Ces derniers temps, Erin ne savait plus trop si elle devait apprécier son rôle de préfète ou pas. L’insigne ornait sa poitrine depuis deux ans maintenant et ça aurait été mentir que d’affirmer qu’elle n’avait pas été surprise en le recavant. Certes, elle était une sorcière brillante et discrète qui respectait le règlement et les professeurs de l’école, par de nombreux aspects elle était même l'archétype de l'élève modèle. La parfaite petite Serdaigle qui accordait toute l'importance nécessaire à ses études. Mais ça n'empêchait pas qu'elle était une étudiante étrangère à Poudlard. En tant que française, elle n'avait pas pensé qu'un insigne de préfète puisse un jour lui être confié. Même si elle avait passé une année complète au sein de l'école britannique avant que ce ne soit le cas, il y avait d'autres élèves qui connaissaient mieux les lieux et les mentalités des habitants du château. Pourtant c'était elle qui avait été choisi et Erin avait toujours considéré cette décision comme un honneur qui lui était fait. Un honneur dont elle saurait se montrer à la hauteur. Elle avait beau avoir fait toute sa scolarité à Beauxbâtons, elle saurait être le soutient dont les élèves de Poudlard avaient besoin. Car pour celle c’était de ça qu’il s’agissait. Être préfet ce n’était pas faire régner l’ordre et respecter le règlement, ce n’était pas s’assurer que chacun filait droit et distribuer des punitions lorsque ce n’était pas le cas. Ce n’était pas ce qu’elle voulait, elle, elle avait toujours voulu être un soutient vers lesquels les autres élèves pouvaient se tourner, une présence amicale, une épaule sur laquelle se pencher un peu. Erin aimait son rôle de préfète surtout pour l'aspect d'entraide et de soutient qu'il représentait, elle aimait accueillir les nouveaux et leur faire découvrir le château, soutenir ceux qui en avaient besoin. Représenter une figure d’autorité était certes une nécessité, mais pour elle ce n’était là l’essence même du rôle de préfet.

Sauf qu’en ce moment, les choses n’étaient plus si simples que ça. Oh en l’apparence ça l’était puisque la française gardait toujours ses secrets soigneusement enfermés, mais en réalité, rien n’était plus pareil. La faute à la morsure, comme toujours. La seule chose qui bouleversait son existence depuis des mois maintenant et à laquelle elle ne voyait aucune issue favorable. Si auparavant son rôle de préfète avait toujours été très clair à ses yeux, désormais c’était bien plus compliqué. Rien n’avait changé au niveau de ses fonctions et de ce qui lui était demandé, elle connaissait toujours son rôle sur le bout des doigts et savait ce qu’elle devait faire pour le remplir. Le souci c’était elle. Encore une fois. A l’approche de chaque pleine lune, les effets de la morsure revenaient au triple galop et chaque fois qu’elle se disait qu’elle allait s’y habituer, ce n’était pas le cas. A mesure que l’astre retrouvait sa rondeur dans le ciel, sa patience s’élimait, son humeur se faisait maussade et le sommeil la fuyait. Et à chaque fois que c’était le cas, de plus en plus d’élèves en faisaient les frais. Là où habituellement Erin laissait passer les petites infractions et accueillait avec un sourire compréhensif les entorses au règlement, elle se surprenait à se montrer soudainement intransigeante. Sans pouvoir s’en empêcher, elle se retrouvait à élever la voix face aux provocations puériles des jeunes élèves et à enlever des points même lorsque ce n’était pas réellement nécessaire. De la préfète un brin laxiste, elle devenait inflexible. Erin détestait ça, ce n’était pas elle, cette sorcière sur les nerfs qui ne laissait rien passer, ça ne lui ressemblait pas. Mais elle avait beau lutter, elle avait beau appliquer les conseils d’Aidan, ça ne changeait rien. Tout ça parce que la pleine lune jouait avec ses émotions, et qu’elle n’était pas assez forte pour lui opposer la moindre résistance.

C’était de pire en pire, la fatigue s’accumulait, la frustration de ne plus se sentir elle-même aussi, mais il n’y avait pas grand-chose qu’elle puisse y faire. Elle se voyait décliner, et elle savait qu’elle avait beau faire de son mieux, ça ne passait pas totalement inaperçu. La distance entre elle et Balthazar se faisait chaque jour un peu plus grande sans qu’elle ne parvienne à trouver une solution pour la combler. Son petit ami le pouvait l’ignorer, mais il n’était pas le seul. Il y avait eu les questions -accusations- d’Elise qui avaient mis ses nerfs en pelote. Et puis même Kiara, avait fini par s’en inquiéter. En tant que préfète en chef, l’autorité redoublée dont Erin faisait soudainement preuve était parvenu jusqu’à elle alors elle était venue l’interroger à ce sujet. La Macmillan avait tenté de comprendre et lui avait proposé son aide. Encore une personne à laquelle la française avait dû mentir, prétendre que ce n’était que passager, que son comportement était dû à la pression de ses études. Des mensonges désormais bien ficelé, qui avaient un goût de vérité mais qui couvrait à peine un quart de ce qu’il lui arrivait réellement. Des mensonges dont elle ne pouvait pas se passer tout simplement parce qu’elle n’avait pas d’autres moyens d’expliquer ce qu’il lui arrivait sans prendre le risque de voir ses proches lui tourner le dos. De toute façon, ce n’était pas comme si elle-même comprenait réellement ce qu’il lui arrivait. Erin faisait pourtant de son mieux, mais encore une fois ça ne suffisait pas. En bonne Serdaigle elle avait écumé la bibliothèque de Poudlard à la recherche de grimoire traitant de la lycanthropie, elle avait visité toutes les librairies possibles et imaginables. Elle avait été prête à lire tous les livres du monde si ça avait pu lui donner la moindre piste capable de l’aider. Mais ça avait été sans résultat.

