L'été, c'était une bonne période pour quelqu'un comme moi. Je bossais pas mal, j'acceptais toutes sortes de petits boulots pour gagner un peu d'argent et je comptais bien m'en sortir sans avoir à sortir la carte de la famille. Je voulais me débrouiller et ne rien devoir à personne.

Pour le moment, c'était dans un café de Londres que je m'activais. J'avais débuté à la plonge il y a un peu plus d'un mois et puis le patron avait remarqué que je retenais assez facilement les commandes des clients, sans avoir besoin de prendre des notes. Je m'étais donc retrouvé à devoir venir vêtu d'un pantalon noir, d'une chemise blanche et d'un tablier de serveur. L'essuie blanc immaculé posé sur l'avant-bras, parce que c'était un café qui se voulait classe...  Mais le gros avantage, pour moi, dans le fait d'être en salle, c'était que les clients se montraient parfois généreux et je pouvais bénéficier de pourboires que je n'aurais jamais eus en continuant la plonge...

J'exécutais mon travail comme un acteur. Du moins, c'était ainsi que je le ressentais. Je me déplaçais comme le ferait un danseur, le plateau toujours en équilibre sur ma main, comme pour mieux effectuer les pas de danse que se doivent de maîtriser tous les garçons de café.
Le geste appuyé, le mot toujours aimable, je prenais cela un peu comme si c'était un jeu, surtout au début.
Peut-être parce que ça me plaisait bien, au fond, de jouer ce rôle et d'apporter un peu de chaleur aux clients, sous la forme d'un thé, d'un espresso, d'un chocolat ou de toute autre boisson chaude... Comme je travaillais en journée, il était plus rare que je serve des boissons alcoolisées et cela me convenait fort bien. J'étais précis, j'étais observateur et je ne tremblais jamais. Cela faisait de moi un bon garçon de café.

Cet après-midi là, je m'affairais à nettoyer quelques tables à l'intérieur quand une jeune femme entra. Elle avisa une place où la lumière n'était ni trop vive ni trop faible, puis elle s'installa. Je m'empressais de la rejoindre, avec mon essuie et mon plateau, pour venir prendre sa commande.

« Bonjour miss, vous voulez voir la carte, peut-être ? » Je la lui tendis poliment. « N'hésitez pas à m'appeler lorsque vous aure trouvé votre bonheur. »

Je lui adressai un sourire et m'en allais, derechef, rejoindre une table où une sorcière très âgée venait de renverser son chocolat. Elle tremblait beaucoup et était désolée d'avoir gâché le chocolat, d'avoir sali la table, etc.
« Ce n'est rien, madame, ça peut arriver à tout le monde... Je vous apporte un autre chocolat. »
J'insisterais pour qu'on le serve dans une de ces tasses impossibles à renverser grâce à je ne sais quel sortilège génial. Je nettoyais rapidement sa table de quelques coups de baguette, puis je filais vers le comptoir, en me faufilant souplement au milieu de ce dédale de tables et de chaises.

Je devais aussi aider à préparer les commandes, mais je me cantonnais à faire les trucs basiques, pour ne pas perdre de temps sur mon service en salle. Je gérais plutôt les boissons fraîches, comme le jus de citrouilles, les smoothies et les cocktails aux explobulles colorées. Les gosses en raffolaient de ces trucs.

Je fis donc deux smoothies pour une table d'étudiantes, puis je me rendis près de la vieille sorcière tremblante pour lui déposer sa boisson. « Voilà, madame. Bonne dégustation. »
Et puis je rejoignis la jeune femme de tout à l'heure.
« Me revoilà... vous avez fait votre choix, miss ? »

( Pando )

Dans ce boulot, il me fallait être sympa. Arriver avec le sourire, prendre les commandes avec autant d'élan et de motivation que si ma vie en dépendait. Je n’avais jamais été le genre de mec à me montrer naturellement sympa avec tout le monde. J’avais traversé trop de choses qui me poussaient à me méfier… mais pour la carrière que j’envisageais de faire plus tard, c’est-à-dire Auror, il fallait que je sois capable de me fondre dans un tas de rôles et un tas de situations. Je voyais donc un peu ce job étudiant comme une occasion de m’entrainer à jouer des rôles, comme un comédien.
Et puis, pour les autres aspects pratiques de ce boulot, je pouvais dire que je rencontrais des gens de toutes sortes, des clients agréables, des clients emmerdeurs, des familles, etc. J’avais aussi appris à préparer des trucs que je n’aurais jamais cru être capable de faire. Et ça, c’était top !

