas, à ses yeux. Et le flot de ce qu’ils appellent pensée se tarira dans leurs blessures sanguinolentes…