Le seul moment où elle avait obtenu un début de réponse avait été lorsqu’elle avait affronté sa peur -nouvelle- des loup garous et qu’elle s’était rendue dans ce bar de Londres réputé pour réunir quasi exclusivement des représentants de cette espèce. Ca n’avait pas été assez, ce ne serait jamais assez tant que cette morsure continuerait d’avoir un effet sur son organisme, mais ça avait déjà été ça. Alors elle y était retournée. Erin avait affronté ses craintes, repoussé ses angoisses, et plusieurs fois elle avait plongé dans l’antre du loup. Chaque fois elle y était allée avec des questions et chaque fois elle en était ressortit avec des brides de réponses et une impression de vertige qui menaçait de ne jamais la quitter. Peut-être qu’un jour elle aurait assez de réponses à ses interrogations pour comprendre enfin ce qu’elle était devenue. Mais sûrement ne serait-ce pas pour tout de suite, car sa dernière visite auprès de Kesabel Greyback l’avait plongé dans des tourments encore plus grands. Cette fois, c’était le sorcier qui lui avait imposé les termes de leur prochaine rencontre et Erin ne s’était sentit d’autre choix que d’accepter. En soit, Kesabel n’avait aucune autorité sur elle, elle ne faisait pas partie de sa meute -Merlin merci cette idée lui donnait des sueurs froides- alors elle ne lui devait pas obéissance. Mais il acceptait de répondre à ses questions sans rechigner, et sans -trop- se moquer quand celles-ci frisaient le ridicule, il se creusait certainement autant la tête qu’elle face à certaines de ses interrogations et surtout il s’était engagé à trouver le loup garou qui l’avait attaqué pour qu’il ne puisse jamais faire d’autres victimes. Erin avait beau n’avoir aucune allégeance envers le Greyback, si elle voulait bénéficier de son aide, elle devait y mettre du sien. Cette étrange relation qui se nouait entre deux ne pouvait être à sens unique, elle le savait. Elle lui devait bien ça. Passablement perturbée par sa demande, la française avait donc accepté.

Ce fut pour cette raison qu’en cette veille de pleine lune, elle quitta le domaine de Poudlard aussitôt ses cours terminés. Habituellement, elle se serait rendue à la bibliothèque pour y travailler ses cours, mais cette fois elle avait rendez-vous avec un loup garou chef de meute dans l’espoir un peu fébrile de mieux comprendre ce qu’elle était devenue. Il y avait vraiment de quoi avoir le vertige. Car c’était de ça dont il s’agissait : tenter de comprendre ce que la morsure modifiait réellement chez elle. Lors de leur première rencontre, Kesabel avait mentionné certains effets secondaires liés à l’approche de la pleine lune. Au-delà de ses émotions qui faisaient n’importe quoi, les sens de la Serdaigle pouvaient se faire plus affinés, un instinct prendre le dessus. Comme si la part animale qui se cachait désormais en elle pouvait davantage s’exprimer lors de cette période. C’était une idée que la française trouvait particulièrement dérangeante, mais puisqu’elle ne pouvait pas lutter contre, le mieux était de tenter de la comprendre. Et d’en estimer les limites. C’était là l’objectif que Kesabel lui avait présenté : tester ses capacités nouvelles pour juger des effets de la morsure qu’elle avait reçue. Une perspective dont Erin ne savait pas trop quoi faire, mais à laquelle elle se pliait tout de même. Si elle voulait continuer à avoir le soutien de Greyback et de sa meute, elle se devait de se plier à ce genre de demande. Même si elle ignorait si les résultats qu’ils obtiendraient seraient pour lui plaire. Avec toutes ces interrogations en tête, Erin avait donc quitté Poudlard pour transplaner jusqu’à l’orée d’un petit bois indiqué par Kesabel. Elle ignorait s’il avait fait exprès de ne pas choisir la forêt de Pré-au-Lard, là où avait eu lieu sa morsure, mais elle en était soulagée. Tout aurait été mieux que l'endroit de sa morsure, même un cimetière. Cette fin de journée s’annonçait déjà comme une épreuve pour elle, inutile d’y ajouter le spectre de cette soirée où tout avait basculé.

Malgré ses nerfs en pelote, Erin s’efforça de faire bonne figure lorsqu’elle arriva sur les lieux du rendez-vous. Elle repéra sans mal Kesabel qui attendait non loin mais fut surprise de voir qu’il n’était pas seul. D’autres sorciers se trouvaient là, des visages qu’elle connaissait pour les avoir croisés dans le bar, ce qui voulait dire que c’était des loups garous, dont deux qui étaient en grande discussion avec leur chef de meute. Puisqu’elle n’avait pas envie de s’imposer, elle attendit que le Greyback se tourne vers elle pour s’avancer. Il avait sûrement sentit sa présence dès l'instant où elle avait transplané, ou rien qu'au bruit que faisaient les feuilles mortes quand elle marchait dessus, mais ce n'était pas une raison pour se montrer malpolie. « Bonjour Kesabel. » Lança-t-elle doucement. Un peu hésitante, elle salua les sorciers dont elle croisa le regard. Etrange mélange de son éducation qui lui avait inculqué l’importance de la politesse et de cette crainte qu’elle ne pouvait s’empêcher de ressentir en se sachant entourée de lycanthrope. Même si elle tentait de se donner un peu détendue -ce qui était certainement un échec- Erin ne pouvait s’empêcher de s’interroger. Quand Kesabel lui avait demandé de la rejoindre là, elle n’avait pas pensé que la moitié de sa meute serait aussi présente. Ce n’était pas pour aider sa nervosité. « Quand vous m’avez dit vouloir tester mes… Capacités. » Reprit-elle en reportant ses prunelles bleutées sur le sorciers. Capacités, elle n’avait pas trouvé de meilleur mot pour désigner les changements sur son organisme mais faute de meilleure définition, celui-ci ferait l’affaire. Ce n’était pas ce qui lui importait le plus en cet instant. « Je ne m’étais pas rendue compte qu’il y aurait des spectateurs. » C’était ça, qui lui importait le plus. Ca et ce que Kesabel lui réservait et dont elle n’avait aucune idée.

Erin était une sorcière. C’était un fait qui avait toujours fait partie de son existence, avec lequel elle avait grandi et évoluée. Elle était une sorcière, elle était née dans une famille de sorciers, ce qui voulait dire que sa vie n’avait de base pas grand-chose de banale. Elle avait grandi avec la magie partout autour d’elle, des sortilèges de sa mère, à l’elfe de maison qui travaillait chez eux, c’était omniprésent. Ainsi, plus grand-chose ne l’étonnait vraiment. Les tableaux qui parlaient, les objets qui se déplaçaient seuls, les sorciers qui pouvaient se changer en animaux, rien de tout ça ne lui faisait hausser un sourcil. La magie restait surprenante et merveilleuse, mais elle ne sursautait, ni ne s’interrogeait, à son apparition. En réalité, désormais c’était plus le monde moldu qui parvenait à l’étonner. Toutes les technologies que Balthazar lui faisait découvrir, ces aspects qu’elle ne connaissait pas malgré sa curiosité naturelle et le temps qu’elle pouvait passer le nez plongé dans des bouquins. Erin se souvenait encore avec une certaine affection de sa surprise le jour où son petit ami lui avait fait tester un téléphone portable moldu pour la première fois. Elle avait été si étonnée d’entendre sa voix à travers la petite boite noire qu’elle avait failli la lâcher. Elle avait réalisé ce jour-là que le monde moldu recelait de mystères et il était rapidement devenu la mission première de Taz de tous les lui faire découvrir. Une tâche à laquelle le Poufsouffle s’était attelé joyeusement et dans laquelle elle l’avait suivi sans la moindre hésitation. Parce que s’il y avait quelque chose qu’Erin aimait par-dessous tout, c’était découvrir de nouvelles choses, repousser les limites de ses connaissances. Elle n’était pas une Serdaigle pour rien, elle le reconnaissait, tout comme elle avouait bien volontiers que le choixpeau de Poudlard faisait très bien son travail.