La cliente la plus jeune n’était pas une habituée. En tout cas, j’avais l’impression que c’était la première fois que je la voyais… Je n’avais pas une mémoire infaillible, mais elle était bien jolie… à tous les coups, je n’aurais pas pu oublier cette fille !
J’imaginais souvent des histoires sur mes clients. La vieille dame qui tremblait, par exemple, je la voyais un peu comme une personne qui venait ici pour changer d’air, parce qu’elle étouffait chez elle, peut-être à cause de proches un peu trop proches ou un peu trop intéressés.
Le type qui buvait son thé, près de la fenêtre, en lisant la Gazette, c’était quelqu’un qui bossait au Ministère de la Magie. Il avait l’air sérieux, mais j’imaginais que dans sa vie privée, il devait l’être moins. Pas au point d’être un boute-en-train, mais j’avais remarqué qu’il avait des photos de famille dans son portefeuille. Chaque fois qu’il payait ses consommations, je pouvais le voir en photo, entouré et souriant.
Alors, la jeune fille… j’imaginais qu’elle venait ici pour lire son bouquin, peut-être en attendant un mec avec qui elle avait un rencard. Je la trouvais jolie et la présence de son livre, assez épais, d’ailleurs, me poussait à penser qu’elle devait aussi être cultivée et intelligente.

Quand elle passa sa commande, j’avais pensé à lui apporter un muffin aux trois chocolats, une pâtisserie pas bien compliquée à faire que j’avais appris à confectionner ici. Mais comme elle prenait son thé sans sucre, je songeais que si elle faisait attention à sa ligne, c’était mort pour lui offrir ce petit gâteau en précisant « Cadeau de la maison ».
Les filles et leur ligne… parfois, je ne comprenais vraiment pas. Surtout quand cette lubie ne me permettait pas de faire ce petit cadeau à une jolie cliente !
Qu’allais-je bien pouvoir lui offrir pour tenter qu’elle revienne ? Fidéliser la clientèle, ça faisait partie du job, ça aussi, mais quand il s’agissait d’une si jolie cliente, c’était par plaisir que j’avais envie de faire cela… pas juste pour le taff.

Enfin, soit. J’allais préparer son thé à la menthe. Je faisais les dosages moi-même, comme ma mère de substitution m’avait enseigné à le faire quand nous étions au pays, tous ensemble. Le thé vert, d’abord, puis de la menthe fraîche. Je pouvais lui faire le thé comme ça se fait au Maghreb, c’était le meilleur thé à la menthe à ma connaissance…
Mais si elle ne voulait pas de sucre, je n’allais pas prendre l’initiative de sucrer sa théière.
« Bien sûr, tout est possible, miss ! »

J’allais donc préparer cela, je choisis une des théières ensorcelées conçues pour garder le thé bien chaud pendant plusieurs heures. C’était le top de ce qui se faisait dans le genre. Enfin, à ma connaissance, en tout cas.

Quelques instants plus tard, je déposais devant elle sa commande, avec le sourire. Elle était plongée dans son livre et n’en leva même pas le nez. Elle avait l’air complètement absorbée. Comme si son livre faisait disparaître tout le reste, moi y compris. J’aurais aimé avoir ce genre de chance, pouvoir me plonger, tout mon soûl, dans une lecture pour me sentir simplement détendu, pour me changer les idées et voir un peu comment d’autres personnes pouvaient trouver la lecture aussi épanouissante que ça.
« Vous n’avez envie de rien d’autre ? Un muffin ? des cookies ? »

Penchant la tête, je cherchais à voir la couverture de son livre, mais sans succès. En tout cas, il n’était pas fait de ces papiers parcheminés habituels dans nos bibliothèques et nos librairies, mais je ne pouvais pas juger de cela. Je n’étais pas un spécialiste.