Sa soif de connaissance avait cependant une limite et ça elle s’en était rendue compte en juillet dernier. Il y avait des choses qu’Erin n’aurait aimé ne jamais savoir, des domaines dans lesquels elle aurait préféré ne jamais mettre les pieds. La connaissance c’était bien, mais seulement de l’extérieur, maintenant elle le comprenait bien. Elle qui se croyait pourtant curieuse de tout, qui pouvait s’intéresser à tout, réalisait qu’il y avait des domaines dans lesquels elle aurait préféré rester dans l’ombre. Celui de la lycanthropie en était l’exemple parfait. Sur le principe, en apprendre plus à ce sujet n’avait jamais dérangé Erin. Certes, les créatures magiques et tous les sujets qui s’en approchaient n’étaient pas exactement ceux qui retenaient le plus son attention, elle était plus attirée par tout ce qui touchait aux sortilèges, mais elle était assez curieuse pour avoir envie d’en savoir plus. Sauf que maintenant qu’elle se trouvait personnellement concernée, elle regrettait amèrement tout ce qu’elle était forcée d’apprendre. Quand elle songeait à la lycanthropie, Erin n’avait jamais pensé être concernée un jour. Et maintenant que c’était le cas, même si c’était une forme d’entre deux, elle réalisait qu’elle aurait tout donné pour ne jamais rien avoir à apprendre à ce sujet. Pourtant elle n’avait pas d’autre choix, et c’était peut-être ça qui rendait sa situation si difficile. Elle devait combler ses lacunes non pas par envie, mais bien par nécessité. Parce qu’elle avait été jetée dans un monde dont elle ne savait absolument rien et que si elle restait dans l’ignorance alors elle n’était pas sûre de pouvoir y survivre bien longtemps. Elle aurait tout donné pour faire demi-tour, pour revenir quelques semaines en arrière et ne jamais rencontré ce loup fou furieux dans la forêt de Pré au Lard, mais c’était impossible et désormais elle devait faire avec.

C’était pour cette raison qu’elle avait chamboulé son programme de la soirée, parce qu’elle devait affronter ses peurs et sa répugnance, parce qu’elle n’avait pas d’autre choix que de tenter de comprendre ce qu’il lui arrivait. Elle avait accepté le rendez-vous que Greyback lui avait donné, lui-même ne comprenait pas tout ce qu’il lui arrivait mais ils étaient tombés d’accord sur le fait que pour comprendre ils devaient en apprendre le maximum. L’idée de fréquenter des loup garou emplissait toujours Erin de frayeur, elle doutait de s’y faire un jour, pas avoir que les souvenirs de son attaque par l’un d’entre eux ne cessaient de venir s’imprimer sur ses paupières dès qu’elle fermait les yeux, mais c’était le meilleur moyen d’en savoir plus. Ca elle en était cruellement consciente. Elle avait donc quitté les murs rassurants du château de Poudlard pour se rendre sur le lieu indiqué par Kesabel. Elle l’admettait, elle s’en remettait totalement à lui sur ce coup-là. C’était lui le loup garou, certainement depuis plus d’année qu’elle n’oserait en compter, alors c’était lui qui avait l’expérience. Si elle ne lui devait pas obéissance, elle se devait au moins de faire des efforts. Il l’aidait à sa manière, elle ne l’oubliait pas. De toute façon, ce n’était pas comme si elle avait d’autres alternatives. La médicomagie, tout comme les grimoires dans lesquels elle s’était plongée avaient vite montré leurs limites. Il n’y avait donc plus que les loups, plus que Kesabel pour tenter de mettre un peu de lumière sur tout ce qu’il lui arrivait. Erin tentait de se dire qu’au moins elle n’était pas seule, ni complètement isolée, mais mettre ses questionnements et son existence entre les mains de loups garous alors que c’était l’un d’entre eux qui avait justement tout foutu en l’air était extrêmement perturbant.

Clairement, ce n’était pas une promenade de santé que la française s’apprêtait à réaliser. Ca s’approchait plus de l’angoisse pure et dure. Pourtant quand elle arriva sur le lieu de rendez-vous, elle lutta contre son envie de faire demi-tour, elle fit taire sa peur de son mieux et s’avança vers Kesabel et les sorciers -non les lycans- qui l’entouraient. Même après plusieurs visites au bar, même après plusieurs conversations, parfois avec plusieurs d’entre eux, Erin ne parvenait pas à se sentir complètement à l’aise en leur présence. La crainte était toujours là, tapie au fond d’elle, prêt à ressurgir. Ce fut tendue, mais résignée qu’elle s’avança pour saluer le chef de meute. « Salut. » Erin tenta un sourire mais elle sentit bien que c’était un échec. Elle ne savait pas trop à quoi s’attendre de cette rencontre. Tester ses capacités, ça voulait tout et rien dire à la fois. Et puis elle devait l’admettre, elle ne s’était pas imaginer que d’autres loups garous seraient également présents. C’était sûrement une bonne chose, sûrement nécessaire, mais ça restait perturbant pour elle de se retrouver entourée de la sorte. « Ouais… Je savais pas trop comment m’y prendre pour être honnête. Avec plusieurs membres, on pourra avoir des comparaisons et peut-être même d’autres idées. » Songeuse, Erin hocha la tête. Que Kesabel soit à peu près aussi paumé qu’elle, ça ne l’étonnait pas vraiment, lors de leur première rencontre il avait admis n’avoir jamais croisé d’autre cas comme le sien. Cette démarche montrait sa bonne foi, son implication, et ça c’était une bonne chose. Au milieu de toutes ces incertitudes, c’était rassurant. « C’est une bonne idée, tout peut être utile. » Ils étaient face à l’inconnu, il n’y avait pas de mauvaise idée.