« Si vous avez besoin d’autre chose, n’hésitez pas à m’appeler. »

( Pando )

La sympathie, ça ne s’improvise pas. Je dois parfois fournir des efforts pour être assez avenant et d’autres fois, ça me vient naturellement. En fait, ça dépend beaucoup de la personne qui est en face de moi. Certaines personnes me rebutent du seul fait de leur simple existence, d’autres éveillent en moi une envie d’être naturellement sympa.
Comme cette fille. Je ne sais pas trop pourquoi, mais elle m’intrigue un peu. Peut-être cette façon qu’elle a de se plonger dans des bouquins en savourant du thé. Sans en renverser la moindre petite goutte. J’ai toujours été assez subjugué par la magie que peut opérer un livre sur une personne. Je veux dire, la magie au sens figuré, bien sûr, pas la magie de la vie de tous les jours ni même la "magie" qui consiste à frapper quelqu’un dans la tronche avec un gros bouquin. D’ailleurs, le livre qu’elle lit me semble assez épais pour exploser la gueule à n’importe quel emmerdeur. Je pense que je ferais mieux de faire attention.

C’est marrant, mais les filles aiment toujours qu’on les surprenne. Allez savoir pourquoi. Je n’ai jamais été le genre de type à essayer à tout prix de faire surprise sur surprise aux nanas, en tout cas, pas que je sache. Je ne suis peut-être pas assez créatif pour ça, je pense. Mais comment veut-elle que je la surprenne avec des cookies ou des muffins ? Les pâtisseries et les biscuits, c’est pas trop mon truc, j’ai du mal à comprendre comment je pourrais la surprendre avec ça. Si je les présente sous forme de pyramide, peut-être ? Des cookies en équilibre avec un muffin tout au-dessus… ou bien un assortiment de ces petits gâteaux multicolores avec des effets pétillants quand on les met en bouche ? Mais tout ça, c’est assez basique… rien de bien surprenant… Il faut que je trouve quelque chose de mieux si je veux fidéliser la clientèle.

En attendant, le thé lui convient, c’est déjà ça. Et quand j’ai finalement trouvé en cuisine ce que je pouvais bien lui apporter de surprenant, j’ai carrément pris le temps de faire preuve d’un peu d’imagination. J’ai toujours aimé le principe des poupées russes, et appliquer ce même principe à des muffins ou des cupcakes, ça peut être plus qu’une surprise pour les clients. Muffin au chocolat noir en extérieur, mais une fois au cœur, voilà un autre muffin, pomme caramel, cette fois, et puis encore un autre, la spécialité de la maison : muffin au moka et aux éclats d’amande. Je n’ai pas été au-delà de trois, parce que mine de rien, tout ça, ça fait pas mal de calories et que je sais bien que les filles ont parfois tendance à compter tout ça de la même façon que je compte mes gallions en fin de mois.

Le sourire de cette cliente vaut le détour. Je ne sais pas si c’est parce que c’est une lectrice et qu’elle a levé le nez de son livre, mais il y a quelque chose de charmant dans cette partie de son visage. Je ne suis même pas foutu de deviner son âge approximatif, mais j’ai jamais été très doué pour donner un âge aux gens, de toute façon…
Et puis, c’est elle qui m’a surpris, finalement. Elle m’a demandé mon prénom, comme pour pouvoir le crier pour me faire venir plus vite.
« Aaron… pour vous servir, miss. » Je ne sais même pas pourquoi je reste aussi poli en lui disant ça, mais j’ai même exécuté une sorte de salut. Trop théâtral, sûrement. « Je vous aurais bien demandé votre prénom, mais mon patron n’est pas du genre à aimer qu’on ait l’air de draguer les clientes… »
N’empêche que si j’avais été un moldu, je lui aurais griffonné mon numéro et je l’aurais mis dans le dernier muffin, en priant pour qu’elle ait assez d’appétit pour arriver jusque là.

« Est-ce que ça vous embête si je vous observe découvrir la surprise ? Je demande, parce que si mon idée a l’effet voulu, ça veut dire que je pourrais proposer ça au boss et peut-être espérer une petite augmentation. »

( Pando )