De ses prunelles bleutées, Erin suivit les mouvements du Greyback. « Tom, Eddy, Laïa et Kate. » La blonde hocha la tête au fur et à mesure. Elle en connaissait certains de vue, d’autres étaient des inconnus pour elle. Tous n’avaient pas l’air d’apprécier de se trouver présent en cet instant mais au moins ils avaient fait l’effort de venir. Ou du moins, ils avaient obéi aux ordres de leur chef. « Enchantée. » Erin tenta de leur offrir un nouveau sourire, un peu plus convaincu cette fois-ci. Ils étaient là pour elle, c’était le minimum qu’elle puisse faire. Même si c’était loin d’être évident pour elle, elle leur en était reconnaissante. « Voici Erin qui a été attaquée par l’autre enfoiré qu’on a banni de la meute. » La française contint difficilement une grimace à l’entente des mots de Kesabel. Elle doutait de s’habituer un jour à la mention de l’attaque dont elle avait été la victime. Au moins, elle n’était pas la seule à afficher une expression rebutée. Tous les loups présents avaient l’air aussi dégoutés que leur chef à l’idée que l’un des leurs soit assez fou pour forcer une transformation en dehors de la pleine lune. Lorsque le Greyback alluma une cigarette, Erin fronça le nez. Incapable de s’en empêcher, elle recula d’un pas pour se mettre hors de portée de la fumée, ça n’empêchait pas l’odeur immonde du tabac de l’atteindre mais c’était déjà ça. Elle avait toujours eu en horreur l’odeur de la cigarette, mais puisque c’était entré dans les mœurs même chez les sorciers, elle avait appris à faire avec. Sauf que là, à l’approche de la pleine lune, c’était bien pire. « Déjà, vide ton sac. Dis tout ce qui se passe pour toi. Tes sens, tes émotions, tes envies… comment tu ressens les choses à la veille de la pleine lune ? » Oh alors ça, c’était à la fois facile et terriblement difficile. Les émotions étaient là, juste sous la surface, prêtes à exploser au moindre effleurement. Mais elles étaient également si nombreuses et déchainées qu’il était difficile pour la française d’y faire le tri et de réellement les comprendre. Alors les expliquer, c’était un défi en soi. « Tout est insupportable. » Fini-t-elle par déclarer. Voilà qui était un bon résumé. Se doutant que ça n’allait pas vraiment les aider, Erin se força à réfléchir et à mettre des mots sur ce qui lui arrivait. « Je suis épuisée mais je n’arrive pas à dormir. Tout me met sur les nerfs. Normalement, je ne suis pas une personne sanguine ou caractérielle, mais là, je m’énerve pour rien. Je me sens tout le temps en colère. » Elle n’était plus elle-même, rien qu’en le disant elle s’en rendait bien compte. Tout ça à cause de la lune dans le ciel. « Rien que d’y penser, ça m’agace. » Rien que d’être comme ça, ça l’agaçait. Parce que ce n’était pas qui elle était, qui elle voulait être.

Quant au reste, est-ce qu’elle ressentait des différences. Kesabel lui avaient parlé de ses sens ou de ses envies mais Erin devait bien avouer qu’elle n’y avait pas vraiment prêté attention. Elle n’avait toujours aucune envie de se rendre compte qu’elle était différente, même s’il était bien trop tard pour ça. « C’est vrai que j’ai plus envie de viande rouge en ce moment, comme vous me l’aviez dit. Et pour mes sens, c’est bien possible, je le vois surtout à l’odorat. » Admit-elle, perturbée par ces changements. Si elle y avait prêté plus attention, sûrement aurait-elle remarqué davantage de choses. C’était bien la première fois que la Serdaigle ne faisait pas bien ses devoirs. Il fallait dire que le sujet n’était pas vraiment à son goût, au moins personne ne pourrait la blâmer pour ça. « J’avais une autre demande à te faire mais je peux comprendre que tu ne veuilles pas me montrer. Où as-tu été mordu et est-ce que je peux voir ta cicatrice ? » Erin tourna vers le sorcier un regard surpris. Elle cligna des paupières, complètement désarçonnée par cette demande qu’elle n’avait pas vu venir. L’espace d’un instant, elle se demanda si elle avait bien entendu, si elle avait bien compris ce qu’il était en train de lui demander. « Quoi ? » Mince, elle se sentait stupide tout d’un coup et vu les moues moqueuses qui apparurent sur plusieurs visages, c’était bel et bien le cas. Elle était la seule à être aussi mal à l’aise avec sa nouvelle nature et ça se voyait clairement en cet instant. En même temps, si d’autres sorciers présents s’étaient retrouvé face à un état de semi-lycanthropie comme elle le vivait, sûrement auraient-ils eut l’air moins sereins avec leur nature. Elle déglutit, se forçant à reprendre pied avec la réalité et à ignorer les regards qui se posaient sur elle. « J’ai été mordue juste en dessous des côtes. Je… Hum, je peux vous montrer. » Fini-t-elle par répondre, hésitante. Erin avait toujours été pudique mais là c’était différent, c’était nécessaire. Et puis ce n’était pas comme si elle avait besoin de se déshabiller entièrement. Tout en faisant de son mieux pour oublier sa gêne, elle ouvrit son manteau et tira sur son pull pour dévoiler sa peau nue. Elle n’osa baisser les yeux, elle avait toujours autant de mal à regarder sa cicatrice, mais elle savait qu’elle était là, visible à la vue de tous. La trace des crocs s’étalait juste sous ses côtes, sur son ventre et dans son dos, montrant la forme de la mâchoire du loup qui lui avait infligé ça. Grâce aux soins de Marigold, la cicatrice était propre et parfaitement refermée, mais pas belle pour autant. De l’attaque, il restait des traces rougeâtres qui éclaboussaient sa peau, témoins de la sauvagerie dont elle avait été victime. Erin se força à rester ainsi quelques secondes, croisant intérieurement les doigts pour que personne n’émette l’idée de venir toucher sa peau ravagée. « Est-ce que… Est-ce que c’est différent de vos propres cicatrices ? » demanda-t-elle, en trouvant le silence soudainement inconfortable. Est-ce que ça allait être d’une quelconque aide ? Elle n’en savait rien.

Retrouver une bande de loup garous aux abords d’une forêt… Déjà en temps normal, une telle affirmation n’aurait pas manqué de faire tiquer Erin, ce n’était pas comme si elle fréquentait des loup garous -du moins pas qu’elle le sache- et qu’elle trainait régulièrement près des forêts. Donc ça ne collait pas trop. Mais là c’était encore pire. Elle avait l’impression que son attaque datait d’hier seulement et voilà qu’elle se rendait volontairement dans un endroit qui ressemblait terriblement à celui où elle avait été mordue, pour rejoindre un groupe de loup garous et leur chef de meute. Même elle se rendait bien compte de l’absurdité de ce qu’elle était en train de faire. Elle avait peur des loup garous, une part d’elle doutait que cela change un jour après ce qu’il s’était passé et ce qu’elle vivait depuis, pourtant c’était exactement le genre d’individu qu’elle venait de rejoindre. Pour un peu on aurait presque pu croire à un pique-nique en forêt, rien ne laissait présager ce qui se jouait en cet instant. Du moins si ce n’était la crispation manifeste dans les épaules de la française et son attitude en retrait. Tout son être criait au malaise mais elle n’avait aucune intention de faire demi-tour. Oh, elle aurait aimé, elle aurait préféré même, mais elle savait que si elle voulait des réponses à ses questions, ou ne serait-ce que des explications, elle n’avait pas vraiment d’autre choix. Côtoyer les lycanthropes n’était pas vraiment au gout d’Erin, même si elle savait que là, sous leur forme humaine, ils n’avaient aucune intention de lui faire du mal, elle ne pouvait empêcher l’appréhension de la gagner. Elle ne voulait pas faire d’amalgame, pas les mettre tous dans le même chaudron, mais la peur était un sentiment incontrôlable, et elle s’était introduite dans tout son être depuis cette nuit de juillet.

En cet instant, ce n’était pas le seul sentiment incontrôlable qu’Erin ressentait. Comme elle l’expliqua à Kesabel, c’était le bazar dans sa tête et elle n’en pouvait plus. La pleine lune approchait rapidement et elle ne pouvait pas faire semblant de l’ignorer. Tout son corps, tout son être, le lui criait avec sauvagerie. Elle était sur les nerfs, à bout de patience et en manque de sommeil. La même ritournelle à chaque pleine lune. C’était insupportable et Erin était insupportable. Pour les autres comme pour elle-même. Mais elle ne pouvait rien y faire à part prendre son mal en patience et essayer de ne pas faire tout exploser autour d’elle, à commencer par sa vie et ses relations. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle était là, entourée de loups, pour essayer de comprendre et de trouver des solutions à sa situation. Ce qui était loin d’être simple étant donné que son cas était une grande première pour les loup garous qui l’entouraient. C’était bien sa veine. Rien que cette idée l’agaça un peu plus mais cette pointe d’amertume laissa rapidement place à la surprise quand Kesabel l’interrogea sur la cicatrice que le loup lui avait laissée. Il voulait la voir et rien que ça déstabilisa complètement Erin. Elle n’était pas excessivement pudique, juste comme tout le monde, mais ce n’était pas exactement pour ça que cette perspective la mettait mal à l’aise. Sa cicatrice, Erin avait toujours autant de mal à la regarder, parce qu’elle définissait le moment exact où son existence avait volé en éclat, alors la montrer à d’autres devenait presque une épreuve pour elle. Même Taz ne l’avait pas vu. Ce qui était de toute manière impossible pour le moment étant donné qu’elle ne lui avait toujours rien dit de sa nouvelle condition.

Malgré sa gêne, Erin souleva son pull pour dévoiler la cicatrice qui lui barrait le flanc, parfaitement visible avec sa couleur rouge elle ne laissait aucun doute quant à ce qui l’avait attaqué. Elle tint bon quelques instants, s’efforçant d’ignorer tous ces regards inconnus qui convergeaient vers elle, avant d’abaisser son vêtement. Elle fut presque surprise du soulagement qui l’envahit au moment où sa cicatrice ne fut plus visible. Au hochement de tête de Kesabel, la française répondit machinalement par le même geste, les lèvres pincés. Sur l’ordre silencieux de leur chef, tous les sorciers présents tirèrent sur leurs vêtements pour dévoiler leurs propres cicatrices. Contrairement à elle, ils agirent sans la moindre hésitation, et encore moins de gêne. Une attitude que la blonde doutait de pouvoir adopter un jour. « Nous avons tous été mordus il y a des années. » Les prunelles d’Erin parcoururent les traces présentées par les sorciers, s’appliquant à les regarder sans trop s’y attarder pour ne pas donner l’impression de jouer les voyeuses. Toutes les cicatrices qu’elle voyait étaient à la fois semblables et différentes de la sienne. Elles étaient toutes parfaitement visibles comme si les années n’avaient pas passées, mais étaient de couleur claire. « Un effet du poison lupin. Il faudrait voir comment la tienne évolue. Ca donnerait une idée de ton degré d’infection, je pense. » De nouveau, la Serdaigle hocha la tête. Son degré d’infection. Ces mots manquèrent de lui arracher une grimace qu’elle retint tout juste. Face à tant de loup garous -surtout si fiers de leur condition- elle essayait de rester la plus neutre possible afin d’éviter les faux pas. Si Kesabel se montrait relativement souple avec ses réactions, elle doutait que ça soit le cas de tous. « Je surveillerai son évolution. » Affirma-t-elle. Elle comptait également tenir au courant le sorcier du moindre changement notable, mais ne jugea pas forcément nécessaire de le préciser. De toute manière rien ne garantissait que sa cicatrice changerait dans le temps, ils étaient tous en terrain inconnu.

« A l’approche de la pleine lune, on est tous à fleur de peau. Tu as tenté de te défouler en faisant du sport ? » Erin cligna des yeux face à cette question. Elle avait cherché des réponses dans des livres, dans des témoignages, dans les récits et conseils d’Aidan, mais à aucun moment elle n’avait pensé à une chose si terre à terre que le sport. Elle avait cherché à surmonter les effets de la pleine lune, à mieux les vivre grâce à la méditation, pas à les évacuer en se défoulant. C’était tellement simple qu’elle n’y avait même pas songé. « Je n’y avais pas pensé. Je n’ai jamais été une grande sportive. » Avoua-t-elle, se sentant soudainement bien stupide. Ah elle était belle la Serdaigle. Pour sa défense, autant dire les choses telles qu’elles étaient, la sportive de la famille ce n’était pas elle. Erin endossait bien plus facilement le rôle de l’intellectuelle, une direction dans laquelle sa famille l’avait toujours encouragée. « Tu pratiques quelque chose ? Danse ? Gym ? » Brièvement, elle hocha la tête. Même si elle n’était pas la plus grande sportive de la famille Delacour, ses parents avaient tenu à ce qu’elle pratique des activités et si elle ne vivait pas pour le sport, elle avait toujours apprécié d’en faire. « Oui, de la danse classique et de l’équitation. » En d’autres mots, rien qui ne permettait vraiment de se défouler. « Je pratique moins depuis que je suis à Poudlard. Parfois j’aide mon copain à s’entrainer au Quidditch, mais je ne suis pas vraiment la plus douée sur un balais. » Ajouta-t-elle avec sincérité. Tout ça restait des activités exigeantes qui demandaient concentration et minutie, mais ce n’était pas exactement des sports qui permettaient d’évacuer un trop plein d’énergie rapidement. « Peut-être qu’il faudrait que je trouve une activité plus physique. » Souffla-t-elle, songeuse. Elle pensait tout haut et actuellement elle n’avait aucune idée de vers quoi elle pourrait se tourner. Il allait falloir qu’elle se renseigne auprès de ses camarades, peut-être qu’Aidan aurait un avis sur la question. Alors qu’elle se disait qu’elle pouvait toujours demander aux sorciers présents l’un d’eux balança un « Ouais, le cul ! » qui la fit aussitôt changer d’avis. Erin se sentit rougir sans pouvoir s’en empêcher. Si elle n’était pas prude, elle n’avait pas non plus pour habitude de dire les choses aussi crument, et encore moins de les entendre ainsi de la bouche d’un inconnu.

« Concernant le tue-loup, je ne sais pas si ce serait une bonne idée que tu en prennes. Faudrait voir avec un maître potioniste pour ça. » Erin retint un soupir. Ce n’était pas la première fois que l’option de prendre du tue-loup revenait sur la table mais chaque fois le Greyback se montrait opposé à cette idée. La Serdaigle se désolait de ne pas pouvoir utiliser une potion qui lui paraissait si utile mais elle était d’accord sur le principe, son cas était bien trop particulier pour prendre un tel risque. Et si la potion empirait tout ? Si ça la rendait malade ou l’envoyait tout droit à Sainte-Mangouste ? Elle préférait s’en passer pour le moment et croiser les doigts pour trouver une solution adaptée. « Bon… on est venus prendre le thé ou se bouger ? Si on courait jusqu’à te faire cracher tes poumons de princesse ? On verra au moins si ça te calmera les hormones. On dirait que tu vas avoir tes règles là. » Erin se figea de surprise. Piquée au vif, elle fronça les sourcils et porta un regard noir sur Laïa, elle n’avait pas besoin de lui parler comme ça, ni de la traiter comme ça. Avant même d’avoir le temps de réfléchir, les mots avaient déjà franchis la barrière de ses lèvres, d’un ton mordant qui ne lui ressemblait pas. « Excuse-moi d’être un peu sur les nerfs, on peut pas tous avoir une potion miracle qui nous assomme. » Au sourire à la fois ironique et satisfait qui étira les lèvres de Laïa, la Serdaigle comprit qu’elle venait d’obtenir ce qu’elle voulait : la faire réagir. La blonde se renfrogna aussitôt, elle s’en voulut d’avoir réagi si promptement et surtout d’avoir donné à la louve ce qu’elle voulait. Des rires parcoururent l’assemblée mais Erin refusa de se demander si c’était parce qu’elle venait de rétorquer face à la sorcière, ou pour se moquer de sa susceptibilité. « C’est toi qui les perds d’habitude Laïa non ? » Au moins à ça la louve ne trouva pas quoi rétorquer.

Et pour cause, Kesabel était déjà parti en courant, slalomant entre les arbres avec l’agilité de l’habitude. Sans attendre, les autres s’élancèrent à sa suite. Voyant qu’Erin hésitait, Kate lui toucha le bras en passant à côté d’elle « Allez. » L’encouragea-t-elle. La Serdaigle prit une profonde inspiration, abandonna son sac et sa veste au sol, ne gardant que sa baguette toujours sur elle, et suivit le groupe. Ils allaient vite et ne prêtaient même attention à là où ils mettaient les pieds, clairement ils étaient en terrain connu et s’éclataient à faire la course comme si leur seule préoccupation dans la vie était d’arriver premier. Erin s’efforça de suivre leur rythme et ne tarda pas à découvrir que ce n’était pas si difficile que ça. Contrairement à ce qu’elle s’était imaginé, elle ne passa pas son temps à trébucher sur les branches, ne cracha pas ses poumons au bout de deux minutes et évoluait dans la forêt avec presque autant d’aisance que les autres. Ca lui paraissait presque facile et elle comprit pourquoi Kesabel lui avait suggérer d’évacuer son trop plein d’énergie par le sport. Gagnant en assurance, elle accéléra encore la cadence se rapprochant des silhouettes qui filaient devant elle. Certes, elle n’avait pas leur rapidité, mais elle n’avait pas non plus leur entrainement et soudainement elle ne se sentit plus si ridicule que ça. Pour un peu elle se serait sentie bien. Du moins jusqu’à ce qu’un bruit sur sa gauche n’attire son attention. En une demi-seconde elle sentit que quelque chose allait arriver, c’était comme si une alarme s’était déclenchée dans sa tête. Mais ça ne lui permis pas pour autant d’assez anticiper.

Quand elle vit la silhouette se Laïa apparaitre à ses côtés, il était déjà trop tard. Erin sentit son cœur s’emballer, tout son être se remplir de terreur. La louve la percuta sur le côté à toute vitesse, les envoyant toutes les deux rouler sur le sol de la forêt. Elle sentit à peine la douleur dans son dos quand elle chuta au sol, tout son esprit était occupé par des flashs de son attaque. Les circonstances étaient si semblables, la forêt, le loup, qu’en un instant elle se retrouva complètement figée, incapable de réagir. Quand elles eurent fini de rouler dans les feuilles mortes, Laïa resta à califourchon sur son ventre, les mains appuyés sur ses épaules pour l’empêcher de se relever. « Touché, c’est toi le loup. » Le sourire carnassier de la louve lui fila des frissons. Transportée plusieurs mois dans le passé, elle entendit à peine les autres les rejoindre. « Ses réflexes sont pas mal. Je crois qu’elle m’a entendu arriver. » Laïa s’était tournée vers Kesabel qui approchait. Un test, c’était un test. Un test cruel qui changea aussi la peur d’Erin en colère. Retrouvant enfin ses moyens, elle agrippa les mains de la louve et se servit de son bassin pour la faire basculer et enfin la déloger de son ventre. Sûrement que Laïa s’était laissé faire, ou alors qu’elle avait été surprise de sa réaction, parce qu’Erin doutait de réellement pouvoir rivaliser avec sa force, mais la française obtint ce qu’elle voulait. Elle se releva d’un bond, manquant de trébucher dans sa précipitation, les mains tremblants d’un mélange de colère et de crainte qu’elle maitrisait mal. « Merde ! C’était nécessaire ça ?! »

Entourée d'une bande de loup garou, Erin ne pouvait s'empêcher de se demander si elle allait se faire à ce genre de situation un jour. Entourée de ceux semblables à celui qui l'avait attaqué, qui avait fait basculer son existence, jamais elle n'aurait pu l'imaginer. Pourtant ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait et quelque chose lui soufflait que ce ne serait pas là dernière. Elle se demandait si le temps allait finir par apaiser ses tournants, si la peur qui continuait de lui ronger les entrailles ne deviendrait un jour plus qu'un murmure du passé. Car même si ce n'était pas la première fois qu’elle était entourée de membres de la meute Greyback, elle devait se rendre à l’évidence, la peur qu'ils lui inspiraient était toujours là. Elle n'était pas paralysante et ne la poussait pas à fuir par tous les moyens, mais elle était tout de même là, à grignoter la moindre de ses pensée, à la pousser à rester sur ses gardes, à la faire s'interroger sur tout, se méfier de tout. Au moindre geste brusque, au moindre mot plus haut que l'autre, la française savait que ses craintes prendraient le dessus sur toute pensée rationnelle. Que son corps réagirait avant elle et qu’elle se retrouverait à subir une fois de plus. Elle était là car elle avait besoin d'aide et que cette meute pouvait la lui apporter, mais ça ne voulait pas dire pour autant que c’était facile ou qu'elle était à l'aise, loin de là. Ces sorciers étaient bien loin de l'univers dans lequel elle avait grandie, de tous ceux qu'elle avait l'habitude de fréquenter, et même si elle ne vivait pas dans du coton, ça faisait une sacrée différence avec sa manière de vivre. L’univers de cette meute n’était pas le sien, et ça se voyait.

Mais Erin était là et elle s’efforçait de passer au-dessus de tout ça, même si c’était difficile et que cette meute ne paraissait pas vraiment décidée à lui rendre la tâche plus facile. Elle n’était pas une brave Gryffondor, ses doutes et ses craintes étaient nombreux, mais elle faisait de son mieux pour les repousser car elle avait bien plus à gagner à rester qu’à fuir. Fuir, elle le faisait déjà assez bien comme ça. Ce n’était pas ça qui allait l’aider à quoi que ce soit. Elle devait affronter sa condition pour la comprendre et pouvoir espérer un jour la surmonter, et pour cela elle devait commencer par affronter ces loups-garous. Voir son destin aussi lié à ce qui lui faisait le plus peur en était presque ironique, mais cette fois elle n’était pas sûre de goûter cet humour. Néanmoins, la française prenait sur elle du mieux qu’elle le pouvait. Elle répondait aux questions de Kesabel, fouillait au fond de ses entrailles pour comprendre comment elle se sentait. Elle s’exposait, dans tous les sens du terme, croisant les doigts pour que tous ces efforts qu’elle fournissait mènent un jour à des résultats. Elle s’accrochait à cette idée, sûrement un peu naïvement, un peu désespérément, mais c’était tout ce qu’il lui restait. Sans cet espoir, elle n’avait plus rien et cette idée lui était insupportable. Est-ce que ces loups pourraient réellement l’aider, la Serdaigle ne pouvait même pas l’affirmer avec certitude, mais elle se devait d’y croire au moins un peu. Ils étaient les plus aptes à lui apporter des réponses et des conseils, même si leurs conditions différaient. Ils savaient ce qu’elle vivait, à des degrés différents certes, mais assez similaires pour qu’ils puissent en comprendre une partie. Et comme cela faisait bien plus longtemps qu’elles qu’ils vivaient ainsi, ils savaient de quoi ils parlaient.

Erin était prête à entendre tous les conseils qu’ils pouvaient avoir pour elle, à tester tout ce qu’ils pouvaient suggérer. Quand Kesabel l’interrogea sur le sport, elle dû bien admettre qu’elle n’avait pas grand-chose d’une grande sportive. Elle avait toujours été bien plus intellectuelle que sportive. Sa pratique de la danse classique et de l’équitation avait toujours été plus du loisir qu’autre chose, et quand elle volait pour aider Balthazar à s’entrainer, ça restait basique. Au sourire du Greyback, Erin comprit que tout ça était bien loin de suffire. « Va falloir s’y mettre alors. » La Serdaigle hocha la tête, songeuse et pas vraiment vexée par la remarque. Le sport, ça n’avait jamais été son truc. Enfin, elle aimait ça, mais ce n’était pas au point de certains. Finir des entrainements épuisés et recommencer le lendemain, plein de courbatures, ça n’avait jamais été elle et elle n’avait pas de mal à le reconnaitre. Erin s’était toujours distinguée par son esprit et sa rigueur, pas ses capacités physiques. Maintenant que Kesabel le soulignait, se défouler par le sport lui semblait être une bonne idée et elle se promit d’y réfléchir sérieusement. Ce n’était pas bête et ça ne couterait pas grand-chose d’essayer. Peut-être même qu’en se fatiguant ainsi, elle réussirait à lutter un peu plus contre les insomnies. Ca valait le coup de tenter. Au moins, elle allait repartir de cette rencontre avec une première idée, un plan à mettre en place, et rien que ça aida un peu à lui remonter le moral. En revanche, que l’un des loups suggère crûment qu’elle utilise le sexe pour cela lui donna plus envie de se renfermer sur elle-même qu’autre chose. « Tom, t’as vraiment envie de porter volontaire pour parler de comment ça se passe ? » Erin ouvrit de grands yeux à cette remarque. Est-ce que Kesabel entendait par là que le sexe était différent à l’approche de la pleine lune. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas été intime avec Balthazar alors elle n’avait rien expérimenté dans ce domaine, mais cette idée la perturba grandement. Cela faisait partie des choses auxquelles elle n’avait pas songé, mais qui lui montrait que cette morsure perturbait absolument tous les aspects de sa vie.

La dispute entre Tom et Laïa qui suivit tout ça, Erin n’y prêta pas vraiment attention. D’ailleurs, elle n’aurait su dire s’il s’agissait d’une vraie dispute ou si les loups avaient juste la provocation comme moyen de communication. La seconde option était peut-être la bonne puisque Laïa ne manqua pas de la chercher à son tour et la pique qui s’échappa des lèvres de la française n’aurait jamais vu le jour sans l’influence de la pleine lune approchante. La sorcière venait d’obtenir ce qu’elle cherchait et s’être laissé aller à réagir aussi vivement emplit Erin d’amertume. Elle ne parvenait même pas à retenir ses mots et c’était de plus en plus dur à accepter. Elle n’avait plus qu’à espérer que Kesabel avait raison, que pratiquer un sport l’aiderait à se canaliser un peu plus et peut-être que cela pourrait se vérifier un peu plus rapidement que prévu étant donné que chacun s’élança dans une course improvisée. Bien que peu sportive, Erin s’élança avec eux et ne tarda pas à découvrir que l’exercice lui semblait si facile que s’en était presque naturel. C’était surprenant et un peu perturbant, surtout pour elle qui n’avait jamais été une grande sportive, mais aussi exaltant. Pour la première fois, les effets de sa morsure ne lui semblaient pas être entièrement négatifs. Pour une fois, elle se sentait bien, et c’était un soulagement. Elle eut la vive envie de voir jusqu’où elle pouvait aller, quelles étaient exactement ces nouvelles capacités qu’elle touchait du doigt, mais elle fut brutalement fauchée dans son élan par Laïa qui la plaqua au sol. Le glapissement qui lui échappa quand elles roulèrent dans les feuilles tenait à la fois de la surprise et de la peur. Soudainement, les souvenirs de son attaque du mois de juillet, envahirent l’esprit de la Serdaigle, et elle se trouva incapable de bouger le moindre muscle. Complètement paralysée par une bouffée de terreur. Jusqu’à ce qu’elle croise le sourire provoquant de Laïa et que sa peur ne se change en une colère dévorante.

Relevée, les cheveux en bataille et le cœur battant à tour rompre, Erin regarda les sorciers autour d’elle. « Tu es venue vers moi pour que je t’aide alors il va falloir me faire confiance et te faire violence. » Face au ton et au regard dur du Greyback, Erin eut un mouvement de recul. L’espace d’un instant, elle avait oublié qu’elle était entourée de loups-garous et la piqûre de rappel fut brutale. La peur envahit ses prunelles, se battant avec la colère provoquée par le geste de Laïa. Elle cligna des paupières, s’efforçant de conserver la maitrise de ses émotions et de ses mouvements. De lutter contre l’envie impérieuse de prendre la fuite. « Et accepter de me laisser agresser ? » Articula-t-elle difficilement. Sa voix était blanche et tremblante mais elle n’y prêta pas attention. Les mots de Kesabel et son attitude soudaine, lui semblaient bien plus inquiétant. Elle devait se faire violence, c’était à elle de prendre sur elle. Alors que c’était Laïa qui lui avait sauté dessus sans raison, sûrement consciente de la terreur qu’elle allait provoquer. Ce n'était pas comme si sa situation était inconnue dans la meute, elle savait que l’information de son attaque avait fait le tour de ses membres. Mais c’était Erin qui était en faute. Elle ne faisait pas partie de la meute Greyback, alors bien sûr que c’était elle la fautive. Si elle touchait au moindre cheveux de ces sorciers, elle s’en mordrait les doigts, mais eux par contre avaient tous les droits. Elle trouvait cela terriblement injuste, mais au moins le message était clair.

« Comment tu t’es sentie ? Tu l’as vue arriver non ? Avec de l’entraînement, tu pourrais même tout anticiper et ne pas avoir à subir. » La française cligna de nouveau des paupières. Elle fit de son mieux pour s’arracher à la peur qui semblait l’engluer dans un entre deux désagréable. Les questions de Kesabel étaient précises et ça l’aida au moins à garder pied avec la réalité. Malgré la peur qui la tenaillait, Erin devait admettre que pendant sa course elle s’était sentie à l’aise, elle s’était sentie bien et peut-être même mieux que ça. Quant à l’attaque de Laïa, elle se concentra pour se rappeler les secondes qui avaient précédé. Elle avait effectivement vu quelque chose, à moins qu’elle ne l’ait senti. Ca avait été fugace et flou, mais il y avait bien eu quelque chose. « Je crois oui… » Commença-t-elle, confuse. « Quelque chose me la dit, là... » Elle posa sa main sur sa poitrine, quelque part entre son cœur et son estomac, là où une sensation l’avait étreint, jusque une seconde avant que Laïa ne la touche. Etait-ce ça dont parlait Kesabel ? Une anticipation ? Elle fronça les sourcils, perdue. « Qu’est-ce que c’était ? » Dit comme ça, ça ressemblait à une forme de sixième sens, comme un instinct animal. Autant dire qu’Erin n’était pas sûre d’être à l’aise avec cette idée qui ne faisait que l’éloigner un peu plus de la définition d’un être humain. Elle se demanda vaguement si tous les sorciers qui l’entouraient ressentaient ça tout le temps, s’ils parvenaient à vivre ainsi. Elle se demandait comment ils avaient pu accepter ça. Cependant, elle garda ces questionnements pour elle, consciente que cela pourrait être mal reçu et qu’elle n’avait pas vraiment le droit à l’erreur.

« Devenir plus forte et maîtriser la situation, c’est pas ce que tu veux ? » L’espace d’un battement de cœur, Erin hésita. C’était ce qu’elle voulait, c’était tout ce qu’elle voulait depuis des mois maintenant, mais est-ce que cela voulait dire qu’elle devait tout accepter ? Qu’elle devait se laisser faire sans broncher. La française réalisait en cet instant que lorsqu’elle était allée chercher l’aide de Kesabel et de sa meute, elle n’avait pas songé à ce que cela allait impliquer exactement. Aussi bien de sa part, que de la leur. Jusqu’où ils pouvaient aller, jusqu’où elle devait aller. Par quoi elle allait devoir passer. Et soudainement, ça lui rappela l’avertissement de Marigold et elle se demandait si elle n’avait pas commis une erreur. Que se passerait-il si les loups décidaient que finalement son existence était juste une erreur qu’ils devaient effacer ? Une atteinte à leur propre nature ? Elle s’efforça d’étouffer la panique qui enfla en elle à cette idée. S’interdit de se demander si les loups pouvaient la sentir. « J’ignorais que ça impliquait de me faire insulter et attaquer au passage. » Prononça-t-elle lentement, s’accrochant désespérément aux derniers fils de sa fierté. « Je veux devenir plus forte, je veux maîtriser la situation, mais est-ce vraiment nécessaire de me traumatiser un peu plus au passage ? » Erin évita le regard des sorciers présents, et surtout celui de Laïa qui laissa échapper un reniflement de mépris à ses mots. Ils savaient tous de quoi elle parlait, ils étaient au courant de son histoire, de pourquoi elle était là, mais mentionner le traumatisme aussi ouvertement était différent. Elle ignorait si les loups comprenaient ou s’ils allaient se contenter de la voir comme une faible chose. Ses prunelles fixées sur Kesabel, Erin prit une profonde inspiration. « Je suis prête à faire des efforts, je suis prête à faire tout ce que vous me demandez… » Tout ce qu’il fallait pour aller mieux. Ce qui était nécessaire, elle le ferait, mais ce qu’il venait de se passer faisait aussi naître une question en elle. Un doute qui lui faisait peur. « Mais si c’est trop pour moi, si je demande du répit, est-ce que quelqu’un m’écoutera ? » Ou est-ce qu’ils continueraient, au risque de la briser pour de bon ? N’avait-elle déjà pas assez payé le prix de sa morsure ?